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Aperçu de l’agriculture de l’époque Edo

Chapitre 3 Les traités agricoles à l’époque Edo

3.3 Aperçu de l’agriculture de l’époque Edo

À la fin du XVIe siècle, on assiste à la fin des troubles et à l’unification du pays. Dans ce contexte pacifié, plus question pour les fiefs d’agrandir leur territoire pour augmenter leurs revenus. Le gouvernement shogunal et les fiefs cherchent donc de nouvelles ressources en ce début de l’époque Edo : le défrichement, l’augmentation des surfaces agricoles et des forces productives, constituent des réponses à cette quête. Les famines connaissent un pic au moment de l’ère Kan’ei (1641-1643) elles incitent les fiefs à des politiques encourageant beaucoup la production agricole, en particulier celles de produits de première nécessité. Les fiefs, dès lors, utilisent une grande partie de la force productive pour rendre cultivables toutes les terres restées impropres à l’agriculture jusqu’au Moyen Âge : les lagunes asséchées, les plaines alluviales marécageuses par exemple. Des terres vont également être transformées en champs irrigués grâce à la mobilisation de capitaux qui permettent la création de nouveaux canaux d’irrigation et de nouvelles voies d’accès. Chaque paysan, chaque village étend progressivement sa surface agricole. De nouveaux villages sont même créés. Cette grande entreprise de défrichement du XVIIe siècle se voit attribuer le surnom d’« époque des grands

309 Furushima Toshio 古島敏雄, « Nōsho wo yomu imi » 農書を読む意味 (Signification de la lecture des

traités agricoles) dans Furushima Toshio 古島敏雄 (dir.) Nōsho no jidai 農書の時代 (L’ère des traités agricoles), Tōkyō, Nōsan gyoson bunka kyōkai, 1980, p.28.

310 Satō Tsuneo 佐藤常雄, « Nōsho » 農書 (Traité agricole) dans Nagahara Keiji 永原慶二 (dir.) Kōza Nihon gijutsu no shakai shi dai ikkan : Nōgyō, nōsan kakō 講座・日本技術の社会史第一巻 農業・農産加

工 (Cours d’histoire sociologique des techniques du Japon premier volume : Agriculture, Transformation des produits agricoles), Tōkyō, Nihon hyōronsha, 1987, p.316.

défrichements ». Alors que, selon Guillaume Carré, le Japon était au début du XVIIe siècle un pays sous-peuplé, sous-administré et sous-développé sur le plan des infrastructures, la paix instaurée par le régime Tokugawa a permis un rattrapage économique et démographique311 de ce retard. Les défrichements font passer la surface agricole de 1,64 million de chō312 du

début du XVIIe à 2,97 millions de chō au début du XVIIIe siècle. Selon Charlotte von Verschuer, 40 % des surfaces en moyenne sont des champs secs et 60 % des champs irrigués. La production agricole serait alors passée de 18 millions de koku pendant l’ère Keicho (1596-1615) à 25,78 millions de koku pendant l’ère Genroku313. En un siècle, le Japon connaît donc une hausse de 81 % de ses surfaces cultivées. Dans le même temps, la population aurait doublé ou triplé, selon les différentes estimations des chercheurs, le recensement de 1721314 évoquant 26 millions d’habitants. Les estimations sur la croissance

exponentielle des champs cultivés seraient cependant à revoir, comme l’affirme C. von Verschuer. En effet, les estimations effectuées pour les années d’avant 1721 sont faites sur la base d’une monoculture du riz en expansion, sans prendre en compte les autres céréales, pourtant bien cultivées315.

L’explosion démographique nécessite quoi qu’il en soit une croissance au moins équivalente de la production agricole. L’aménagement du territoire voulu par le pouvoir shogunal est prolongé à l’échelon local par les différentes maisons seigneuriales. On voit alors apparaître de nouveaux aménagements portuaires (Osaka, Edo, Nagasaki en particulier), ainsi que l’aménagement de cours d’eau et de voies de communication terrestres316. Ces dernières

311 Carré Guillaume, « L’époque prémoderne » dans Hérail F. (dir) Histoire du Japon, Paris, Hermann, 2010,

p.662.

312 Un chō 町 est presque l’équivalent d’un hectare. 0,991736 ha plus précisément.

313 Verschuer Charlotte von, Rice, Agriculture and the Food Supply in Premodern Japan, New York, Londres,

Routledge, 2016, p.78.

314 Carré Guillaume, « L’époque prémoderne » dans Hérail F. (dir) Histoire du Japon, Paris, Hermann, 2010,

p.655-658.

315 Verschuer Charlotte von, Rice, Agriculture and the Food Supply in Premodern Japan, New York, Londres,

Routledge, 2016, p.77-78.

316 Carré Guillaume, « L’époque prémoderne » dans Hérail F. (dir) Histoire du Japon, Paris, Hermann, 2010,

sont indispensables au bon approvisionnement des grands centres urbains comme Edo ou Osaka, mais les marchandises les plus pondéreuses continuent d’être transportées par bateau. La croissance de la demande urbaine stimule le commerce de la production agricole317. À partir de la seconde moitié du XVIIe siècle apparaissent les premières politiques de

développement de la production agricole à dessein commercial, donc pour la vente sur les marchés des villes. La hausse de la production agricole est certes en partie absorbée par la hausse de la population, mais les surplus dégagés par les paysans alimentent les circuits commerciaux, et Osaka devient la principale place d’échange des produits agricoles, dont le riz.

