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Articuler réputation et déontologie : le risque de réputation

3.4. Déontologie et représentation : la question de la réputation

3.4.2. Réputation et déontologie : une articulation théorique

3.4.2.2. Articuler réputation et déontologie : le risque de réputation

La fonction déontologie a pour tâche d’orienter l’action des collaborateurs au sein de l’organisation, mais pas seulement dans le but d’instaurer des modes de fonctionnement satisfaisants à l’intérieur même de cette organisation : le déploiement de la fonction répond évidemment à un impératif réglementaire, mais il est souvent synonyme, pour celui qui s’emploie à mettre en place une telle fonction, d’un effort sur l’image renvoyée par l’organisation. On se situe ici à l’autre extrémité de l’acte commercial : une fois le produit vendu, c’est-à-dire une fois les services marketing travaillant sur la marque ayant mis en forme le produit, une fois ce produit distribué par les réseaux commerciaux, quelles sont les conséquences potentielles ou avérées en terme d’image pour l’organisation ? Aucune entreprise d’investissement n’est aujourd’hui en mesure de refuser ce « retour d’expérience », ce renvoi d’image par les médias censés représenter à leur tour l’opinion, l’avis général partagé au sujet de l’organisation, de ses produits, de sa façon de travailler, etc.

Au-delà des aspects purement commerciaux – le produit va-t-il connaître le succès espéré ? – qui ne lui reviennent pas directement, le déontologue a pour charge d’anticiper les problèmes réglementaires, éventuellement juridiques, les questions d’image et de morale qui pourraient être générés par une communication inadéquate ou inappropriée. Les textes ont toujours été clairs à ce sujet ; le rapport Brac de La Perrière le soulignait déjà en 1988 :

« La déontologie n’est pas une affaire de spécialistes. Expression du comportement d’une collectivité, elle engage tous les membres de celle-ci et participe à sa réputation. […] La réputation des intermédiaires contribue également au service des clients dans la mesure où elle est un des éléments de la confiance qui s’établit entre professionnels et clients, tissant entre eux autant de liens qui garantissent une meilleure adéquation du service rendu aux besoins du client » (COB, 1988 : 35-38).

Une vingtaine d’années ont passé et, si la déontologie tend à devenir une affaire de spécialistes produisant des expertises, la question de la réputation n’a visiblement pas été complètement réglée en milieu financier, et constitue toujours un sujet de préoccupation pour

les régulateurs : les publications récentes sur la conformité (Basel Committee on Banking Supervision, 2005 ; Commission Bancaire, 2004 ; CCLRF, 2005) évoquent toutes ce point, et l’incluent désormais dans la définition du risque de non-conformité, dont nous rappelons qu’il s’agit du risque :

« de sanction judiciaire, administrative ou disciplinaire, de perte financière significative ou d’atteinte à la réputation [nous soulignons], qui naît du non-respect des dispositions propres aux activités bancaires et financières […] » (CCLRF, 1997 : 4, art. 4).

La différence entre les deux publications réglementaires réside dans l’attribution explicite à la fonction de conformité, appelée à remplacer la fonction déontologie, de la prise en charge explicite du risque de réputation. Cette nouvelle formulation d’une question antérieurement posée advient par ailleurs dans un contexte où la notion de risque s’est beaucoup développée, et où la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme constitue un pan important des activités de contrôle bancaire et financier125.

Il n’est donc pas étonnant d’assister à l’émergence d’une littérature sur le sujet, qui traite plus ou moins directement de cette notion de réputation, en regard des productions consacrées aux risques financiers dans les organisations126. Le champ ainsi couvert est particulièrement vaste, et la majorité des écrits relatifs à la réputation s’attachent soit à en souligner la nécessité pour garantir le fonctionnement du marché (Gemser & Wijnberg, 2001) ou celui des entreprises (Neef, 2003), soit à envisager la notion comme un élément déterminant pour le marketing (Bromley, 1993 ; Sheldon Green, 1993 ; Fombrun, 1996), notamment en ce qui concerne la gestion des marques. Larkin (2003 : 3) souligne ainsi que

125. Pour une première approche des questions relatives à la lutte contre le blanchiment, voir Kopp (2005). Le financement du terrorisme s’opère quant à lui par « noircissement ». Sur ces questions, on pourra également se reporter à Bierstecker (2002), Favarel-Garrigues (2003), De Goede (2004b & 2007), Amoore & De Goede (2005), Knorr Cetina (2005), ainsi qu’à Beck (2002) et Ericson & Doyle (2004).

