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Chapitre 1 Le couple conceptuel « privé-public » à la lumière du problème des mains

1.2. La conception externe du problème des mains sales

1.2.2. Une approche décentrée de l’agent politique

1.2.2.2. Une approche qui engage

Sous ce rapport externe au problème, comme nous l’avons mentionné en début de section, il y a opposition face à l’idée que le citoyen soit une entité passive n’ayant pas de réels pouvoirs sur l’évaluation d’une action du genre mains sales. En reprenant la manifestation publique de la faute (Duhamel, 2003, p. 93) à laquelle doit se soumettre le politicien à la suite d’une violation morale, nous voulons permettre une interaction entre le public, qui évolue dans un environnement distinct, et le politicien, qui est soumise à des contraintes particulières de la morale et de la politique. Il est vrai que Walzer laisse une place aux citoyens en faisant de lui le bourreau; « we would punish him » (1973, p. 179) et ce faisant engage le citoyen. Par contre, en ne voulant pas s’engager lui-même dans le détail sur une approche de la punition, Walzer ne nous permet pas de comprendre de manière satisfaisante la nature de cet engagement.

Pour rendre compte de la possibilité de cet engagement, nous devons accepter un modèle participatif de la démocratie (Shugarman, 1994) qui appelle à la transparence, l’ouverture

47 et la réédition de compte. Contrairement au modèle élitiste, ce modèle rapproche le « nous » et le « eux » au travers d’un dialogue entre agents politiques et citoyens sur une base régulière et non seulement au moment des élections. Shugarman soutient à cet égard qu’opérer sur des principes démocratiques signifie que lorsqu’une action importante est envisagée, « a context of relevant information and the reasons for the plan should be widely disseminated, easily accessible and addressed to the largest possible audience of citizens » (Shugarman, p. 243). Donc, quand une action doit enfreindre un principe moral, les raisons de l’action doivent être considérées après publication (transparence) à la lumière de la justice et de la légitimité à l’intérieur d’une interaction sociale entre les agents politiques et les citoyens. En fin de compte, Shugarman affirme que la démocratie est une relation ouverte et continue entre l’agent politique, tenu de rendre des comptes, et le citoyen qui se doit d’être attentif aux différents programmes publics afin d’influencer les prises de décisions et donc d’avoir une plus grande participation aux affaires publiques.

Qu’est-ce que l’on doit comprendre de l’engagement lorsqu’on est hors de la décision politique? Quelle forme prend-il? Comme nous allons le voir dans le chapitre trois, l’approche externe engage à l’évaluation morale, cependant le défi est de rendre compte de la distinction entre les domaines public et privé sans pourtant les séparer parce que, comme nous avons soutenu, être hors politique ne signifie pas que l’on ne peut pas critiquer, discuter, et débattre. De plus, pour que cet engagement soit pertinent, nous devons reconnaitre à l’individu est une capacité de rendre un véritable jugement politique ayant une validité universelle. En d’autres mots, le citoyen ne doit pas avoir « une simple

48 opinion sur une matière politique », mais cette opinion doit avoir « de[s] conséquences pratiques pour le sujet qui forme ce jugement » (Descombes, 1994, p. 132).

À la lumière de ce que nous avons analysé jusqu’ici, force est de constater que le problème de la distance entre la moralité privée et la moralité publique, que laisse entendre le problème des mains sales, peut s’étudier à l’aide de deux approches non pas concurrentes, mais complémentaires. Il serait une erreur de penser que cette distance ne peut se vivre qu’à partir de la conscience, à défaut de quoi nous serions incités à tendre vers une position élitiste, agent-centered, de l’agir politique. De plus, il faut considérer la conception interne du problème des mains sales comme étant plus complexe qu’elle ne se pose dans la littérature, compte tenu des contraintes non seulement politiques, mais aussi morales, qui exercent une pression sur l’agent politique et qui l’engage non seulement dans une confrontation entre des principes moraux, mais également entre des principes moraux et des principes non moraux. Enfin, nous considérons la possibilité que la conception externe du problème des mains sales permette également d’étudier l’effet de distance entre les normes politiques face aux normes que l’on place au niveau personnel. Autrement dit, elle permet de discriminer les différentes sphères d’activité sociales, tout en maintenant la relation entre les deux par le partage des responsabilités et par un appel au dialogue entre ceux ayant des rôles différents dans la société, c’est-à-dire, entre ceux ayant des rôles publics et ceux ayant des rôles hors du politique.

Externaliser le problème des mains sales signifie, en définitive, revoir le couple conceptuel public – privé hors de la conscience du politicien et étudier le problème des mains sales à l’intérieur de la relation entre les agents politiques et les gens « ordinaires ». Comme nous verrons dans les chapitres deux et trois, la situation de

49 l’agent politique, comme ayant un rôle particulier, fait une différence. Cependant, radicaliser, comme le suggère Archard, cette séparation nous incite à adopter une version réaliste de la politique. Il faut noter que nous ne sommes plus dans la conscience du politicien, mais nous faisons un retour à la logique politique telle que proposée par Machiavel.

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