• Aucun résultat trouvé

2. Une « carrière » institutionnelle pour l’approche par competence

2.2. L’approche par compétence : une technologie d’interface

2.2.1. Approche par compétence et paradigme de l’école efficace

L’approche par compétence ne se limite pas à renouveler, d’un point de vue cognitif, la conception béhavioriste de la définition des apprentissages. Elle s’inscrit dans une procédure de définition des compétences visées par les diplômes professionnels, qui revendique une plus grande ouverture de l’institution éducative sur son environnement, non seulement au niveau national, mais également au niveau local. En cela, l’APC a contribué au renouvellement du mode de pilotage du réseau collégial en légitimant une décentralisation des décisions concernant les contenus d’enseignement, afin de favoriser leur meilleure adéquation aux exigences des marchés locaux du travail. Cette évolution s’inscrit dans le développement d’une rhétorique de la qualité de l’enseignement qui puise directement son inspiration dans le « paradigme de l’école efficace » (« school effectiveness »).

Sylvie Monchatre

Page 40 | CIRST – Note de recherche 2008-01

Rappelons tout d’abord que ce mouvement de la « school effectiveness » résulte d’une mise en ordre scientifique et technique qui prend sa source dans plusieurs courants scientifiques. Nous en rendrons compte ici en nous appuyant sur la présentation qu’en propose Normand (2006). Pour cet auteur, le paradigme de l’école efficace prend sa source dans les années 60, dans les théories économiques du capital humain de Shultz et de Becker, qui considèrent que l’augmentation du « capital humain » est au fondement de la croissance économique, ceci au nom des liens entre éducation, productivité du travail et valeur-ajoutée. Dès lors, l’économie moderne a besoin d’une main-d'œuvre éduquée pour faire face à l’industrialisation et l’accroissement de la compétition marchande. L’enjeu politique est de planifier les flux de scolarisation et de favoriser la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur, ce qui demande également un management efficace des ressources humaines au niveau des établissements scolaires eux-mêmes.

Mais l’école efficace s’inscrit également dans le courant de la « pédagogie de la maîtrise » promu par Bloom dans les années 70 (Normand, 2006 : 35). Cette pédagogie repose sur le croisement de tests collectifs visant à évaluer les performances des élèves avec des procédures de remédiation visant à résoudre les problèmes qu’ils rencontrent. Les tests sont considérés comme « formatifs », car ils sont supposés produire une rétroaction sur l’apprentissage en cours, tandis que la remédiation doit permettre d’apprendre dans le cadre d’interventions différenciées des enseignants. L’autre grand précurseur de cette idée selon laquelle les apprentissages pouvaient être évalués sous forme de tests est Ralph Tyler, dont Bloom fût l’assistant.

Par ailleurs, dans les années 60-70, les travaux des Américains Jenks et Coleman ont également contribué à légitimer la « school effectiveness ». En reprenant des théories du capital humain et en s’appuyant, comme Bloom, sur la même conception de l’évaluation des apprentissages sous forme de tests, ces chercheurs ont surtout montré que l’école jouait un rôle négligeable dans l’amélioration des résultats scolaires et dans la réduction des inégalités (« school makes difference »). Or, quel intérêt y a-t-il à financer un système public d’éducation dont l’inefficacité se trouve avérée ? C’est ainsi que ce courant va de pair, selon Normand, avec celui de la « school improvement ». Ce mouvement a cherché à promouvoir des pistes d’amélioration de l’efficacité des écoles, en s’intéressant à leurs dimensions managériales et aux actions susceptibles d’impliquer différents partenaires en vue de favoriser l’excellence.

Dans quelle mesure ces approches, nées aux États-Unis, ont-elles contribué à la rationalisation des systèmes éducatifs occidentaux ? Cet enrôlement n’a de fait été possible que par la mobilisation d’un ensemble d’instruments de mesure permettant « l’administration de la preuve » au-delà de la théorie. Les tests de mesure de l’intelligence (« mental testing »), développés par la psychométrie, ont joué ici un rôle central. Ils ont, d’une certaine manière, banalisé l’idée qu’il était possible de mesurer la réussite scolaire. Mais surtout, ils ont également été utilisés en lien avec des « standards », une notion empruntée au secteur privé et au nouveau management public, afin de mesurer les performances des établissements. La hausse des standards devant assurer l’élévation des niveaux des élèves et améliorer la qualité et la performance du système éducatif.

La notion de « standards » est très importante pour notre propos, car c’est elle qui introduit les critères industriels de jugement des performances des systèmes éducatifs, dans le cadre de leur processus de rationalisation. Les standards constituent en effet une nomenclature définissant les profils-types attendus de l’école sous la forme de ce que Gadrey appelle des « quasi-produits ». À

Le cas de la formation professionnelle au Québec.

CIRST – Note de recherche 2008-01 | page 41 partir de la définition de ces standards, il devient possible de mesurer les quantités et qualités produites, mais aussi de mesurer les gains de productivité à en attendre. De fait, la diffusion de ces standards et des tests qui leur sont associés a conduit à des indicateurs de performance sur la base des résultats aux tests et examens, et à comparer les écoles entre elles.

Toujours selon Normand, ces mesures se sont tout d’abord répandues sous l’égide de Tyler, qui a piloté la première évaluation de curriculum à grande échelle de 1938 à 1942 aux États-Unis. Par la suite, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Tyler a été approché par le commissaire de l’éducation au niveau fédéral pour mettre au point une évaluation des compétences des élèves américains au niveau fédéral, un regard d’un certain nombre de standards. Depuis, cette évaluation est reprise chaque année sous le nom de « Nation’s report card ». Mais elle n’est pas restée circonscrite aux États-Unis. L’IEA (International Association for the Evaluation of Educational Achievement) a repris les termes de cette évaluation pour ses comparaisons internationales. De plus, le NAEP (National Assessment for Educational Progress, dépendant du ministère fédéral américain de

l’Éducation) a joué un rôle fort dans la promotion des campagnes de comparaisons internationales au

sein de l’OCDE32. L’enjeu est une convergence et une harmonisation des systèmes éducatifs occidentaux sur la base de « standards » communs, sachant que la réussite des élèves dans l’atteinte de ces standards dépend d’une mobilisation de l’ensemble des acteurs de l’éducation, ce qui appelle nombre de réformes éducatives.