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Chapitre II : Etat de l’art sur l’origine des propriétés optiques des oxydes de tellure

II. L’approche moléculaire

La première étude théorique concernant l’origine des propriétés optiques non linéaires des verres de TeO2 (verre tellurite) fut réalisée par Suehara et al. [1]. Celle-ci, menée sur la base de calculs ab initio d’orbitales moléculaires localisées17, consiste à déterminer puis comparer l’hyperpolarisabilité des deux unités structurales TeO4 et TeO3, traditionnellement présentes au sein des verres de TeO2. Afin d’assurer la cohérence des calculs, ces deux entités sont respectivement assimilées à des molécules de type TeO4H4 et TeO3H3+ (figure II.3), les hydrogènes étant introduit pour préserver la neutralité électronique des molécules et « simuler » les liaisons entre chacune de ces deux molécules et le réseau.

Leur hyperpolarisabilité est déterminée en sommant les contributions de chacun des éléments constitutifs des molécules TeO4H4 et TeO3H3+, c'est-à-dire les liaisons Te-O, la paire libre du Te, les paires libres de O et les liaisons O-H. Ainsi, il a été montré que les propriétés optiques non-linéaires de la molécule TeO4H4 étaient supérieures à celles de la molécule TeO3H3+. En particulier, la contribution de la paire libre de l’atome de tellure à l’hyperpolarisabilité totale est beaucoup plus importante dans le cas de la molécule TeO4H4 que dans celui de la molécule TeO3H3+, les autres contributions (liaison Te-O, paires libres des oxygènes …) étant relativement proches les unes des autres. Les auteurs ont alors conclu que la paire libre du tellure, au sein du polyèdre TeO4, jouait un rôle très important sur les propriétés optiques non linéaire des verres de TeO2. Ces résultats sont également en accord avec les constatations expérimentales indiquant que les propriétés optiques non linéaires au sein des verres diminuaient avec l’augmentation du nombre de polyèdres TeO3, c'est-à-dire avec la diminution de la quantité de polyèdres TeO4 [2].

17 Programme GAMESS.

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Figure II.3 : (a) molécule H4TeO4, (b) molécule H3TeO3+ [1].

Les mêmes auteurs ont ensuite complété l’étude précédemment décrite en s’intéressant à l’influence de la géométrie des molécules TeO4H4 et TeO3H3+ sur les propriétés d’hyperpolarisabilité [3]. Typiquement, ils font varier les liaisons Te-O (axiales et équatoriales) ainsi que les angles entre celles-ci et estiment, en plus de l’hyperpolarisabilité totale, celles qui y contribuent, c’est-à-dire l’hyperpolarisabilité de la paire libre du tellure, de l’oxygène, des liaisons Te-O etc. Leurs résultats ont alors montré que l’augmentation des longueurs de liaisons d’une part et des angles O-Te-O d’autre part, au sein de la molécule TeO4H4,diminue et augmente respectivement l’hyperpolarisabilité totale, alors qu’aucune variation significative de propriétés n’est observée dans le cas de la molécule TeO3H3+.

Malgré ces variations d’angles et de liaisons, l’hyperpolarisabilité totale de la molécule TeO4H4 demeure supérieure à celle de la molécule TeO3H3+ comme cela avait été montré dans [1]. De plus, les auteurs constatent que le sens de variation de l’hyperpolarisabilté totale est intimement lié à celui de l’hyperpolarisabilté de la paire libre de l’atome de tellure. Ce résultat a, de la même façon que la publication précédente [1], conduit les auteurs à suggérer que cette paire libre était la clé de l’origine des fortes propriétés non-linéaires des verres tellurites.

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Bien que ces deux publications apportent des résultats intéressants, elles présentent un défaut majeur du fait qu’elles ne concernent que des molécules isolées. Or, une telle configuration n’est certainement pas représentative de la structure à plus longue distance du verre de TeO2. En effet, en généralisant le comportement de la molécule isolée à l’ensemble du verre de TeO2, les auteurs ne tiennent aucunement compte de l’agencement et des interactions susceptibles d’exister entre les différents polyèdres et qui peuvent potentiellement avoir une influence sur les propriétés.

C’est pourquoi, en utilisant la théorie de la fonctionnelle de la densité18 (DFT), Noguera et al. [4-5] ont envisagé l’existence, au sein du verre de TeO2, de clusters (TeO2)n polymérisées (n = 2 à 6). Leur objectif est double. D’une part, étudier la structure et l’énergie de formation (c’est-à-dire la stabilité) de ces clusters afin de mettre évidence l’existence possible de ces derniers au sein du verre, d’autre part, de calculer pour chaque structure, l’hyperpolarisabilité associée (γ). Plusieurs configurations ont alors été testées (figure II.4) : chaines à ponts simples ou doubles ; structures cycliques à ponts simples ou doubles ; structures tridimensionnelles.

Figure II.4 : Exemples de configurations (TeO2)n testées par Noguera et al. Ici, seules les configurations tridimensionnelles sont présentées [4]. (a) (TeO2)4, (b) (TeO2)5, (c) (TeO2)5, (d) (TeO2)6.

