e chapitre a pour objet d’analyser de quelle manière et sous quelles conditions les acteurs impliqués dans le design B4 (auteur‐réalisateur, graphiste, développeur, producteur, technicien vidéo et diffuseur) se représentent le format web‐documentaire. L’hypothèse développée ici est que la conception d’un documentaire interactif est conditionnée par une série de valeurs professionnelles fortement différenciées qui préexistent en amont du travail circonstancié de production. Dans la lignée de l’interactionnisme symbolique, il s’agit de distinguer différents « mondes sociaux241 » afin d’« analyser les conflits et les négociations dans l’élaboration des artefacts techniques » (Flichy, 2003 : 119). Vue sous cet angle, la culture professionnelle des acteurs conditionne un faisceau d’attentes et de présupposés implicites qui façonne ce format hybride et non stabilisé. L’induction théorisante des données de l’observation participante vise ainsi à identifier les actions où se négocient les modalités d’existence d’un Utilisateur Modèle. Il s’agit d’expliciter comment la stratégie de lecture de B4 est discutée à travers l’ensemble des décisions socio‐techniques qui jalonnent sa
conception.
241 La notion de « mondes sociaux » renvoie à des groupes d’activité n’ayant ni frontière claire ni organisation formelle stable. Ce concept se distingue de celui d’organisation. En effet, une institution peut avoir en son sein plusieurs mondes sociaux mais, dans d’autres cas, un monde social peut être commun à plusieurs organisations. Ces différents mondes sociaux peuvent notamment s’affronter pour la définition d’une question ou d’une pratique professionnelle.
6.1 Représentations hétéroclites du format web‐documentaire
6.1.1 Présentation des « mondes sociaux » hétérogènes
6.1.1.1 Auteur‐réalisateur
L’auteur‐réalisateur de B4, Jean‐Christophe Ribot, est diplômé de l’École nationale supérieure Louis Lumière, et exerce depuis 1998 le métier de cadreur et de réalisateur. Depuis quelques années, il se consacre à la réalisation de films « documentaires de création242 » qui abordent les domaines de l’art et de la science pour les chaînes Arte, France 5 ou RTBF243. Comme bon nombre de ses confrères, celui‐ci compose avec des contraintes télévisuelles qui conditionnent l’obtention de moyens matériels indispensables pour réaliser ses films et une exigence de création qui donne sens à son identité professionnelle. Chaque réalisation consiste à négocier avec les diffuseurs pour faire valoir une démarche documentaire singulière. Il regrette notamment que les chargés de programme n’aient pas toujours compris l’enjeu de ses films, si bien qu’il a été contraint à réécrire complètement ses commentaires au montage. Jean‐Christophe Ribot souscrit aux nombreuses critiques des professionnels qui dénoncent, de manière récurrente, le « formatage » de leurs films par la télévision (cf. 1.2.1.2). Il déplore une standardisation des programmes sur un mode soit informatif soit de pur divertissement, excluant de facto une pratique cinématographique qui interroge les dimensions invisibles du réel.
Cette posture professionnelle est profondément paradoxale, dans la mesure où elle consiste à travailler pour la télévision afin de toucher une audience large, tout en défendant un traitement cinématographique exigeant qui refuse toute logique de standardisation propre aux médias de masse. Afin de maintenir un équilibre entre nécessité économique et impératif artistique, Yann Kilborne (2008) propose de distinguer différentes stratégies de résistance potentiellement mises en œuvre
242 L’appellation « documentaire de création », bien que théoriquement inopérante, permet de distinguer, dans le sens commun, la pratique cinématographique du cinéma de réalité du reportage d’actualité télévisé propre au mode journalistique.
