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Apports de la notion et tensions existantes au sein du groupe de recherche ESCOL

3.3 Une approche en termes d’expérience scolaire : recherches d’ESCOL et notion de rapport au

3.3.5 Apports de la notion et tensions existantes au sein du groupe de recherche ESCOL

Comme indiqué précédemment, nous trouvons la notion de rapport au savoir pertinente dans la mesure où elle crée le lien entre dimensions sociales et dimensions subjectives dans l’étude des processus d’apprentissages ou plus largement d’échec et de réussite scolaire. Dans le cas de notre étude, il est en effet intéressant de comprendre en quoi

l’école, et les apprentissages au sein de celle-ci, ont pu avoir du sens pour des jeunes femmes migrantes, c’est-à-dire des jeunes femmes comprises dans une certaine réalité sociale que nous avons partiellement décrite dans le chapitre consacré à la problématique de ce travail.

Cependant, il est important de préciser qu’en vue de la conceptualisation qu’elles ont du sujet, les différentes équipes de recherches ne s’accordent pas sur l’usage et la conceptualisation de la problématique du rapport au savoir. En effet, dans les travaux plus récents, Rochex (2001 ; 2001b ; 2004) semble vivement reprocher à Charlot son ambition de fonder une « sociologie du sujet », considérant qu’elle ne donne pas à voir « les conditions concrètes de scolarisation dans lesquelles se nouent des processus de production/reproduction des inégalités sociales d’accès au savoir et à la réussite scolaire » (Rochex, 2004, p. 97), car elle se cantonne à réfléchir sur les « figures de l’apprendre » (Charlot 1997). Ces dernières sont des formes sous lesquelles le savoir et « l’apprendre » (Charlot, 1997, p. 77) se présentent aux élèves. Rochex (2004) juge également négativement la centration de Charlot sur la manière dont les élèves des classes sociales basses peuvent mettre en ordre le monde, qui ne donne pas à voir des histoires scolaires singulières. Les reproches de Rochex semblent porter sur quatre points : le fait de ne pas tenir compte des « exigences normatives propres à l’école » (Rochex, 2004, p. 98), d’expliquer ce manque par la fonction élitiste de l’école, de ne pas permettre de saisir l’hétérogénéité dans les groupes sur lesquels son intérêt porte, et enfin de ne pas analyser les formes du langage de plus près. Par conséquent, c’est donc également du point de vue méthodologique que Rochex (2004) s’éloigne de Charlot à qui il reproche de ne construire sa théorie et ses analyses que sur du matériel « déclaratif » (Rochex, 2004, p. 98). Nous ne pensons pas pertinent d’expliquer davantage cette critique qui se situe sur le plan méthodologique.

Rochex semble donc considérer le rapport au savoir comme élément de processus plus larges que ceux proposés dans les définitions de Charlot. En effet, pour l’auteur les savoirs scolaires et hors scolaires sont entremêlés et résultent à la fois des « caractéristiques et […] dispositions sociocognitives des élèves, [de] leur rapports au(x) savoir(s) des règles de fonctionnement du système scolaire et des pratiques qui y sont en jeu » (Rochex, 2004, p. 99). Ces caractéristiques et […] dispositions sociocognitives des élèves sont à nouveau à considérer comme subissant l’influence des « modes de socialisation et d’expérience ‘‘non scolaire’’ », qui préparent inégalement les élèves aux spécificités des apprentissages scolaires. Ainsi, le rapport au savoir est une des composantes de la problématique que propose dès lors Rochex, mais elle s’étend au-delà de celle-ci. Rochex insiste ici sur l’intuition de Bourdieu et Bernstein de concevoir les groupes sociaux comme partageant certains modes de socialisation mais aussi certaines pratiques langagières et orientations sociocognitives, et pense qu’il est donc important de saisir l’importation de ces modes de penser, d’être, et d’expression, dans les situations ordinaires des classes et établissements. Etudiées ainsi, ces situations et pratiques d’apprentissage peuvent être comprises non seulement au sein de ce qui s’y passe dans l’ « ici-et-maintenant », mais au-delà, en tant que « s’y importent, s’y confrontent, s’y mettent à l’épreuve et peuvent s’y transformer des modes d’interprétation, des dispositions et des rapports au savoir et aux savoirs, à l’étude ou à l’enseignement » (Rochex, 2004, p. 99).

