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Objets médiateurs, avez-vous donc une âme ? Le rôle et l’application des objets médiateurs concrets dans le travail du psychomotricien

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Academic year: 2021

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HAL Id: dumas-01187940

https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01187940

Submitted on 28 Aug 2015

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Objets médiateurs, avez-vous donc une âme ? Le rôle et

l’application des objets médiateurs concrets dans le

travail du psychomotricien

Emmanuelle Vigne

To cite this version:

Emmanuelle Vigne. Objets médiateurs, avez-vous donc une âme ? Le rôle et l’application des objets médiateurs concrets dans le travail du psychomotricien. Médecine humaine et pathologie. 2015. �dumas-01187940�

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Faculté de Médecine Pierre et Marie Curie

Site Pitié Salpetrière Institut de Formation en psychomotricité

91, Boulevard de l’Hôpital 75364 Paris Cedex 14

Objets médiateurs, avez-vous donc une âme ?

Le rôle et l’application des objets médiateurs concrets

dans le travail du psychomotricien

Mémoire présenté par Mlle Emmanuelle VIGNE

En vue de l’obtention du Diplôme d’Etat de Psychomotricité

Référent de mémoire :

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REMERCIEMENTS

Je tiens tout d’abord à remercier l’ensemble de mes maîtres de stages qui m'ont accompagnée dans mes pratiques, et qui m’ont chacune transmis leur savoir, leur savoir être et leur savoir faire, en faisant toujours preuve d'une grande disponibilité pour répondre à mes multiples questions.

En parallèle, je remercie tous les patients, notamment Mr O. et Sarah, (ainsi nommés par obligation de confidentialité), qui ont contribué indirectement au choix de ce sujet et qui m’ont permis de nourrir mes réflexions cliniques. J’ai pris plaisir à rédiger les séances vécues avec eux, et garder ainsi la trace de nos rencontres.

Je remercie également Sophie, ma maître de mémoire, d’avoir consacré du temps à la lecture de l’intégralité du manuscrit et d’avoir apporté des commentaires pertinents, qui ont beaucoup contribué à améliorer son contenu. Merci pour sa réactivité dans les relectures et pour avoir partagé des réflexions sur mon sujet, qui m'ont considérablement aidé à mieux cerner ses enjeux.

Au terme de ce travail, je voudrais remercier mes proches et tous ceux qui ont contribué à rendre ces trois années de formation agréables et enrichissantes, tant du point de vue professionnel que personnel.

Enfin, je remercie du fond du cœur ma maman, sans qui je n’aurais probablement pas accompli ces études. Merci de m’avoir encouragée à entreprendre cette reconversion lorsque je me suis beaucoup questionnée sur mon avenir professionnel, et d’avoir parsemé d’idées riches et constructives mon parcours d’étudiante en psychomotricité. Merci aussi pour son soutien permanent durant la rédaction de ce mémoire.

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SOMMAIRE

INTRODUCTION ______________________________________________ 7

ELEMENTS CLINIQUES ______________________________________ 10

I. Sarah, la corde… le miroir, le sac lesté… et moi ________________________ 10

I.1. Contexte de la rencontre __________________________________________ 10

I.1.1. Présentation du cabinet libéral et de son fonctionnement __________________________ 10 I.1.2. Comment ai-je rencontré Sarah ? ____________________________________________ 12

I.2. Présentation de Sarah (anamnèse) __________________________________ 12 I.3. Examen psychomoteur et projet thérapeutique ________________________ 13

I.3.1. Observation psychomotrice ________________________________________________ 13 I.3.2. Projet thérapeutique ______________________________________________________ 15

I.4. Evolution de la prise en charge en psychomotricité _____________________ 16 I.5. Questionnements du rôle du miroir, du sac lesté et de la corde ____________ 28

II. Mr O… le tissu… et moi ___________________________________________ 31

II.1. Contexte de la rencontre _________________________________________ 31

II.1.1. Présentation du service intra-hospitalier ______________________________________ 31 II.1.2. Modalités d’hospitalisation ________________________________________________ 32 II.1.3. Population principalement accueillie _________________________________________ 32 II.1.4. La prise en charge en psychomotricité _______________________________________ 33 II.1.5. Comment ai-je rencontré Mr O. ? ___________________________________________ 33 II.1.6. Définition de la schizophrénie ______________________________________________ 34

II.2. Présentation de Mr O. (anamnèse) _________________________________ 35 II.3. Observation psychomotrice et projet thérapeutique ____________________ 36

II.3.1. Observation psychomotrice ________________________________________________ 36 II.3.2. Projet thérapeutique ______________________________________________________ 39

II.4. Evolution de la prise de charge en psychomotricité ____________________ 40 II.5. Questionnements du rôle du tissu proposé à Mr O. ____________________ 49

(5)

ELEMENTS THEORIQUES ____________________________________ 51

I. La notion de médiation et d’objet concret ______________________________ 51

I.1. Qu’est-ce qu’un médiateur ? Une médiation ? Même concept ? ___________ 51 I.2. Qu’est-ce qu’un objet concret ? ____________________________________ 55

I.2.1. Définition de l’objet ______________________________________________________ 55 I.2.2. La notion de permanence de l’objet __________________________________________ 55 I.2.3. L’objet concret __________________________________________________________ 56

II – Divers statuts de l’objet concret dans le domaine thérapeutique _________ 57

II.1. L’objet transitionnel ____________________________________________ 57 II.2. L’objet de relation ______________________________________________ 60

II.3. Le médium malléable ___________________________________________ 62 II.4. La spécificité du miroir __________________________________________ 65 II.5. Les dérives pathologiques avec l’objet concret _______________________ 66

III. Les approches et les fonctions des objets médiateurs dans le champ

thérapeutique _____________________________________________________________ 67

III.1. Qu’est-ce qu’un objet médiateur ? _________________________________ 67 III.2. Les processus de médiation à l’œuvre dans les thérapies à médiation _____ 68

III.2.1. De la médiation artistique avec Winnicott à la médiation thérapeutique : vision des

psychanalystes et des psychologues contemporains__________________________________________ 68 III.2.2. Les médiations corporelles thérapeutiques : vision des psychomotriciens____________ 70

III.3. L’importance du cadre-dispositif dans les médiations thérapeutiques _____ 73

III.3.1. Savoir amener l’objet médiateur, élément du dispositif, dans le cadre ______________ 73 III.3.2. L’objet créé et l’objet à créer ______________________________________________ 74

ELEMENTS DE DISCUSSION __________________________________ 75

I. Les rôles potentiels des objets médiateurs concrets en psychomotricité _____ 75

I.1. Des objets qui rapprochent mais qui différencient aussi de l’autre et de soi-même _________________________________________________________________ 75

I.2. Des objets qui peuvent devenir objet de relation et remplir certaines de ses fonctions _______________________________________________________________ 78

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I.3. Des objets qui invitent une certaine dynamique corporelle et/ou relationnelle selon leur degré de malléabilité _____________________________________________ 81

I.4. Des objets qui permettent la réappropriation du corps et étayent le schéma corporel ________________________________________________________________ 87

I.5. Des objets plus ou moins malléables qui invitent au déploiement de l’activité représentative et réhabilitent l’instinct ludique _________________________________ 89

I.6. Des objets qui peuvent aussi avoir certaines limites ____________________ 91

II. Quelques applications des objets médiateurs concrets et leurs apports dans le dispositif thérapeutique mise en œuvre par les psychomotriciens __________________ 92

II.1. S’orienter vers un objet parmi plusieurs peut-il aider à mieux connaître le patient ?________________________________________________________________ 92

II.2. Comment amener une séparation avec l’objet investi par le patient et lui donner un sens dans le dispositif ? ___________________________________________ 93

II.3. L’objet peut-il symboliser l’expérience historique des rencontres en trouvant sa place dans le dispositif ?_________________________________________________ 94

II.4. Un objet déjà crée peut-il devenir un objet à créer dans le dispositif ? _____ 95

III. Au delà de l’objet concret médiateur : l’engagement corporel du

psychomotricien ___________________________________________________________ 96

CONCLUSION _______________________________________________ 97

BIBLIOGRAPHIE ____________________________________________ 99

ANNEXE ___________________________________________________ 102

(7)