243 Avant le développement de ce web‐documentaire, il réalise avec Mosaïque films deux documentaires scientifiques : Football, l’intelligence collective (France 5, 2006) et Sous le feu des ondes (Arte, 2009). Source : www.jcribot.com (consulté le 10/01/2014).
par les réalisateurs de films documentaires. Ce chercheur discerne trois types d’attitude face aux contraintes imposées par la télévision qu’il dénomme « contournement », « déplacement » et « dégagement ». Ces stratégies rationnelles sont des « idéaux types » qui proposent une gradation des options à la disposition du réalisateur pour négocier les injonctions du diffuseur. Elles ne sont jamais figées et diffèrent suivant la personnalité du cinéaste, le déroulement de sa carrière ou l’évolution de la production d’un film. D’après cette approche, l’auteur‐ réalisateur de B4 s’inscrit dans une stratégie de « déplacement » qui se définit comme « une négociation permanente et tendue pour maintenir ses options fondamentales. Il louvoie de manière à ne pas laisser le conflit se radicaliser, acceptant certaines contraintes pour mieux en refuser d’autres, mais dans tous les cas en livrant une bataille forte. Il évite la rupture pour conserver son activité professionnelle et rester dans le circuit professionnel, même si les tensions sont grandes et qu’il est capable d’aller à l’affrontement sur des choses qui lui paraissent essentielles. Cette stratégie n’exclut pas le recours à l’autoproduction en parallèle pour certains projets, mais celle‐ci est vécue comme temporaire, très insatisfaisante, et ne remet pas en cause la volonté de continuer à produire ses films au sein de la filière traditionnelle de production du documentaire » (Kilborne, 2008 : 268). Dans ce contexte, la réalisation de B4 représente, pour son auteur‐ réalisateur, une opportunité rare d’investir un espace d’expression jugé, a priori, moins contraignant qu’un programme documentaire de 52 minutes. Il s’agit, en quelque sorte, de compenser, à travers ce format non stabilisé, les nombreux projets avortés ou dénaturés lors de leur passage à l’antenne.
En outre, le web‐documentaire B4 est né du désir de l’auteur d’adapter le roman de Georges Perec, La Vie mode d’emploi (1978) qui l’a fortement marqué pendant son enfance. Celui‐ci souhaite retrouver les ambiances de la banlieue parisienne dans laquelle il a grandi, afin de raconter la richesse du quotidien qui se déroule derrière les façades froides des grands ensembles. Le titre B4 (acronyme de bâtiment 4) dénomme un immeuble symbolique qui rassemble 12 habitants de différentes banlieues d’Île‐de‐France. Certains personnages « y habitent depuis des dizaines d’années, d’autres viennent d’immigrer, certains y restent par contrainte
et rêvent d’en partir, [alors que] d’autres la revendiquent comme partie prenante de leur identité244 ». À travers cette mosaïque de portraits, l’intention de réalisation consiste à raconter « de manière intime et vivante le lien fort et souvent méconnu qui lie ces habitants à leur cité [et la manière dont ils] s’approprient leur espace de vie245 ». Pour décrire sa démarche cinématographique, l’auteur‐ réalisateur met principalement en avant la qualité de la relation filmeur‐filmé qu’il propose d’instaurer avec les protagonistes de B4. Cette forte implication personnelle est selon lui « ce qui fait l’essence de son métier246 ». L’enjeu du dispositif de captation consiste ainsi à filmer un « apprivoisement réciproque, [à établir] une juste distance [où] alternent des moments d’intimité, de drôlerie, de confidence, de colère247… ». Si B4 s’inscrit dans une tradition du cinéma documentaire soucieuse de filmer l’altérité dans toute sa complexité, l’auteur‐ réalisateur avance toutefois l’impossibilité formelle de pouvoir développer ce type de narration fragmentaire dans un récit purement cinématographique.
« À travers notre documentaire, nous voulons mêler une stricte contrainte formelle à un regard documentaire plein de vie et d’imprévus. Mais quelle écriture cinématographique pourrait correspondre à ce désir ? Une narration classique rendrait le procédé répétitif. La succession d’une vingtaine de portraits, sous sept angles différents, quand bien même elle serait inventive, deviendrait rapidement lassante. Au contraire, la navigation que propose Internet correspond précisément à ce désir de formalisme (le quadrillage des fenêtres) et de tranches de vies (les films variés qu’on y découvre). Le clic du visiteur sur une fenêtre matérialise le désir d’aller à la rencontre du locataire, de découvrir, de plonger dans une partie de son univers. La multitude des fenêtres n’est plus un obstacle au fil de la narration, elle est au contraire ce qui fait sa richesse. C’est un éventail de propositions qui sont offertes au visiteur248. »
6.1.1.2 Graphiste
Après un diplôme obtenu aux Beaux‐Arts en 1997, Vincent Voulleminot est employé comme graphiste à l’Association française pour la lecture et exerce