18 Programme GAUSSIAN98.

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Leurs résultats ont montré que la configuration tridimensionnelle (figure II.4) apparaissait comme étant la plus stable (énergie la plus basse) et la plus probable [4-5]. Ils ont également observé que les valeurs d’hyperpolarisabilité (γ) de ces différents clusters étaient, d’une part, 10 à 100 fois supérieures à celles calculées à partir de la molécule isolé TeO2, d’autre part, qu’elles augmentaient avec le degré de polymérisation n des clusters (TeO2)n [5]. Ce résultat a amené les auteurs à formuler l’hypothèse selon laquelle la paire libre des atomes de tellure, décrite jusqu’alors comme unique responsable des fortes propriétés observées, ne pouvait expliquer à elle seule les fortes valeurs d’hyperpolarisabilité, et que celles-ci étaient principalement influencées par des effets de polymérisation (nombre et nature symétrique ou non des ponts Te–O–Te). Les propriétés semblent donc davantage liées à une délocalisation électronique le long des ponts Te-O-Te qu’a l’unique effet de la paire libre. Implicitement, cela revient à considérer l’importance des liaisons Te-O par rapport à la paire libre.

Toujours dans le cadre de la DFT19, Mirgorodsky et al [6] ont montré, en comparant comme précédemment différentes configurations structurales de type (TeO2)n, que la structure en forme de chaine était particulière (figure II.5).

Figure II.5 : Structure en chaine d’un cluster (TeO2)n [6].

En effet, les valeurs d’hyperpolarisabilité (γ) qui y sont associées dépendent grandement de la longueur de la chaine considérée, c'est-à-dire du degré de polymérisation n. Ainsi, pour des n = 10-12, l’hyperpolarisabilité atteint des valeurs maximales et permet de reproduire les valeurs expérimentales du verre de TeO2, suggérant ainsi que ces chaines pourrait être considérée comme les fragments structuraux élémentaires du verre. Les auteurs ont alors proposé l’hypothèse déjà suggérée par Noguera et al [5], selon laquelle la délocalisation électronique le long des ponts Te-O-Te des unités structurales TeO2 polymérisées sous forme de chaines, étaient à l’origine de la forte hyperpolarisabilité de ce verre.

19 Programme GAUSSIAN03.

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De ce fait, partant du principe que les propriétés non linéaires étaient reliées aux effets de polymérisation spécifiques à ces chaines, les auteurs ont estimé la contribution des différents éléments constitutifs de ces chaines (liaisons (Te-O) axiales et (Te-O) équatoriales, paire(s) libre(s) des atomes de tellure et d’oxygènes) à l’hyperpolarisabilité totale, dans le cas d’un cluster (TeO2)8 [7]. Il a ainsi été montré que la contribution des liaisons Te-O était de l’ordre de 75% (50% d(Te-O)axiales et 25% d(Te-O)équatoriales), celle des paires libre de l’atome d’oxygène, 20%, et celle de la paire libre du tellure, 5%, corroborant ainsi l’hypothèse avancée au paragraphe précédent.

Dernièrement, Smirnov et al. [8] se sont intéressés à l’évolution de la polarisabilité (α) et de hyperpolarisabilité (γ) des clusters linéaires (TeO2)2 et (TeO2)3 lors de leur dissociation, c’est-à-dire lors du passage (TeO2)2  2TeO2 et (TeO2)3  3TeO2 (figure II.6). Ils ont ainsi montré la très forte dépendance de α et γ avec les liaisons axiales qui maintiennent liées les unes aux autres les molécules TeO2, confirmant aussi les résultats de Soulis et al. [7]. En effet, quel que soit le cluster considéré, une augmentation de α et γ est observée durant la dissociation des clusters, c’est-à-dire lorsque la liaison Te-Oaxiale croit, jusqu'à une valeur maximale correspondant au moment précédent la rupture des liaisons axiales (figure II.6).

Figure II.6 : (a) Dissociation (TeO2)2  2TeO2, (b) Dissociation (TeO2)3  3TeO2 [8]. Les liaisons axiales sont représentées en pointillés sur la figure.

Les travaux présentés jusqu’à maintenant concernent l’étude de systèmes tellure-oxygène susceptibles d’exister au sein du verre de TeO2. Cependant, dans la pratique, l’élaboration de verre à base d’oxydes de tellure nécessite l’introduction d’oxydes modificateurs tels que Na2O ou Li2O par exemple. Il apparait donc légitime de s’interroger sur l’influence, en termes de propriétés optiques, de ces oxydes et plus particulièrement sur celle des cations qui les composent, lorsque ceux-ci sont introduits dans des systèmes polymérisés (des chaines par exemple) ou non (des molécules par exemple) tels que ceux décrits précédemment.

