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autour d’un jeu grammatical en ligne

2 Ancrage théorique

2.1 Ressources numériques et enseignement/apprentissage du langage écrit

À l’heure actuelle, diverses ressources numériques spécifiques sont utilisées ou développées dans le domaine de l’enseignement/apprentissage du français. Sont visés des objectifs précis2 :

- en compréhension ; - en production textuelle ; - sur le plan phonologique;

- dans les domaines syntaxique et morphosyntaxique ; - en orthographe lexicale et phonétique.

Suivant les intentions pédagogiques, l’outil numérique endosse des formes originales et ajustées au contenu. Bien qu’elles concourent à mieux appréhender l’incidence des ressources numériques sur la motivation et la participation des élèves, leurs compétences à planifier des tâches et leurs capacités d’analyse des informations, ces recherches questionnent rarement le bénéfice des TIC sur les processus d’acquisition/apprentissage des élèves dans le domaine du langage écrit et ne renseignent pas sur leurs éventuels progrès (Cuko, Geoffre & Alvarez, 2019). De même, peu d’informations sont fournies sur les démarches explicites des professionnels pour guider les enfants/élèves à exploiter au mieux cet outil en vue de construire des

1 Par commodité d'usage dans ce manuscrit, nous utilisons le féminin pour désigner la fonction de logopédiste/orthophoniste

2 Pour plus de détails, se référer à l’article de Cuko, Geoffre & Alvarez, 2019.

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L’Orthodyssée des Gram

compétences langagières précises. C’est ce que propose notre étude centrée conjointement sur les stratégies d’étayage des adultes et les processus d’acquisition / apprentissage des enfants.

2.2 Stratégies d’étayage et processus d’acquisition/apprentissage du langage

Indissociable de la perspective interactionniste, le concept d’étayage (Vygotski (1934/1997 ; Bruner, 1983) est déterminé par une asymétrie de compétences entre les partenaires d’une dyade. Grâce à un processus d’échafaudage («scaffolding process», Vygotski, 1934/1997), un enfant parvient non seulement à dépasser une éventuelle difficulté dans la résolution d’une tâche3, mais également à se saisir d’une possible opportunité d’apprentissage (Rodi, 2018). Co-construites au sein de formats (Bruner, 1983)4, ces structures interactives, dont le déroulement est invariant, offrent des conditions optimales pour l’actualisation de processus d’apprentissage, car elles exploitent la zone proximale de développement de l’enfant (Vygotski, 1934/1997). Sur le plan linguistique, les verbalisations de l’adulte sont donc directement subordonnées à celles de l’enfant. À ce niveau, l’étayage linguistique peut être défini comme une co-élaboration de productions verbales, ce processus étant ou non la conséquence d’une requête, d’une prévention ou d’une correction (Hudelot, 2005). Au-delà d’un simple apport d’informations, ces interventions sont une somme de conduites polysémiques guidant l’enfant sur différents plans, à la fois linguistique, cognitif, et relationnel. Les modalités d’étayage (étayage de la tâche ou étayage linguistique, de Weck & Salazar-Orvig, 2019)5 vont différer en fonction de l’intention et du genre de tâche. Ainsi est-il possible de distinguer :

a) le cadrage (Hudelot, 2005) ou régulation (de Weck & Salazar-Orvig, 2019), basé sur le déroulement même de l’activité ;

b) le guidage (op.cit.), dont l’objectif est de faire participer l’enfant à la tâche en fonction du rôle attendu. L’adulte produit alors des instructions, des initiations (Hudelot, 2005) ou des relances (Hudelot, 2005 ; de Weck & Salazar-Orvig, 2019) de l’échange, qui peuvent prendre la forme de questionnements anticipatifs ou proactifs ou encore d’injonctions (Hudelot, 2005) ;

c) la prise de parole à la place de l’enfant avec une induction précise de son discours, par exemple en amorçant l’énoncé (ébauche verbale) ou en le reformulant (op. cit) ; d) l’évaluation ou ratification à posteriori des énoncés de l’enfant (op. cit).

Appliquée à des moyens de médiation numériques, la modalité d’étayage sur la tâche implique de manière cooccurrente, et spécifique, un soutien technique lié à la manipulation de l’outil numérique (Tsourapi, Komis, & Baron, 2018). Néanmoins, ce soutien à des verbalisations techniques ne doit pas être supérieur aux régulations

3 6 fonctions sont définies pour l’étayage d’une tâche : l’enrôlement, la réduction des degrés de liberté, le maintien de l’intérêt sur la tâche et de l’attention sur les éléments pertinents de celle-ci, le contrôle de la frustration et la présentation de modèles de solutions (Wood, Bruner &

Ross, 1976)

4 A savoir des « échanges habituels qui fournissent un cadre pour l’interprétation concrète de l’intention de communication entre mère et enfant » (Bruner, 1983, p.171)

5 Étude concernant des enfants de 5 à 7 ans en interaction avec leur mère.

