• Aucun résultat trouvé

donnée en gage après 1804

Section 1 Analyse objective du droit de gage général

266. - Idée générale. Le droit de gage général s’appuie objectivement sur deux théories : il s’agit d’une part de la théorie du patrimoine (§1), d’autre part de la théorie de la monnaie (§2). Ces deux théories donnent à l’idée de droit de gage général toute sa teneur ; par surcroît, elles agissent comme complément à la règle du respect de la parole donnée en gage, autrement dit la parole qui engage. Et nous insistons sur ce point, il est essentiel : l’argent, ou plus exactement la propriété, constitue la mesure du droit civil, son moyen d’exécution. Finalement, peut-être que tout le droit civil est contenu dans deux articles : l’article 1382 qui assigne une fin au droit civil, je dois réparer le dommage causé à autrui par ma faute759 ainsi que l’article 544 qui, en consacrant le droit de propriété, donne la « mesure », le moyen et participe de la sorte à la concrétisation du droit.

759

En admettant que le fait de ne pas tenir sa promesse constitue une faute et qu’un tel comportement cause un dommage au destinataire de la promesse. Le rapprochement entre les deux ordres de responsabilité a maintes fois été souligné. V. l’analyse de Carbonnier à cet égard : « le débiteur a l’obligation de réparer le dommage qu’il a causé au créancier par l’inexécution (fautive) du contrat, comme tout homme, en général, est tenu de réparer le dommage qu’il a causé à autrui par sa faute. IL existe ainsi une responsabilité contractuelle, à l’image de la responsabilité délictuelle. L’analogie est frappante », V. Droit civil, op. cit., Vol. II, n° 1070. Soulignons enfin que si aujourd’hui il semble que « la responsabilité contractuelle est de venue intellectuellement tributaire de la délictuelle » (Cf. Ibid.), il n’en est pas toujours allé ainsi, le rapport s’est inversé.

§ 1. Théorie du patrimoine et droit de l’engagement

267. - Notion de patrimoine. Comment pourrait-on, sur cette question, ne pas renvoyer à l’analyse devenue célèbre de messieurs Aubry et Rau760 ? Les deux professeurs Strasbourgeois sont à l’origine de la théorie classique et envisage le patrimoine comme une masse reliant l’actif et le passif d’une personne : « le patrimoine est l’ensemble des biens d’une personne envisagé comme formant une universalité de droit. (…) Le patrimoine, considéré comme ensemble de biens ou de valeurs pécuniaires, exprime lui-même, en définitive, l’idée d’une pareille valeur. Pour en déterminer la consistance, il faut, de toute nécessité, déduire le passif de l’actif »761. Cette conception va faire école et sera reprise par les auteurs jusqu’à nos jours762. En somme, le patrimoine est juridiquement la réunion de l’actif et du passif, c’est un ensemble de biens et d’obligations, et par surcroît, le patrimoine est profondément lié à la personne juridique.

268. - Patrimoine et personnalité. A l’origine le patrimoine a été pensé dans son rapport avec les biens, c’est précisément l’un des apports essentiels d’Aubry et Rau de l’avoir

760

Rappelons que les rédacteurs du Code civil n’ont pas traité de la notion de patrimoine en tant que telle et qu’ils n’utilisent le terme que de manière parcellaire. C’est donc la doctrine qui s’est chargé de la conceptualisation de cette notion. V. Aubry et Rau, Cours de Code civil français, op. cit., T. IX, § 573, p. 333. V. enfin D. Hiez, Étude critique de la notion de patrimoine en droit privé actuel, BDP, T. 399, LGDJ, 2003, préf. Ph. Jestaz, p. 3 : « Dans notre histoire juridique, le patrimoine apparaît comme un grand absent. Inconnu du droit romain, il n’est pas davantage présent dans l’ancien droit, ni même dans le Code civil ».

