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Position du problème

La prise en charge des patients cirrhotiques fait poser tôt ou tard la question de la transplantation hépatique, ce qui suppose, compte tenu des règles d’attribution des greffons actuellement en vigueur en France, de pouvoir discriminer avec le maximum de précision les patients les plus à risque de décès à court terme, qui sont prioritaires. Nous disposons pour cela de scores pronostiques (Child-Pugh et MELD) utilisés quotidiennement [78, 182]. Néanmoins, ces scores ne font que refléter le degré de l’insuffisance hépatique et ne rendent pas compte d’événements surajoutés, directement en cause dans l’apparition de défaillances d’organe. De ce fait, au-delà d’une certaine gravité de l’insuffisance hépatique, ils apparaissent insuffisants pour la prédiction du décès à court terme, et moins performants que les scores généralistes utilisés en réanimation, comme le score APACHE II ou le score SOFA. Parmi les événements capables d’influencer le pronostic à court terme figure le syndrome de réponse inflammatoire systémique (SRIS), particulièrement fréquent au cours de la cirrhose [74, 286], car favorisé par la translocation bactérienne [85], c’est-à-dire la migration de bactéries viables et/ou de fragments bactériens d’origine intestinale vers les ganglions lymphatiques mésentériques ou d’autres sites extra-intestinaux [325]. Le SRIS est défini par la présence d’au moins deux des signes cliniques ou biologiques suivants : température >38°C ou <36°C, fréquence cardiaque >90 /min, fréquence respiratoire >20/min ou PaCO2 <32mmHg, leucocytose >12000 ou < 4000/mm3 ou présence de plus de 10% de

formes immatures circulantes [1]. Ce syndrome semble être l’événement clé pour le développement des défaillances d’organes, en particulier rénale, hémodynamique, neurologique, et respiratoire [265, 266, 286]. Le SRIS constitue un centre d’intérêt croissant de la littérature en hépatologie, mais un problème encore non résolu concerne le diagnostic de SRIS lui-même, qui repose sur des critères clinico-biologiques établis chez des patients indemnes de maladie du foie [1], et qui, malheureusement, peuvent être artificiellement modifiés par la cirrhose elle-même. Il nous paraissait indispensable d’identifier un marqueur d’inflammation systémique suffisamment fiable pour le diagnostic de SRIS et de tester sa valeur pronostique. C’est tout naturellement que nous nous sommes intéressés à la C- réactive protéine (CRP). La CRP est une protéine synthétisée à la phase aiguë de l’inflammation en réponse à l’interleukine-6 et est capable de discriminer la présence d’un SRIS ainsi que la mortalité dans différentes populations de patients non cirrhotiques [72, 76,

169]. Bien que synthétisée par le foie, l’augmentation de la CRP peut être observée aux

stades avancés d’insuffisance hépatique [57, 224]. Nous avions montré au cours d’une étude pilote rétrospective qu’une valeur élevée de CRP était associée à un risque de mortalité indépendant du MELD : le risque relatif de mortalité était de 2,7 pour une valeur de CRP > 27 mg/L, et la valeur prédictive positive de décès à était supérieure à 90% pour une

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valeur de CRP > 30 mg/L [34]. Nous avons souhaité confirmer prospectivement l’intérêt pronostique de la CRP chez les patients atteints de cirrhose sévère et tester la performance diagnostique de la CRP pour le diagnostic de SRIS, malgré les réserves qui concernent l’application des critères utilisés pour le diagnostic de référence de ce syndrome au cours de la cirrhose.

Elaboration de la recherche

Nous avons suivis prospectivement tous les patients cirrhotiques sévères (Child-Pugh > 7) entre octobre 2008 et août 2010 hospitalisés dans notre service d’Hépatologie. Au total 158 variables ont été enregistrées (données démographiques, cause et histoire de la cirrhose, index de comorbidités, etc.)

Analyse statistique

La performance de la CRP pour prédire le SRIS a été évaluée par l’aire sous la courbe ROC (AUROC) et le meilleur seuil discriminant les patients avec et sans SRIS était obtenu en utilisant l’indice de Youden. Les courbes de survie ont été construites avec la méthode de Kaplan-Meier et comparées par le test du log-rank (analyse univariée) et le modèle de Cox (analyse multivariée). La survie à 6 mois a été le critère de jugement principal et nous avons analysé spécifiquement le sous-groupe des patients gardant au bout de 15 jours d’hospitalisation une valeur de CRP supérieure au seuil discriminant le SRIS. Notre hypothèse était qu’une élévation persistante de la CRP était un indicateur pertinent d’une inflammation systémique évoluant pour son propre compte, supposée particulièrement délétère pour le pronostic [Malik, 2009 #332].

Résultats

Au total, 175 patients cirrhotiques sévères ont été inclus : 125 hommes (73%) d’âge moyen de 58 ans, alcooliques en majorité (88%). Nous avons noté 68 infections bactériennes documentées (39%), 28 carcinomes hépatocellulaires (16%) et 47 patients avaient les critères du SRIS (27%). La CRP variait de 1 à 240 mg/L (médiane à 27 mg/L).

Une CRP initiale élevée était associée à la présence d’une infection, d’un SRIS, d’un carcinome hépatocellulaire, et à l’absence de bêta-bloquants (42 vs 21 mg/L ; p=0,0003). La valeur de la CRP n’était pas corrélée à celle du MELD. L’AUROC de la CRP pour la

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prédiction du SRIS était de 0,72 (IC95% : 0,61-0,79) avec un seuil discriminant à 29 mg/L (sensibilité à 74,5% et spécificité à 63,2%) (cf. figure 1 de l’article).

Le suivi médian était de 163 jours (3 à 1580 jours) : 78 patients (44,8%) sont décédés dont 61 dans les 6 mois, et 17 patients ont été transplantés. Nous avons défini 3 groupes de patients selon le taux de CRP à J0 et à J15. Le groupe A (n=47) : CRP ≥ 29 mg/L à J0 et à J15 ; le groupe B (n=33) : CRP ≥ 29 mg/L à J0 et CRP < 29 mg/L à J15 ; le groupe C (n=88) : CRP < 29 mg/L à J0. La survie à 3 mois et à 6 mois était de 56,1% et 40,3%, 79,4% et 66,8%, et 79,4% et 75,3% dans les groupes A, B et C respectivement (cf. figure 2 de l’article).

En analyse univariée, la mortalité à 6 mois était associée au carcinome hépatocellulaire, aux comorbidités évaluées par l’index de Charlson, aux lactates, au MELD, à la créatinine et à la CRP ≥ 29 mg/L à J0 (47% vs 25% de ceux qui décédaient ; p<0,0001). En analyse multivariée, la mortalité à 6 mois étaient prédite par le MELD (HR=1,04 ; IC95% :1,00-1,08), les comorbidités extra-hépatiques (HR=1,87 ; IC95% :1,04-3,36), le carcinome hépatocellulaire (HR=2,28 ; IC95% :1,17-4,42), et le groupe A (HR=2,25 ; IC95% :1,25-4,07).

Conclusion

La CRP est un outil pronostique d’accès facile qui permet d’identifier les patients cirrhotiques à haut risque de décès à court terme avant qu’ils ne soient hospitalisés en réanimation. En effet, l’élévation de la CRP persistant plus de 15 jours constitue une situation à haut risque pronostique. Ces résultats originaux méritent d’être validés sur une cohorte indépendante, mais d’ores et déjà, notre équipe prévoit d’implémenter la CRP dans un nouveau score de MELD, et de démontrer la valeur pronostique d’un « MELD-CRP ».

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3.5) Article 5