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L’article 22 bis AA porte atteinte au droit à l’information et à la prise de participation du public au processus décisionnel garanti par l’article 7 de la Charte de l’environnement

2021-825 DC - Reçu au greffe du Conseil constitutionnel le 10 août 2021

II) L’article 22 bis AA porte atteinte au droit à l’information et à la prise de participation du public au processus décisionnel garanti par l’article 7 de la Charte de l’environnement

L’inconstitutionnalité est caractérisée en tant que l’article 22 bis AA prévoit une procédure conventionnelle asymétrique à la procédure d’instruction et d’attribution de l’autorisation environnementale.

Le temps nécessaire à la conclusion de la convention ne sera pas nécessairement celui de cette autorisation.

En effet, à la lecture des différentes législations et réglementations applicables, les principales étapes du calendrier de réalisation du projet seront les suivantes :

- dans le cadre de l’instruction de la demande d’autorisation environnementale, l’autorisation du ministère des armées est sollicitée ;

- le ministère conditionne son autorisation à la conclusion d’une convention avec l’industriel ;

- pendant que l’instruction de l’autorisation environnementale se poursuit, le ministère commence à négocier avec l’industriel la nature des mesures techniques à mettre en œuvre et les modalités de leur prise en charge ;

- la convention est conclue entre l’autorité militaire et le porteur de projet et l’autorisation environnementale est accordée par le préfet ;

- si la convention n’est pas conclue dans les délais d’instruction et de décision de l’autorisation environnementale, l’autorisation environnementale est accordée par le préfet sous réserve de respecter l’avis conditionné du ministre de la défense. Le commencement d’exécution de l’autorisation environnementale est alors soumis à la conclusion de la convention entre l’autorité militaire et le porteur de projet.

Cette asymétrie des calendriers ne tient pas compte du fait que le public est partie prenante au processus décisionnel.

On rappelle en effet que l’avis conforme du ministre de la défense, pris au titre de l’article R.

181-32 du code de l’environnement, est soumis à la connaissance du public.

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C’est ce que rappelle l’article R. 181-37 du même code : « Les avis recueillis lors de la phase d'examen en application des articles R. 181-19 à R. 181-32 sont joints au dossier mis à l'enquête (…) ».

Cette disposition réglementaire, on le rappelle, transcrit par le truchement de l’article L. 120-1-1 du code de l'environnement, le droit à valeur constitutionnelle du public « d’accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement »2.

Le dispositif prévu par l’article 22 bis AA pourrait donc conduire, dans l’hypothèse où la convention n’aurait pu être conclue avant l’enquête publique, à priver le public d’informations, susceptibles d’éclairer sa décision et d’impacter sa situation, quant aux modalités de financement, d’acquisition, d’installation, de mise en service et de maintenance du radar. Par voie de conséquence, le législateur n’a pas prévu, au titre de l’article L. 515-45-1 du code de l’environnement nouveau, de garanties légales des exigences constitutionnelles énoncées à l’article 7 de la Charte de l’environnement.

Cette atteinte ainsi portée au droit à l’information et à la prise de participation du public, qui comme cela ressort des débats parlementaires n’a pas été détectée par le législateur, contraste d’ailleurs avec son choix, soucieux à cet égard, de faire démarrer l’applicabilité du dispositif envisagé aux projets de parcs éoliens pour lesquels l’enquête publique n’a pas encore été entamée, ainsi que cela ressort du II de L. 515-45-1 nouveau du code de l’environnement :

« Le I est applicable aux installations pour lesquelles la demande d’autorisation environnementale n’a pas fait l’objet d’un avis d’enquête publique à la date de publication de la présente loi ».

L’inconstitutionnalité de l’article 22 bis AA est d’autant plus significative qu’elle procède d’une incompétence négative du législateur. Le Parlement n’a pas épuisé la compétence qui lui incombe au titre de l’article 34 de la Constitution, lequel prévoit que « La loi détermine les principes fondamentaux : (…) de la préservation de l'environnement », duquel participe évidemment l’article 7 de la Charte de l’environnement.

On peine d’ailleurs à comprendre dans quelle mesure le dispositif de cet article participe d’un intérêt général de nature à justifier de façon proportionnée l’atteinte ainsi portée à l’article 7 de la Charte de l’environnement. On rappelle que son adoption est motivée par la volonté du législateur d’engranger un gain économique à travers le financement privé d’un équipement militaire de type radar et le concours d’acteurs privés à son installation, sa mise en service et sa maintenance. Cet objectif purement financier ne concourt pas réellement à un intérêt général.

Bien au contraire, il n’est pas de nature, au vu des enjeux régaliens qui s’attachent à un équipement militaire, à prévaloir sur les intérêts de la Nation garantis par la Constitution (Cons.

constit., décision 2011-192 QPC, 10 novembre 2011, cons. 20).