« Nous ne sortons jamais de nous-mêmes,

et rien n’existe dans la création

qui n’ait d’abord été dans le créateur »

(8)

7

INTRODUCTION

Au départ, ma première idée de sujet était de questionner les apports de la réhabilitation de l’instinct ludique par la psychomotricité. Que provoquerait chez l’autre la notion de jeu-plaisir extériorisée dans le mouvement sur le plan moteur, comportemental, affectif, relationnel, expressif ? Quelle place donner à l’approche ludique dans la pratique

psychomotrice ? Mes propres expériences corporelles (danse contemporaine, orgue électronique, tennis, taï-chi) m’ont fait et me font toujours éprouver du plaisir sur le

moment, et m’aident à recouvrer un élan vital pour affronter mon quotidien. L’idée d’aider une personne en souffrance à activer ou à réactiver son corps en trouvant ou en retrouvant du plaisir par le biais de médiations corporelles fait sens pour moi. C’est d’ailleurs ce qui m’a intuitivement amené au choix de ce métier. Et ceci, même si j’ignorais à ce moment-là tout l’enjeu et la difficulté de mettre en œuvre un projet thérapeutique adapté au patient et de proposer un dispositif dans un cadre bien établi en tenant compte des aléas institutionnels.

Durant la formation, j’ai eu l’opportunité de fréquenter de nombreux lieux de stages, d’observer différentes pathologies et types de population, notamment dans le domaine psychiatrique (pédopsychiatrie et psychiatrie adulte). En tant que stagiaire, j'ai souvent été témoin de différentes façons d’employer un même matériel (le ballon, par exemple) et de la manière dont le patient interagit et s’engage d’un point de vue perceptivo-moteur avec lui dans l’espace thérapeutique. Ces utilisations comportaient souvent une dimension ludique et relationnelle, ce qui me permit peu à peu de recentrer mon sujet de mémoire, pour m'intéresser plus précisément à l'étude de ces objets. Durant les accompagnements, j’ai tenté

de saisir les liens créés entre le patient et le psychomotricien à travers ces objets. C’est finalement leurs fonctions d'agents relationnels dans la pratique de la psychomotricité

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« La psychomotricité par essence s’appuie dans son dispositif sur l’utilisation d’objets médiateurs, que cet objet soit un objet concret (jouet, pâte à modeler…), une technique particulière (relaxation, thérapie avec le cheval, travail corporel, cirque…) ou un objet culturel (dessin, conte…) »1

. Même si mon sujet de mémoire concerne exclusivement l’utilisation d’objets concrets (ballons, cordes, bâtons, tissus, etc.) et non une médiation ou un objet culturel, je garde à l’esprit que les objets médiateurs tels qu’ils sont définis au sein de notre profession ne se réduisent pas aux objets concrets mais sont également empruntés à différents champs d’expression (sportif, artistique, etc.).

Partant du principe que la nature même de notre profession ne peut se passer d’objets médiateurs pour être exercée, j’ai décidé d’articuler mes réflexions autour de la question suivante : dans quelle mesure la présence des objets médiateurs concrets est-elle essentielle dans la pratique de la psychomotricité ?

De manière concrète, ces objets sont utilisés lors d’un examen psychomoteur : taper dans un ballon pour évaluer la latéralité pédestre, reconnaître des objets par le toucher pour tester la stéréognosie, jeter un sac lesté dans une boîte pour déterminer les coordinations

oculo-manuelles, etc. Mais lors d’une prise en charge, quels enjeux révèlent-ils ? Se réduisent-ils à des objets relationnels, de mise en lien avec l’autre ? Les cliniciens leur

attribuent-ils d’autres qualités ? Un objet n’a-t-il pas des propriétés singulières qui lui confèrent des fonctions propres et engendrent certaines dynamiques corporelles, porteuses d'expressions créatrices ?Pouvons-nous parler de personnification de l’objet ?

La configuration généralement proposée comprend une salle de psychomotricité avec des objets mis à la disposition du patient. Mais comment les exploiter pour répondre à un projet thérapeutique ? Qu’est-ce qui motive leur choix et amène à employer tel objet médiateur concret avec tel patient ? Est-ce toujours le thérapeute qui décide de ce choix ou le patient contribue-t-il en partie à sa découverte ?

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Pour tenter de répondre à ma problématique, je m’appuierai tout d’abord sur les suivis de Sarah et de Mr O. En effet, l’évolution des séances permettra de soulever des questions sur les rôles joués par le ou les objets qui ont émergé durant ces deux accompagnements. Ces interrogations me conduiront à définir le concept d’objet médiateur dans le domaine thérapeutique et d’analyser certains statuts et certaines fonctions attribués à ces objets par les cliniciens. Ces éléments théoriques viendront étayer une discussion dans laquelle j’essaierai de dégager des pistes de réflexions concernant les apports psychomoteurs de ces objets médiateurs concrets. Pour nourrir mon argumentation, je m’appuierai également sur d’autres expériences de stages et sur mon cheminement personnel au sein de ces trois années de formation. Mon objectif sera avant tout de mieux comprendre les potentialités et la véritable légitimité que représente ce monde des objets dans notre profession. En effet, à travers mes stages et mes discussions personnelles, j’ai le sentiment que la fonction accordée au matériel d’usage du psychomotricien peut être jugée comme superficielle et futile par la société, y compris, parfois, par une partie du corps médical. Cependant, j'ai observé à maintes reprises que le rôle de ces objets, basé fréquemment sur l'activité ludique, est capital et dépasse de loin le simple jeu enfantin ou un travail en dilettante.

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ELEMENTS CLINIQUES

Tout au long de ma troisième année, j’ai réalisé un stage dans un cabinet libéral et un autre stage en psychiatrie adulte dans un service intra-hospitalier d’un Etablissement Public de Santé (EPS). Ces deux lieux m’ont permis de rencontrer Sarah (quatre ans) et Mr O. (quarante-quatre ans). Ces deux patients, aux problématiques très différentes, m’ont néanmoins interrogée sur un point commun à savoir le rôle actif joué par le ou les objets concrets amenés par le psychomotricien ou trouvés-créés2 au sein même de la rencontre. Au fur et à mesure de l’avancée des séances, j’ai pris conscience que l’apport de ces objets a nourri autant le patient que le psychomotricien.

Je vous invite à faire la connaissance de ces deux patients en retraçant le contexte institutionnel, leur anamnèse, le projet thérapeutique établi avec la psychomotricienne et l’évolution de la prise en charge. Cette dernière a été source de questionnements dont je vous ferai part tout au long et à la suite du déroulement des séances menées avec chacun.

I. Sarah, la corde… le miroir, le sac lesté… et moi

I.1. Contexte de la rencontre

I.1.1. Présentation du cabinet libéral et de son fonctionnement

Le cabinet se compose d’une salle d’attente pour les parents et d’une salle de psychomotricité aménagée d’environ vingt mètres carrés. La psychomotricienne accueille majoritairement des enfants à partir de un an et demi mais aussi quelques adolescents. Les patients sont souvent adressés par un pédopsychiatre, un neuropsychologue, une orthophoniste, par l’école (psychologue scolaire) où dans le cadre d’un dossier MDPH. Dans tous les cas, la psychomotricienne travaille toujours sur prescription médicale quel que soit l’acte réalisé (bilan ou prise en charge). Les raisons des consultations sont variées (trouble spécifique des apprentissages, dyspraxie, TDA/H, retard global des pré-requis psychomoteur,

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trouble du spectre autistique, déficience mentale, etc.), ce qui rend la clinique très riche mais impose aussi de se tenir à niveau sur des domaines très différents.