126 . Pour une première approche des questions liées à la régulation des risques, on pourra se reporter à Braithwaite & Drahos (2000) ou Hutter & Power (2005), ainsi qu’à Hutter (2005) qui propose une étude centrée sur la régulation britannique.

« le risque de réputation peut être considéré en termes de réputation de l’entreprise (corporate reputation), des marques liées à l’entreprise (corporate brands), des familles de marques (family brands), et en termes de marques de produits individués (individual product brands) ».

D’autres approches consistent à modéliser le risque de réputation comme un risque contingent engendrant d’important frais judiciaires (legal fees) (Kritzer, 2004), ou proposent de l’inclure dans une perspective globale de gestion du risque (Bessis, 1997 évoquant furtivement la question). Scott & Walsham (2002 : 1), de leur côté, plaident en faveur d’une démarche organisationnelle complète :

« nous postulons que les organisations ont besoin de comprendre comment les changements sociaux, politiques et économiques ont un impact sur leurs efforts pour contrôler le risque de réputation » 127.

Partant de cette hypothèse, ils soulignent la disjonction existant entre d’une part des organisations dont le développement tend à abolir les frontières géographiques et d’autre part une approche presque exclusivement occidentale de la question. C’est en faveur d’une prise en compte réaliste du risque de réputation qui, contrairement aux approches classiques, ne peut être correctement appréhendé si on l’envisage comme un risque identique aux autres, que les auteurs plaident pour une reconnaissance de la valeur spécifique de la confiance, qui ne peut aucunement se résumer à la passation de contrats ; de la sorte, « le risque de réputation ne peut être réduit au statut de variable isolée » (Ibid. : 5)128. Cette dimension spécifique du risque de réputation appelant un traitement particulier est également soulignée par Neef (2003 : 143) :

« La gestion du risque de réputation (Reputation management) est une expression aujourd’hui utilisée pour décrire le processus à partir duquel une entreprise analyse en permanence son image du point de vue de ses différentes parties prenantes, y inclus ses clients, investisseurs, analystes, groupes de pression, les syndicats et les médias ».

127. A noter que les auteurs reconnaissent que « la majorité des textes publiés sur le risque de réputation se trouve dans les guides professionnels » (2002 : 3).

128. Scott & Walsham (2005 : 311) reprennent et développent ce point : « While reputation is mentioned by economic and business literature, it tends to be treated mechanically with an emphasis on its utility in reducing transaction costs ».

On le voit, le champ couvert par la notion est extrêmement large129. Scott & Walsham (2004 : 5), tentent alors de la cerner plus finement, à travers notamment une typologie des définitions du risque. Critiquant une tendance naturelle à la simplification réductionniste proposée par des approches purement calculatoires, et s’inscrivant en cela dans une critique fine de la notion de risque (Power, 2004, 2005a et 2005b), ils observent « une augmentation de l’utilisation d’approches rationnelles – scientifiques formelles afin de gérer le risque » (Scott & Walsham 2004 : 6). On retrouve ici un point de vue déjà défendu par De Goede ou Beck, postulant une étroite intrication entre émergence du risque et structuration de la société : « nos définitions du risque modèlent et formatent la société » (2004 : 6). Pourtant, la définition du risque de réputation ne fait pas l’unanimité : s’appuyant sur Greif (1989), Perrow (1961 & 1984), Scott & Walsham remettent en cause les acceptions courantes de la notion. Il s’agit, selon eux, de parvenir à penser le risque de réputation comme un concept composite

« affecté par de multiples influences constitutives comprenant l’identité de l’organisation, son image, sa culture et sa marque » (2004 : 11).

Cette multiplicité constitutive du risque de réputation se trouve corrélée par l’élargissement de son spectre dans les économies de marché contemporaines, une telle tendance se trouvant favorisée par le déploiement prolifique de médias divers130.

”

129. Pour une vision élargie du champ couvert par la notion, on pourra se reporter à la Corporate Reputation Review, qui depuis 1997 propose des recherches académiques et des recherches appliquées sur le sujet. Fombrun & Van Riel (1997) y brossent un panorama large des différentes approches possibles (cf. supra).

130. D’une certaine façon, la proposition de Scott & Walsham ne touche-t-elle pas ce que Laufer (1993) pointait déjà dans un ouvrage dédié aux « risques majeurs », définis comme des « rupture[s] des systèmes de représentation » (1993 : 190) en vigueur ?

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