CHAPITRE 1 : REVUE DE LA LITTERATURE
2. LES PRINCIPAUX COURANTS
2.7 Les approches basées sur la cohérence
La combinaison des approches mentionnées précédemment a conduit les chercheurs à considérer que
la stratégie, la structure organisationnelle et l’environnement étaient intimement liés. Burns & Stalker
(1961), Chandler (1962) et Lauwrence & Lorsch (1967) sont à citer parmi les auteurs à l’origine de la
théorie dite de la ‘contingence structurelle’ selon laquelle les caractéristiques de l’environnement
imposent des contraintes auxquelles les entreprises doivent s’adapter (Desreumaux, 2005). Ces
travaux ont ensuite donné lieu à une très grande diversité de recherches qui s’en revendiquent plus ou
moins explicitement et avec plus ou moins de précision. Au-delà de leur diversité, celles-ci partagent
une articulation autour de la notion de cohérence (ou de ‘fit’) entre les différents éléments déjà
évoqués (Miller, 1981 ; Venkatraman & Camillus, 1984 ; Drazin & Van de Ven, 1985) et l’hypothèse
selon laquelle la performance d’une entreprise est liée à l’intensité de cette cohérence. Toutefois, la
façon dont cette dernière est invoquée, interprétée et/ou opérationnalisée dans le champ de
l’entrepreneuriat nous amène à distinguer trois familles de contribution. Par ailleurs, dans la mesure où
les publications issues de ces vastes recherches combinent des variables internes et externes à
l’entreprise, il convient de signaler que ces travaux sont régulièrement associés à l’idée d’étudier
l’entreprise comme un ‘système ouvert’ (Katz & Kahn, 1966).
En entrepreneuriat, la liste des éléments à considérer dans les recherches incluant des éléments
internes et externes aux nouvelles entreprises a été fortement influencée par les recherches de
Sandberg (1986) et Hofer & Sandberg (1987) sur leur performance. En effet, dès le milieu des années
1980 et en partant de la littérature sur la gestion stratégique des entreprises, ils s’opposent à l’idée que
la performance d’une jeune entreprise est fonction de l’entrepreneur (c’est-à-dire l’approche par les
traits) et avancent qu’elle est fonction de trois éléments : la stratégie de l’entreprise, la structure de
l’industrie et l’entrepreneur. McDougall, Covin, Robinson & Herron (1994) offrent une validation de
cette proposition. De nombreux chercheurs ont ensuite travaillé dans la même direction et proposent
de multiples modèles. Ainsi, Chrisman, Bauerschmidt & Hofer (1999) passent en revue 62 d’entre eux
et ajoutent à cette occasion deux éléments complémentaires à prendre en considération : les ressources
et l’organisation (c’est-à-dire sa structure, les systèmes et les processus). Ils fournissent également une
liste très complète de variables à utiliser pour opérationnaliser les cinq éléments.
Au fil des années, le nombre de publications se réclamant d’une ‘approche contingente’ (sans plus de
précision) et reposant sur des études multi-variées s’est multiplié. Leur point commun est de mobiliser
les éléments précités et d’étudier l’effet d’une variable modératrice sur la relation entre une variable
indépendante et une variable dépendante telle que la croissance ou la performance. Selon la
classification des approches basées sur le fit proposée par Venkatraman (1990), il s’agit de recherches
où le fit participe à analyser l’effet modérateur ou médiateur ou correcteur d’une relation directe entre
quelques variables. Elles s’inscrivent donc plutôt dans le cadre d’approfondissements des approches
déjà mentionnées dans cette section et nous les regroupons dans une première famille que nous
dénommons ‘modélisations multi-variées’ dans la suite de cet article.
Au-delà des modélisations précitées, il est utile de distinguer deux autres grandes familles de
contributions en fonction du fait qu’elles recherchent une loi générale à laquelle toutes les entreprises
répondent ou, au contraire, qu’elles ne cherchent à identifier qu’un nombre restreint de cas idéaux qui
sont supposés être les seules formes cohérentes et donc performantes.
La première famille correspond aux recherches où la cohérence permet de mettre en concordance une
entreprise et son contexte (‘fit as matching’ selon Venkatraman, 1990) et où il existe un continuum de
contextes et donc de types organisationnels. Dans la suite de cet article, nous les qualifions
d’approches ‘normatives intégrées’. En entrepreneuriat, plusieurs travaux importants s’inscrivent dans
cette perspective. Ainsi, par exemple, Covin & Slevin (1989) analysent l’impact de l’hostilité de
l’environnement sur le type de stratégie et de structure organisationnelle alors que Zahra & Bogner
(1999) étudient l’impact de la concurrence sur la stratégie des jeunes éditeurs de logiciels. De façon
plus générale, Naman & Slevin (1993), Robinson & McDougall (2001), Baum, Locke & Smith (2001)
prouvent empiriquement que l’étude simultanée de la cohérence entre plusieurs variables fournit des
meilleurs résultats que l’analyse individuelle de chacune d’elles. Ils démontrent ainsi la supériorité de
l’approche basée sur la cohérence face aux approches mono-variables ou aux modélisations
multi-variées qu’ils qualifient d’universelles. Les recherches normatives intégrées ont donc l’immense
mérite de mettre en avant l’importance d’étudier conjointement plusieurs variables pour expliquer la
croissance. Ce faisant, elles participent à sortir de l’impasse associée aux approches déjà passées en
revue, c’est-à-dire l’ambiguïté des résultats issus des recherches qui les ont adoptées de façon
monomaniaque, notamment indépendamment du contexte. Néanmoins, elles souffrent de faiblesses.
