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PARTIE 3 : PRECONISATIONS POUR LA MISE EN ŒUVRE DE

3.3. Veiller pour décider : un lien à construire

3.3.3. Analyser, discuter, enrichir

Un bon moyen de mesurer l’adéquation d’une information de veille à sa bibliothèque consiste à se lancer dans son interprétation. Or, cette étape est souvent négligée dans un processus de veille, dans la mesure où elle n’est servie par aucun outil technique et où elle réclame une intervention purement humaine. Ainsi que le souligne Christophe Robert :

« Comme le fait remarquer Thomas Chaimbault, « le processus s’arrête souvent au niveau de la récolte et faiblit au niveau de l’analyse et de la diffusion »: la veille pure n’a pas d’intérêt en soi : rendre compte, capitaliser, conserver pour avoir accès à l’information au bon moment font pleinement partie du processus230.»

Qu’est-il possible de mettre en place pour favoriser l’interprétation de l’information de veille ?

Le blog, espace propice à l’interprétation

Comme nous l’avons déjà souligné231

, la forme du blog est propice à l’interprétation de l’information de veille : la rédaction d’un billet autour d’une ou plusieurs informations suppose en effet que soit franchie cette étape d’interprétation qui rend l’information signifiante. Nous pouvons d’ailleurs supposer que l’approfondissement offert par les billets de blogs a beaucoup contribué à leur succès dans la profession.

227 Didier FROCHOT. Art. cit.

228 Pierre MARIGE. Art. cit. 229 Cf. supra, p.62.

230 Christophe ROBERT. Art. cit., p.64. 231 Cf. supra, p.31.

Les blogs constituent en ce sens un outil intéressant pour l’interprétation des informations de veille. Les expériences menées dans les établissements montrent néanmoins qu’il peut être difficile d’amener des veilleurs souvent très occupés à contribuer régulièrement à l’alimentation d’un blog. Les animateurs de Prospectibles232 et de Bambou233 expliquent ainsi produire eux-mêmes la majeure partie des billets. Si d’autres blogs de bibliothèque234

parviennent à mobiliser davantage de contributeurs, ils sont en général plus orientés vers le partage d’expériences, ce qui facilite souvent les appels à participation.

L’information commentée

L’objectif devient alors de trouver un système qui permette au contributeur de définir en quelques lignes pourquoi l’information lui semble pertinente et significative dans le cadre de la bibliothèque. Nous pouvons, pour enrichir notre démonstration, évoquer un exemple de veille collaborative mise en place par le département Recherche et développement d’Essilor235. Dans ce dispositif, il s’agit

d’« encourager tout collaborateur interpellé par un sujet à rédiger une note de veille et d’exploiter ces notes de veille dans une perspective d’innovation236

. » Sur l’intranet, le professionnel remplit un formulaire où il indique le titre, l’auteur, le thème, la source ainsi que l’intérêt potentiel de l’information pour l’entreprise. Ce système repose sur les fiches de captage ou de lecture proposés par Humbert Lesca dans sa méthode d’implantation de dispositif de veille stratégique237

. Ces fiches fonctionnent selon le mécanisme suivant : le veilleur repère une information qui l’interpelle, il la formalise sur un support prédéfini à l’avance, il explique dans un commentaire pourquoi cette information lui a paru intéressante. Il adresse la fiche ainsi créée soit à l’animateur du dispositif soit directement à la personne susceptible de l’utiliser.

Un tel dispositif présente à la fois des avantages et des inconvénients : il pousse le contributeur à s’interroger, avant diffusion, sur l’adaptation de l’information de veille au contexte de l’établissement. Il contribue à la légitimation de la veille en rendant explicite le lien entre l’information recueillie et l’action de la bibliothèque. En revanche, dans une bibliothèque encore peu sensibilisée à la veille, il peut constituer un frein, notamment pour les catégories B et C, puisqu’il ne suppose pas seulement de diffuser une information de manière neutre, mais aussi de s’impliquer dans cette communication en émettant une opinion sur l’évolution de la bibliothèque. Le rôle de l’animateur du dispositif devient alors déterminant. Il met les contributeurs en confiance, en accueillant et en valorisant les premières informations de veille transmises, y compris lorsqu’elles ne transitent pas par les canaux proposés.

232 Le biblio-blog de la bibliothèque de Sciences Po, entretien avec Dinah Galligo, chargée de la prospective et

des nouveaux outils de signalement, Bibliothèque de Sciences Po, 30 août 2012.

233 Le biblio-blog de la MIOP, entretien avec Jérôme Pouchol, responsable de la politique documentaire et

fondateur de Bambou, Médiathèque Intercommunale Ouest-Provence, 5 juillet 2012.