Environnements Informatiques pour l’Apprentissage Humain 2019

linguistiques, qui démontreraient, dans ce cas, une manipulation trop coûteuse de l’outil informatique.

Cet ancrage théorique justifie notre procédure d’analyse des stratégies d’étayage produites dans les dyades logopédiste – enfant lors de la manipulation de L’Orthodyssée des Gram ».

3 Méthodologie

3.1 Objectif et hypothèses

L’objectif général de l’application « L’Orthodyssée des Gram » vise le développement d’un raisonnement métalinguistique, au-delà de la seule plausibilité sémantique : l’enfant est amené à réfléchir sur les liens entre les mots variables de la phrase (chaines d’accord) et à tester la grammaticalité des phrases potentielles. C’est à ce moment-là qu’il peut être amené à verbaliser sa démarche s’il travaille accompagné d’un adulte.

Ainsi, en plus de tester l’utilisation de l’application et son éventuelle capacité à faire évoluer la réflexion des enfants/élèves, nous souhaitons vérifier deux hypothèses.

D’une part, que les activités langagières proposées sont un vecteur pertinent pour accéder aux processus d’acquisition/apprentissage de l’enfant/élève, d’autre part qu’il est envisageable d’extraire des stratégies d’étayage spécifiques des professionnels pour le guider et exploiter efficacement le moyen de médiation. Nous supposons qu’un format (Bruner, 1983) caractéristique d’échanges entre les stratégies d’étayage et les raisonnements métalinguistiques de l’enfant va se profiler.

3.2 Récolte des données

Une première phase d’expérimentation est proposée à 3 logopédistes travaillant dans un cabinet indépendant avec des patients présentant des troubles du développement du langage écrit (6A03.0 / 6A03.1: Developmental learning disorder with impairment in reading and written expression6). Une seconde phase, en cours d’élaboration, est prévue en milieu scolaire. Concernant la première phase, sujet de cet article, nous avons recueilli nos données par le biais des enregistrements d’interactions logopédiste-patient7, au moyen du logiciel Apowersoft®8. Ce logiciel permet d’enregistrer simultanément l’audio des verbalisations des interactants et la vidéo des actions de l’enfant à l’écran. Après avoir requis un consentement parental, l’application

« L’Orthodyssée des Gram » est soumise à des patients, âgés entre 7 et 13 ans (4 au total), une fois par semaine, durant 10 séances. L’activité des « Tirettes » est proposée en premier lieu mais la logopédiste peut ensuite sélectionner un autre mode de jeu selon ses objectifs. L’enfant effectue un seul parcours de questions par séance et par mode de jeu. Quant à la logopédiste, elle étaye l’enfant selon ses pratiques thérapeutiques, pour

6 Classification Internationale des Maladies : CIM11 (ICD-11 version 2018).

7 En l’absence d’un expérimentateur afin de ne pas perturber la dynamique des échanges.

8 Disponible à l’adresse : https://www.apowersoft.fr/apowersoft-enregistreur-decran-gratuit.

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L’Orthodyssée des Gram

atteindre les objectifs qu’elle a déterminés. Le choix du niveau scolaire de l’activité dépend de l’évaluation des compétences orthographiques de chaque enfant (niveau propre). Il est choisi par la logopédiste.

3.3 Analyse

Nous disposons à ce jour d’un corpus de 40 séances. Ces séances sont transcrites au moyen de l’application ExpresScribe® et intégrées dans une grille. Notre méthode d’analyse est issue d’une démarche qualitative ascendante : à partir de maintes lectures du corpus transcrit, nous identifions des critères nous permettant de caractériser les stratégies d’étayage et les justifications de choix morphographiques effectués par les enfants. Une grille d’analyse réunit ces critères afin de classer les données et d’en obtenir une représentation simplifiée. Les stratégies d’étayage et les verbalisations métalinguistiques des enfants sont segmentées en interventions9 afin de parvenir à les catégoriser précisément. Ces catégories (résumées dans le tableau 1) servent à décrire la construction des échanges et leur fonctionnement dans chaque interaction.

