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Une approche cognitive de la mémoire

Dans son livre proposant une théorie formelle de l'apprentissage [Boucheron, 1992], l'auteur, dans une note de bas de page, dénit en quelques mots ce qu'il appelle l'apprentissage épisodique :

L'apprentissage épisodique est constitué par la mémorisation d'un événement sin-gulier, voire d'une corrélation singulière. Il se distingue, en apparence au moins, de l'apprentissage pur en ce qu'il ne suppose pas de convergence. La durée n'intervient pas au cours de la phase d'acquisition mais au cours de la période d'utilisation, lors-qu'on distingue mémoire à long terme et mémoire à court terme. La profondeur de la diérence entre apprentissage épisodique et apprentissage pur n'est pas unanimement

1.4. Une approche cognitive de la mémoire reconnue, certains tenants de l'associationnisme pensent que tout apprentissage est réductible à une suite d'établissements de corrélations.

Or, c'est bien là que se situe notre problématique. Cet apprentissage épisodique correspond en partie à l'apprentissage déclaratif et donc à la mémoire déclarative, alors que l'apprentissage pur se rapproche de l'apprentissage procédural et donc de la mémoire procédurale. Le cadre formel de la théorie de l'apprentissage ne distingue pas ces deux cas puisque le premier ne semble être qu'un cas particulier du second. Or, cette distinction est fondamentale dans notre étude du comportement autonome.

1.4.1 Une dénition de la mémoire

Théodule Ribot, psychologue français duXIXeme siècle, est connu pour ses études cliniques

et expérimentales concernant les maladies de la mémoire. A la suite de ses observations, il proposa une loi (aujourd'hui connue sous le nom gradient de Ribot) concernant la mémoire, qui indique que les souvenirs les plus anciens ont une persistance, une résistance aux pathologies cérébrales plus élevées que les souvenirs récents . Cette loi induit en fait la notion de consolidation de la mémoire au cours du temps. Il dénit alors la mémoire en tant que faculté que possède un être vivant d'acquérir, de retenir et de se rappeler ultérieurement une information . Au vu des connaissances actuelles, cette dénition est désormais trop générale et donc trop imprécise. Cette vision statique de la mémoire où une information peut être acquise et rappelée exactement ne correspond en eet qu'à un aspect réducteur de la mémoire humaine qui est polymodale et dyna-mique. Car le cerveau est un système ouvert en perpétuelle interaction avec son environnement. L'individu agit sur l'environnement et le modie. En retour, l'environnement agit sur l'individu via les perceptions du monde, ces perceptions qui viennent alimenter la mémoire. Elles l'enri-chissent et la modient. Cette mémoire devient polymodale, les ux d'informations venant la nourrir proviennent de plusieurs dimensions sensorielles des diérents capteurs corporels. Cette perception multimodale contraint alors une mémorisation polymodale. Cette perpétuelle inter-action empêche donc la mémoire d'être statique, celle-ci doit chercher en permanence à adapter au mieux ses représentations en tenant compte de l'expérience et du contexte présent.

Par ailleurs, l'élaboration des modèles structuraux de la mémoire a longtemps reposé sur des oppositions dichotomiques en référence aux capacités perturbées versus capacités préser-vées lors d'une amnésie partielle. Les dualités les plus communes sont épisodique / sémantique [Tulving, 1972], explicite / implicite [Graf and Schacter, 1985] et déclarative / non déclarative [Cohen and Squire, 1980]. Cependant, ces théories peuvent être uniées dans la dualité décla-ratif/non déclaratif. En eet, les concepts de mémoire déclarative et non-déclarative ont été proposés par Cohen et Squire en 1980 [Cohen and Squire, 1980] sur la base d'un vocabulaire déjà présent en Intelligence Articielle (cf. gure 1.5). L'information stockée en mémoire décla-rative est accessible à la conscience et peut être utilisée via le langage ou des images mentales. Les informations sont des connaissance de type général tels que des faits, des événements, etc (par exemple retenir un numéro de téléphone). La mémoire non déclarative n'est elle pas directement accessible à la conscience et englobe la mémoire procédurale qui permet d'acquérir des aptitudes indissociables de l'action (par exemple savoir faire du vélo), elle ne peut donc s'exprimer qu'au cours d'une action.

Chapitre 1. Diérentes mémoires MEMOIRE Non déclarative Déclarative Faits Evènements Aptitudes Conditionnement

Apprentissage non associatif Amorçage perceptif

SAVOIR QUOI (conscient)

(non conscient) SAVOIR COMMENT

Fig. 1.5 Une taxonomie de la mémoire d'après [Cohen and Squire, 1980]

1.4.2 La mémoire déclarative, une mémoire épisodique et sémantique

Le patient H.M., âgé de 27 ans au moment des faits, sourait depuis la petite enfance d'une épilepsie partielle extrêmement handicapante. Les traitements médicaux classiques n'ayant eu aucun eet notable et n'ayant pu localiser de foyer épileptogène latéralisé, son médecin W.B. Scoville décida d'une intervention provoquant notamment l'ablation de l'amygdale et des 2/3 antérieurs du cortex hippocampique et para-hippocampique. A la suite de l'opération, le patient sourait d'une amnésie antérograde totale (impossibilité de mémoriser les faits et événements nouveaux) et d'une amnésie rétrograde partielle (impossibilité de se rappeler de faits et événe-ments passés) couvrant une période d'environ trois ans [Scoville and Milner, 1957]. Des études complémentaires montrèrent que dans le même temps, le patient H.M. était capable de progresser

