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Loin de s’arrêter aux frontières académiques, la thématique des jeunes en migration suscite

Dans le document Jeunes et Mineurs en Mobilité (Page 102-114)

l’intérêt d’acteurs aux profils variés et aux productions protéiformes (romans, films de fiction, films documentaires, musique,

reportages…). L’objectif de cette rubrique est de présenter et de rendre compte de celles qui ont retenu notre attention et notre adhésion.

{LU, VU

ET ENTENDU}

Sorti en salles en France en mars 2016, ‘Leave to remain’ (désignant un type de carte de séjour que l’on peut obtenir au Royaume-Uni) est le premier film de fiction du documentariste britannique Bruce Goodison. Son projet débute précisément avec l’idée de produire un documentaire sur le traitement des adolescents demandeurs d’asile par les autorités britanniques. A mesure que le réalisateur s’impliquait dans ce projet et côtoyait des jeunes demandeurs d’asile présentant des fragilités psychologiques importantes, il lui est apparu évident que la diffusion d’un documentaire pourrait exposer ces jeunes encore davantage et avoir des conséquences négatives. La création d’une fiction sur la base des histoires recueillies a finalement été l’option retenue. Le résultat final est globalement très convaincant, en particulier grâce à la prestation des différents acteurs, avec une mention spéciale pour le rôle du travailleur social - éducateur Nigel, ainsi que par la mise en lumière élégante, discrète mais extrêmement puissante, tout au long du film, des différents traumatismes liés à l’exil : stress post-traumatique, dépression, automutilations, tentatives de suicide.

Le film décrit également les particularités d’un système de prise en charge des mineurs isolés différent du modèle français où le dépôt d’une demande d’asile est une condition incontournable pour pouvoir avoir accès à une protection. Malgré ces différences, certains aspects bien appréhendés par le réalisateur vont au-delà des frontières du Royaume-Uni et sont d’actualité dans d’autres contextes européens, y compris la France. En particulier, la contestation systématique, pratiquée par les autorités, de la crédibilité des récits et qui provoque en pratique une accentuation de la fragilité des jeunes les plus vulnérables (Zizidi et Abdul dans le film) mais aussi le traitement administratif plus favorable à l’égard du jeune le plus débrouillard (Omar), qui parvient à instrumentaliser les différents soutiens dont il dispose et à présenter une histoire convaincante (mais fausse) pour obtenir la récompense tant désirée : un ‘Leave to remain’.

Leave to Remain, un film de Bruce Goodison,avec Toby Jones (Nigel), Noof Ousellam (Omar), Yasmin Mwanza (Zizidi) et Masieh Zarrien (Abdul)

Photogramme du film. Source : Ravepad.com

« Et 12 ans après on est toujours là », « Apparemment, ça n’avance pas beaucoup », « J’aime la tarte aux pommes », « J’ai toujours connu ces ballons », « La France, ce n’est pas un gâteau au chocolat » : cinq citations pour cinq extraits composant le reportage qu’Hervé Pauchon a réalisé en tendant son micro devant la préfecture d’Ile-de-France lors d’un rassemblement de soutien aux lycéens à la rue. Alors que le slogan des manifestants, « Un lycée, un toit des papiers ! », structure le fond sonore, Pauchon interroge les militants sur leur engagement, leur combat et leurs colères. Parmi eux, les jeunes migrants se livrent sans détours sur leurs histoires, leurs parcours et leurs ambitions. D’autres, jeunes adultes aujourd’hui, viennent soutenir leurs camarades devant lesquels se dressent les obstacles administratifs qu’ils ont eux-mêmes surmontés quelques années auparavant. Tous, répondent avec simplicité aux questions indiscrètes et parfois impertinentes du journaliste dont le ton cavalier dissimule mal l’empathie et la bienveillance.

On finit alors par percevoir les sourires sur le visage des jeunes interrogés et donc, la véritable qualité de ce reportage. En toile de fond enfin, on distingue l’inertie et les paradoxes de l’action publique mais surtout la force des ambitions de ces jeunes, l’énergie et la résilience dont ils font preuve et qui finissent par triompher.