Parallèlement à l’accroissement de la surface agricole utile s’ajoute une amélioration de la force productive, et l’on assiste à la naissance des conditions permettant une augmentation des rendements, grâce aux progrès dans le domaine technique. En effet, la production agricole a réellement décollé avec l’apparition de nombreuses innovations et améliorations des techniques agricoles de l’époque Edo : irrigation, labour, fertilisation, égrenage, décorticage, etc.318.. De nouveaux engrais sont aussi utilisés, comme la sardine

séchée ou les tourteaux de céréales. Alors que les engrais verts ou humains étaient limités par la production de la propriété, les nouveaux engrais sont commercialisés, et les propriétaires aisés peuvent en faire plus largement usage. C’est le cas notamment dans les régions de l’ouest du Japon et pour des cultures commerciales comme le coton ou le thé. Ainsi, la productivité globale de la surface agricole augmente grâce à la double et la triple culture annuelle, permettant d’alterner, sans période creuse, les plantations de légumes ou de céréales autre que le riz319. Les surfaces agricoles sont constamment occupées et les paysans peuvent alterner culture de légumes et de céréales toute l’année. L’outillage agricole s’améliore également, notamment à partir de l’ère Genroku (1688-1703). C’est à cette époque que commence à être utilisée la houe à dent (bitchū guwa 備中鍬) pour le labour profond ou

317 Ibid., p.682.

318 Verschuer Charlotte von, Le riz dans la culture de Heian, mythe et réalité, Paris, Collège de France, Institut

des Hautes Etudes Japonaises, 2003, p.99-106.

319 Baumert Nicolas, Hata Yūki 畑有紀, Ito Nobuhiro 伊藤信博, « L’uniformisation des productions agricoles à

l’époque d’Edo : des savoirs géographiques biaisés à l’origine de crises », Géographie historique, n°9 novembre 2016.

encore l’érussoire (senba koki 千歯扱き) dont l’efficacité par rapport à l’ancien peigne à érusser (kokibashi 扱箸) est remarquable. Le tarare (tōmi 唐箕) et le grand van incliné (sengoku dooshi 千石簁) sont également utilisés comme instruments à nettoyer les grains. Quant à l’élévation d’eau, le changement se fait entre les anciennes chaînes à palettes (ryū

kossha 竜骨車) et des roues à palettes simples (fumiguruma 踏み車). À l’ère Genroku, les

engrais commerciaux (tourteau, sardine séchée) sont largement commercialisés, et principalement utilisés dans la production agricole marchande non vivrière (coton et tabac, surtout)320.

Avec la hausse rapide de la production agricole, une certaine aisance économique fait son apparition, ce qui permet l’accroissement des terres affectées à la production agricole marchande non vivrière. S’intensifient ainsi la production de mûrier à papier, celle du chanvre, celle du coton pour l’industrie du vêtement, mais aussi du colza, de l’indigotier, du thé ou du tabac. On observe alors une spécialisation de chaque région dans une production, ce qui rend possible un plus grand profit économique. Cela entraîne de fait la naissance des spécialités régionales comme le thé d’Uji, l’indigo d’Awa ou le raisin de Kai. Les matières premières ont cependant assez peu changé depuis l’époque Heian, comme le note Itō Nobuhiro321. Ainsi, d’après l’Inventaire des productions des diverses régions durant les ères Kyōhō et Genbun (Kyōhō Genbun shokoku sanbutsu-chō 享保元文諸国産物帳), recensement botanique national ordonné par Tokugawa Yoshimune 徳川吉宗 (1684-1751) et mené de 1735 à 1738, cinquante espèces sont des légumes cultivés parmi les 88 espèces répertoriées. 42 régions du Japon sont concernées par cet inventaire. D’autres ouvrages comme le Kefukigusa 毛吹風322

ou le Guide géographique de la région de Yamashiro (Yōshū fushi 雍州府志) produisent aussi un inventaire des productions agricoles du pays. Ils donnent une idée des principaux produits agricoles du Japon de la première moitié de l’époque Edo. On y découvre en particulier un

320 Verschuer Charlotte von, Rice, Agriculture and the Food Supply in Premodern Japan, New York, Londres,

Routledge, 2016, p.79-87.

321 Itō Nobuhiro 伊藤信博, « Productions agricoles et mesures contre les famines aux époques de Muromachi et

d’Edo », Géographie et cultures, 86, 2013, p.31-47.

322 Célèbre dictionnaire des mots de saison pour les poèmes haiku, de Matsue Shigeyori 松江重頼 (1602-1680),

effort d’uniformisation des cultures323, car la production des mêmes types de légumes semble avoir été encouragée à travers le pays. Les rares produits qui font leur apparition à cette époque sont la pomme de terre et le maïs, apportés d’Amérique par les Européens à la fin du XVIe siècle.

Sur l’ensemble de la période Edo, on constate donc des progrès très importants dans le domaine agricole, avec une accélération des innovations techniques au mitan de l’époque, autour de l’ère Genroku.

323 Itō Nobuhiro 伊藤信博, « Productions agricoles et mesures contre les famines aux époques de Muromachi et