2 Article 7 de la Charte de l’environnement.

2021-825 DC - Reçu au greffe du Conseil constitutionnel le 10 août 2021

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En toute hypothèse, à supposer même que le gain économique recherché participe réellement d’un intérêt général, sa teneur ne contrebalance manifestement pas l’atteinte que le dispositif législatif porte à l’article 7 de la Charte de l’environnement.

Pour l’ensemble de ces motifs, l’article 22 bis AA de la loi Climat et Résilience s’expose à la censure du Conseil constitutionnel sur le fondement de l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité de la loi et/ou du droit à l’information et à la prise de participation du public au processus décisionnel garanti par l’article 7 de la Charte de l’environnement.

M. Nicolas WOLFF

Président de France Energie Eolienne

1 Contribution de France Nature Environnement à la saisine du Conseil constitutionnel

relative à l’article 49 de la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets

Références 2021-825 DC

L'article 45, aliéna 1 de la Constitution dispose que les amendements parlementaires ou gouvernementaux doivent avoir un lien, même indirect, avec le texte en discussion.

Le Conseil constitutionnel censure régulièrement les cavaliers législatifs, sans se prononcer sur le contenu lui-même des textes dès lors qu’il considère que l’apport au texte n’a pas de lien suffisant avec le texte voté1. Depuis sa décision n° 2006-535 DC du 30 mars 2006, le Conseil « s’autorise » à se saisir d’office de cavaliers législatifs.

Or, l ’article 49 de la loi Climat dispose :

« Le 2° du I de l’article L. 214-17 du code de l’environnement est ainsi modifié :

1° La seconde phrase est complétée par les mots : « sans que puisse être remis en cause son usage actuel ou potentiel, en particulier aux fins de production d’énergie » ;

2° Est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « S’agissant plus particulièrement des moulins à eau, l’entretien, la gestion et l’équipement des ouvrages de retenue sont les seules modalités prévues pour l’accomplissement des obligations relatives au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments, à l’exclusion de toute autre, notamment de celles portant sur la destruction de ces ouvrages. »

Cette disposition résulte d’un article additionnel introduit en première lecture par l’Assemblée Nationale sous l’article 19 bis C.

L’article L. 214-17 du code de l’environnement dispose que le préfet peut prescrire la réalisation des dispositifs nécessaires sur les ouvrages existants implantés dans des cours d’eau inscrits sur une liste établie par le préfet coordinateur de bassin en vue d’assurer la restauration de la circulation des poissons migrateurs et la continuité sédimentaire.

1 Voir par exemple Décision n° 2020-807 DC du 3 décembre 2020

2021-825 DC - Reçu au greffe du Conseil constitutionnel le 10 août 2021

2 composantes de l’intérêt général :

- D’une part, en maintenant de manière pérenne et définitive l’usage actuel ou potentiel d’un ouvrage existant qui ne peut pas être reconsidéré,

- D’autre part, en excluant toute autre mesure que l’entretien, la gestion et l’équipement des ouvrages qui seraient inefficaces pour assurer la circulation des poissons migrateurs et le transport des sédiments en raison d’impossibilités techniques, physiques ou financières liées à l’ouvrage ou aux espèces de poissons migratrices.

Il est même en contradiction avec le chapitre 3 de la loi votée relatif « protéger les écosystèmes et la diversité biologique ».

On discerne mal en quoi la préservation du patrimoine immobilier du propriétaire ou de l’exploitant de l’ouvrage implanté dans le lit d’un cours d’eau sur la liste du 2° de l’article L. 214-17 du code de l’environnement présente un lien direct et même indirect avec l’objet de la loi sur le dérèglement climatique et la résilience.

L’article 49 de la loi votée constitue un cavalier législatif qui doit être déclaré contraire à l’article 45 de la Constitution en raison de son adoption irrégulière.

Contribution extérieure à la saisine n° 2021-825 DC par plus de soixante députés du 27 juillet 2021 relative au projet de loi portant contre le dérèglement climatique et

renforcement de la résilience face à ses effets

Rédacteurs :

- Monsieur Fabien Bottini, Professeur ordinaire en droit public à l’Université Le Havre-Normandie, Lauréat 2021 de l’Institut Universitaire de France, Consultant

- Monsieur Julien Bétaille, Maître de conférences en droit public à l’Université de Toulouse, Consultant

- Monsieur Régis Ponsard, Professeur ordinaire en droit public à l’Université de Reims, Chercheur statutaire à l’E.H.E.S.S. (Paris), Consultant

- Maître Antoine Le Dylio, avocat au Barreau de Paris