Chapitre II : Réactivité rédox de la porphine de magnésium
3. Etude électrochimique de la porphine de magnésium
3.1. Analyse voltammétrique
Le comportement électrochimique de MgP a été examiné sur l’ensemble de la fenêtre
accessible des potentiels (-2,1 à 1,5 V/ECS, Figure II-5) avec des directions initiales anodique
et cathodique. Dans la direction anodique, la porphine de magnésium est oxydée en deux
étapes à 0,69 (O1) et 1,09 V/ECS (O2). La première étape semble être presque totalement
réversible (système O1/R1 : i
p(O1)/i
p(R1) ~ 1) contrairement à la deuxième étape qui est
irréversible (aucun pic en vis-à-vis de O2 au balayage retour). Dans la direction cathodique,
deux stades de réduction irréversibles vers -1,55 (R4) et -1,81 V/ECS (R5) sont observés. La
morphologie de la courbe est nettement contrastée entre les parties anodique et cathodique. En
oxydation, les pics sont élargis et mettent en jeu des courants plus intenses, mal défini sur
l’ensemble de la zone de réponse.
*
*
69
-2,0 -1,5 -1,0 -0,5 0,0 0,5 1,0 1,5 R4 R5 R3 R2 R1 O2 O1 2 µAPotentiel (V/ECS)
Figure II-5 Voltammogramme cyclique de MgP (CH2Cl2, C = 5.10-4 M, 0,1 M TBAPF6; électrode de travail : platine; Ø = 2 mm; électrode de référence : ECS; contre-électrode : platine ; v = 100 mV/s; température
ambiante)
Habituellement les métalloporphyrines avec un métal non électroactif tel que le Mg
présentent deux oxydations et deux réductions réversibles. Les deux oxydations sont
attribuées à la formation respectivement du radical cation et du dication tandis qu’elles se
réduisent pour former les radicaux anions puis les di-anions
[51].
Schéma II-4
L’écart de potentiels entre ces différents systèmes redox permet, grâce à des critères de
diagnostic empiriques, d’identifier le site de la métalloporphyrine concernée par la réaction
d’électrode. Ces écarts de potentiels mesurés pour MgP sont proches de ceux de la série de
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l’OEP et la TPP (Tableau II-1). Ces résultats tendent à prouver que les transferts électroniques
affectent uniquement le macrocycle.
Critère de diagnostic[50] E(ox1)1/2– E(red1)1/2 (V) E(ox2)1/2– E(ox1)1/2 (V) E(red1)1/2– E(red2)1/2 (V) Valeur moyenne dans les séries OEP et
TPP
2,15 ± 0,15 0,29 ± 0,05 0,42 ± 0,05
Valeur pour MgP 2,17 0,40 ~ 0,26
Tableau II-1 Ecarts de potentiel pour MgP et les séries OEP et TPP
Dans les cas de l’OEP et de la TPP, les transferts électroniques sont réversibles
contrairement à MgP pour laquelle seul le premier pic d’oxydation semble réversible. La
déviation nette de MgP de ce comportement idéal provient de la grande réactivité des espèces
électrogénérées en raison de l’absence de substituant en périphérie du macrocycle. En accord
avec ces observations, les balayages répétés entre 0 et 0,7 V/ECS conduisent à un dépôt
noir/violet à la surface de l’électrode et s’accompagnent d’une augmentation importante de
l’intensité du premier pic d’oxydation sur le voltammogramme cyclique. Par la suite (dans ce
chapitre), nous reviendrons plus en détail sur ce processus d’électropolymérisation. Sur le
voltammogramme de MgP, le courant du pic O2 est environ 1,7 fois plus intense que celui du
pic O1. Ce même voltammogramme révèle que le pic O2 est plus pointu et symétrique que le
pic O1. Ces résultats semblent indiquer qu’une partie des radicaux cations formés au premier
stade s’adsorbent lentement à la surface de l’électrode. Les radicaux cations, en solution ou
adsorbés, sont ensuite oxydés au niveau du pic O2, expliquant ainsi l’allure intermédiaire du
pic, entre diffusion et adsorption (Schéma II-5).
