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Comme vu précédemment, la notion d’entropie peut être intéressante et importante pour évaluer la dynamique d’un système, et donc dans le cas de l’humain, et du fait que le vieillissement est supposé changer le contenu spectral, nous devrions retrouver une richesse moins importante et donc des valeurs d’entropie différentes. Nous le retrouvons déjà dans le cas précédent avec l’entropie d’échantillon, dans lequel une modification des conditions d’expérimentation pour détériorer les sensations de la personne produit un effet notable.

Cependant, l’entropie telle que calculée précédemment est une notion statistique et sa fiabilité sur des données physiologiques sur des temps importants peut être mise en cause, surtout si les conditions changent et que le « système » devient non stationnaire. Le sens que l’on donne au résultat peut alors être faussé.

Céline Franco, dans ses travaux sur le système cardio-respiratoire, a travaillé sur des techniques telles que le synchros- queezing pour identifier des modes à l’intérieur d’un signal non stationnaire. Ces travaux ont été étendus ensuite au signal postural (et nous nous en tiendrons à ce signal pour la présentation qui est faite ici).

2.5.1 L’entropie spectrale (Wavelet Entropy)

Le but de ces travaux est donc de développer un indice de complexité qui est cohérent dans le cas de signaux oscillatoires multimodaux. L’approche proposée devrait avoir les caractéristiques suivantes : (1) adaptative (on attend le moins de paramétrisation possible), (2) prenant en compte les variations locales et la non-stationnarité (3) lisible, c’est-à-dire que l’on peut voir dans les résultats l’importance des composantes.

Pour cela, une nouvelle approche de l’entropie spectrale (Wavelet Entropy, WE) est proposée. L’entropie spectrale a été développé en premier lieu pour répondre à des soucis de cohérence des résultats sur les signaux de type EEG (RO S S O

et al.,2001). Originellement, l’entropie spectrale est basée sur la transformée en ondelettes discrètes orthogonales. Du fait des composantes orthogonales de la base de décomposition, le calcul d’énergie ainsi que le lien aux coefficients temps-fréquence sont relativement aisés. Le revers majeur de cette méthode est qu’elle implique un filtrage d’une sous-bande dont les limites et la largeur sont fixées par la fréquence d’échantillonnage. Ainsi, la résolution est fixée et deux modes qui se trouvent dans la même sous-bande sont indissociables. Dans notre approche, nous remplaçons la transformée en ondelettes orthogonales par une transformée par synchrosqueezing (DA U B E C H I E S, J. LUet al.,

2011). Cette seconde transformée offre une représentation des modes qui est cohérente avec le contenu spectral pour les signaux physiologiques multi-composantes, et ce, en réassignant les coefficients de la transformée en ondelette continue en fréquence.

2.5.2 La transformée par synchrosqueezing

Le choix d’une représentation temps-fréquence dépend de l’analyse que nous souhaitons réaliser et sera un compromis. Ce compromis résulte d’un principe bien connu qui est le principe d’Heisenberg-Gabor, selon lequel une bonne localisation en temps ne peut être atteinte qu’au détriment d’une moins bonne localisation en fréquence et vice- versa. Ce principe (connu des physiciens pour la position/vitesse des particules) énonce en effet que le produit de la dispersion d’énergie en temps par la dispersion d’énergie en fréquence a une borne minimum.

La réallocation part de ce constat en combinant les informations de deux distributions complémentaires afin de corriger la moins bonne localisation. Originellement, cela consiste à déplacer les valeurs d’une distribution présentant des défauts de localisation (par exemple la transformée de Fourier à court terme) à partir d’une distribution bien localisée, mais au détriment d’autres aspects (exemple, la transformée de Wigner-Ville).

Dans le cas de la transformée par synchrosqueezing, les coefficients du scalogramme sont déplacés en fonction du comportement fréquentiel local du signal. Contrairement aux autres méthodes de réallocation, celle-ci ne porte que sur l’une des directions, la direction fréquentielle. Cette spécificité permet de reconstruire le signal de manière exacte. Le calcul de la transformée par synchrosqueezing se fait de la manière suivante :

— Calcul de la transformée en ondelettes continue (notée Ws(a,b))

— Estimation de la fréquence FM démodulée :

ws(a,b) =    1 2iπWs(a,b) δWs(a,b) δb , Si |Ws(a,b)| > 0 ∞, sinon

— La partie de compression ou encore partie squeezing où l’on réalloue les coefficients : (b, a) 7→ (b, ws(a,b)).

Finalement, nous obtenons pour la transformée : Ts(wl,b) = R{a:|ws(a,b)−wl|<∆w}Ws(a,b) · a

3 2· d a

2.5.3 Calcul de l’entropie spectrale modifiée W E

SQT

Si l’on considère un signal s, sa transformée par synchrosqueezing Cj(k), le support du cône d’influence SuppCone(k,j)à

l’échantillon temporel k et à l’échelle j (avec 1 ≤ j ≤ amaxavec amax= f0/fmi n, tel que f0est la fréquence centrale de

l’ondelette mère et fmi nla borne inférieure de l’ensemble des fréquences, amaxest alors la dilatation maximale de

l’ondelette dans la transformée), l’entropie spectrale modifiée se calcule ainsi :

E(j )i= X SuppCone(k,j) |b − b0| · |Cj(k)|2 a , énergie à l’échelle j, Etot(i ) = amax X j =1 Ej, pj(i ) = Ej(i )

Etot(i ), énergie relative à l’échelle j,

W ESQT(i ) = − amax

X

j =1

pj(i ) · ln(p(j )),

pour un instant i donné.

La figure 2.4 illustre l’évolution de cet indice pour un signal donné (et la notion de cône d’influence).

