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Le modèle 1.b.C se retrouve historiquement, comme expliqué dans la partie II, chez la plupart des auteurs comptables allemands de la Renaissance. Les auteurs tels que Ympyn (1543), Savone (Savonne, 1588) ou Savary (1675), ainsi que S. Ricard (1709) (comme expliqué) semblent aux aussi se rapprocher de ce modèle. Il structure d’ailleurs une grande partie de la comptabilité à cette époque. Il serait nécessaire dans une étude étendue (cf. partie I) d’étendre ce type d’analyse à d’autres auteurs.

Le modèle 1.a.C semble être celui de la banque florentine de 1211, cas présenté dans la partie II.B., même si la question de l’intérêt dissimulé peut suggérer qu’on soit déjà dans une perspective Fundiste. D’une certaine façon, il s’agit du modèle le plus proche de la vision du capital en « capitalis pars debiti », structuré autour de prêts en argent, non intrinsèquement productif, à rembourser à terme.

Les modèle 1.a et 1.b se retrouvent quant à eux, par exemple, au cœur de la vision (théorique) française et allemande plus récente, sous une forme ou une autre. On le trouve en France chez (Fuzet & Deschamps, 1926) ou (Fourastié, 1945) et en Allemagne chez (Passow, 1930) pour ne citer que ces auteurs. Il est notamment à la base du modèle de la « comptabilité statique » (ou patrimoniale) (Richard, 2012; Richard, Bensadon, & Rambaud, 2018) qui a prévalu en Allemagne et en France, notamment, au 19e siècle, basée sur l’ « exit value ». Plus précisément, ce type de comptabilité provient essentiellement d’une vision juridique : « […] the basic view of lawyers, such as Delaporte in 1808, Vincens in 1821, Molinier in 1846 and Bedarride in 1854, was that the balance sheet must give an indication of the firm’s ability to reimburse its debts in case of failure » (Richard, 2015). Comme expliqué dans (Richard et al., 2018), ces juristes évoluaient dans un contexte marqué par le droit romain, où un bénéfice ne pouvait être distribué qu’à la fin de la vie de la société concernée, après la vente des actifs (donc à leur exit value) et le paiement des dettes, donc au moment d’une liquidation réelle (ce que Chambers appelle une « […] forced liquidation […] » (Chambers, 1966)). Au moment des révolutions industrielles, cette philosophie a été adaptée pour tenir compte du fait que les entreprises et les

63 sociétés avaient de facto une durée d’existence de plus en plus longue. C’est ainsi qu’a été créé le dispositif de la fiction de la liquidation périodique : il s’agissait de faire « comme si l’entreprise devait être liquidée », tout en permettant sa continuité d’existence. Le but était de garantir les intérêts des créanciers, c’est-à-dire de garantir la capacité de l’entreprise à pouvoir rembourser à chaque fin de période le capital qu’ils avaient engagé. La conséquence logique de cette façon de voir était que les « […] assets were to be valued on the basis of their potential market value in order to be able to compare them with the debt amount to be reimbursed » (Richard, 2015). On constate clairement les fondements du modèle 1.a et 1.b ici : le but de cette comptabilité était précisément de garantir le remboursement des apports en capital, défini selon ces modèles.

Il faut néanmoins préciser que le modèle 1.b est beaucoup plus couramment utilisé, étant donné que lui seul autorise les apports en « nature ». En fait, seul la notion de « bilan économique » (Thibierge, 2014), établi comme évolution du bilan classique selon le PCG par exemple, est structuré selon le modèle 1.a, puisque celui-ci ne fait apparaître que le capital en argent « pur » (provenant des propriétaires/actionnaires et des banques, notamment).

Dans cette optique, nous proposons d’analyser la notion de « capital » dans le PCG (nous ne donnons ici que les éléments centraux) entre 1957 et 1982, période qui permet d’expliquer un certain nombre de points essentiels dans notre propos.

Dans le PCG 1957 [Version utilisée : (Conseil National de la Comptabilité, 1965)], le capital est défini de la façon suivante : « Dans les sociétés, le capital représente la valeur nominale des actions ou des parts sociales. Dans les entreprises à caractère personnel il correspond à l’actif net ».