dans la tâche du miroir6alors qu'a chaque séance, il ne se rappelait pas avoir jamais eectué cette

tâche. Cet épisode tragique souleva alors l'idée selon laquelle la structure de l'hippocampe serait importante dans la formation d'un type de mémoire particulier, l'implication immédiate étant alors qu'il existerait plusieurs systèmes mnésiques au sein du cerveau. L'émergence de cette idée de systèmes mnésiques multiples au sein du cerveau était en fait antérieure mais les protocoles d'expérience utilisés alors ne semblaient pas pouvoir venir accréditer cette thèse. Les diérents travaux dans les domaines de la psychologie développementale, de la psychologie, de la philoso-phie et de l'intelligence articielle vont avoir une grande inuence et vont mettre en évidence un ensemble de résultats convergents venant accréditer la thèse de systèmes mnésiques dédiés dont un servirait notamment à la mémorisation de connaissances de type déclaratif [Squire, 1992] qui regroupent les connaissances épisodiques et sémantiques.

La mémoire épisodique

La mémoire épisodique se réfère à l'ensemble de ce que l'on appelle le passé personnel, c'est à dire l'ensemble des événements vécus par un individu. Cette mémoire peut être rappelée de façon consciente sous forme verbale ou bien sous forme d'images mentales et rassemble l'ensemble des faits marquants (au sens où l'on ne retient pas de façon permanente l'ensemble des épisodes personnellement vécus). On peut ainsi se rappeler un visage, une cérémonie ou bien un numéro de téléphone. Cette mémoire peut-être à plus ou moins long terme selon l'importance de l'événement

6. La tâche du miroir consiste à suivre le contour d'un dessin à l'aide d'un crayon en se servant uniquement du reet de la main dans un miroir comme guide visuel

1.4. Une approche cognitive de la mémoire mémorisé. Ainsi, si il est relativement facile de se rappeler du menu du repas de la veille, cela devient plus ardu lorsque l'on remonte une semaine dans le passé.

La mémoire sémantique

La mémoire sémantique se réfère à la compréhension et à l'utilisation du langage. De façon plus générale, on la désigne comme la mémoire des connaissances sur le monde . Elle permet de mémoriser à la fois des mots, des concepts et des faits établis. Savoir que la Terre est ronde ou bien que le Soleil est jaune procède de la mémoire sémantique. Cette mémoire sémantique peut être rappelée de façon consciente et verbalisée, cependant, son acquisition ne peut généra-lement pas être datée (sauf dans le cas particulier où son acquisition peut-être rattachée à un événement personnel).

1.4.3 La mémoire non-déclarative, une mémoire procédurale, un amorçage perceptif, un conditionnement, un apprentissage non associatif

La mémoire non déclarative, terme plus générique que mémoire procédurale, se réfère à un ensemble hétérogène d'aptitudes mnésiques qui sont cependant toutes caractérisées par le fait que l'on ne peut pas ramener la connaissance attenante de façon consciente. Ces aptitudes ne sont pas sous-tendues par un seul système cérébral mais procèdent de systèmes cérébraux multiples. Parmi ces aptitudes, on distingue la mémoire procédurale, l'amorçage perceptif, le conditionnement et l'apprentissage non associatif.

La mémoire procédurale

La mémoire procédurale regroupe l'ensemble des habiletés motrices, perceptives et cogni-tives. Typiquement, c'est elle qui permet d'assurer la coordination motrice (assurer l'équilibre lorsque l'on marche) ou sensori-motrice (saisir un objet sous le contrôle de l'oeil). Cette mémoire procédurale est généralement conservée lors d'un syndrome amnésique de même que le système permettant de l'acquérir. Milner montra ainsi dès les années 1960 [Milner et al., 1968] que le patient HM était toujours capable d'acquérir et de mémoriser des aptitudes motrices sans avoir de souvenir conscient de les avoir jamais appris.

L'amorçage perceptif

L'amorçage perceptif est un phénomène qui s'apparente à une facilitation de la mémoire. Ainsi, dans le paradigme d'identication de dessins fragmentés, le sujet se voit présenté une série de dessins au trait. Lors de la phase de test, ces dessins sont présentés sous une forme dégradée avec un degré de fragmentation variable. L'eet d'amorçage se traduit par une meilleure identication des cibles par rapport aux distracteurs (des dessins non vus auparavant).

Le conditionnement

Le conditionnement constitue une forme d'apprentissage qui permet de mettre en oeuvre des règles de causalité spatiales et temporelles. Il se dégage à l'heure actuelle deux grandes catégories de conditionnement, à savoir le conditionnement classique ou répondant (de type pavlovien) et le conditionnement opérant (type skinnerien). Ces deux types de conditionnement se veulent radicalement diérents dans leur approche expérimentale respective, mais aussi sur le type d'apprentissage qu'ils vont mettre en oeuvre. En eet, le conditionnement classique repose

Chapitre 1. Diérentes mémoires

entièrement sur l'existence préalable d'un réexe inné ou acquis du sujet qui caractérisera par la suite la réponse conditionnée du sujet, alors que le conditionnement opérant repose quant à lui sur un acte volontaire (mais dirigé) du sujet. Cependant, il semble que les mêmes mécanismes soient impliqués [Allan, 1993].

L'apprentissage non associatif

L'apprentissage non associatif regroupe les phénomènes d'habituation et de sensibilisation. C'est cet apprentissage qui est notamment responsable de l'attention que l'on peut porter ou non à une perception. Si un jour l'herbe de la Terre entière devient bleue, au bout d'un temps donné, plus personne ne prêtera attention à cette étrange couleur.