2.5.4 Tests sur des signaux posturaux et protocole

De premiers tests sur des signaux simulés ont d’abord été effectués pour vérifier le comportement correct de l’entropie spectrale modifiée et sa bonne variation comme attendu. Nous avons ensuite testé cela sur des données réelles de centre de pressions, dans une expérimentation particulière.

Comme déjà évoqué, le maintien d’un bon équilibre debout demande l’intégration d’informations visuelles, vestibu- laires et somato-sensorielles. Pour évaluer notre indice sur un cas précis, nous avons choisi de nous concentrer sur

le signal du centre des pressions comme précédemment, et de mettre un changement de conditions sensorielles au milieu de l’expérimentation. Ainsi, notre indice ne requérant pas que le signal soit stationnaire pourra montrer ses avantages par rapport aux autres. Nous voulons également évaluer ici la capacité d’une personne à s’adapter à de tels changements de conditions. La modification du contexte sensoriel va engendrer une repondération des informations reçues. Cette repondération se fait en fonction de la disponibilité de l’information et de sa fiabilité ressentie. En termes de signal, il est évident que nous nous attendons à une non-stationnarité de celui-ci et donc à un avantage de notre indice sur d’autres.

Ainsi, nous avons concentré notre protocole sur une tâche simple de maintien de l’équilibre en incluant un chan- gement abrupt de conditions sensorielles. Ainsi, la personne était debout sur la plateforme avec une information supplémentaire, car elle devait fixer l’image d’une croix représentée sur le mur en face. Cette croix lui donnait donc un point de repère supplémentaire. Au bout de 200 secondes d’expérimentation, il lui était demandé de fermer les yeux et de continuer de maintenir cette position 200 secondes supplémentaires. Ceci a été testé sur 8 personnes jeunes et en bonne santé (âge : 34,63 ± 11 ans, IMC : 21,41 ± 1,57). Le déplacement du centre des pressions était enregistré par une plateforme de force de marque Satel à une fréquence de 40H z. Pour éviter les effets de bords et pour se focaliser sur les données qui ont vraiment un intérêt pour nous, nous concentrons l’analyse sur les 200 secondes autour de la perturbation sensorielle. Du fait de la taille de notre échantillons (peu de personnes), une analyse non paramétrique est utilisé pour la comparaison des moyennes (test signé de rang de Wilcoxon). En plus de ceci, les valeurs obtenues pour la W ESQTsont calculées sur les données yeux ouverts et fermés indépendamment et comparés avec un T-test sur

les échantillons deux à deux. Chaque personne a réalisé six essais.

2.5.5 Résultats et discussion

La stabilité posturale est évaluée par des mesures classiques : le RMS (Root Mean Square) de l’amplitude (des mouve- ments du centre des pressions mesurés par la plateforme de force), en mm, celui de la vitesse et enfin l’aire de l’ellipse de confiance à 95%. Le tableau 2.1 résume les résultats de cette expérimentation.

Mesure Yeux Ouverts Yeux Fermés

RMS amplitude 3,94 ± 2,09 5,83 ± 3,07* RMS vitesse 9,29 ± 2,87 17,17 ± 9,67* Surface ellipse à 95% 24,17 ± 8,28 40,19 ± 24,13* Sample Entropy 0,76 ± 0,23 0,83 ± 0,42

W ESQT 4,17 ± 0,48 4,39 ± 0,38*

TA B L E2.1 – Effet de la condition visuelle sur le déplacement du centre des pressions. Significativité * : p < 0,05

Ils indiquent que toutes les valeurs spatio-temporelles augmentent avec le changement de condition, indiquant une moins bonne stabilité avec la privation visuelle (p < 0,05, 0,01, 0,01 respectivement). Le contrôle postural est estimé par les deux entropies calculées (pour comparaison). Aucune différence significative n’est observée pour l’entropie d’échantillon entre les deux conditions alors que la W ESQTaugmente, indiquant un accroissement dans la

complexité et dans l’utilisation des ressources. Une comparaison des valeurs pour chacun des individus montre ce comportement sur 7 personnes sur les 8, confirmant ainsi notre hypothèse de changement de la complexité avec la privation d’information visuelle.

Les travaux sur le contrôle de la posture sont basés sur l’évaluation de la complexité. Cependant, la plupart des approches travaillent sur l’entropie d’un point de vue temporel et évaluent la prédictibilité d’une série temporelle sans prendre en compte les multiples échelles qui entrent en compte ainsi que les processus transitoires. L’entropie multi- échelle tente d’intégrer de telles considérations avant d’appliquer l’entropie d’échantillon, mais les représentations multi-échelles sous-jacentes et la difficulté à paramétrer celle-ci donnent des indices avec des comportements variables et des résultats difficiles à interpréter. L’approche proposée ici considère la complexité d’un point de vue spectral, en cohérence avec le modèle spectral du signal de déplacement du centre des pressions dont le comportement dépend des informations sensorielles.

De plus, la décomposition par des méthodes de synchrosqueezing améliore l’identification des différentes composantes du signal conduisant à une meilleure interprétation de la représentation temps-fréquence.

Nous avons vérifié dans ces travaux que, lorsque nous modifions les informations sensorielles de la personne, le comportement de l’indice basé sur la W ESQTétait modifié en cohérence avec ce changement brut. Nous avons vérifié

aussi qu’un autre indice basé sur l’entropie ne voyait pas de modification significative étant donné que le signal devenait non-stationnaire et que ce premier calcul moyennait les deux comportements.

Ces travaux et les précédents ont porté sur l’utilisation d’une plateforme de force pour obtenir le signal du centre des pressions. Pour éviter d’utiliser un matériel supplémentaire, nous avons tenté d’utiliser un objet du quotidien connu, le smartphone, sur lequel nous avons concentré nos recherches. Cela fait l’objet de la partie suivante.