Le premier rendez-vous s’effectue avec le ou les parents en présence de l’enfant. Il se déroule sous forme d’un entretien de quarante-cinq minutes à une heure permettant à la psychomotricienne de retracer l’anamnèse, les éléments du développement psychomoteur et les difficultés rapportées de l’enfant. L’examen a lieu généralement lors de deux séances suivantes sans les parents (une partie peut s’effectuer en présence de ceux-ci, soit pour rassurer l’enfant soit quand il est en bas âge). Il vise à analyser le comportement (inhibition, agitation, etc.), l’interaction et les modalités de communication du patient au cours de l’observation, ses habilités motrices (motricité générale, coordination, équilibre statique et dynamique, préhension, coordination oculo-manuelle, etc.) en lien avec sa capacité de régulation tonique, la connaissance de son schéma corporel et de sa latéralité, son organisation spatio-temporelle, ses praxies (motricité fine, visuo-construction, grapho-motricité), ses fonctions exécutives (planification, inhibition, etc.), ses capacités d’attention, ses activités spontanées et sa capacité à jouer. Une dernière séance permet une restitution orale de l’examen avec les parents et l’enfant. L’objectif de la psychomotricienne est d’expliquer la nécessité ou pas d’une prise en charge suite aux éléments psychomoteurs observés et de présenter aux parents sa façon de travailler, de trouver un terrain d’entente, aux carrefours de leur demande et de ce qu’elle peut proposer en termes d’axes de travail. C’est aussi le moment où elle annonce les règles du cadre (durée des séances, tarifs, fréquence des règlements à déterminer, etc.). Un compte rendu du bilan est remis aux parents et au médecin prescripteur. Des nouvelles rencontres sont proposées par la suite aux parents pour faire le point sur l’évolution de l’enfant durant les séances et voir avec eux s’ils observent des changements dans les activités de la vie quotidienne de leur enfant (comportementaux, relationnels, moteurs, etc.). Selon les demandes (école, MDPH, etc.), des comptes rendus d’évolution sont rédigés.

Une séance en individuelle dure quarante minutes. La principale médiation utilisée par la psychomotricienne au sein du cadre thérapeutique est le jeu avec comme support des jouets (ballon, cerceau, instruments de musique, etc.) permettant l’élaboration des parcours, des mobilisations corporelles dans l’espace favorisant l’engagement du sujet dans l’action et dans la relation à autrui, des puzzles, des jeux d’attention et de mémorisation, des jeux de logique, des livres, etc. Le premier jeu est généralement choisi par l’enfant et c’est la

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psychomotricienne qui décide du deuxième jeu. Selon le temps qu’il reste dans la séance, une troisième activité peut être proposée comme un temps de relaxation (mobilisations passives, toucher thérapeutique avec des balles, etc.) ou la lecture d’une histoire. Quatre règles élémentaires font partie du cadre et sont expliquées au patient dès la première séance : ne pas se faire mal, ne pas faire mal aux autres, ne pas casser le matériel et ne pas ouvrir la porte sans la permission de la psychomotricienne.

I.1.2. Comment ai-je rencontré Sarah ?

A mon arrivée fin septembre, j’assiste à ma première séance avec Sarah en présence de sa maman. Adressée par une orthophoniste, elle est suivie par la psychomotricienne depuis le mois de mai à raison d’une séance par semaine après avoir effectué un examen sous la forme d’une observation psychomotrice. La maman vient toujours aux rendez-vous mais progressivement semble désireuse de laisser Sarah avec la psychomotricienne et de rester elle-même dans la salle d’attente.

Dès ma deuxième séance avec Sarah, nous nous retrouvons toutes les trois seules. Désormais accompagnée par sa grand-mère, Sarah viendra seule en séance. J’apprends, en parallèle, que la maman est enceinte d’un quatrième enfant, ce qui m’amène à vous présenter l’histoire de Sarah.

I.2. Présentation de Sarah (anamnèse)

Sarah a trois ans et huit mois. Elle a deux frères âgés de deux et six ans. Durant la grossesse, Sarah était un bébé plus petit que la moyenne et ses reins se sont formés tardivement. L’accouchement s’est bien déroulé. Mais à six semaines de vie, les médecins ont découvert une défaillance de son système immunitaire et une maladie du système digestif (malformation du tube digestif) provoquant des brûlures d’estomac et des diarrhées chroniques. Sarah a du être nourrie par voie parentérale (intraveineuse) jusqu’à ses trois ans (repos digestif). Depuis, elle est nourrie à l’aide d’une sonde suite à une gastrostomie (intervention chirurgicale). En effet, les essais d’alimentation par la bouche échouent et Sarah vomit systématiquement. Depuis sa naissance, elle est très souvent hospitalisée.

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Au niveau de son développement psychomoteur, Sarah a commencé à marcher vers deux ans. Elle serait passée par une sorte de quatre pattes. Bébé, elle est décrite par sa maman comme souriante, tonique, nerveuse et pleurant rarement. Mais lors de sa dernière hospitalisation, elle se montre plus expressive et pleure davantage. Actuellement, Sarah vomit souvent au réveil et fait de la diarrhée. Sa maman nous indique qu’elle ne supporte pas les bains et préfère la douche, car le contact intégral avec l’eau paraît la rendre plus nerveuse.

Sur le plan affectif, sa maman la décrit comme étant peu engagée dans l’échange avec ses frères et pas à l’aise avec les autres enfants. Elle se dévoile plus dans le contact avec les adultes qu’elle observe beaucoup. Lorsque je fais sa connaissance, Sarah vient d’entrer en petite section de maternelle. Elle a une AVS. La maman nous dit qu’elle a très peur d’aller vers les autres enfants et la séparation avec elle est difficile dans les débuts.

Au cours des deux fois où j’ai eu l’occasion de voir la maman de Sarah, il m’a été difficile de percevoir comment elle vit la maladie de sa fille. J’ai l’impression de quelqu’un qui laisse peu transparaître ses sentiments (peurs, craintes, etc.) et qui veut se montrer solide pour ses enfants. Ayant conscience que Sarah n’a pas pu faire ses propres explorations sensori-motrices durant les premières années de sa vie, elle la pousse dans ses apprentissages. Elle sait combien les retours à l’hôpital sont vécus difficilement par Sarah associant, selon elle, l’absence des séances de psychomotricité et d’orthophonie à l’entrée à l’hôpital.

I.3. Examen psychomoteur et projet thérapeutique

L’observation psychomotrice a été réalisée avant mon arrivée. Je vais reprendre les principaux éléments relevés par la psychomotricienne en y ajoutant certains éléments que j’ai pu moi-même observer sur les premières séances.

I.3.1. Observation psychomotrice

Entrer en relation avec Sarah est compliquée dès la première rencontre avec la psychomotricienne. Elle se montre intimidée et la regarde peu. Cela s’estompe durant les deux séances suivantes même si elle ne soutient pas longtemps le regard et préfère tourner les yeux vers ceux de sa maman. Le face à face n’est pas simple et répondre à la sollicitation de l’adulte représente un enjeu pour elle. Je remarque qu’elle ne se laisse quasiment pas toucher

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y compris durant les temps de jeu. Dans les activités spontanées, Sarah joue peu toute seule. Pour autant, elle ne se sent pas toujours concernée par nos sollicitations. Néanmoins, le jeu, utilisé peu à peu au cours de la séance, permet un moyen d’échange avec elle. Quand elle appréhende une situation, elle ne persévère pas toujours et détourne souvent son attention sur une autre activité qui n’a pas forcement de but précis.

Concernant son état tonique global, Sarah manque de force musculaire. Face à une situation dans laquelle nous la sentons en difficulté, elle affiche souvent des crispations dans tout son corps, peut serrer fort ses mains et ses dents : manifestations musculaires paraissant témoigner des perturbations tonico-émotionnelles. En revanche, elle se montre expressive au niveau du visage et utilise beaucoup les intonations de voix. Je remarque qu’elle crie beaucoup et peut recruter son tonus pour montrer une joie ou une déception.

Au niveau de ses capacités posturo-locomotrices, Sarah se déplace à petits pas et commence à marcher à reculons (acquisition vers dix-huit mois). Elle ne marche pas sur la pointe des pieds. Elle se relève de préférence en passant par la position de l’ours. Je n’observe jamais de marche à quatre pattes chez Sarah. Elle n’alterne pas ses pieds quand elle monte les escaliers (acquisition vers trois ans). Elle monte sur un marchepied avec et sans appui. Elle appréhende la hauteur mais elle ne saute pas (acquisition vers deux ans). La course est une marche accélérée. Concernant ses capacités posturales statiques et dynamiques, son équilibre est chancelant mais elle accepte certaines situations de déséquilibre comme monter sur un coussin. Elle commence à tenir sur un pied mais avec un appui (acquisition vers deux ans).

