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Quelques applications des objets médiateurs concrets et leurs apports dans le dispositif thérapeutique mise en

ELEMENTS DE DISCUSSION

II. Quelques applications des objets médiateurs concrets et leurs apports dans le dispositif thérapeutique mise en

œuvre par les psychomotriciens

« On ne transfère pas n’importe quel contenu psychique sur n’importe quel objet »130. Même si chaque patient investi un objet à sa manière, nous avons vu dans cette première partie de discussion que les propriétés perceptivo-motrices de l’objet peuvent influencer certaines dynamiques corporelles et relationnelles. Ainsi, en tant que psychomotricien, il convient de réfléchir à la manière d’exploiter les objets médiateurs concrets classiquement utilisés en séance. Ils peuvent devenir des alliés précieux et font intégralement partie du dispositif même s’ils ne doivent pas le remplacer. Y compris la façon de les agencer dans la salle, peut amener un patient ainsi que le thérapeute à utiliser un objet plutôt qu’un autre.

Par conséquent, il me paraît intéressant de venir questionner certaines applications de ces objets médiateurs concrets réalisées par les psychomotriciens qui ont croisé ma route. Je ne prétends nullement affirmer des vérités, mais plutôt m’interroger sur les possibilités que nous octroient ces objets dans notre quotidien professionnel.

II.1. S’orienter vers un objet parmi plusieurs peut-il aider à

mieux connaître le patient ?

Sa réceptivité, son envie d’échanger avec l’autre et son coté réfléchi n’expliqueraient-ils pas pourquoi Mr O. a choisi spontanément le tissu dès notre première

rencontre parmi les cinq objets proposés (bâton, balle, tissu, élastique, corde) ? Cette intériorité qu’il affiche et la lenteur de ses gestes mais aussi ses affects et les souvenirs

qu’ils portent en lui ne l’inciteraient-ils pas à utiliser un objet plus en lien avec la sensorialité ? Mais aurait-il pu s’orienter vers le bâton, objet plus dur qui amène plus de distance avec l’autre ? Rien ne me permet de l’affirmer. Mais ce choix pourrait malgré tout nous donner une information supplémentaire parmi l’ensemble des éléments à observer lors de l’examen psychomoteur du sujet. Il pourrait aider à mieux connaître le patient et ses envies. Néanmoins, l’objet médiateur ne doit en aucun cas remplacer la manière de construire le projet

thérapeutique. Le tissu n’a pas été introduit dès les premières séances avec Mr O. mais a été pensé par la psychomotricienne en lien avec ses besoins qui étaient de l’aider à davantage fluidifier ses mouvements et articuler les différentes parties de son corps ainsi que de favoriser la relation. Lors de l’évaluation, le tissu apparaissait à ma maître de stage comme une médiation de la relation qui pouvait aider Mr O. à ce moment-là de la prise en charge.

II.2. Comment amener une séparation avec l’objet investi par le

patient et lui donner un sens dans le dispositif ?

Une fois l’objet investi par le patient qu’il soit trouvé/créé dans la rencontre ou amené par le psychomotricien, une sorte d’épuisement ou d’enfermement dans l’exploitation de cet objet peut se produire aussi bien au sein même d’une séance que sur une période de la prise en charge. Un nouvel élan doit être trouvé pour relancer la dynamique interactionnelle. Mais amener la séparation avec un objet peut s’avérer délicat selon la problématique du patient. Il convient de lui donner un sens dans le dispositif.

Dans le cas de Sarah, il s’agit du miroir. Le fait de le recouvrir d’un drap au bout d’un temps dans la séance introduit plus d’échanges entre nous et la possibilité de réaliser un jeu ensemble du début à la fin. Mais effectuer cette action dès le début de la séance aurait pu heurter Sarah qui semblait avoir véritablement besoin de ce temps d’exploration devant le miroir pour se retrouver d’abord avec elle-même puis avec nous, même si lui retirer ultérieurement cet objet ne lui a généré aucune anxiété.

Pour Mr O., deux manières différentes de quitter chacun son tissu sont proposées selon les périodes : le déposer naturellement au sol au milieu du mouvement lors de la période de « l’emmêlement et du démêlage » des tissus ; le « placer où nous le souhaitons » et lui donner une forme pendant « la danse des tissus ». Dans le premier cas, l’action symbolise une sorte de lien grâce à la spontanéité d’une trace créée au sol, que la psychomotricienne propose de clore et cristalliser par une signature gestuelle dans l’espace. Dans le second cas, nous sommes acteurs dans cette double action de le poser quelque part en lui attribuant une forme précise. Cela nécessite plus d’engagement personnel pour venir se séparer de l’objet. Les premier temps, Mr O. semble avoir besoin d’être porté et accompagné dans cette action et la fois où il vient aligner son tissu entre les deux nôtres me paraît aussi très symbolique. Pour

autant, il lui donne sa propre forme et, selon moi, nous affirme ainsi son individualité. D’après ROUSSILLON R., les caractéristiques du medium malléable paraissent jouer comme des atténuateurs des angoisses de séparation et de différenciation. Mais quand la première fois, Mr O. nous demande s’il est possible de garder le tissu sur soi plutôt que de le placer dans la salle, il nous questionne sur la séparabilité de l’objet. Cette demande conduit la psychomotricienne à modifier la consigne à savoir « déposer le tissu n’importe où ».