244 Extrait de la note d’intention du réalisateur, dossier de demande d’aide à l’écriture au CNC, 22/01/2010.
245 Ibid.
246 Ibid.
247 Ibid.
parallèlement une activité d’indépendant dans l’édition papier. Il a composé de nombreuses maquettes de livres et a illustré deux albums expérimentaux de bandes dessinées249. Ce parcours d’illustrateur influence fortement son implication dans les enjeux créatifs de B4 dont il est également le co‐auteur. Dès la genèse du projet, celui‐ci participe à la réflexion sur la manière d’adapter La Vie mode d’emploi (1978) qui devait, initialement, prendre la forme d’un album de littérature jeunesse dont il aurait réalisé les illustrations. De manière schématique, son travail graphique consiste à agencer les différents éléments visuels qui constituent l’interface de B4. Cette mission est tendue par la volonté de créer une charte graphique originale, tout en respectant une série de normes qui codifient les usages sur Internet250. De manière analogue à l’édition papier, il s’agit de répondre aux demandes des différents interlocuteurs, en cherchant, autant que faire se peut, à ne pas dénaturer la cohérence esthétique globale de l’œuvre.
« Dans la configuration actuelle de B4, le fait que le diffuseur demande de rajouter un sous‐titre, ça abîme ce qui existe déjà ! Enfin, je trouve que ça abîme. Maintenant, comme c’est une contrainte que je ne peux pas éviter, c’est un peu un défi pour moi. Il faut abîmer le moins possible, ou alors, ne pas abîmer du tout, mais comme je suis loin d’être génial, je n’y arrive pas toujours ! » (graphiste, 03/02/2012251).
Le parti pris graphique de B4 cherche à concilier un traitement réaliste et une reconstitution symbolique de l’urbanisme de banlieue. Le graphiste est particulièrement stimulé par ce travail créatif qui nécessite d’aller sur le terrain photographier le mobilier et le bâti urbain. L’enjeu esthétique est de parvenir à traduire une atmosphère à partir d’un photomontage qui documente les grands ensembles252. Une fois ce travail de collecte effectué, sa tâche réside dans l’élaboration d’un « cadre » graphique, c’est‐à‐dire un contenant au service des films documentaires. Sa pratique d’illustrateur dans l’édition jeunesse l’amène à
249 Source : http://graphisteencomminges.fr/ et http://vvg.ultra‐book.com/book (consulté le 09/01/2014).
250 Cette question de la créativité et des normes d’usage est discutée dans le chapitre 7.
251 Les dates signalées systématiquement après les verbatim indiquent le jour de l’entretien semi‐ directif ou de l’observation participante.
252 Le graphiste cite explicitement les collages photographiques de David Hockney comme source d’inspiration esthétique pour sa composition. Voir en annexes 21 et 22 les différentes étapes dans l’élaboration de la composition de l’interface graphique de B4.
définir son travail graphique comme une manière de mettre en valeur le propos éditorial de l’auteur. Cette logique met en avant une vision sobre et décorative de l’interface qui s’oppose à des web‐documentaires dont la sophistication esthétique est perçue comme superflue.
Il ne faut pas oublier que la chose principale dans B4, c’est quand même les films qui sont donnés à voir. Après, le décor, c’est un cadre.
[…] On parle beaucoup de graphisme parce que c’est un web‐ documentaire mais j’insiste sur le fait qu’on invite, avant tout, les gens à aller voir les films. Pour moi, le but du jeu, c’est de mettre en valeur, du mieux que je puisse, les films qui vont être dedans » (graphiste, 03/02/2012).