Par ailleurs, le terme « capital » est repris dans les expressions :

• Capitaux permanents qui sont définis comme les « moyens de financement utilisés par l’entreprise de façon permanente ou durable et formés, en particulier, par le capital, les primes d’émission, les bénéfices mis en réserves et les emprunts à long et moyen terme » (Conseil National de la Comptabilité, 1965) ;

• Capitaux propres

Le premier constat est, comme attendu, l’utilisation du terme « capital » au-delà du simple compte du propriétaire, même si cette notion n’est pas étendue à tout le passif. En second lieu, on peut ainsi noter une certaine « incohérence » au niveau du capital concernant le compte

64 « capital » : dans les sociétés, le capital est en accord avec le modèle 1.a, tandis que dans les entreprises à caractère personnel, on semble se situer dans le modèle 2.a ou 2.b. Néanmoins, il semblerait plutôt qu’on soit en présence du modèle 1.b, c’est-à-dire que le terme d’actifs nets ne soit que l’expression des biens (éventuellement nets) dont on calcule en amont la valeur en argent. Cette même problématique se trouve aussi chez Passow (1930), pour la perspective allemande. Ce point est conforté par le fait que, contrairement au modèle 2.a ou 2.b, le « capital » n’est pas affecté par la suite (après l’apport initial) par les valeurs des actifs. En effet, il existe bien une notion de réévaluation dans le PCG 1957, qui provient de l’ordonnance du 15 août 1945, mais celle-ci est largement facultative et n’a qu’un aspect fiscal. Il est d’ailleurs demandé sous la forme d’un « vœu », dans (Conseil National de la Comptabilité, 1965) une évolution de cette situation pour permettre une réévaluation « […] mieux adaptée aux nécessités d’ordre économique et comptable » (Conseil National de la Comptabilité, 1965).

Signalons à ce propos que la suggestion méthodologique de réévaluation proposée dans (Conseil National de la Comptabilité, 1965) correspond directement au modèle 2.a. (capital selon la perspective Matérialiste), ce qui entraîne dès lors un problème conceptuel au niveau de la perspective sur le capital.

Dans le PCG 1982 (Conseil National de la Comptabilité, 1982), les mentions du capital sont notamment les suivantes. Tout d’abord, le « capital individuel » est défini à deux endroits, une première fois de cette façon :

« Capital individuel. A la création de l’entreprise exploitée sous la forme individuelle, le capital initial est égal à la différence entre la valeur des éléments actifs et des éléments passifs que l’exploitant, à défaut de règle de droit, décide d’inscrire au bilan de son entreprise.

Le capital initial est modifié ultérieurement par les apports et retraits de capital et par l’affectation des résultats » (Conseil National de la Comptabilité, 1982).

Puis, une seconde fois de cette façon :

« Le compte […] « Capital individuel » enregistre à son crédit :

• la valeur des apports de l’entrepreneur au début ou en cours d’activité ; • le bénéfice de l’exercice précédent […]

Il enregistre à son débit :

• les prélèvements de toutes natures ;

65 Le capital dans les sociétés est quant à lui définit de cette façon :

« Dans les sociétés, le capital représente la valeur nominale des actions ou des parts sociales » (Conseil National de la Comptabilité, 1982).

Les capitaux propres, quant à eux, sont compris comme : « Capitaux propres :

• Du point de vue de l’analyse du bilan, les capitaux propres sont déterminés par la différence entre l’expression comptable, d’une part, de l’ensemble des éléments actifs de l’entreprise et, d’autre part, de l’ensemble des éléments passifs (passif externe) […] • Dans une optique fonctionnelle, les capitaux propres participent, concurremment avec les éléments du passif externe, au financement de l’entreprise » (Conseil National de la Comptabilité, 1982)

Et aussi comme « […] la somme algébrique […] » (Conseil National de la Comptabilité, 1982) de plusieurs comptes.

Le premier constat est que le « capital » pour les sociétés ne diffère pas avec celui du PCG 1957. Surtout, ces définitions confortent largement notre position concernant le PCG 1957 relativement au « capital individuel ». Initialement le « capital individuel » correspond à un « apport », calculé, en amont, par la « valeur » des éléments d’actifs et de passifs. Par la suite, les variations du « capital individuel » sont des apports et retraits de « capital ». Ces éléments vont ainsi dans le sens du modèle 1.b.