De sorte que, suite à l'apparition d'une consigne, le sujet peut l’interpréter et l’appliquer d’une certaine manière. Ranger un matériel peut amener des nuances gestuelles selon l’action effectuée. Ce n’est pas pareil de demander à un enfant de poser lui-même l’objet dans la boite, de le jeter dans la boite ou de le confier à quelqu’un pour qu’il le range. Chez Sarah, la notion de « donner » et « partager » un objet est compliquée. Quand vient l’heure de ranger, elle s’empare immédiatement des jouets sortis et les replace au bon endroit dans le placard. Peut-être y aurait-il eu une piste de travail avec elle dans la manière de conduire ce rangement des objets ?

II.3. L’objet peut-il symboliser l’expérience historique des

rencontres en trouvant sa place dans le dispositif ?

En me souvenant des échanges avec le ballon, je pense qu’il témoignait vraiment de l’état à ce moment-là des relations à l’intérieur du groupe et de la disponibilité de chacun. Selon moi, ce ballon prend véritablement corps dans l’espace et se déploie dans le temps. Il fait office d’élément unificateur en accord avec la temporalité et la spatialité du groupe. Avec du recul et grâce aux discussions avec mes maîtres de stage, j’ai pris conscience de l’importance de repérer et d’analyser la manière dont chacun des participants traite l’objet quand le groupe n’a pas encore trouvé son identité. Par la suite, le fonctionnement groupal lui-même a induit directement la manière d’utiliser l’objet et de l’impliquer au sein des relations interpersonnelles. Une créativité collective se produit autour de l’objet et les échanges de phrases archaïques du départ disparaissent. « Le dispositif du groupe thérapeutique à médiation demande à être co-construit. Il ne saurait s’imposer d’emblée, de façon rigide et intangible. Une certaine plasticité est nécessaire au départ pour que s’ajustent les psychés autour d’un objectif commun partagé. Cela suppose des adaptations tenant compte du caractère singulier de chaque groupe, des locaux et du matériel mis à disposition par

l’institution de soin, ainsi que des vicissitudes du moment »131

. Ce ballon, faisant partie des éléments du cadre, a su progressivement trouver sa place, s’intégrer dans le dispositif et permettre de transformer du « brut » en quelque chose de construit qui se partage.

II.4. Un objet déjà crée peut-il devenir un objet à créer dans le

dispositif ?

Par cette question, je pense une fois de plus au ballon du groupe « expressivité ». Sa mise en œuvre se traduit par des passes en début de séance avec lesquelles le groupe élabore progressivement des jeux (« ballon cerveau », mimes, etc). Objet déjà crée, il sert d’embrayeur d’imaginaire pour nourrir la créativité du groupe. Mais lorsque vient le temps de construire une histoire ensemble dans l’espace de la salle, il me paraît devenir un objet à créer. A plusieurs reprises, le groupe s’en empare pour bâtir une histoire, jouer une partie de basket organisée avec des règles et un arbitrage, ou bien se livrer au jeu du « chat balle » (une personne touche avec le ballon quelqu’un d’autre et vient prendre sa place). En suscitant la naissance du jeu, ce ballon jouerait le même rôle que les feutres, les crayons ou les feuilles blanches dans l'élaboration d'un dessin pour le patient.

Mais ce passage de l’objet crée vers l’objet à créer n’aurait pas pu se faire sans l’évolution psychique du groupe. Au cours des premières séances, les psychomotriciennes introduisent le jeu du « dixit » et proposent au groupe d’utiliser les images, objets créés, comme support à l’imaginaire pour inventer un récit dans l’espace. Par la suite, le groupe trouve ses assisses pour construire lui-même sa propre l’histoire sans recourir à un support concret. Les matières premières ne seraient plus les images mais les imaginaires de chacun.

Concernant le tissu, je dirais qu’il est utilisé comme objet créé avec Mr O. Tout au long des séances, nous nous appuyons sur ses propriétés perceptivo-motrices pour éveiller notre propre imaginaire. Mais ne pourrait-il pas être intégré dans le dispositif comme un objet à créer ? Je me souviens lors de l’un de mes TD de jeu dramatique que nous devions incarner trois personnages différents à partir d’un tissu choisi parmi plusieurs. Selon les qualités du tissu, chacun se laissait porter par son imaginaire et utilisait l’objet de manière plus ou moins détournée pour s’inventer une situation.

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La différence entre l’objet crée et l’objet à créer ne serait-elle pas aussi en lien avec son degré d’inventivité? Par rapport à un ballon ou un tissu, les crayons, les feutres ou la peinture ouvrent la porte à une infinité de créations. Mais encore faut-il que le patient se sente prêt à créer à partir de rien. Une fois de plus, il convient d’adapter le choix de l’objet en fonction du vécu psychique du sujet.

III. Au delà de l’objet concret médiateur : l’engagement