6.1.1.3 Développeur
Diplômée en 2003 d’un DUT en « conception et développement du logiciel », Sarah Gruhier poursuit sa formation initiale en génie logiciel par un apprentissage du graphisme multimédia. Elle travaille depuis comme webmaster pour différents studios de communication. Depuis 2008, elle s’occupe, plus particulièrement, de l’architecture de l’information et de l’administration des comptes clients de grands groupes au sein de l’agence T2BH253. De manière schématique, sa mission consiste à traduire l’architecture des éléments audiovisuels et graphiques dans un langage informatique donné. Cette écriture est un travail foncièrement ambivalent, dans la mesure où il s’agit de concilier une dimension invisible (le niveau du code) et une dimension modulaire (le niveau de l’architecture de l’information). L’écriture algorithmique, enfouie en dessous de la surface de l’interface graphique, ne peut se manifester qu’une fois traduite par un navigateur web. Toutefois, ce travail peut être exploité dans d’autres web‐documentaires comme une « brique technologique » autonome.
« Ma définition du web‐doc, il y a un an, je n’en avais pas ! Pour moi, c’était uniquement de la vidéo diffusée sur Internet. Je me disais : “Ce que la production souhaite, c’est une plateforme sur laquelle ils pourront poster des vidéos et puis c’est tout !” Je ne pensais pas que l’aspect web prendrait part à la création. […] L’équipe n’avait aucune expertise en multimédia, ce qui me laissait toute la place de chercher. En général, en tant que webmaster, le client te dit : “Je veux ça, ça, et ça !” Il y a une part de conseil bien sûr, mais le client a déjà une idée préconçue sur ce qui se fait déjà. Or, pour B4, ce n’était pas le cas, on 253 Source : www.t2bh.fr (consulté le 10/01/2014).
n’avait pas de base. Il fallait que ça soit un truc unique, ce qui est super intéressant pour moi ! » (développeur, 13/02/2012).
La développeur a été contactée par Mosaïque films afin d’évaluer la faisabilité technique du projet. D’après elle, l’aspect le plus novateur de B4 réside dans une définition de l’architecture du projet indépendante des impératifs de trafic. Dans cette optique, le web‐documentaire serait une catégorie de site culturel privilégié, dans la mesure où il échappe aux logiques de monétisation. Celle‐ci apprécie particulièrement l’idée de produire un objet unique, une expérience qui n’existe pas encore ailleurs sur la Toile. Autrement dit, le design de web‐documentaire se distingue radicalement des sites de e‐commerce qui définissent l’expérience utilisateur de manière marketing pour conditionner un acte d’achat. Cette opposition entre site à visée commerciale et œuvre interactive renouvelle ses manières de penser le web design.
« En général, sur un site web, ce qu’on cherche toujours, c’est faire de la pub, ou générer de l’argent. Dans ce projet, il n’y avait pas cette dimension de monétisation. C’était complètement nouveau pour moi. Ça se rapporte un petit peu à un site vitrine : “Regardez notre documentaire !” En perdant ces repères, ça a changé pas mal mes considérations sur l’arborescence du site. Par exemple, pas besoin de taguer certains mots clés pour gérer derrière une régie publicitaire.
[…] Dans le cas de B4, je ne sais pas bien ce qu’on pourrait vendre parce que ce n’est pas du tout le but ! Ça me plaît bien, cette idée, que le site soit juste un outil d’accès à des vidéos et non une vitrine de génération de trafic et d’argent ! » (Développeur, 13/02/2012).
6.1.1.4 Techniciens vidéo
Claude Framery et Jerôme Bigot sont techniciens vidéo à l’unité régionale de production de France 3 Lille. Diplômés d’un BTS en « maintenance des systèmes audiovisuels », ils assurent le bon déroulement des finitions de plusieurs centaines d’heures de programmes par an (documentaires, captation multi‐caméras et téléfilms). Leur travail consiste notamment à vérifier la conformité des bandes antennes avec la charte qualité de la chaîne. Ils découvrent la problématique de conception d’un web‐documentaire pour la première fois avec B4. Les deux techniciens doivent par conséquent s’acculturer aux impératifs techniques
inhérents à la fabrication d’une interface graphique pour le Web254. Si une définition tautologique du format web‐documentaire perçu comme un documentaire pour le Web plutôt qu’un programme pour l’antenne est récurrente, une représentation plus riche de l’objet peut également coexister. Le web‐ documentaire permettrait ainsi d’accomplir l’idéal d’une télévision interactive qui ajusterait ses programmes en fonction des retours de l’audience.
« Monteur‐chercheur : Est‐ce que tu avais déjà entendu parler de web‐documentaire avant B4 ?