761

V. Aubry et Rau, Ibid. 762

V. par exemple Planiol, Traité élémentaire de droit civil, op. cit., T. I, n° 2147 : « On appelle patrimoine l’ensemble des droits et des charges d’une personne » ; plus récemment, C. Atias, Droit des biens, 11ème éd., LexisNexis, 2011, n° 16-17 : « Le patrimoine, c’est l’unité juridique formée de l’ensemble des biens potentiels et des obligations d’une même personne » ; J. Carbonnier, Droit civil, op. cit., Vol II, n° 663 : « Le patrimoine est l’ensemble des biens et des obligations d’une personne » ; J. Rochfeld, Les grandes notions du droit privé, 1ère éd. « Thémis droit », PUF, 2011, Notion 6, n° 2, p. 353 ; encore F. Zenati-Castaing et T. Revet, Les biens, 3ème éd., PUF, 2008, n° 4. Tous les auteurs reconnaissent ainsi la paternité de cette conception classique du patrimoine à Aubry et Rau. Toutefois, il ne faudrait pas oublier l’influence des pandectistes allemands, qui avaient avant eux conceptualisé la notion de patrimoine. V. en particulier Zachariae, Cours de droit civil français, T. I, n° 152 ; V. également Carbonnier, précit., n° 668 ; V. G. Forest, Essai sur la notion d’obligation en droit privé, NBT, Vol 116, Dalloz, 2012, préf. F. Leduc, n° 393 et s. ; V. enfin D. Hiez, précit., : « C’est donc à l’occasion de l’étude du Code civil par la méthode des pandectes que la notion apparut. ZACHARIAE, professeur de droit en Allemagne, où le Code civil était applicable dans certaines régions depuis 1810 (…) Et dans cette construction, il apparut que, pour étudier les droits que les personnes sont susceptibles d’avoir sur les choses, il était nécessaire de les envisager, non seulement ut singuli mais également ut universi. Et sous cet angle, c’est la notion de patrimoine qui rendait le mieux compte de la réalité juridique. On sait que cet œuvre de ZACHARIAE a été reprise en France par Aubry et Rau ».

arrimé à la personne763 : « L’idée du patrimoine se déduit directement de celle de la personnalité. Quelle que soit la variété des objets sur lesquels l’homme peut avoir des droits à exercer, quelle que soit la diversité de leur nature constitutive, ces objets, en tant que formant la matière des droits d’une personne déterminée, n’en sont pas moins soumis au libre arbitre d’une seule et même volonté »764. Les auteurs estiment que le patrimoine est « une émanation de la personnalité, et l’expression de la puissance juridique dont une personne se trouve investie comme telle »765. Ainsi le lien qui s’établie entre le patrimoine et la personnalité constitue son « caractère principal ». Aubry et Rau déduisent de l’existence de ce lien trois propositions : seules les personnes peuvent avoir un patrimoine, les personnes ont nécessairement un patrimoine et une personne ne peut avoir qu’un seul patrimoine766. Donc derrière le patrimoine, il y a forcément une personne. Précisons que deux autres caractères sont traditionnellement déduits du lien entre patrimoine et personnalité : le patrimoine est incessible et indivisible.

269. - Patrimoine et droit de gage général : l’universalité du patrimoine. Le patrimoine est une notion abstraite et en conséquence, il ne faudrait pas l’assimiler aux « éléments actifs qui le composent à un moment déterminé de sa durée »767. Là réside l’essentiel pour notre démonstration : le patrimoine en tant que masse abstraite constitue donc un tout affecté par le truchement de l’article 2284 du Code civil à la satisfaction du créancier. C’est précisément cela qu’on appelle le « droit de gage général ». Et il y a là un argument très fort dans le cadre de notre réflexion. L’idée d’un droit civil des contrats en tant que droit de l’engagement prend encore plus de sens : par le contrat, je mets en gage ma parole et mon patrimoine. Il y a là « la manifestation la plus tangible de la notion de patrimoine, universalité à l’intérieur de laquelle les droits (l’actif) répondent des dettes (le passif) »768.