Par ailleurs, les « capitaux propres » sont assimilés, de manière fonctionnelle, à l’ensemble du passif, pour financer l’entreprise (et donc apporter du capital-argent) : on se situe clairement dans le mécanisme de la figure 1. Les « capitaux propres » sont ainsi un amalgame, une somme algébrique, de tout le capital apporté par les propriétaires : apport initial, seul à être dénommé compte « capital » (ce qui correspond à une évolution avec les auteurs et comptables de la Renaissance) ; apport par les réinvestissements du résultat. Le passif externe est quant à lui le capital apporté par les non-propriétaires.

On peut néanmoins remarquer que les « capitaux propres » sont aussi définis de manière soustractive, comme « actifs nets ». On retrouve ici le même problème de confusion entre les modèles que celui rencontré dans le PCG 1957 concernant la définition du « capital individuel ».

66 Une notion commune aux PCG 1957 et 1982 (et ceux suivants), et qui est la source de ce type de confusion, est celle de « situation nette ». Celle-ci est introduite, marginalement, dans le PCG 1957 (elle n’est présentée qu’au niveau du plan du bilan). Dans les commentaires sur les débats autour de la révision du PCG 1957 et la construction du PCG 1982, Raffegeau & al. (1980) expliquent : « le bilan du plan 1957 fournit le montant de la situation nette de l’entreprise […] mais la pratique a souvent omis cette précision donnée entre parenthèses assimilant capitaux propres et situation nette […] Par ailleurs, la notion d’ « actif net » figure dans le droit des sociétés, sans y être définie […] Ces difficultés et ambiguïtés seront levées par […] le plan révisé en substituant la notion de « situation nette » à celle d’ « actif net » […] » (Raffegeau et al., 1980). Or dans le PCG 1982, la situation nette est définie comme « […] somme algébrique […] » de comptes de passif.

En cela, il y a ici un point fondamental : selon le modèle 1.a ou 1.b, la « situation nette » n’est

pas (et ne peut pas) être l’actif net et n’est pas (ne peut pas) définie de manière cohérente de façon soustractive mais bien additive, comme somme de capital dans certains comptes

rattachés aux propriétaires.

Plus précisément, selon le modèle 1.a ou 1.b, la « situation nette », tout comme les « capitaux propres », sont des notions additives, qui, quand elles sont présentées de façon soustractive (les rapprochant des actifs nets), ne sont que des différences de « second ordre » : cette différence ne définit pas le capital, et certains comptes rattachés au compte « capital », mais est un pur calcul comptable d’ « analyse de bilan » (Conseil National de la Comptabilité, 1982), en d’autres termes, une grandeur utile pour une analyse financière à rapprocher de grandes masses telles que les Fonds de Roulement ou Dettes Financières Nettes.

Le dernier point intéressant qui émerge dans le PCG 1982 est celui relatif aux opérations en capital (charges et produits exceptionnels). Dans le PCG 1957, la cession d’une immobilisation était traitée via le compte « 874. Pertes et profits exceptionnels [...] 8740. Réalisations d’immobilisations corporelles [...] 8741. Réalisations d’immobilisations incorporelles […] » (Conseil National de la Comptabilité, 1965). A partir du PCG 1982, cette même cession donne lieu à des « opérations en capital ». Or ce terme est totalement impropre pour désigner une immobilisation selon le modèle 1.a et 1.b, puisqu’une immobilisation est un emploi de capital. Or Raffegeau & al. (1980) précisent justement à ce propos : « […] opérations en capital (au sens économique : cessions d’immobilisations, etc.) ». Le terme important ici est bien « au sens

67 économique ». En cela, il s’agit d’un capital selon le modèle 2.a ou 2.b. et donc bien d’une incohérence introduite dans le PCG 1982.

On constate ainsi qu’à partir d’une base reposant sur le modèle 1.b, le PCG a construit un ensemble de notions qui sont incohérentes avec cette base, que ce soit dans la confusion autour de l’actif, de la situation nette ou des opérations en capital, sans oublier un point plus discuté qui est le problème de la réévaluation (libre) (Richard et al., 2018).