Un temps de pauchon

France Inter, émissions du 16 au 20 mai 2016

Disponible en ligne : https://www.franceinter.fr/

emissions/un-temps-de-pauchon?p=3

« T’es qu’un sale bounioul ! » Je ne comprends pas tout de suite, on ne m’avait jamais insulté comme ça. Je m’appelle Cédric Liano, je suis né en France, j’ai 7 ans, et c’est le fils du patron de mon père qui me crache ça au visage.

Pourquoi ? Peut-être parce que je viens d’être méchant avec lui - c’est un salopard - et certainement parce qu’il a déjà entendu son père traiter le mien de bounioul.

Mon père, qui est né à Casablanca dans les années 50, dans ce Maroc alors encore colonie française coquettement baptisée « protectorat ». Mon père, français de papier, sur ce sol africain, maghrébin, petit-fils de migrant espagnol et sicilien.

Car c’est au tout début du XXème siècle que mes pauvres arrières grands-parents du sud de l’Europe sont partis chercher un avenir meilleur dans leur Eldorado du nord de l’Afrique. Avec toutes les difficultés du déracinement que cela représentait pour ceux qui quittent leur terre natale. Toutes les souffrances et les déchirements qui restent les mêmes pour ceux qui entreprennent ce genre de voyage aujourd’hui.

Mais sans aucune des difficultés administratives et policières que subissent les migrants de ce début du XXIème siècle.

Et puis me voilà, moi, petit français né en France, devenu bounioul dans la bouche de ‘Thibaut Lefrançais’. Conséquence peu blessante puisque venant de cet enfoiré, mais des questions existentielles en cascade : d’où viens-je ? Ma famille, mes aïeuls, notre histoire ?

C’est une grosse décennie plus tard que je pars chercher moi-même les réponses dans ce royaume fantasmé.

Je suis alors en rupture avec l’école des Beaux-Arts où j’étudie, avec la société fran-çaise, l’occident ultra-libéral en général ; les accablant de tous mes maux. Je pars cher-cher au Maroc mes racines et mon avenir.

Mes espoirs et mes craintes macèrent dans un cœur tout droit dirigé de l’autre côté de cette Méditerranée que je n’ai jamais traversée.

Le plus dur est de préparer mes bagages.

Je peste devant la lenteur de l’obtention de mon passeport. Je stresse à l’aéroport devant les contrô-leurs apathiques. Je gèle dans l’avion presque vide.

Je sue sur le tarmac tant convoité. Maroc, me voilà.

Tout simplement. Ton petit fils éloigné est revenu.

Je découvre alors les nuances, les richesses, les forces et les merveilles d’une culture que j’assimile, que je me rends évidente, mienne.

Je travaille à l’université des Beaux-Arts de Té-touan. J’y apprends la langue de la rue. Je me lie d’amitié avec les gens de ma génération.

Je découvre la noirceur de cet autre système, le sentiment d’enfermement et de soumission volontaire que vivent mes camarades. Et pour quelques-uns, l’énergie apparemment sans li-mite, la force de l’insoumission et la créativi-té au service des changements nécessaires.

Parmi eux, je tombe en amitié avec Mohamed Are-jdal. Etudiant en 2ème année. Il m’accueille avec ses trois autres colocataires dans leur studio des hauteurs de la ville. Le quotidien est riche de re-cherches et de trouvailles, à défaut de confort. De nuits blanches à travailler, inventer, définir ce fu-tur plus juste pour tout-un-chacun-e qui nous lie.

