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Annexe 6 : Publications

II. Détails des publications

II.2. Analyse des outils de coopération

L’analyse de la structure de l’activité collective a mis en évidence que l’appréhension de son contexte par chacun des acteurs est essentielle au bon déroulement de l’activité. Les outils de travail collaboratif assisté par ordinateur (TCAO) ont pour objectif principal de fournir un environnement de travail partagé par une communauté d’acteurs. L’outil de TCAO médiatise l’activité de groupe afin de couvrir cinq objectifs principaux [David 2001]:

• Obtenir un gain de performance, • Capitaliser la connaissance, • Améliorer les temps de réponse, • Partager les compétences, • Faciliter le travail à distance.

II.2.1 Caractérisation des outils

La caractérisation des outils existants peut s’effectuer en considérant leur dimension spatio-temporelle [Johansen 1988] pour obtenir une matrice espace/temps (cf. Tableau 2). Cette matrice ne permet pas de classer toutes les formes d’outils existants. Pour compléter cette classification, il est nécessaire de s’intéresser aux services rendus par l’outil et ainsi, de caractériser ses fonctions. Dans cet objectif, Ellis et Wainer [Ellis and Wainer 1994] proposent un cadre d’analyse guidé par l’étude de trois aspects descriptifs :

• L’aspect ontologique qui définit les objets manipulés lors de la coopération ainsi que les opérations pouvant être accomplies sur ces objets,

• L’aspect coordination qui définit l’organisation et les relations entre les activités des participants,

• L’aspect interface qui définit les interactions possibles entre les acteurs de la coopération et l’outil.

Espace\Temps Même temps Temps différents Même lieu Réunion face à face

Vidéo-projecteur Tableau blanc Mémo Salles de conférences Mémoire électronique Intranet Kiosque électronique

Partage des fichiers

Lieux différents Réunion Virtuelle

Vidéo/ Visio conférences

Partage d’Application

Editeur Synchrones

Shared offices (MediaSpace)

Coordination permanente

Courrier électronique, Internet

Forum

Workflow

Outils d’éditions en groupe

Tableau 2 : La matrice Espace/Temps

Cette décomposition tripartite a inspiré la définition du trèfle fonctionnel [Salber, Coutaz et al. 1995] définissant trois espaces de coopération dans lesquels les fonctions sont en cohésion (cf. Figure 58). L’espace de production permet aux acteurs d’agir ensemble sur des données partagées, l’espace de communication leur permet d’échanger de l’information et l’espace de coordination leur permet de planifier leurs activités respectives.

Production Coordination

Communication

Figure 58 : Le trèfle fonctionnel

Dans cette version du trèfle, l’espace de communication reflète à la fois les communications synchrones dont on perd toute trace dans l’outil après leur déroulement et les communications asynchrones générant de l’information archivée dans le système. Une évolution du trèfle a été proposée [David 2001] sous la forme d’un trèfle à quatre feuilles intégrant un nouvel espace de «conversation» représentant les communications ne produisant pas d’information persistante. L’espace de communication représente alors les communications générant de l’information persistante (cf. Figure 59).

. Figure 59 : Evolution du trèfle fonctionnel

Les fonctions proposées dans un outil de TCAO couvrent une partie de ces différents espaces suivant le domaine d’application. Un outil de workflow couvrira principalement l’espace de coordination, tandis qu’un outil de groupware ou collecticiel couvrira mieux l’espace de communication (cf. Figure 60).

Figure 60 : Répartition des outils dans les espaces fonctionnels

La mise en place de la coopération (la description de l’espace partagé, la planification des activités, la description des groupes), le contrôle de l’activité et son adaptation aux aléas inhérents à tout projet, la détermination des conflits et leur résolution, toutes ces activités constituent des points critiques et déterminants du succès du travail collectif. Elles délimitent l’espace de «régulation». Même si nombreux sont ceux qui qualifient ces activités d’«activités de coordination», leur spécificité demande à ce qu’elles soient considérées comme des activités particulières nécessitant des fonctions propres dans l’outil. L’équipe SysCom de Savoie [Ferrari and Martel 2000] propose d’ajouter cet espace au trèfle fonctionnel (cf. Figure 61).

Figure 61 : La régulation, un espace fonctionnel

Deux modes d'assistance complémentaires peuvent être mis en évidence : l'assistance par la régulation prescriptive et l'assistance par la régulation émergente. Ces deux formes d’assistance s’appuient naturellement sur les deux formes de coordination que nous avons énoncées au chapitre 1 (cf. Chapitre 1, § II.2.2-c). La régulation prescriptive ou explicite repose sur de la coordination explicite. La régulation émergente repose, quant à elle, sur de la coordination implicite.