Sur le plan des praxies gestuelles, les coordinations bi manuelles ne sont pas automatisées chez Sarah : elle enfile les perles en pince digitale avec opposition pouce/index mais elle n’utilise pas toujours ses deux mains pour ramener la perle.

Au niveau des coordinations visuo-manuelles, elle encastre des formes géométriques et réalise des tours avec des Duplos. Elle donne plus le ballon qu’elle ne le lance et se soucie plus ou moins de la direction. Elle ne le rattrape pas. Elle ne sait pas boutonner et les manipulations fines sont compliquées pour elle. Dans les gestes de la vie quotidienne, elle participe à l’habillage, apporte les vêtements, retire ses chaussures et tente de les remettre. Mais elle ne s’habille pas encore seule (acquisition vers trois-quatre ans).

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Sur le plan du graphisme, elle utilise l’outil scripteur en prise en palmaire et je constate un manque de tonus dans son geste. Elle engage toute son épaule et réalise un tracé sans aucune coordination oculo-manuelle, comme une projection du mouvement du bras. Elle réalise des tracés sans signification et en est au stade des « gribouillages » (formes spiralées). Elle réalise des points sur imitation.

Sur le plan de son schéma corporel, Sarah ne connait pas toutes les parties de son corps qui correspondraient à son âge. Lorsqu’elle fait une action, elle aime beaucoup se regarder dans le miroir et semble en pleine exploration de son corps à travers sa propre image : elle s’approche, recule, se retourne, etc. Il est intéressant d’observer qu’elle tire la langue, ouvre sa bouche, et explore aussi les praxies bucco-faciales devant ce miroir.

Sur le plan de l’organisation spatiale, la connaissance du vocabulaire de l’espace prévu pour son âge n’a pu être appréciée. Sarah repère vite l’emplacement du matériel dans la salle et range le jeu à l’endroit exact où elle l’a trouvé. Elle occupe beaucoup l’espace devant le miroir. Par ailleurs, je n’ai aucune information objectivée concernant son organisation temporelle.

Sarah présente un retard de langage. Lorsque je la vois la première fois avec sa maman, elle ne parle pas beaucoup, ne construit pas de phrases et énonce seulement des mots. Elle n’utilise pas le « moi » ou le « je ». Pourtant, la maman dit qu’à la maison, elle commence à faire des petites phrases même si elles restent très peu articulées. Elle n’a pas accès au jeu symbolique (à quatre ans, l’enfant peut raconter de petites histoires).En revanche, elle semble attentive aux conversations dont elle paraît se souvenir. Ses réponses sont très peu réalisées dans l’immédiat, et elle peut parfois les différer. Lorsque nous serons seules avec elle les séances suivantes, elle investira moins la sphère langagière et sera moins compréhensible.

I.3.2. Projet thérapeutique

L’examen psychomoteur de Sarah révèle un décalage dans ses acquisitions psychomotrices. Nous pouvons émettre l’hypothèse que ses nombreuses hospitalisations lors des premiers mois de sa vie ne lui ont pas permis de pleinement réaliser ses explorations sensori-motrices. La carence de ses dernières a pu entraver Sarah dans sa dimension perceptivo-motrice (régulations tonico-motrices, coordinations d’équilibration et

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coordinations fines, organisation spatio-temporelle, représentation du corps, communication, sociabilité). Mais elle s’avère une petite fille joyeuse, qui manifeste de la curiosité et l’envie d’explorer son environnement bien qu’elle affiche de nombreuses appréhensions face à un élément nouveau. Elle abandonne rapidement ses explorations et a besoin d’être soutenue par l’adulte pour mieux appréhender son corps et le monde qui l’entoure.

C’est pourquoi des séances de psychomotricité sont proposées à Sarah une fois par semaine dans le but de renforcer la relation à autrui et d’étayer l’acquisition des différentes étapes de son développement psychomoteur et l’émergence du langage. Pour ce faire, la médiation proposée est le jeu. Il s’appuie sur plusieurs objets habituellement utilisés dans la salle de psychomotricité (ballons, coussins, etc.). Le dispositif vise à se saisir de ce que Sarah peut amener comme exploration par le biais de ces objets et d’établir une relation avec elle.

I.4. Evolution de la prise en charge en psychomotricité

Mes premiers questionnements face à la maladie de Sarah

Quand Sarah pénètre dans la pièce avec sa maman, j’ai face à moi une petite fille fluette et chétive. Son corps me paraît très frêle, comme celui d’une petite crevette. Pendant cette première séance, Sarah me donne l’impression de chercher à continuellement explorer son environnement mais dans une excitation diffuse, sans jamais s’accorder des moments de calme et de rassemblement. C’est comme si elle voulait constamment « mettre au dehors » ses actions et ses désirs sans parvenir à les maitriser et à les mettre en relation avec autrui.

Les deux séances suivantes font encore plus ressortir cette distance relationnelle qu’elle instaure entre nous en l’absence de la maman. Lorsque nous lui proposons des échanges avec le ballon, elle refuse de nous l’envoyer et veut le garder. Lancer chacune à notre tour un anneau à l’intérieur d’un plot est aussi compliqué. Soit Sarah ne s’implique pas dans le jeu et préfère explorer toute seule l’objet, soit elle nous prend des mains nos anneaux et les met tous dans le plot sans attendre son tour. Face à un nouveau jeu, elle le prend et le range dans le placard ou alors elle réclame les toilettes afin d’y échapper. Finalement, nous ne parvenons pas à réaliser un jeu toutes ensembles. Je la sens loin de nous aussi bien physiquement que psychiquement. Se dire bonjour ou au revoir est très compliqué. A plusieurs reprises, elle fait des allers-retours dans la pièce en s’agrippant à un gros coussin,

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objet qu’elle investit sans un but précis. Lors de la troisième séance, la psychomotricienne décide de lui retirer ce coussin avec lequel elle s’enferme pour tenter un autre jeu. Sarah sera très contrariée et le manifestera corporellement (crispations dans tout son corps jusqu’à ses orteils et ses doigts, cris, pleurs, colères). La séparation avec cet objet lui paraît insupportable et je sens l’angoisse monter en elle. Elle résiste comme le ferait un tout petit dans l’omnipotence. Sarah est-elle bien différenciée ? Fait-elle vraiment la distinction entre ce qui lui appartient et ce qui appartient à l’autre avec la question de l’intersubjectivité ?

Pour l’apaiser face à ses angoisses ou ses colères, la psychomotricienne essaye de la prendre à plusieurs reprises dans ses bras mais elle s’échappe, s’éloigne, peut partir à l’autre bout de la salle. Comme si elle éprouvait un besoin de mettre l’autre à distance et de trouver son espace propre pour se récupérer. Au bout de trois séances, je remarque que ces espaces de récupération sont essentiellement le canapé, les toilettes et le miroir. Elle investit énormément ce dernier objet. Dès qu’elle rentre dans la salle au début de la séance ou après avoir été aux toilettes, elle se précipite vers le miroir et se regarde un long moment. A ces moments précis, son dos me paraît très cambré avec une projection excessive du sternum vers l’avant. Son corps est comme arc-bouté. Sa tension musculaire paraît s’inscrire sur le plan postérieur et arrière du tronc. Une question me traverse alors : quelles sont les possibilités pour Sarah de pouvoir adopter la posture fondamentale d’enroulement de base ?

« L’organisation tonico-posturale d’un sujet résulte de son histoire et en est la trace.»3

. Cet élément m’interroge alors sur sa maladie et sur la représentation qu’elle peut avoir désormais de son corps en lien avec une souffrance désormais inscrite en elle et irréparable.

