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Et les arts

Dans le document Sé Vadeetémalee lat laï (Page 91-94)

Groupe enseignements et éducation artistique

1. Et les arts

1.1. Du dialogue et de la complexité

Ces références, principes et valeurs ne cessent de dialoguer avec les enseignements et actions éducatives initiés par l’École. Parmi celles-ci, les enseignements et l’éducation artistiques occupent une place singulière par ce balancement perpétuel entre la nécessité de transmettre la richesse des héritages dont nous sommes dépositaires et celle de développer des pratiques expressives et créatives à dimensions artistiques. À travers l’éducation artistique, c’est bien une éducation à la complexité des valeurs qui est en jeu, complexité qui peut opposer patrimoine et création, théorie et pratique, culture des uns et culture des autres… D’une certaine façon, l’art limite sa portée à ce que la sensibilité de chacun veut bien en faire, se dérobant dès lors à des volontés extérieures qui pourtant n’ont jamais manqué (art dégénéré, subversif, révolutionnaire, archaïque, d’avant-garde, etc.).

À chaque instant pour les professeurs qui ont la charge de cet enseignement et de cette éducation, progressivement au fil du parcours de formation pour les élèves, surgissent plus ou moins explicitement des interrogations sous-jacentes à la polysémie de l’objet enseigné pris dans la complexité des contextes où il existe. In fine, pour les uns, il faut apprendre à vivre professionnellement avec cette interrogation pour mieux la faire partager, pour les autres il s’agit de découvrir par une multiplicité d’expériences que l’art n’est pas univoque, que les œuvres ne valent que par les questions qu’elles portent, i.e. le plaisir qu’elles procurent, que la pratique artistique ne vaut que par sa capacité, au-delà des mots, à communiquer avec le langage de la sensibilité.

1.2. Éduquer aux valeurs par les valeurs

Si le filtre du temps nous permet aujourd’hui de considérer dans un certain consensus la valeur artistique de créations passées relevant de la tradition savante occidentale, dès lors que nous repoussons les frontières spatiales, l’interrogation s’installe. Avec l’art contemporain, elle s’accuse.

Pourtant, « l’artiste » est aujourd’hui une figure – souvent autoproclamée – incontestable de l’espace public ; il produit des « œuvres » dont la critique éventuelle va rarement jusqu’à remettre en cause le statut. On peut alors supposer que cela repose sur un système de valeurs relativement partagé au sein de notre culture et que, plus généralement, la qualification d’artistique, dans quelque cadre culturel que ce soit, s’adosse à un ensemble de valeurs plus ou moins explicites et reconnues par les individus relevant de cette même culture. L’éducation à l’art semblerait ainsi reposer sur la mobilisation et le partage de valeurs communes qui, bien avant de relever de l’art lui-même, sont à la source du vivre ensemble, d’une identité culturelle faisant référence.

Si la dimension artistique d’une création humaine relève de valeurs partagées pour tous ceux qui ont à dire de cette création, cela positionne de façon tout à fait singulière les enseignements et l’éducation artistiques. Certes l’éducation artistique se préoccupe de transmission patrimoniale, de repères à poser et à articuler ; certes il y a des techniques à mobiliser, des éléments de théorie des langages à maîtriser pour pratiquer, exprimer et communiquer. Mais surtout l’éducation et les enseignements artistiques visent le développement d’une capacité à se décentrer de ses propres repères, capacité à prendre quelques distances avec des valeurs propres à son environnement pour en envisager d’autres et finalement, tout en apprenant l’altérité, mieux se situer dans le système de valeurs qui, en l’espèce, est à la source du vivre ensemble républicain.

1.3. L’art ou le dépassement des tensions

L’éducation artistique (enseignements artistiques usuels, mais aussi les diverses formes appelées par le parcours d’éducation artistique et culturelle) engage la mise en mouvement par tous – élèves et professeurs –, dans le commun de l’apprentissage à l’École, de convictions artistiques et culturelles hautement personnelles, sous-tendues par divers héritages ou transmissions dans et hors l’École.