Sur cette planète, nous sommes tous frères et sœurs. Peu importe les papiers, les croyances, les origines et les espoirs. Frères et sœurs humains. Un point c’est tout. Vivons dans cet état de conscience et tout ira pour le mieux. Qu’aucune entrave ne nous empêche de nous découvrir afin que cette Vérité nous inonde et nous guide. Il est criminel de rendre impossible les voyages des gens. Assassin, même. L’humanité a besoin de se rencontrer et de partager. Et ce n’est pas que nous, à ce moment, dans cet endroit, qui le disons, l’Histoire le prouve.

avec le lycée où il n’étudie presque plus, avec la société marocaine, l’Orient conservateur et ultra-li-béral en général ; les accablant de tous ses maux. Il veut partir en Europe trouver son avenir et celui de ses proches. Il espère être accueilli comme l’artiste qu’il rêve de devenir sous la protection bienveil-lante d’une société riche et cultivée. Puis revenir là où il a grandi de temps à autre chargé de cadeaux pour les siens. Pour sa mère en particulier. S’épa-nouir loin des contraintes de son triste quotidien.

Le plus dur est de prendre la décision d’y aller.

Dur de voler à son père l’argent pour payer ce passeur qui leur tourne atour depuis des mois, lui et son ami d’enfance. Puis plus dur encore, les premiers pas dans la clandestinité, au Maroc. Les planques insalubres, le sentiment d’être du bé-tail. Plus dur que tout, la compréhension d’une possible mort imminente, au cours de ce voyage interdit. Tellement dure, la traversée dans ce bateau percé, et ses pannes de moteur, la certi-tude d’en crever au milieu de cet océan vu pour la première fois. Dure, l’arrivée sur l’île de Fuerte Ventura aux Canaries où tout se brouille, l’épuise-ment, la perte des camarades. Tristement dur de se rendre compte qu’ils se sont fait doubler par le troisième ami. Terriblement dur de ne pas être attendu, secouru après tous ces dangers. De ne pas parler un mot d’espagnol. De mourir de faim et de soif sans pouvoir rien demander à son pro-chain, cet étranger qui vit chez lui dans le confort et qui s’effraye à la vue des loqueteux épuisés qu’ils sont devenus. Et la peur de la police qui enferme, frappe et humilie. Renvoie à la case dé-part. Affreusement dur d’être incarcéré, interro-gé, accusé, radiographié à l’hôpital pour prouver la majorité. Enfermé à nouveau, et livré au centre de rétention qui annoncera la fin de toute chance de... Dur. Dur, de voir tous ses espoirs brisés, fou-lés aux pieds par ceux qui devaient venir en aide.

Menottés, renvoyés comme des animaux, des cri-minels avérés, dans ce Maroc qui ne veut pourtant pas d’eux. Eux qui ne veulent plus de lui. Dur. Dur.

Dur de n’avoir jamais eu la chance de rencontrer, proposer, découvrir cette meilleure vie possible, là-bas. Dur, ce retour dans la famille. La tête courbée, vaincu, humilié. Dur, enfin, de se remettre dans la vie qu’on voulait quitter à tout prix, même à mort.

né de ce côté-ci de la mer quand mon plus dur à moi avait été si facile. Parce que des gens qui n’ont jamais eu et n’auront jamais à vivre de difficulté pour voyager, changer de pays, ont créé des lois pour entraver tous les autres. Ils ont créé des visas, des frontières, des Frontex.

Ils ont créé et nous obéissons et subissons en majorité. Et pour ceux qui ne se plient pas, la punition, quand elle n’est pas mor-telle, est exemplaire, infernale, inhumaine.

Dure.

Nous décidons d’en faire un livre, une BD, ac-cessible au plus grand nombre*, informant sur le trajet particulier de ce jeune homme qui vou-lait vivre libre. Nous l’avons construit pour ceux qui veulent partir, partent, et plus en-core pour ceux qui accueillent, ou refoulent.

Cédric Liano Amazigh - Itinéraire d’hommes libres, une bande dessinée de Cédric Liano et Mohamed Aredjal, Éditorial Steinkis, 2014, 160 pages

*La BD est accessible gratuitement en format numé-rique sur simple demande à cedricloic@gmail.com

Laboratoire MIGRINTER - Université de Poitiers - CNRS

Nº 2 - 2016

ISSN 2492-5349

Dans le document Jeunes et Mineurs en Mobilité (Page 102-114)