Au vue de la malformation de son tube digestif et de ses interventions chirurgicales (placement d’une sonde, corps étranger), j’imagine cette zone du corps plutôt associée à la douleur chez Sarah. Pourtant, le « tube digestif peut être considéré comme un véritable axe organisateur du corps »4. Le lien entre le système locomoteur et le système viscéral permet le mouvement et les premières coordinations. Le tube digestif représente « l’axe du volume interne, des orifices, de la relation dedans/dehors et de l’affectif »5. Les tonicités de ce tube servent de base d’intégration aux postures d’enroulement et à la détente ainsi qu’aux états affectifs correspondants (lieu originel des états d’être comblés). Ainsi, la maladie métabolique

3

COLOGNE S., 2010, p.19

4

Cours d’Agnès Servant d’Anatomie Fonctionnelle de 2ième année, 2013-2014, p.18

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de Sarah fait qu’elle a pu subir des manques dans ses stimulations intéroceptives en plus d’éventuelles carences dans les soins maternels du fait de ses longues hospitalisations.

De plus, dans la bouche, les actions de succion et de déglutition dynamisent le digestif, ce premier axe vertical. Or comment Sarah a-t-elle pu le dynamiser sachant qu’elle n’avale rien par la bouche ? A-t-elle un jour éprouvé une sensation de chaud, de froid, de dur, de mou dans cette zone orale ? Cette dernière ne lui sert depuis sa naissance qu’à des vomissements incessants et non à un quelconque plaisir. Durant une période, je me souviens qu’elle avait ses bronches un peu encombrées et aucun médicament ne pouvait lui être donné pour la soulager. Il fallait attendre que son corps élimine les microbes et stoppe sa toux. Par ailleurs, le circuit de la déglutition et celui de la parole sont très proches. Nous goûtons les aliments comme nous goûtons les mots. Ce constat explique-t-il la difficulté pour Sarah de parler, de prendre plaisir à produire des mots même si elle émet des sons ?

Lorsque la psychomotricienne lui passe la balle à picots dans le dos à sa propre demande, Sarah se tord immédiatement à son contact et émet des cris perçants ne sachant pas trop si elle éprouve du plaisir ou de la nervosité. Cette balle ne paraît pas la détendre et pourtant elle la redemande. Quel est son rapport vis-à-vis de la douleur ? Ces douleurs n’ont-elles pas favorisées la construction d’une carapace tonique et l’accumulation des tensions sur ses muscles du dos ? La colonne vertébrale est pourtant le premier lieu d’intégration psychomotrice et l’enroulement est une posture de résilience qui permet une capacité innée à survivre à une expérience traumatisante6.

D’autre part, cette douleur, en lien avec son système proprioceptif et intéroceptif, n’a-t-elle pas pu jouer sur la structuration de son schéma corporel ? Rappelons qu’à partir de six mois, l’enfant commence à faire des liens entre les différentes perceptions d’un même événement et différencier progressivement les informations proprioceptives, intéroceptives et extéroceptives. Cette coordination entre ces trois informations va permettre à l’enfant de distinguer ce qui dépend de lui-même et ce qui émane de l’environnement. Pour Sarah, les sur-stimulations douloureuses au niveau du tube digestif n’ont-elles pas désorganisé la manière dont elle perçoit son corps dans l’espace et dans le temps, dans son tonus, dans son mouvement mais aussi à l’intérieur d’elle-même ? Sarah ne peut presque rien garder à

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l’intérieur de son corps (vomissements et diarrhée à répétitions). Comment ressent-elle la solidité dans son corps ?

Au bout de trois séances à l’observer, et suite à tous ces questionnements soulevés par cette expérience, je me demande par quels moyens pourrions-nous l’aider à s’apaiser dans son corps, à la rassembler ? Comment lui offrir un cadre sécurisant et entrer en relation avec elle sans susciter des angoisses, des pleurs, des colères, des mises à distances ? Les deux questions me paraissent liées. Rappelons que durant les trois premières séances, Sarah a dû intégrer deux changements : l’absence de sa maman et mon arrivée. Un temps d’adaptation lui est manifestement nécessaire.

Rencontre avec le sac lesté

C’est au bout de la quatrième séance que nous parvenons à entrer davantage en relation avec Sarah, tout du moins durant une partie de la séance. Par exemple, nous avons pu initier un jeu de cache-cache derrière les tapis. Assisse sur ses genoux et les coudes posés sur le coussin, Sarah attend d’être appelée par la psychomotricienne. A son « coucou », je sens dans son corps qu’elle vit ce jeu, qu’elle est dans l’attente d’être vue grâce à sa posturation progressive à quatre pattes et le passage de sa petite tête de l’autre coté du tapis pour vérifier la présence de l’autre. Je perçois à cet instant la possibilité pour Sarah de déployer un dialogue tonico-postural. Pour autant, que le jeu de cache-cache soit mené avec des objets (balle à picots mise sous le tapis par nous) ou sur sa propre personne (se cacher nous-mêmes derrière un rideau, sortir du champ de vision du miroir que nous regardons avec Sarah à cet instant), Sarah a besoin de vérifier très rapidement qui se cache et peut même, par moments, se désintéresser du jeu. Lorsqu’elle-même se cache, elle ne disparaît pas complètement de notre champ de vision. Sarah a-t-elle totalement acquis la permanence de l’objet ? Nous reviendrons sur cette notion théorisée par le psychologue Jean PIAGET7.

A la fin de la quatrième séance, Sarah fait la connaissance des petits sacs lestés de sable. La psychomotricienne lui propose tout d’abord de lancer ces sacs dans le Bilibo. Mais Sarah s’empare rapidement d’un sac et commence à l’explorer activement à travers ses sens (tactiles, visuels et auditifs). Elle le renverse d’un bout à l’autre, le secoue pour entendre le bruit, le rapproche de son oreille, le met sur la tête, sur ses épaules, etc. Elle entre dans une

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véritable exploration sensori-motrice avec cet objet comme jamais elle n’a pu faire avec d’autres jusqu’à présent. J’observe qu’elle ne crie plus, ne bouge plus durant ce temps et reste dans le même espace de jeu, ce qui ne s’était encore jamais produit. Assisses à coté d’elle, nous l’imitons dans son exploration. Elle nous adresse plusieurs regards et à ce moment-là de la séance, je sens qu’une relation devient possible entre elle et nous.

Lors de la séance suivante, Sarah poursuit ses explorations sensori-motrices avec ce même objet et nous l’accompagnons. Après l’avoir posé sur une partie de notre corps, nous nous amusons à le faire tomber en amenant une rythmicité dans cette action de faire chuter l’objet. Sarah propose d’elle-même de placer son sac derrière sa nuque. Un moment donné, elle se dirige vers moi et me donne son sac lesté. C’est la première fois qu’elle m’offre quelque chose même si le regard ne va pas de pair avec le geste. Ne serait-ce que s’approcher physiquement de moi était, jusqu’à présent, difficile pour elle.

Je suis absente la séance suivante et retrouve Sarah deux semaines après.

Le début de cette séance est très difficile pour Sarah. Dans la salle d’attente, elle cache ses yeux avec les mains, se positionne derrière sa grand-mère et nous tourne le dos. Finalement, elle entre dans la salle de psychomotricité, se dirige de suite vers le miroir sans émettre un son et en cachant toujours ses yeux avec ses mains. Puis elle se met à pleurer très fort et se crispe complètement sans savoir pourquoi.

La psychomotricienne tente de la prendre dans ses bras et lui propose de se mettre sur le canapé en installant un cousin pour la contenir un peu. Pour la première fois, Sarah accepte de se laisser toucher et porter. Sur le canapé, elle se détend et s’enroule un peu contre la psychomotricienne alors que son corps ne faisait que s’arc-bouter face à toute tentative d’apaisement. Mais elle garde ses mains sur ses yeux. Sarah se cache. A ce moment-là, la psychomotricienne verbalise que peut-être mon absence de la semaine dernière a été difficile pour elle, aggravée par le fait qu'elle semble avoir mal au ventre. Elle me propose alors d’aller chercher dans le placard la boite en osier contenant les petits sacs lestés. L’arrivée de ses petits sacs engendre un apaisement chez Sarah. Comme dans les séances précédentes, elle y porte de l’intérêt et se détache légèrement de la psychomotricienne. D’abord, elle en met un sur sa tête, sur ses épaules, le retourne, etc. Nous l’imitons. Mais l’échange reste timide durant un bon moment.

