Les Anciens de Bordères

Les riverains sont d’abord hésitants à définir les saligues en tant que telles, soulignant qu’ils ne savent pas vraiment ce que c’est, sous entendant qu’ils ne sont pas experts et ne possèdent pas de formation dans le domaine.

Lorsqu’ils se lancent, ils définissent les saligues avec des éléments communs aux définitions des institutions, mais le regard est tout de même différent ; les Anciens signalent un milieu, « pauvre » et « sale », inculte pour les cultures mais insistent sur son intérêt productif pour l’élevage :

« Le terme moi, petit, me déplaisait. Ça faisait sale saligue. Haha, c’est bête à dire ça.

[…]Pour moi heu, les saligues, heu, c’est très pauvre quoi, … c’est pas …heu… c’est du sable et des cailloux et et… ce qui peut, verser, et ce qui peut pousser quoi. C’est pas noble, comme heu, comme végétation. C’est pas noble, comme heu, comme

181 _{Conseil Général des Landes, Saligue de Bordères-Cazères-Renung. Plan de gestion transitoire 2006-} 2009 [Rapport], Mont-de-Marsan, Conseil Général des Landes Direction de l’Environnement et Institution Adour, 2006, p.68

végétation. Pas de chênes, ‘fin ya pas de, des saules et bon, mais … une, une, une berge, heu c’est beaucoup plus riche, comme vég, comme espèces arbustives ; chênes, châtaigniers, et heu ‘fin… des espèces pauvres quoi qu’on a là. Mouais, du peuplier peut y avoir, bon, c’est déjà différent, mais tout ça c’est balayé ! quand il pleut et tout ça c’est tout noyé quoi. […]Alors j’avais pas, petit, saligue, c’est pas un mot joli saligue. C’est pas un mot joli. Enfin, moi petit, saligue, c’était heu, les saligues, c’était, heu bon l’espace ! L’espace de, de de, heu, de divagation, heu, voilà. Saligues, saligas. »182

« - saliga, saliga, moi je sais pas exactement qu’est-ce que c’est. […] c’est les terrains heu, qui sont heu, bon,

- à tout le monde !

- on peut, on peut pas définir quoi, parce que le saliga c’est de l’herbe qui pousse l’été, mais heu, pour, y semer quelque chose heu… on peut pas, je pense qu’on pourrait pas y semer quelque chose quoi.

- c’était autrefois ombragé, parce qu’il y avait beaucoup d’arbres, y’avait de l’herbe. voilà ; c’était ombragé, on pouvait aller heu, moi j’y allais chercher le sapin de Noël, jsais pas, c’était, heu …jsais pas, c’était, c’était vert ; […]

- y’a de l’herbe, je sais pas comment le définir le saliga. Un saliga, bon ; c’est une terre où où on peut y mettre des vaches mais c’est tout, après heu … bon,

- il y poussait beaucoup de végétation, ouais voilà. Et … »183 Un autre couple nous dit :

« - … je n’ sais pas. - pour vous,

- pour moi, c’est c’est des ronces, des saligues c’est des ronces. Des ronces, des, des herbes, quelque chose de, de, de pas organisé quoi si vous voulez. C’est pas une plantation organisée. Hé mamie, qu’est ce que c’est une saligue pour toi ?

- une saligue ?!

- le saliga qu’est ce que c’est ? […]

- le saliga, ça nous évoque, heu … heu, le bord de l’Adour avec des peupliers, de l’herbe, heu… un étang,

- et alors, c’est la broussaille ! - heu, un étang. Oui. […] »184

182 _{JC, 60 ans, retraité, employé à l'ARS de la DDASS, élu local, le 27/03/14}

183 _{GD, 74 ans, retraité, ancien ouvrier de la gravière et fils de charron, et MD, 68 ans, retraité, femme de} ménage, fille de métayers, le 02/04/2014

C’est donc un milieu pauvre, inculte, où seules les vaches peuvent paître. Cette vision de milieu pauvre parait contrastée avec la vision naturaliste qui insiste sur les richesses faunistiques et floristiques. Elle peut aussi paraître surprenante à la vue des nombreux usages qui se déroulaient dans les saligues et les différentes ressources naturelles qui étaient prélevées par les familles.

Ce décalage peut être expliqué en partie par les différents sens accordées aux mots saligues et saligas. La saligue, « lo saliga », peut désigner toute la zone de bord d’Adour, c'est-à-dire les boisements, les espaces plus ouverts, les bancs de graviers, les berges boisées, les plans d’eau, les bras morts… « Quand on allait, quand on parlait de saliga, c’était, c’était le, le bord de l’Adour quoi. »185

Mais « lo saliga » peut faire référence uniquement à une partie de cette zone, la zone semi-boisée semi-enherbée, ces zones de pâturages, d’ilots de ronciers, … que les riverains qualifient volontiers de sale, de pauvre et de désordonné, en opposition aux zones plus arborées et vertes.

Ainsi les saligues revêtent différentes réalités, et bien que les riverains aient une facilité à lui attribuer des adjectifs péjoratifs dans leurs définitions, cela cache une vision positive de la saligue et une affection particulière pour cet espace. Le chapitre suivant développera les valeurs affectées aux saligues par les riverains en revenant sur les changements qu’ils ont connus depuis le début des années 1900.

II. Paroles d’Anciens : « lo saliga », d’hier à aujourd’hui

Dans ce chapitre, nous approfondirons les représentations des riverains, des Anciens de Bordères vis-à-vis de la saligue. Quels sont leurs regards sur ce paysage? Les saligues de leur enfance, les saligues d’aujourd’hui... Quelles valeurs y affectent-ils ? Nous nous appuierons notamment sur les valeurs définies par Droz et al pour caractériser les représentations paysagères des riverains enquêtés. Nous aborderons tout d’abord la vision des saligues « d’antan », du souvenir de leur jeunesse, avant les transformations importantes du

184 _{AC, 85 ans, retraité, ancien pompier forestier et fils de métayer, et JC, plus de 80 ans, retraitée salariée et fille} de petits propriétaires, le 18/04/2014

milieu physique par l’extraction de granulats en lit majeur et les travaux d’aménagements. Nous étudierons ensuite les regards portés sur le Site de l’Institution Adour.