Dès lors, des tensions apparaissent dans la sphère des convictions individuelles et intimes. Et l’un des objectifs de l’éducation artistique vise justement à s’en défaire positivement – ne pas en être prisonnier – au bénéfice de la construction d’un rapport collectif et partagé aux œuvres et à la création. Il s’agit d’apprendre à relativiser les seuls repères personnels (qui s’apparentent parfois à des croyances ou des stéréotypes), de tenir à distance à la fois leur pouvoir à produire de l’exclusion de l’autre, en l’occurrence cet autre qu’incarne une œuvre dans sa singularité, et leur capacité à fermer ainsi un accès à de l’altérité.

Pour autant, dans les enseignements artistiques ou l’éducation artistique et culturelle, cette relativisation des lieux communs et de possibles conceptions identitaires dans le domaine de l’art vaut-elle éducation à l’universel à l’École ? Ancrées sur les valeurs de la République, les valeurs de l’École privilégient certaines formes de consensus entre valeurs communes et valeurs scolaires, laissant plus volontiers de côté l’acceptation de la différence, de la divergence, finalement les singularités parfois exacerbées que portent nombre de créations artistiques ; pourtant, celles-ci n’incarnent-elles pas, au prétexte de la création, la valeur cardinale de Liberté ?

Comment alors tirer profit éducatif d’indispensables débats sur ce que des créations authentiques ont notamment de trompeur ou, a priori, de décevant ? Ne correspondant pas à nos convictions de

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l’œuvre d’art, elles nous invitent à élargir le « périmètre » de la notion même, nous conduisant à tirer des enseignements de l’expérience d’une divergence dans et par les œuvres.

Comme dans d’autres domaines enseignés, cette fois pour percevoir et s’approprier la dimension artistique d’une œuvre, l’effort est bien entendu nécessaire. Ce chemin en spirale autour de l’objet de l’enseignement, parfois long et semé d’embûches, est pourtant l’essentiel dans l’apport de l’éducation artistique car, justement, il mobilise les valeurs pour interroger l’œuvre et son langage, pour en décrypter les portées, les sens, les symboliques, finalement apprendre à reconnaître son statut d’œuvre d’art.

Or « l’intérêt scolaire » des savoirs définis par les programmes d’enseignement est souvent déclaré évident. Mais en art, si évidence il y a pour une éducation artistique à l’École, elle est bien ailleurs, particulièrement dans le chemin qui mène à l’art et à l’œuvre. Cette originalité peut induire trois sources principales de malentendus :

– ceux qui ne manquent pas de surgir des pratiques courantes de la relation scolaire à la culture où les œuvres sont bien souvent instrumentalisées, l’enjeu principal rappelé ci-dessus étant dès lors de fait marginalisé ;

– ceux induits par une certaine illusion scolaire de la valeur pédagogique en soi de la créativité et du « projet artistique » : un grand nombre de militants ou d’observateurs de la cause des arts à l’École fait de l’éducation artistique une singulière boîte noire – ou une boîte magique – sans autre effet visé que de développer une créativité, parfois exacerbée à l’extrême ;

– ceux qui sollicitent l’artiste, moins pour sa singularité de créateur que pour son hypothétique potentiel de médiation, considéré comme la pierre angulaire de l’éducation artistique et culturelle.

Dépasser les risques de ces malentendus nécessite de rappeler sans cesse, avec toute la force requise, que les enseignements et l’éducation artistiques, c’est d’abord apprendre :

– à mobiliser sa sensibilité puis ses compétences pour en tirer parti, celles que l’on a en soi et celles que l’on peut développer (ce qui revient à accepter de ne pas les avoir toutes, d’être positivement ignorant de ce que l’on ne sait pas encore reconnaître) ;

– à identifier les exigences et les nécessités de la perception d’une œuvre en tant qu’un processus qui engage d’y consacrer du temps et de l’espace, ainsi qu’une disponibilité à entrevoir qu’il ne faut pas se tourner seulement vers le seul genre de création auquel on prête crédit a priori ;

– à exercer une attention aux œuvres, ce qui demande observation et interprétation, et ainsi éviter les illusions à courte vue, imposées et provisoirement confortables, d’une connaissance portée par d’autres ;

– à être conscient qu’un objet artistique est tourné vers tous et que, de ce fait, dans une perception publique ou privée, des interférences entre ses spectateurs sont toujours présentes, indissociables de l’œuvre elle-même et faisant une grande partie de son intérêt.

Dans le document Sé Vadeetémalee lat laï (Page 91-94)

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