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Le thème de l’analyse des politiques publiques et en particulier des instruments d’action publique a vu le jour en France dans le courant des années quatre-vingts grâce aux politistes qui

se sont intéressés aux travaux anglo-saxons sur la question. Dès les années soixante-dix, des

auteurs comme Peter Woll

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ont travaillé sur la question des public policies, devenues « politiques

publiques » dans le vocabulaire français. Pour Yves Mény et Jean-Claude Thoenig, « une politique

publique est le produit de l’activité d’une autorité investie de puissance publique et de légitimité

1

THOENIG Jean-Claude, 1998, « Politiques publiques et action publique », pp. 295-314, in Revue internationale de

politique comparée, vol. 5, n°2, Bruxelles, De Boeck Université, p. 298.

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gouvernementale »

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et en tant que produit, elle est la conséquence d’une définition du problème

et des moyens mis en œuvre par l’action publique pour le régler. S’il existe des politiques

publiques gouvernementales à l’échelle nationale, d’autres demeurent locales et font intervenir

une multitude d’acteurs d’échelons territoriaux très divers : l’un des apports fondamentaux dans

les recherches sur les politiques publiques a été d’interroger la place de l’État dans la conception

des programmes d’action. Parmi les hypothèses qu’ils posent, Yves Mény et Jean-Claude Thoenig

se demandent « quelle efficacité ont les divers outils auxquels l’État a recours »

2

: par là-même, ils

montrent que les politiques publiques prennent appui sur des instruments, choisis par l’autorité

publique. Pour eux, « l’approche en termes de politiques publiques peut se définir à la fois

comme un champ et comme une méthode »

3

; nous irons plus loin en faisant de l’analyse des

instruments de l’action publique patrimoniale une façon de comprendre la patrimonialisation des

espaces urbains. Ce faisant, nous cherchons à répondre aux deux questions auxquelles l’approche

par les politiques s’intéressent selon Jean-Claude Thoenig : « l’une est celle des modalités de

l’intervention publique […] L’autre porte sur l’inventaire des activités que la puissance publique

déploie pour traiter de ses programmes »

4

. À travers l’analyse de l’action publique patrimoniale, il

s’agit de comprendre comment la puissance publique intervient dans la patrimonialisation des

espaces urbains et par quels moyens (avec quels instruments).

L’analyse des politiques publiques implique donc d’appréhender les situations selon une

logique actorielle basée sur la prise de décision. Dans ce cadre, la mise en place des instruments

d’action publique éclaire le chercheur sur les objectifs et les moyens mis en œuvre par les acteurs

pour mener à bien une politique publique. À travers cette approche, c’est tout un pan de l’action

publique que l’on se propose d’étudier : celui de l’arène décisionnelle. Les processus décisionnels

sont au cœur des travaux sur les politiques publiques car ce sont eux qui mettent en avant les

objectifs poursuivis par les acteurs et la façon dont ils sont réalisés. C’est lors de la négociation de

la décision que l’on peut appréhender le rôle de chaque acteur et comprendre en quoi

l’instrument proposé pour réaliser la politique publique serait le plus efficace. Yves Mény et

Jean-Claude Thoenig ont dressé un portrait international des recherches sur les mécanismes de

décision et ont développé par la suite une analyse du système décisionnel dans le cadre de

politiques publiques

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. Parmi les études de cas qu’ils traitent, beaucoup sont des contextes

américains, toujours en avance sur la façon de penser l’action publique. Ainsi, dès les années

soixante, un certain nombre de travaux ont été réalisés sur la question de la décision publique et

de nombreuses conclusions seront développées dans notre travail. L’approche que nous avons

choisie de développer en particulier est celle du jeu car elle implique une analyse des interactions

entre les acteurs. Il s’agit donc de comprendre en quoi il existe des jeux d’acteurs ou un jeu dans

la négociation.

1

MÉNY Yves & THOENIG Jean-Claude, 1989, Politiques publiques, Paris, Presses Universitaires de France, p. 129.

2

Ibid., p. 12.

3

Idem.

4

THOENIG Jean-Claude, 2005, op. cit., p. 287.

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2. L’usage du vocabulaire des politiques publiques

Avant d’aborder l’analyse des interactions des acteurs dans la prise de décision, il nous

faut expliciter certains termes propres aux politiques publiques. En premier lieu, il convient de

noter que le mot « politique » ne s’entend pas au sens politicien du terme mais comme un

dispositif pensé et réfléchi pour traiter un problème donné. La politique publique désigne donc un

ensemble de mesures mises en place par un certain nombre d’acteurs publics en vue d’agir dans

un domaine donné. Ce sont les acteurs, leurs interactions et surtout les stratégies qu’ils mettent

en place qui sont au cœur de l’analyse des politiques publiques. Comme Peter Knoepfel, Corinne

Larrue et Frédéric Varone, nous entendrons par acteur « aussi bien un individu (un ministre, un

député, un journaliste spécialisé, etc.), plusieurs individus (formant par exemple un bureau ou

une section d’une administration), qu’une personne morale (une entreprise privée, une

association, un syndicat, etc.) ou un groupe social »

1

. Cette acception large du concept d’acteur

permet de ne pas exclure de l’analyse un certain nombre de personnes qui ont, de près ou de loin,

une influence dans la construction et la mise en œuvre des politiques publiques. Néanmoins,

l’utilisation du terme sans qualificatif mérite d’être discutée lorsqu’il désigne un acteur collectif,

dans la mesure où en parlant d’acteur (au singulier) on désigne plusieurs individus. La question

centrale demeure alors celle des objectifs communs : en dénommant une organisation par le

terme d’acteur, nous supposons que les individus qui la composent poursuivent le même but. Or,

la réalité est souvent plus complexe et dans son interprétation des travaux de Fritz W. Scharpf,

Émiliano Grossman explique que « l’acteur collectif exige la prise en compte de la dimension

interne et externe. De l’extérieur, il s’agit de déterminer sa capacité à mobiliser les ressources

dont il dispose dans une action stratégique. De l’intérieur, il faut analyser les interactions entre

acteurs internes aboutissant aux actions attribuées à l’acteur collectif »

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. Dans l’étude des

politiques publiques patrimoniales, les acteurs sont rarement de simples individualités, sauf à

considérer que le maire d’une commune agit seul. En réalité, c’est l’administration, sous

l’impulsion d’une décision politique (émanant d’ailleurs d’un groupe de personnes [le Conseil

municipal par exemple]) qui agit et fabrique la politique du patrimoine locale. Au niveau national,

lorsque l’on désigne l’État en tant qu’acteur, il s’agit en réalité de réunir sous ce terme à la fois

ceux qui font les lois et ceux qui les appliquent. Dans ce cadre, l’administration centrale est

considérée comme un acteur aux logiques propres mais dont les individus qui la composent ont

les mêmes objectifs, à savoir l’application d’une politique nationale décidée par le parlement et le

gouvernement. L’administration a même un pouvoir de décision lorsqu’elle applique les textes, ce

qui explique les différences locales de pratiques en termes de protection du patrimoine. Parler

d’action publique patrimoniale est un moyen de regrouper l’ensemble des acteurs publics dans la

1

KNOEPFEL Peter, LARRUE Corinne & VARONE Frédéric, 2001, Analyse et pilotage des politiques publiques, Genève,

Helbing & Lichtenhahn, p. 46.

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BOUSSAGUET Laurie, JACQUOT Sophie & RAVINET Pauline (dir.), 2010, Dictionnaire des politiques publiques, Paris,

Presses de Sciences Po, p. 33.

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fabrique de politiques publiques mais l’analyse de cette action publique nécessite la prise en