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Puis un événement se produit qui va modifier complètement la dynamique de la séance.

Sarah tend son sac vers moi mais sans vouloir me le donner. Instinctivement, je comprends qu’elle souhaite que je fasse pareil avec le mien. Nos sacs se rencontrent, se touchent, s’entrechoquent. Cette action lui procure une réelle jouissance et son visage s’illumine d’un coup. Elle sourit et émet un petit cri de plaisir. Elle veut recommencer plusieurs fois cette rencontre mais en se regardant dans le miroir. Elle se lève du fauteuil et met le sac sur sa tête tout en se regardant dedans. Je perçois un redressement de son axe corporel comme si le poids de l’objet l’amenait à convoquer d’autres chaines musculaires et à mieux sentir ses appuis. Pour l’encourager et maintenir la relation avec elle, nous faisons de même en marchant en équilibre avec le sac lesté sur la tête. Nous le faisons tomber exprès plusieurs fois et Sarah semble apprécier notre jeu. Elle voudra refaire ce que je nomme la « rencontre des sacs » avec moi à d’autres reprises. Un échange devient possible entre nous deux par l’intermédiaire du sac lesté. Comme si cet objet lui avait permis de s’animer et de s’ouvrir.

A la vue des sacs lestés que je sors du placard lors de la séance suivante, elle passe d’une position totalement recroquevillée et d’un visage triste à un corps qui s’ouvre des pieds jusqu’à la tête. Son visage s’illumine de suite et jamais la transition dans son expression n’a été aussi rapide. Elle veut refaire la « rencontre des sacs » suivie des mêmes types d’explorations devant le miroir (sac posé sur différentes parties du corps). Elle continue un long moment à se regarder dans la glace sous plusieurs angles (de face, de profil, de dos) comme pour dire « je suis bien là ». Devant ce miroir, l’idée nous vient de réaliser pendant un moment des bruits avec nos lèvres pour stimuler un peu la zone orale. Sarah nous imite un petit temps. Pour la détacher un peu de cet objet dont elle semble avoir besoin pour entrer en relation, la psychomotricienne décide de cacher le miroir en mettant une couverture. Cette action ne perturbe pas Sarah qui gardera néanmoins son petit sac lesté dans sa main durant un court moment comme si l’objet la rassurait. Nous lui proposons alors un parcours en intégrant les petits sacs lestés sur lesquels Sarah peut marcher dessus. Elle s’intéresse beaucoup à ce jeu et fait plusieurs passages. Elle parvient même à attendre un peu son tour. Durant le parcours, je la sens dans une recherche de sensations proprioceptives comme pour éprouver son corps et à la fin du parcours, elle explore plusieurs schèmes moteurs de base sur le canapé (se met à quatre pattes, se redresse en passant par la position de l’ours, se met debout dessus, sautille, se

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met sur la pointe des pieds, bouge ses épaules). Je remarque aussi qu’elle verbalise davantage même si les mots sont répétitifs et qu’elle n’articule pas suffisamment pour être bien comprise. Elle accepte plus longtemps d’être touchée et nous regarde plus volontiers, y compris quand elle donne un objet. Une relation de confiance s’installe progressivement.

Au début de la septième séance, les mêmes actions se reproduisent pour nous permettre d’entrer en relation avec elle : je vais chercher « l’objet magique » dans le placard, Sarah s’illumine et veut faire la « rencontre des sacs » avec moi puis elle met le sac sur sa tête devant le miroir. Durant le temps de jeu qui suit, elle semble avoir besoin de garder dans la main le petit sac lesté mais s’avère capable de le laisser au bout d’un moment. Pour terminer cette séance, la psychomotricienne lui propose un nouveau jeu : le puzzle d’une petite fille à habiller. Sarah exprime clairement dans son corps le refus d’y jouer. Elle s’agite et veut aller aux toilettes, son espace de récupération. La psychomotricienne insiste un peu, la prend sur ses genoux (action qu’elle accepte plus facilement maintenant) et l’invite à faire le puzzle en nommant chaque partie du corps de la petite fille pour l’encourager. Sarah a du mal à s’intéresser à cet exercice, ne participe pas beaucoup mais parvient quand même à ne pas se laisser déborder.

Temps d’interruption

Mi-novembre, les nouvelles de sa santé ne sont pas très bonnes. Sarah vomit constamment. Sa grand-mère nous apprend qu’elle va être hospitalisée cette semaine. Nous ne savons pas pour combien de temps. Je me fais alors à l’idée que je ne la reverrai peut-être plus.

Finalement, Sarah revient trois semaines après. Durant l’hospitalisation, elle a souffert des œdèmes (gonflements) et a été transférée en service de réanimation quelques jours après que les médecins aient décidé de l’alimenter par intraveineuse. A sa sortie, la grand-mère nous apprend qu’ils ont résolu de poursuivre l’alimentation par la sonde gastrique en modifiant la qualité du lait : le nouveau serait moins lourd à diriger. Face à ce changement d’alimentation, les médecins aviseront pour procéder à de futurs examens.

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Retrouvailles

Dès que nous la retrouvons, je ne m’attendais pas à ce qu’elle récupère ses repères aussi vite. Durant quatre séances environ, le même déroulement des séances se reproduit. Quand nous venons la chercher dans la salle d’attente, Sarah cache systématiquement ses yeux avec les mains en étant plus ou moins près de sa grand-mère. Ce geste devient comme un petit rituel nécessaire pour elle avant d’entrer dans la salle. Elle peut aussi vouloir être un petit temps dans les bras de la psychomotricienne. Puis vient le temps de la rencontre entre elle et nous par l’intermédiaire du miroir et des sacs lestés. En entrant dans la salle, Sarah se regarde immédiatement dans le miroir et semble avoir besoin de ce temps-là pour se retrouver avec elle-même et pour commencer la séance avec nous. Puis d’elle-même, elle va chercher le panier en osier contenant les petits sacs dans le placard, nous invite à en prendre un et me tend le sien pour que nos sacs s’entrechoquent et se disent bonjour. Sur cette action précise, j’observe qu’au fur et à mesure des séances, elle fixe moins le miroir et me regarde davantage. Après un temps d’exploration devant le miroir avec différents objets (gros coussin, cerceaux, ballon, etc.), la psychomotricienne le recouvre avec le drap. C’est comme si cette action amenait un deuxième temps à l'intérieur de la séance, favorisant la relation dans des jeux à trois comme la construction commune des parcours avec des objets déjà utilisés ou non dans le premier temps (cerceaux, sac lesté, plots, bâtons, etc.), des lancers d’objets dans un contenant en attendant chacune notre tour, l'assemblage de puzzles, etc. Face à ces jeux, Sarah peut encore souvent changer d’activité, se diriger vers les toilettes ou le canapé. En revanche, elle accepte volontiers de ranger les jouets dès que nous le lui proposons en fin de séance. Autant l’action de donner est difficile, autant ranger semble la rassurer. Pour l’anecdote, nous retrouvons à deux reprises un petit sac lesté resté caché derrière un tapis qui n’avait pas été rangé la veille par un autre enfant ! C’est comme s’il attendait d’être trouvé par Sarah !

A la fin des séances, Sarah ne sort pas spontanément de la salle. A plusieurs reprises, je la vois ramper, marcher à quatre pattes à l’opposée de la porte pendant que sa grand-mère l’appelle. La psychomotricienne vient la chercher et dans la salle d’attente, elle nous dit « au revoir » à plusieurs reprises en levant sa petite main. A ce moment, je me dis que Sarah semble beaucoup interroger les différents espaces et chaque séparation lui apparaît comme une nouvelle étape : les entrées/sorties de la salle de psychomotricité et de la salle d’attente, l’envie d’aller aux toilettes face à une situation trop difficile à vivre dans la salle de

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psychomotricité et le fait qu’elle doit aussi gérer sa maladie et tout ce qu’elle représente d’incommodant pour elle.