234 Par exemple Premier Mardi, le blog de la bibliothèque Sainte -Barbe, ou l’Alambic numérique, du service

Bibliothèque numérique de la BCIU.

235 Cet exemple est tiré de Florence GICQUEL, Aref JDEY. Op. cit., p.43-47. 236 Ibid. p.43.

Partie 3 : Préconisations pour la mise en œuvre de dispositifs de veille

GÉROUDET Marie-Madeleine| DCB | Mémoire d’étude | Janvier 2013 - 75 -

Les lieux de l’interprétation

L’interprétation d’une information par le veilleur lui-même apparaît comme une première étape dans son analyse : dans le dispositif mis en place par Essilor, les notes de veille sont ensuite traitées et étudiées dans des réunions auxquelles chacun est libre de participer de manière ponctuelle ou régulière. L’organisation d’échanges de ce type constitue de fait un moyen pour étendre la portée de l’information de veille à l’ensemble de la bibliothèque : comme le souligne Raphaële Gilbert, l’organisation de réunions brainstorming fait partie des leviers que l’on peut utiliser pour « éviter de faire de l’innovation une démarche à part238. »

L’analyse de la veille dans des réunions spécifiques pose néanmoins le problème majeur de la disponibilité des professionnels : comme en témoigne un animateur de dispositif interrogé par Humbert Lesca, les responsables « sont facilement absents des réunions sous prétexte qu’autre chose est plus urgent pour eux à ce moment-là239. » Au sein des bibliothèques, il paraît ainsi plus réaliste d’intégrer l’analyse de la veille à des réunions déjà prévues : pour Raphaële Gilbert, l’information de veille a donc vocation à irriguer l’ensemble des réunions qui se tiennent dans l’établissement, des réunions de service au comité de direction, en passant par les groupes de travail réunis autour de projets spécifiques240. Dans les réunions de cadre comme dans les réunions générales, le temps dédié à la discussion autour d’informations de veille gagne à être systématisé : il ne s’agit pas nécessairement d’un temps très long, mais d’un moment exclusivement dédié à l’analyse de l’environnement de la bibliothèque. Inciter à l’interprétation de la veille revient de fait à encourager la prise de recul par rapport à la gestion des tâches quotidiennes. La sanctuarisation de ce temps dédié à la veille apparaît également comme une bonne occasion pour valoriser le travail des veilleurs. Enfin, lorsque les réunions portent sur un projet spécifique, les informations discutées doivent venir en soutien des décisions à prendre. Cela implique que la veille n’existe pas seulement sous la forme d’un flux, mais qu’elle soit également stockée, catégorisée et accessible à tous.

Le sens de l’à-propos… ou pourquoi stocker la veille

« Beaucoup d’informations sont disponibles, par des canaux très différents : mais comment organiser toutes ces informations pour en disposer au bon moment241? »

Prisonnière d’un flux, l’information de veille court le risque de disparaître et de s’avérer inutilisable au moment opportun. L’opération de stockage de l’information n’est donc en rien facultative : elle se situe au cœur du dispositif et doit permettre au professionnel de se saisir de la veille en fonction de ses besoins. Des outils de gestion partagée des liens à la création de dossiers sur un intranet ou un portail professionnel242, il existe de nombreux moyens de stocker l’information de veille dématérialisée. L’essentiel est de trouver les catégories et les tags qui,

238 Raphaële GILBERT. Art. cit., p.45.

239 Un animateur de dispositif de veille, cité par Humbert LESCA. Op. cit., p.55.

240 Entretien avec Raphaële GILBERT, directrice de la médiathèque de Châtillon, 5 octobre 2012. 241 Une bibliothécaire en BM.

utilisés par tous, permettront de garantir l’accessibilité des données. Plus difficile est l’opération qui permet de transformer la donnée informelle, acquise au cours d’une conversation ou dans le cadre d’une journée d’études en une information réutilisable. Comme le souligne Antoine Fauchié, certains professionnels ne voient pas l’intérêt d’inscrire sur un support l’information qu’ils gardent par ailleurs en mémoire243. Une solution consiste alors à proposer une formalisation minimale qui renvoie au détenteur de l’information : cela peut passer par une rubrique « j’y étais » où chacun peut signaler sa présence à une rencontre ou à une formation à l’extérieur de la bibliothèque ou par une rubrique « choses vues » où l’information peut prendre la forme d’une brève de deux à trois lignes. L’objectif devient alors de construire un système de catégorisation des informations qui permette la remontée de ces données courtes au moment de la recherche. L’organisation du stockage s’inscrit ainsi dans une stratégie globale de diffusion de la veille.

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