Ainsi, i
p(O1) varie linéairement avec la racine carré de la vitesse, témoignant d’un
courant de diffusion pure.
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0 10 20 30 40 50
2 µA
1/2
(mV/s)1/2
Figure II-6 Intensité du courant du picO1en fonction de la racine carrée de la vitesse de balayage
Par opposition, au stade O2, la forme non linéaire de la courbe intensité = f(racine
carrée de la vitesse de balayage) indique clairement que le courant est limité à la fois par la
diffusion et l’adsorption (Schéma II-5).
0 10 20 30 40 50
2 µA
1/2
(mV/s)1/2
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Schéma II-5 Attribution des pics d’oxydationLorsque le potentiel d’inversion est situé juste après le pic O2, un pic de réduction de
faible intensité apparaît au balayage retour à 0,24 V/ECS (R3). Par contre, il n’est pas observé
si le potentiel est inversé juste après le pic O1. Cette nouvelle espèce réduite en R3 résulte
donc de l’évolution chimique du dication MgP
2+. En doublant la concentration du produit de
départ, des changements importants sont observés sur le voltammogramme. Le pic de
réduction R3’ apparaît plus nettement avec une forme symétrique indiquant que l’espèce
électroactive est, au moins partiellement, adsorbée à l’électrode. A cette concentration, un
autre pic O3’ situé vers 1,25 V/ECS se manifeste, également attribué à l’oxydation de
l’espèce issue de l’évolution chimique du dication.
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0,0 0,5 1,0 1,5 R3' O2' O1' O2 R3 R1' R2' O3' O1 2 µA Potentiel (V vs. ECS)Figure II-8 Voltammogrammes cycliques de MgP (CH2Cl2, C = 5.10-4 M (courbe noire), C = 1.10-3 M (courbe rouge), 0,1 M TBAPF6 ; électrode de travail : platine ; Ø = 2 mm, électrode de référence : ECS ; contre-électrode
: platine ; v = 100 mV/s ; température ambiante)
Le voltammogramme effectué à une plus forte concentration de MgP permet
d’identifier les premiers intermédiaires initiant le processus d’électropolymérisation. En
premier lieu, les changements observés témoignent de l’ordre multiple des réactions
chimiques consécutives au transfert électronique.
Concernant l’identité de la nouvelle espèce se réduisant vers E
p~ 0,40 V/ECS (R3’) et
s’oxydant vers 1,25 V/ECS (O3’), ces valeurs de potentiel sont conformes à celles d’une
isoporphyrine
[104-107].
Schéma II-6 Mécanisme de formation des isoporphyrines
Une isoporphyrine est habituellement obtenue par addition d’un nucléophile sur le
dication dérivant d’une porphyrine (Schéma II-6). Une isoporphyrine présente une
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conjugaison interrompue au niveau de l’atome de carbone méso ayant subi l’attaque du
nucléophile. Les analyses électrochimiques d’isoporphyrines stables
[52,104,106-107]ont révélé
que ces espèces sont oxydées à un électron de manière réversible à un potentiel légèrement
plus élevé que celui correspondant à la formation du dication porphyrinique et sont réduites à
deux électrons de manière irréversible entre 0,2 et 0,6 V/ECS. Les pics O3’ et R3’ sont situés
dans ces gammes de potentiels, en accord avec la formation de cette espèce au cours de
l’oxydation en O2. Dans notre cas, le nucléophile serait la porphine de magnésium initiale et
l’espèce formée, le dimère dicationique (HMgP)
22+(Schéma II-7). La déprotonation de ce
dernier serait suffisamment lente pour ne pas se réaliser à l’échelle de temps de l’expérience
voltammétrique.
Schéma II-7 Formation de la di-isoporphine doublement protonée à partir de la porphine neutre