Les dernières évolutions

A son retour des vacances de Noël, nous constatons avec plaisir que Sarah a pris du poids et qu’elle continuera à grossir tout le mois de janvier. La grand-mère nous apprend que Sarah digère beaucoup mieux le nouveau lait. Maintenant, lorsqu’elle se regarde devant le miroir, j’ai la perception d’une petite fille moins cambrée, moins fluette et moins crispée dans son corps.

Désormais Sarah se repère totalement dans la salle. Je remarque qu’elle ne va pas chercher les petits sacs lestés dans le placard au début des séances, même si elle a souvent besoin de les retrouver plus tard et d’en saisir un dans ses mains pendant quelque temps pour réaliser les parcours. D’une manière générale, elle s’affirme beaucoup plus dans son corps et nous la sentons davantage en confiance. Pour certaines actions, elle affiche même un peu de fierté et cherche par moments nos encouragements pour persévérer dans ses gestes. Elle paraît plus affirmée face à nous et nous fait bien comprendre son refus de terminer un jeu qui l'ennuie. Devant son désir de vouloir agir à notre place, la psychomotricienne doit à maintes reprises poser des limites et moduler sa frustration. Néanmoins, confrontée à la nouveauté, Sarah affiche toujours une contrariété mélangée à une anxiété. En effet, elle peut se braquer et déployer son énergie pour faire autre chose. Mais en reprenant un jeu qu’elle a pu refuser la séance d’avant, nous pouvons observer qu’elle l’intègre et qu’elle accepte de chercher. C’est le cas par exemple pour la construction des puzzles. Au début, la psychomotricienne avait besoin de s’asseoir derrière elle et de beaucoup la guider avec ses mains. Puis, je me souviens précisément d’une fois où la psychomotricienne lui a proposé un second puzzle qu’elle est allée chercher dans le placard pendant que Sarah prenait d’elle-même une petite chaise et s’asseyait dessus pour nous signifier qu’elle attendait « la suite ». Pour la première fois, elle a pu réaliser ce puzzle face à la psychomotricienne sans besoin d’être contenue par l’arrière.

Mais malgré ses progrès relationnels, Sarah a toujours du mal à attendre son tour dans un jeu et veut souvent le faire à notre place. Elle n’associe pas le tour avec le prénom de la personne et le tiers semble compliqué à intégrer pour elle. Par ailleurs, elle nous montre souvent qu’elle a besoin d’avoir son propre espace physique. Je me souviens d’une séance où

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la psychomotricienne se tenait à coté d’elle et l’aidait à trouver son équilibre sur le gros coussin. Allongée sur ce coussin, en décubitus dorsal, Sarah poussait les pieds de la psychomotricienne comme pour lui signifier qu’elle était trop près d’elle et qu’elle cherchait à défendre son espace. La psychomotricienne a présenté une résistance à ce geste pour lui montrer qu’elle était présente, solide dans ses appuis, et qu’elle aussi avait son espace propre et qu’elle ne s’effondrait pas face à Sarah. Cette dernière répondait vivement à sa résistance. Comment rester et jouer avec l’autre tout en ayant son propre espace à soi ? Comment trouver un équilibre à la fois physique et psychique entre soi et l’autre ? Voila les questions qui me viennent en les observant se repousser mutuellement en même temps que surgit l’image du nourrisson de cinq-six mois qui pousse avec ses petits pieds ou qui pédale en l’air.

Rencontre avec la corde

Un jour que nous construisons toutes les deux un parcours (ma maître de stage reste en retrait à ce moment-là), Sarah trouve une corde dans le placard. Elle commence à jouer avec cette corde et n’est plus du tout avec moi dans le jeu. Je me sens alors démunie et je fais quelques tentatives pour la solliciter à faire le parcours avec moi. Mais rien n’y fait. Je la sens loin de moi et totalement absorbée par l’objet qu’elle tire derrière elle en marchant dans la pièce comme le ferait un bébé de dix-huit mois. Puis avec l’aide de la psychomotricienne, elle finit par accepter de réaliser notre parcours. Mais elle tient fermement la corde dans sa main et recommence à s’enfermer avec. Nous tentons alors de lui montrer ce que nous pouvons faire ensemble avec cette corde (tirer ensemble, passer dessous, etc.). Je suis surprise de voir Sarah se raidir, crier, rougir et même pleurer dès que nous essayons de toucher la corde. Cette action

la met dans un état d’extrême angoisse et nous n’insistons pas davantage. La psychomotricienne lui propose alors de ranger les jouets et étonnamment, Sarah accepte

immédiatement de se séparer de la corde qu’elle range avec les autres jouets dans le placard. Le fait de maitriser l’action de ranger lui permet-elle de se séparer plus facilement de l’objet ?

Au cours de la séance suivante, Sarah reprend la corde au début. Comme la première fois, elle réalise plusieurs va-et-vient dans la pièce en tirant cette corde derrière elle. Je la sens fébrile avec cet objet en sa possession qu’elle semble vouloir encore garder à tout prix. Alors, avec ma maître de stage, nous avons l’idée d’aller chercher chacune une corde dans le placard et de jouer ensemble avec. Par exemple, la faire tourbillonner avec notre main, la tirer avec nos deux mains levées au ciel, la déposer au sol et sauter par-dessus. Puis assisses sur des

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tapis au centre la pièce, chacune saisissant une extrémité d’une corde, nous proposons à Sarah de passer par dessous ou par dessus la corde en la levant à différentes hauteurs. Tenant toujours fermement sa corde dans sa main, Sarah se montre réceptive à notre proposition. Elle commence à faire plusieurs allers-retours entre le canapé où elle se donne un temps de pause et de récupération, et la porte des toilettes, en franchissant l’obstacle matérialisé par la corde au milieu du trajet. Elle prend plaisir à ce jeu. A l'aide d'une corde tendue entre nous deux, la psychomotricienne lui propose ensuite de passer un anneau d’une extrémité de la corde à l’autre. Elle suggère à Sarah d’essayer de faire glisser cet anneau d’elle jusqu’à moi et de le récupérer à la sortie. Mais elle n’accepte de faire la « messagère » qu’une seule fois sans prendre l’anneau à l’autre extrémité. Je remarque qu’elle ne regarde pas du tout l’anneau et repart vite avec sa corde trainant toujours derrière elle. Elle affiche une crispation. Par la suite, elle prétexte vouloir aller aux toilettes, son troisième lieu de récupération après le canapé et le miroir. Dès que nous lui proposons de ranger pour passer à un nouveau jeu, Sarah accepte immédiatement de se séparer de la corde. Puis, vers la fin de la séance, nous proposons à Sarah de faire traverser un bâton à l’intérieur d’un tube d’un bout à l’autre et de le récupérer. Une fois encore, cette action semble lui provoquer une anxiété et non une contrariété. L’idée de passer un objet à l’intérieur d’un autre puis de le récupérer à la sortie semble la paniquer. Ses problèmes liés à l'absence d'un trafic intestinal normal pourraient-ils expliquer cette appréhension ? Lors des lancers d’anneaux à trois, je remarque que Sarah ne l’envoie jamais mais préfère le donner à quelqu’un. Elle semble toujours vouloir un contact entre l’objet et la personne et refuse un espace de séparation occasionné durant le lancer. Par son agrippement à l’objet corde, Sarah paraît avoir une perception de sa délimitation physique qui va au delà de son corps propre. Tous ces éléments m’interrogent sur sa capacité à percevoir la discontinuité entre chaque objet. C’est comme si elle ne différenciait pas les éléments entre eux, entre elle-même et un élément concret et finalement entre le « dedans » et le « dehors » des éléments dont elle fait partie.