763

En ce sens F. Zenati-Castaing et T. Revet, Les biens, op. cit., n° 4 : « Le patrimoine désignait, à l’origine, l’ensemble des biens d’une personne, sans discrimination selon leur pécuniarité ni référence aux dettes susceptibles de les grever. C’était une pure universalité de fait. Cette définition oubliée du patrimoine, qui est celle du droit romain, a un rapport évident avec les biens. Elle désigne les biens au pluriel sans aucune restriction (d’où la persistance de ce pluriel en droit français). La transformation qui en a été faire par la pensée moderne a éloigné le patrimoine des biens. La théorie du patrimoine construite au 19ème siècle par Aubry et Rau a d’abord élevé le patrimoine du domaine des biens à celui de la personnalité juridique ».

764Cf. Aubry et Rau, Cours de droit civil français, op. cit., T. IX, § 573, p. 334.

765Ibid., p. 335.

766

Nous reviendrons dans l’analyse subjective ce que peuvent signifier ces règles du point de vue de l’engagement, V. infra, n° 279. -

767

Selon les mots de Carbonnier, V. Droit civil, op. cit., Vol. II, n° 664.

768

Tous les auteurs insistent avec vigueur sur cet aspect. Particulièrement significatifs sont les propos de monsieur Carbonnier à cet égard : « à la vérité, c’est dans un article classique du Code civil, l’article 2092 (ancien article 2284), que l’on trouvera la base la plus sûre de la théorie du patrimoine. Le texte est très riche, il suggère : que les biens d’une personne forment un tout ; que ce tout répond des dettes de la personne ; qu’obliger sa personne, c’est obliger ce tout ; que ce tout ne comprend pas seulement l’actualité des biens présents, mais le potentiel des biens futurs »769.

270. - Finalement. Le fait que la notion de patrimoine ne soit pas envisagée en tant que telle mais qu’elle soit introduite furtivement dans notre Code civil signifie beaucoup : le patrimoine en tant qu’idée abstraite a besoin de la personnalité pour opérer pleinement, il devient dans le système civiliste la « mesure de toute chose ». Le patrimoine agit comme un écran, un bouclier devant la personne et qui soutient sa capacité à promettre. Ainsi donc le patrimoine revêt dans le système du Code civil une fonction majeure, absolument essentielle et qui est mise en pleine lumière par la mécanique du droit de gage général. Et c’est bien dans le sens d’un droit de l’engagement que tout cela marche : je mets en gage ma parole et le respect de cette dernière est garantie par une règle plus pragmatique : mon patrimoine en tant que formant une masse globale et abstraite assure par principe la satisfaction des créanciers : « le système d’Aubry et Rau, cependant, continue à tenir une place importante dans la pensée contemporaine. Il a, à tout le moins, une valeur didactique : il explique assez bien, notamment, les droits du créancier chirographaire » 770.

769

V. Carbonnier, Droit civil, op. cit., Vol II, n° 663 ; dans le même sens, C. Atias, Droit des biens, op. cit., 26 ; encore F. Zenati-Castaing et T. Revet, Les biens, op. cit., n° 4 : « La conception actuelle du patrimoine (…) repose sur le droit de gage général » ; J. Rochfeld, Les grandes notions du droit privé, op. cit., Notion 6, n° 7.

770Cf. J. Carbonnier, Droit civil, op. cit., Vol. II, n° 670. Dès lors, le concept nous paraît occuper une place centrale au sein de la logique civiliste. Le patrimoine est le pendant de la parole donnée. Il donne à la règle de l’article 1134 une signification étonnante. Aussi, et contrairement à ce qui a pu être soutenu (nous songeons ici à la thèse de D. Hiez, Étude critique de la notion de patrimoine en droit privé actuel, BDP, T. 399, LGDJ, 2003, préf. Ph. Jestaz, qui finalement plaide en faveur de l’abandon de la notion), nous estimons que la notion de patrimoine est essentielle à la logique civiliste. Il donne au droit des obligations une signification particulière : « Qui s’oblige oblige le sien ». Tel est l’adage duquel nous sommes partis et c’est à lui que nous revenons. Rejeter l’idée et la pertinence du concept de patrimoine de notre paradigme civiliste revient à faire « exploser » sa logique : le droit civil aurait une fin (répares le dommage que tu as causé par ta faute, tiens ta promesse) mais sans les moyens. A tout le moins, les moyens dont il disposerait ne serait plus en adéquation avec le projet civil qu’il sert.

Documents relatifs