Tableau 1 Catégories d'analyse des stratégies d'étayage

Trois niveaux d’analyse (Tableau 1) qualifient les stratégies d’étayage : la modalité, la forme, ainsi que le niveau linguistique.

a) La modalité de l’étayage permet de préciser si les stratégies concernent une régulation de l’activité (REGA, tableau 1), à savoir le cadrage et le déroulement de la tâche, une régulation métalinguistique (REGM, tableau 1), centrée sur le raisonnement morphographique qu’exige l’activité langagière ou encore une ratification (RAT, tableau 1), qui permet de clore un échange (voir exemple 2, L17).

b) La forme de l’étayage dépend de la modalité. Ainsi, les régulations (REGA ; REGM) sont réalisées principalement sous forme de consignes (CONS : instructions, explications sur le fonctionnement de la tâche) ou de relances (REL : sollicitations pour poursuivre l’activité ou approfondir le raisonnement) (exemples 1 et 2) ; alors que pour les ratifications (RAT), il peut s’agir d’une acceptation (A, tableau 1) de la proposition de l’enfant ou d’une évaluation (EVAL) de celle-ci, principalement sous forme d’un feed-back positif (exemple 3). Nous illustrons les formes d’étayage (REGM et REGA)

9 Une intervention est un énoncé possédant une même valeur fonctionnelle (valeur illocutoire/genre discursif). Deux interventions différentes d’un même locuteur sont séparées par une pause, et/ou possèdent une valeur fonctionnelle différente (Bernicot, 1992).

Niv 1 Modalités REGA REGM RAT

Niv 2 Forme Consignes CONS Consignes CONS Évaluations EVAL Relances REL Relances REL Acceptations A Action non verbale ACT

Niv 3 Niveau linguistique

Injonctions INJ Commentaires COM Demandes de clarification DCLA Demandes de confirmation DCONF

Ébauches EB Reformulations REF

Réponse R

Environnements Informatiques pour l’Apprentissage Humain 2019

à l’aide de trois exemples Le premier exemple se situe au début d’une séance de la dyade Noé – logopédiste A.

Exemple de forme d’étayage 110: REGM

La logopédiste introduit le jeu (TDP 1 à 4). Pour ce faire, elle produit une série d’interventions de type consignes visant à préciser le déroulement de l’activité langagière (L1 ; L3). Quelques tours de parole plus tard (TDP 10 – 12), suite au choix que l’enfant verbalise (N10), la logopédiste produit une demande de confirmation (L11), qui a une fonction de relance (REL) sur le plan métalinguistique (de type : « la phrase est-elle grammaticalement acceptable ? »), puisqu’elle incite l’enfant à effectuer un raisonnement, afin de confirmer ou non sa sélection.

Dans l’exemple 2, l’enfant vient de terminer une tâche de l’activité.

Exemple de forme d’étayage 2 : REGA

Après avoir lu les mots de l’item (N18), Noé tente avec peine de sélectionner une tirette. L’intervention de la logopédiste (L19 : CONS) a pour fonction d’expliquer la manière de s’y prendre pour parvenir à effectuer la sélection. A noter que les régulations de l’activité peuvent aléatoirement être réalisées par une action non verbale (ACT) (sélectionne un item à la place de l’enfant, par exemple).

L’exemple 3 présente un échange ayant lieu lorsque Noé vient de terminer avec

TDP LOC INTERVENTIONS Modalité Forme

1 L alors tu vois i(l) y a une phrase écrite / REGM CONS

TDP LOC INTERVENTIONS Modalité Forme

17 L hé ! ça dit / bravo / tu as réussi ! / RAT

Exemple de forme d’étayage 3 : RAT

La logopédiste produit 3 interventions (L61) visant à ratifier sa proposition. D’une part, elle valide la réponse (première et troisième intervention), d’autre part, elle l’évalue positivement (deuxième intervention).

c) Le niveau linguistique de l’étayage permet de qualifier l’intention communicative du locuteur. Les interventions des logopédistes sont catégorisées selon 7 types d’intentions (tableau 1) : des demandes de confirmation (DCONF) et de clarification (DCLA), des injonctions (INJ), visant à faire agir l’enfant, des commentaires (COM) sur les actions des locuteurs, des ébauches (EB), visant à amorcer l’intervention de l’interlocuteur, des reformulations (REF), qui peuvent agir comme ratifications ou comme expansions d’une intervention de l’enfant, et des réponses (R) à une demande de ce dernier.

Ces catégories, ainsi que celles que nous avons définies pour analyser les raisonnements métalinguistiques des enfants, nous permettent de réaliser une segmentation du corpus en « séquences » d’acquisition/apprentissage métalinguistique11 (SAAM), à savoir une suite d’échanges activant des processus acquisitionnels de type justifications métagraphiques, initiée par un des locuteurs (une demande, par exemple) et concernant un objet d’apprentissage langagier. La fin d’une séquence est généralement marquée par une ratification. Les séquences sont dénombrées sur la totalité du corpus. Grâce à cette segmentation, la dernière étape de notre analyse vise la définition de profils des processus acquisitionnels ayant lieu dans les interactions logopédiste – enfant (un format de séquence) et l’établissement de liens entre 1) les stratégies d’étayage des logopédistes, 2) les objectifs des activités et 3) les compétences actualisées par les enfants lors d’activités langagières en cours d’utilisation de l’application l’Orthodyssée des Gram.

4 Exemples d’analyse d’une séquence d’acquisition/apprentissage

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