Un peu plus tard, durant une autre séance, Sarah sort la corde du placard mais cette fois-ci me l’apporte au lieu de la garder. Je remarque que cette corde a pleins de nœuds. Instinctivement, j’en démêle une partie mais pas l’intégralité et la dépose à coté de moi sur le canapé pendant que Sarah joue avec un ballon en mousse. Voulais-je voir inconsciemment la réaction de Sarah face à ces nœuds non défaits ? Rapidement, elle se dirige vers le canapé, prend la corde et semble perturbée par la présence des nœuds restants. Elle essaye de les

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défaire et je ressens chez elle cette crispation qui m’est devenue si familière. La psychomotricienne verbalise en parlant de « nœuds que nous avons dans la tête » me faisant alors penser à l’expression « se faire des nœuds au cerveau » ou plutôt à la sensation « d'estomac noué » qui fait référence à une contraction douloureuse causée par l'anxiété. Le corps de Sarah exprimerait-il sa souffrance quotidienne face à cet objet qui le renvoie métaphoriquement à son dysfonctionnement ? Alors que Sarah se débat avec les nœuds, elle finit par me tendre la corde pour que je l’aide. A peine ai-je le temps de lui redonner cette corde totalement démêlée qu’elle me dit « merci » et s’en empare pour refaire ses allers-retours en la trainant derrière elle dans la pièce, en évitant quelques objets sur son chemin. La psychomotricienne réessaye d’attraper le bout de sa corde et de tirer dessus en énonçant : « Attention, je vais l’attraper cette corde qui passe à coté de moi ». Au départ, Sarah ne réagit pas trop à ce geste et veut la reprendre et repartir avec dans la pièce. Mais je ressens moins d’angoisses chez elle par rapport aux autres fois ou lorsque la corde avait des nœuds. Y aurait-il à ce moment-là une possibilité de pouvoir être davantage en lien avec cet objet ? Alors que la psychomotricienne s’apprête à lui prendre pour de bon l’extrémité de la corde, Sarah l’évite avec agilité et monte d’un coup sur le canapé, en rigolant et semble nous dire : « Tu m’as pas eu ! ». Et effectivement, la psychomotricienne s’est laissée surprendre et moi aussi en tant qu’observatrice de cette scène ! Puis Sarah repart avec la corde dans la pièce et remonte sur le canapé en s’aidant de ses pieds pour complètement se redresser, presque sans utiliser ses mains. Elle met alors sa corde légèrement sur l’épaule me renvoyant l’image d’un randonneur qui partirait faire de l’escalade. Un peu plus tard, toujours debout sur le canapé, elle tient la corde par les deux bouts comme si elle s’apprêtait à faire de la corde à sauter. Ces deux images successives résonnent en moi, me procurant le sentiment que Sarah est maintenant beaucoup plus en lien avec cet objet, qu’elle arrive à en faire quelque chose et à réellement l’investir. Un moment donné, la psychomotricienne parvient à lui prendre le bout de la corde et commence à tirer. Cette fois-ci Sarah répond et, assise sur le canapé, commence elle aussi à tirer de son côté. La psychomotricienne résiste un temps puis lâche la corde. Alors j’interviens et prend à mon tour la corde pour tirer avec elle. Commence alors un jeu de « tirer-lâcher » avec la corde entre Sarah et l’une de nous deux. Chacune notre tour, nous tirons avec Sarah sur la corde. Mais elle est loin d’être prête à nous laisser gagner la partie. Tirant de toutes ses forces sur la corde, nous la laissons gagner du terrain en tenant fermement l’autre bout de la corde de sorte que nos mains finissent par se rencontrer. Comme si l’objet nous réunissait physiquement. Néanmoins, à ce contact, Sarah dégage avec force nos mains

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pour se saisir de la corde et repartir avec dans la pièce. Alors la psychomotricienne refait ce jeu, en résistant cette fois-ci davantage pour montrer à Sarah qu’elle peut aussi perdre la partie et la maitrise de l’objet. Sarah affiche d’abord une mimique de mécontentement, se cache vite les yeux mais ne s’effondre pas. Elle accepte cette prise de l’objet à cet instant, ce qu’elle n’était pas en mesure de faire les séances précédentes tellement elle semblait angoissée. Cette fois-ci, j’ai senti une volonté de ne pas vouloir donner l’objet comme pourrait le faire un bébé qui ne supporte pas qu’on le lui prenne des mains. Elle s’affirme dans cette action et un travail sur la gestion de la frustration a pu s’initier avec la corde qui paraissait indifférenciée d’elle jusqu’alors. Cependant, les séances suivantes remontreront que son rapport à la corde reste dans une adhésivité qui rend difficile une mise en contact avec elle par le biais de cet objet.

Arrêt des séances

Malheureusement, les séances avec Sarah s’arrêtent fin février. Pour une raison d’organisation, la maman a préféré poursuivre le suivi en psychomotricité dans un cabinet situé près de chez elle. Il n’a pas été possible pour la psychomotricienne de la convaincre de l’intérêt pour Sarah de poursuivre cet accompagnement.

Fin mars, une séance a permis de dire au revoir à Sarah en présence de la maman. Cette dernière nous apprend que Sarah socialise beaucoup plus avec les autres enfants de sa classe. Les maîtresses parlent de progrès dans sa motricité et dans le contact avec les autres. Le passage en moyen section de maternelle est prévu pour l’année prochaine.

De mon coté, devoir arrêter ce suivi ne m’a pas laissée indifférente. Même si j’ai conscience que nous ne sommes que de passage dans l’accompagnement d’un patient, je pensais pouvoir suivre Sarah jusqu’à la fin de mon stage au vu de tout le travail instauré pour entrer en relation avec elle et de l’évolution des séances.

I.5. Questionnements du rôle du miroir, du sac lesté et de la corde

Pour ne pas perdre de vue ma problématique, je voudrais revenir plus en détail sur trois objets qui, selon moi, ont marqué la rencontre entre Sarah et nous : le miroir, le sac lesté et la corde.

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Au fil de l’accompagnement, je m’aperçois que le miroir incarne un véritable espace de rencontre qui semble aider Sarah à entrer en relation avec nous pour commencer la séance. Ce constat me conduit à faire référence aux études réalisées sur le rôle de cet objet notamment celles du psychanalyste Jacques LACAN8. Par ailleurs, la plupart des psychomotriciens semblent se servir de cet objet. Dans pratiquement tous mes lieux de stage, j’ai constaté la présence d’un miroir dans la salle.

De mon point de vue, le sac lesté symbolise réellement l’« objet magique » qui nous a permis d’entrer toutes les deux en relation. Cette fameuse « rencontre des sacs » devient notre manière de nous dire bonjour durant plusieurs séances avec les mêmes actions qui s’enchaînent : je vais chercher dans le placard la boite en osier contenant les sacs (Sarah le fera d’elle-même par la suite) puis nous prenons chacune un sac et nous les faisons s’entrechoquer puis Sarah s’illumine, met le sac sur sa tête devant le miroir et poursuit son exploration de l’objet. Etabli au sein même des séances, le sac lesté pourrait-il avoir le statut d’objet transitionnel, concept théorisé par le pédiatre et psychanalyste Donald Woods WINNICOTT ? J’y reviendrai dans la partie théorique9. En réalité, c’est la première idée qui m’est venue à l’esprit notamment parce que l’objet transitionnel est en lien avec la notion d’aire transitionnelle, concept qui sera également abordé dans le corpus théorique. « La psychothérapie s’effectue là où deux aires de jeu se chevauchent, celle du patient et celle du thérapeute »10. Cette idée de chevauchement a fait écho avec le phénomène de nos deux sacs lestés qui se rencontrent, chacun contenant comme une partie de nous. Mais le concept même d’objet transitionnel fait référence au lien à la mère absente et accompagne l’enfant dans les différents espaces. Or, Sarah n’amène pas cet objet en dehors de la séance. Il reste seulement présent dans l’espace de la pièce et, selon moi, n’a pas pour fonction d’interroger le lien à la mère absente. Cet objet remplit peut-être une autre fonction mais laquelle ? Il conviendra d’éclairer ce point par d’autres études théoriques qui nous fourniront des pistes sur l’apport de cet objet dans le processus thérapeutique. Notons que le sac lesté a permis de rassurer Sarah qui, comme dans le geste de regarder souvent son image dans le miroir, a eu besoin de le garder dans la main plus ou moins longtemps avant de s’en séparer dans la séance. La séparation s’effectuait souvent en parallèle avec le recouvrement du miroir. Sur une séance précise, je me souviens que nous sommes entrées toutes les deux en relation selon une

8

Cf. infra. Théorie (II.4.), p.65

9

Cf. infra. Théorie (II.1.), p.57

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