Il est important de relever que pour l’auteur il est donc certes nécessaire de tenir compte de la dimension à la fois subjective et sociale du sujet, mais de ne pas oublier la place de l’objet ; il se positionne donc en faveur d’une théorie de l’apprentissage et des savoirs scolaires en ce qu’ils peuvent avoir de spécifique. Comme nous l’avons vu précédemment, les bons élèves semblent développer un rapport au savoir de

type épistémique, rapport au savoir dans lequel l’apprentissage fait sens pour les élèves en ce qu’ils y recherchent le développement de connaissances et sont, par là même, capables de distinguer les différents registres de savoir-faire et savoir-être auxquels ils sont confrontés, tant en procédant à des mises en lien favorisant l’acquisition de savoirs. Pour Rochex (2004) une de spécificités des savoirs scolaires réside dans le fait même de pouvoir distancier des pratiques de l’expérience ordinaire, et donc dans les capacités de « ressaisie, de décontextualisation-recontextualisation » de ceux-ci (Rochex, 2004, p. 99). Pour l’auteur, dans ce travail de « secondarisation » (Rochex, 2004, p. 99), l’essentialité de l’activité et des outils sémiotiques qui permettent la représentation est à soulever. Par rapport aux théories de la reproduction et du handicap socio-culturel, cette remarque tend à se concentrer sur la question de la transmission des savoirs et leur appropriation, question que ces théories ont écartées, considérant la transmission de savoir comme l’image artificielle des buts réels de l’institution scolaire qui sont justement ceux de distinction, aliénation ou encore domestication (Rochex,

2001b, 200422

22 Voir également Bernstein (1992, pp. 20-21, cité par Rochex, 2001b) qui parvient au même constat concernant le contexte anglo-saxon.

). Inversement, la prise en compte uniquement de l’élève en situation d’apprentissage ne suffit pas non plus, sachant qu’il agit «dans des situations sociales concrètes et non épurées pour les besoins de l’étude », et qu’il n’est donc pas un « être générique abstrait, universel, ou […] pur sujet cognitif ou épistémique » (Rochex, 2004, p. 100 ; Rochex, 2001b, p. 345 ). Ceci conduit Rochex à la conclusion que le rapport au savoir « doit alors être pensé et étudié, dans une approche relationnelle, comme le produit d’une histoire et de la confrontation entre modes de socialisation et univers de pratiques de nature nécessairement différente » (Rochex,

2004, p. 100). Ainsi, il semblerait que Rochex voit en l’approche de Charlot un manque de prise de considération et de conception forte de « l’objet », donc du savoir, de l’activité d’apprentissage, et de son appropriation par le sujet, et par conséquent de l’aspect cognitif sous-jacent à la notion de rapport au savoir. Pour Rochex, s’il peut être reproché aux approches psychanalytiques de se centrer premièrement et de manière exclusive sur le sujet, dans la mesure où sa socialisation est mise au second plan, l’intention de Charlot de fonder une « sociologie du sujet » souffre elle-aussi de manques, car elle situe l’aspect cognitif au second plan. Nous sommes consciente de l’importance de ces critiques lorsque la question de la transmission des savoirs et de leur appropriation se pose. Cependant, notre intention étant de comprendre comment peut se construire un parcours scolaire dans son intégralité, ceci nous a contrainte à écarter les perspectives portées sur les activités et pratiques scolaires, dans le contexte même de l’école. Nous jugeons donc que les critiques récentes de Rochex sont pertinentes, mais tendent à développer des apports du côté de la didactique, discipline qui, rappelons le, forme avec la sociologie et la psychologie, les disciplines qu’il est important de mobiliser pour la problématique du rapport au savoir. Nous nous situons donc plus près des premiers travaux d’ESCOL auxquels Rochex a collaboré (Charlot, Bautier & Rochex, 1992 ; Bautier & Rochex, 1998), ou dont il a été auteur (Rochex, 1998), et où le rapport au savoir tendait plutôt à être analysé comme « ce qui se noue entre expérience scolaire et projets familiaux » (Rochex, 2004, p. 96), tout en restant consciente des manques de ce type d’approche. Nous pensons cependant que l’intérêt porté à la manière dont des jeunes femmes migrantes, provenant généralement de classes sociales basses, font part de leur parcours, et par là-même l’interprètent, est susceptible d’offrir des pistes de réflexion quant à la manière dont processus sociaux et cognitifs peuvent s’entremêler.

De plus, en vue du risque de catégorisation présent dans les analyses d’ESCOL entre bons élèves – capables de se mobiliser à la fois sur et à l’école - et faibles élèves - souvent mobilisés sur mais pas à l’école - nous souhaitions mieux saisir et interroger cette double exigence de mobilisation sur et à se dessine dans le parcours scolaire de jeunes femmes qui ont, elles, a priori réussi à respecter les exigences des activités scolaires.

Ainsi, en tentant de mieux comprendre la manière dont les pratiques scolaires mais aussi les exigences de celles-ci se dessinent tant chez les élèves en difficulté qu’en réussite scolaire, Bautier et Rochex (1998) et Rochex (2001) ont pu déceler certains « malentendus » socio-cognitifs chez les élèves en difficultés, dont le plus important pour notre propos demeure celui de la capacité, nécessaire pour acquérir des savoirs scolaires, de pouvoir intégrer des expériences et des savoirs scolaires et non scolaires.

3.3.6 Limites et apports de la notion pour notre objet