Technicien vidéo 1 : Oh non, du tout, c’est quand la responsable de la planification nous a dit : “On va monter du web‐doc” que j’ai répondu : “Mais c’est quoi un web‐doc ? Qu’est‐ce que ça change ?” Elle m’a expliqué que c’était un documentaire pour le Web, plusieurs petites vidéos, ce n’était pas le même concept…. Mais, je ne voyais pas vraiment quel était le changement avec un documentaire qu’on fait pour France Télévisions, enfin pour l’antenne. […]
Technicien vidéo 2 : Moi, j’ai entendu parler d’un web‐doc pour la première fois par un monteur intermittent qui m’a expliqué que c’était un documentaire interactif, ouvert, à alimenter et qui peut aussi être sujet à des forums de discussion. Après [la diffusion], tu vas voir dans les forums ce qui se trame et tu peux rajouter des modules plus ou moins en adéquation avec ce que les internautes réclament. À l’issue de leurs réactions, tu peux aussi repartir filmer. Cela te donne une direction. C’est comme un scénario ouvert, c’est ça non ? […]
Monteur‐chercheur : Oui, c’est une navigation interactive, mais les fonctionnalités de l’interface peuvent beaucoup varier d’un web‐doc à un autre.
Technicien vidéo 2 : Le fait de t’entendre parler d’une interface, ça me surprend un peu. Il n’y a que ceux qui alimentent ou fabriquent du web‐doc qui emploient ce terme255… »
6.1.1.5 Producteur
Le producteur exécutif de B4, Malik Menaï, est titulaire d’un DESS de « conduite de projets culturels et connaissance des publics» obtenu à l’université de Paris X. Il a débuté sa carrière en tant que stagiaire‐assistant à l’unité documentaire d’Arte dirigée, à l’époque, par une personnalité emblématique de la renaissance du genre à la télévision, Thierry Garrel. À partir de 2004, celui‐ci travaille, en tant qu’assistant de production, à la société 13 Production où il collabore sur de
254 La question de l’opposition des cultures professionnelles broadcast vs web design est développée dans la partie 6.2.
nombreuses productions de films « documentaires de création » et de séries courtes pour des diffuseurs français et américains (Arte, France Télévisions, ABC, etc.)256. Depuis 2008, il a une mission de producteur exécutif au sein de la société Mosaïque films, où il a produit deux documentaires réalisés par Jean‐Christophe Ribot avant B4. Au‐delà de la recherche de financement, sa mission consiste à accompagner l’écriture des intentions de réalisation.
« Le cœur de ce projet réside dans les portraits d’habitants, dans leur propos et le regard qu’on porte sur eux : un regard inhabituel, en ligne, loin des préjugés souvent véhiculés par les médias traditionnels. […] Porté par le regard d’un documentariste, Jean‐ Christophe Ribot, B4 entre totalement en accord avec nos volontés de production car il exploite un nouveau mode de création pour découvrir, surprendre et ouvrir autrement le débat257. »
L’étude menée par la sociologue Sophie Barreau‐Brouste (2011) sur l’évolution du genre documentaire au sein de la chaîne Arte constate la césure des besoins et des attentes entre acteurs indépendants et dirigeants de la chaîne, qui collaborent de plus en plus difficilement autour de projets filmiques singuliers. Dans ce contexte de production, fortement dominé par les diffuseurs, l’opportunité d’une production transmédia « innovante » est perçue comme une nécessité de survie économique. Il s’agit de parvenir à se démarquer de la forte concurrence du secteur en répondant aux demandes de nouveaux formats éditoriaux. Cette évolution impose au producteur un renouvellement complet de ses pratiques : il ne s’agit plus de livrer un programme linéaire pour l’antenne mais de proposer un plan média qui décline la circulation des audiences entre différents médias sur lesquels se déploie le récit.
« En amont du web‐documentaire, une bande annonce sera diffusée à l’antenne [de France 3 Ile‐de‐France], à laquelle viendront s’ajouter de courts modules présentant nos habitants pour amener les téléspectateurs vers le Web. […] Un journal gratuit tel que 20 Minutes pourra publier des articles présentant les habitants de B4, de manière périodique, assurant ainsi une audience renouvelée du site et le faisant vivre sur la durée258. »