Premièrement, elles sont guidées par leur volonté d’identifier une loi unique et universelle (souvent
une modélisation mathématique) pour expliquer la relation entre les variables alors que l’existence
d’une telle loi est un sujet de polémique épistémologique. Deuxièmement, elles sont quasi muettes sur
les modalités de cette influence. Troisièmement, la formulation d’une seule loi les conduit à adopter
une conception majoritairement incrémentale du changement. De plus, il faut également signaler que,
dans la mesure où l’opérationnalisation des modèles varie fortement d’une recherche à l’autre
(différences d’échantillonnage et de modélisation), les résultats obtenus sont très difficiles à comparer
et participent finalement peu à une évolution vers une approche plus intégrée de la recherche en
entrepreneuriat.
Une autre famille regroupe les travaux où la cohérence participe à une conception de type holiste (‘fit
as gestalts’ selon Venkatraman) et où seul un nombre fini de configurations-types, nommées
‘archétypes’ ou ‘idéaux-types’ ou ‘gestalts’, doivent être analysés (Meyer, Tsui & Hinings, 1993). Ces
travaux ont été fortement influencés par ceux de Mintzberg (1978, 1983), Miller & Friesen (1978,
1980, 1984a) et Miller (1986, 1987, 1996). Par rapport à l’approche normative intégrée qui tend à
chercher une loi universelle, cette deuxième famille, dite ‘configurationnelle’, reconnaît explicitement
la nécessité d’étudier séparément quelques situations bien distinctes. Pour ce faire, elle propose
d’analyser conjointement, sans distinguer de variables indépendantes et dépendantes, des
constellations d’éléments tels que ceux évoqués au début de cette section. L’application du principe de
cohérence entre les éléments composant une configuration a également une importante conséquence
sur le plan dynamique. En effet, la cohérence à atteindre entre tous les éléments implique qu’un
changement significatif au niveau de l’un d’entre eux entraîne la révision des autres et conduit donc à
l’adoption d’une nouvelle configuration. Le changement de configuration est donc par nature un
changement de type ‘révolutionnaire’ qui s’oppose à l’approche plus incrémentale sous-jacente aux
approches contingentes. Quelques résultats empiriques montrent que l’approche par les configurations
fournit une meilleure explication de la performance que les approches contingentes (par exemple,
Ketchen, Thomas & Snow, 1993). Au sein des approches configurationnelles, il est fréquent de
distinguer les configurations dites ‘organisationnelles’ qui s’attachent essentiellement au
fonctionnement des organisations dans différents contextes et les configurations dites ‘stratégiques’
qui s’intéressent davantage aux contenus et aux processus stratégiques adoptés dans ces mêmes
contextes. Quelle que soit la conception retenue, les configurations peuvent facilement être
rapprochées de la théorie des systèmes dans la mesure où chaque configuration peut être assimilée à
un état du système et où les changements de configuration en expliquent la dynamique.
En entrepreneuriat, l’adoption de l’approche configurationnelle s’inscrit dans une double perspective.
D’une part, elle apparaît dans une perspective stratégique qui s’articule conceptuellement autour de
l’évolution de la cohérence au fil du temps. Plusieurs auteurs (par ex. Bruyat, 1993 ; Snuif & Zwart,
1994 ; Timmons, 1999) ont ainsi proposé d’étudier la dynamique des stratégies entrepreneuriales sur
base de la mise en cohérence des éléments déjà évoqués dans cette section. D’autre part, les
configurations sont apparues dans la prolongation des modèles de type cycle de vie. En effet, plusieurs
chercheurs ont montré qu’à défaut de suivre une séquence prédéterminée de phases de développement,
les jeunes entreprises se développent bien par phases qui s’apparentent chacune à des configurations
bien distinctes (Miller & Friesen, 1984a ; Hanks, Watson, Jansen & Chandler, 1993). Sur le plan
empirique, plusieurs études démontrent la pertinence de l’approche par les configurations (Dess,
Lumpkin & Covin, 1997 ; Wiklund & Shepherd, 2005). Certaines proposent ainsi des taxonomies
isolant des configurations plus performantes que d’autres (Bantel, 1998 ; Heirman & Clarysse, 2004).
Par ailleurs, le caractère disruptif de l’évolution des jeunes entreprises est également confirmé par
plusieurs études (par ex. Godener, 2002 ; Vohora, Wright & Lockett, 2004, Julien, Saint-Jean &
Audet, 2006).
L’approche par les configurations est toutefois critiquée, parfois violemment, notamment par
Donaldson (1996). Ainsi, premièrement, une série de critiques tient au fait que la définition des
configurations possibles et leur nombre sont difficiles à arrêter. Le débat est encore amplifié si on y
ajoute la discussion relative à la notion de configurations ‘hybrides’ qui renforce bien entendu la
confusion. Deuxièmement, la nature disruptive de l’évolution d’une configuration à l’autre s’oppose à
une approche plus incrémentale et adaptative qui ne peut être reniée. Troisièmement, la notion de
cohérence qui unit les éléments d’une configuration s’apparente trop souvent à une boîte noire.
Dans le document
L’évolution des stratégies de croissance des jeunes entreprises
(Page 41-44)