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Dans cette perspective, Noguera et al. [9] ont calculé20 l’hyperpolarisabilité de différentes molécules isolées de type [HnTeO3A3-n]+ (n = 0, 1, 2, 3) où A représente un cation alcalin (A = Na, Li). Ils ont ainsi montré que l’introduction d’un second cation (Na ou Li) augmentait l’hyperpolarisabilité. Ce résultat n’est toutefois pas en accord avec les mesures expérimentales qui montrent exactement le phénomène inverse pour ces deux cations [10-11], c'est-à-dire une diminution croissante des propriétés optiques non-linéaires lorsque la quantité de modificateurs croit. Ces observations peuvent d’ailleurs être généralisées à la quasi-totalité des modificateurs [12-13] même s’il ne faut pas oublier qu’il existe des exceptions [13] où les propriétés augmentent avec l’ajout en oxyde modificateur comportant des cations de polarisabilité élevé. Afin de justifier cette différence, les auteurs avancent deux explications.

Premièrement, la chute des propriétés optiques observée expérimentalement est liée à la rupture, par le cation alcalin, des ponts Te-O-Te [14]. Or, ce phénomène n’est aucunement pris en compte dans les calculs puisqu’ils n’y a aucun ponts Te-O-Te dans les molécules considérées, du fait de la nature isolée de celles-ci. Ces résultats théoriques ne sont donc pas comparables avec les observations faites expérimentalement puisque ces derniers ne correspondent à aucune réalité expérimentale. Deuxièmement, la substitution du ou des atomes d’hydrogène par un ou des cations alcalins (Li, Na) modifierait la stabilité des liaisons terminales. En revanche, les valeurs d’hyperpolarisabilité associées à chacune des molécules testées confirment que la contribution de la paire libre de l’atome de tellure est prépondérante par rapport à celle des paires libres des atomes d’oxygène et des liaisons Te-O, ce qui est en bon accord avec de précédents calculs réalisées sur les molécules H3TeO3+ et H4TeO4 [1-2].

Quelques années plus tard, Jin et al [15] ont étudié les propriétés optiques linéaires et non linéaires microscopiques (polarisabilité moyenne et hyperpolarisabilité du second ordre moyenne respectivement) de clusters de type (TeOX)nTeO2 où X est un atome appartenant à la famille des chalcogènes21, tel que X = O, S, Se, et n le degré de polymérisation de la chaine. Il s’agit en réalité d’introduire au sein de chaines linéaires (TeO2)n (Semblables à celle étudiée par Mirgorodsky et al [6]) plus ou moins polymérisées (n = 1 à 10), des atomes de Souffre S ou de Sélénium Se en lieu et place de certains atomes d’oxygènes (figure II.7) afin de former des chaines (TeOX)nTeO2.

20 En utilisant la théorie des orbitales moléculaires localisées, avec le logiciel GAMESS. 21 16ème colonne du tableau périodique et famille du tellure.

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Leur objectif est double : D’une part étudier l’effet de polymérisation au sein de chacune de ces chaines, d’autre part étudier l’influence de ces cations sur les propriétés optiques. Cette étude semble, sur le principe, plus cohérente que celle décrite ci-dessus, dans la mesure où de telles chaines polymérisées peuvent exister au sein de système vitreux.

Figure II.7 : Clusters de type (TeOX)nTeO2, avec X = O (a), X= S (b), X = Se (c) [15].

Comme attendues, les propriétés optiques22, qu’elles soient linéaires ou non, dépendent du degré de polymérisation n. En effet, plus n augmente, plus les propriétés sont fortes, et ce, quel que soit la nature de l’atome X considéré. Ce résultat rejoint les conclusions apportées précédemment par Noguera et al [5] et Mirgorodsky et al [6]. Par ailleurs, la nature de l’atome X influence clairement les propriétés optiques des chaines (TeOX)nTeO2. En effet, pour une chaine de degré de polymérisation donnée (c’est-à-dire à n fixe), les propriétés optiques augmentent progressivement à mesure que l’on substitue l’oxygène des chaines considérées par le souffre (figure II.7b) puis par le sélénium (figure II.7c). Ce résultat semble suggérer qu’une augmentation croissante de la taille de l’atome X, donc des longueurs de liaisons Te-X, génère une augmentation des propriétés optiques.

22 Calculées avec le logiciel GAMESS

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Résumé de l’approche moléculaire.

L’approche moléculaire a permis de dégager plusieurs résultats importants concernant l’origine des propriétés d’optiques non linéaires du verre de TeO2 :

- Les premières études menées sur des molécules isolées TeO4H4 et TeO3H3+ ont souligné l’importance de la paire libre de l’atome de tellure [1,2].

- La polymérisation de clusters (TeO2)n sous forme de chaine a montré que l’hyperpolarisabilité était une fonction croissante du degré de polymérisation n et que seule cette configuration pouvait reproduire les valeurs expérimentales [6].

- La délocalisation électronique le long de ces chaines est probablement à l’origine des fortes valeurs d’hyperpolarisabilité d’ordre 3 [5-7].

- La contribution des liaisons Te-O, en particulier des liaisons (Te-O)axiale à l’hyperpolarisabilité totale, est supérieure à celle de la paire libre de l’atome de tellure [7-8].

- L’introduction de cations X de tailles (rayons) importantes semble augmenter, via l’allongement des longueurs de liaisons Te-X, les propriétés optiques non-linéaires [15].

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