La régulation explicite instrumente les modes de coordination explicite par l’implémentation de modèles normatifs et prescriptifs de coopération, matérialisés par la spécification de règles ou de procédures d’interactions les plus formalisées possibles. Cette forme de régulation existe dans les outils de type workflow destinés à automatiser la gestion des flux de communication, de documents ou de processus opératoires. Les critiques émises quant à l’utilisation d’une telle régulation dans un contexte de conception s’appuient sur des principes du courant ethnométhodologique. Cette approche rigidifie le contexte de la coopération en limitant la capacité d’improvisation des acteurs, ce qui est incompatible avec toute situation de conception où l’indéterminisme est important. Les approches récentes cherchent à combler ce manque de flexibilité en offrant aux acteurs les moyens d’adapter l’outil à leur contexte de coopération en proposant des systèmes plus flexibles [Dourish, Edwards et al. 1999] ou malléables [Bourguin 2000] ou en donnant aux acteurs la possibilité de définir leur contexte de coopération [Ferrari and Martel 2000].

La régulation émergente consiste à outiller les processus informels, caractéristiques des approches de conception. L’outil médiatise les interactions des acteurs en donnant accès à un espace commun contenant les informations contextuelles de la coopération. La représentation du contexte est alors importante, elle conditionne l’observabilité et la perception mutuelle des activités. Les travaux sur «l’awareness» vont dans ce sens. Ils cherchent à abolir les contraintes d’espace et à instrumenter les processus informels de coordination par la mise en œuvre de mécanismes d’adaptation et d’auto-organisation.

Dans un collecticiel, les mécanismes (ou les artefacts physiques) assurant cette fonction sont le plus souvent rencontrés sous le terme anglais d’awareness. Les outils proposant de répondre à ce problème s’appuient le plus souvent sur des fonctionnalités permettant de gommer les distances entre acteurs par l’usage de «média spaces» utilisant des canaux audio et vidéo. Ceci n’est pas suffisant car le problème ne se limite pas à l’abolition des contraintes d’espace [Schmidt and Wagner 2002] mais repose sur l’instrumentation de processus improvisés et informels relevant de mécanismes d’adaptation et d’auto-organisation apparaissant au cours de l’articulation de l’activité collective [Schmidt 2002].

La perception que les acteurs auront de leur contexte collaboratif leur permettra de prendre conscience de l’état dans lequel se trouvent les objets partagés et ainsi d’interagir avec les autres acteurs. Ces interactions prendront des voies plus ou moins formelles en fonction de l’importance du problème soulevé par l’acteur (demande informelle d’information ou remise en cause du planning de projet). En somme, les fonctionnalités ou les artefacts permettant de faire naître de l’observabilité mutuelle sont ceux qui permettront aux acteurs de répondre aux questions qu’ils se poseront au sujet de leur contexte de travail.

Si l’on se réfère à ce que nous montrent Anzieu et Martin, nous pouvons imaginer que l’observabilité mutuelle est de nature à favoriser la conscience de groupe car elle permet de limiter les « zones d’ombres » en diffusant une information équitable au sujet des actions et du travail effectué par les participants à une activité. Dans un cas réel, il n’existe cependant jamais de situation qui appartiendrait uniquement à une de ces deux catégories. Une situation interactive sera toujours une combinaison de ces deux modes de coordination.

II.2.2. Conclusion

Au cours de la conception, les acteurs privilégient un mode de coordination recelant une grande part d’implicite. Cette part d’implicite s’accompagne inévitablement d’une planification de l’activité du groupe car nous ne nous trouverons jamais dans une situation totalement informelle. La règle est toujours présente mais les acteurs disposent d’une grande latitude de décision. L’apport d’un collecticiel dans ce contexte sera donc de supporter les deux modes de régulation décrits précédemment tout en mettant l’accent sur la «perception contextuelle» offerte aux acteurs impliqués. La perception du contexte passe, comme nous venons de le voir, par la diffusion aux acteurs d’informations qui sont relatives à leurs environnements [Salvador, Scholtz et al. 1995]. Ainsi, la capacité d’un outil à favoriser l’observabilité mutuelle des acteurs est directement liée à l’assistance fournie à un acteur désirant trouver une réponse aux questions qu’il se pose. La facilité avec laquelle les acteurs vont être en mesure de répondre à ces questions est largement conditionnée par l’adéquation du système avec la «culture informatique» des acteurs. Déterminer la capacité d’appropriation du système par les agents passe inévitablement par un travail d’enquête sur les cultures du domaine à instrumenter. Ce travail a été réalisé, dans notre cas sur deux plans en prenant part à un groupe de réflexion sur l’application des collecticiels au domaine du bâtiment puis en réalisant des expérimentations impliquant des praticiens afin de déterminer les rapports qu’ils entretiennent avec ce type d’outils.

Le potentiel d’action de tout acteur utilisant un outil d’assistance à la coopération est correctement délimité par ces modèles d’analyse des «espaces fonctionnels». Mais les approches théoriques montrent que l’appréhension du contexte, et par conséquent sa visualisation, est déterminante dans le choix de l’action. Les fonctions existent et fonctionnent, mais elles possèdent chacune un contexte particulier suivant l’espace dans lequel elles agissent. Le contexte d’une activité coopérative est alors diffus et difficilement appréhendable par un utilisateur. Afin de proposer une vue synthétique du contexte, il est nécessaire de le représenter dans son ensemble au travers d’un modèle et de l’associer avec une visualisation qui favorise sa compréhension.