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Analyse descriptive de la 1° séance

6.2 LES DIFFICULTES LIEES A LA DEVOLUTION

6.2.4 Analyse descriptive de la 1° séance

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On constate tout d’abord que les taux d’interactivité dans les trois séances sont très différents. La première séance comporte 77 tours de parole contre 325 pour la seconde et 138 pour la troisième. On peut relier ceci au fait que la séance est conduite par trois professeurs différents, ce qui reviendrait alors à considérer comme le font Marchive et Sarrazy (2000) et Sarrazy (2001) qu’il s’agit d’un attribut personnel des enseignants qui sont plus ou moins « institutionnalisant » ou « dévoluant ». Mais une autre interprétation conduit à privilégier l’idée que le taux d’interactivité est en fait fonction de la tâche dans lesquelles les élèves sont engagés et donc de la nature des activités qu’ils déploient. En effet, ce n’est pas parce que des élèves ne parlent pas qu’ils ne sont pas actifs. Notamment en classe de technologie, on voit très nettement que les phases de réalisations caractérisent des moments dans lesquels les élèves sont engagés dans des activités hautement réflexives. De fait, la proportion de prises de parole dans une séance ne serait pas très significative du processus d’apprentissage à l’œuvre. Il n’y aurait pas de relation de cause à effet entre le fait de les laisser s’exprimer et celui de faire en sorte qu’ils assument la responsabilité de l’apprentissage en jeu dans la séance. Bien sûr, cette remarque ne vaut pas dès lors précisément qu’il s’agit d’apprendre à s’exprimer ou à débattre oralement. Ainsi, la conclusion de Sarrazy (2001) qui constate que « Le volume d’interactions didactiques est très variable d’une classe à l’autre, d’un style à l’autre (…) les classes « dévoluantes » interagissent environ 1,5 fois plus que les classes « institutionnalisantes » serait à reconsidérer car toutes les observations conduites concernent des leçons de mathématiques (relatives à des problèmes d’arithmétique sur le thème du jeu de billes).

Ce résultat nous interpelle. En effet, s’il nous avait fallu émettre une hypothèse nous aurions plus volontiers avancé que le volume des échanges devrait varier en sens contraire de l’importance conférée par l’enseignant aux actes de dévolution.

L’auteur précité ne parvient d’ailleurs pas à éviter ce type d’assimilation : « Le contexte dévoluant correspond à ce qu’on pourrait appeler en première approximation une pédagogie active. Ces maîtres pratiquant régulièrement le travail par groupes sans se limiter forcément à cette forme de groupement des élèves ; leur classe est un lieu fortement interactif ». Dans ces conditions, la dévolution serait exclusivement liée au caractère interactif de la séance. De fait, il est essentiel de définir ce qu’on désigne par « interactions » et s’entendre sur la façon de les objectiver et de comptabiliser. Le simple fait que la part des interventions à caractère strictement pédagogique ait pu s’avérer plus forte dans l’un ou l’autre des contextes pourrait expliquer les différences de volume d‘interactions constatées. Rien n’est dit sur une répartition selon leur nature, didactique ou pédagogique. S’équilibre-t-elle de la

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même façon dans les différents contextes « dévoluant », « institutionnalisant » et « intermédiaire » étudiés ?

La relation établie entre le caractère dévoluant de l’attitude du professeur et le volume des échanges à caractère didactique réalisés en classe pose un autre problème. Ce qu’on désigne par « volume des interactions didactiques » ne renvoie qu’au nombre de tours de parole indépendamment du volume des apports par locuteur. Sarrazy comptabilise un même volume d’interactions aussi bien quand les locuteurs s’expriment par un seul mot que quand ils exposent et argumentent tour à tour un point de vue. Il est clair que dans cette étude, la quantité des interactions didactiques observées ne présume pas de l’investissement cognitif consenti par les élèves dans l’élaboration du savoir en jeu. Plus les apports réalisés par les élèves sont brefs et plus ils courent le risque d’être associés à des questions fermées ou ponctuelles qui ne requièrent pas un gros effort de réflexion. Par ailleurs rien ne garantit que les élèves qui s’expriment assument la responsabilité de ce qu’ils disent. Ainsi, pour faire plaisir à l’enseignant, certains élèves répondent non pas avec l’intention de faire progresser l’étude mais simplement parce que cela représente à leurs yeux un moyen montrer qu’ils s’intéressent, participent et coopèrent à l’action du professeur. On peut craindre qu’un haut niveau d’interactivité dans une classe ne masque un très fort taux de sollicitations de l’enseignant qui harcèle les élèves de questions fermées ou de questions devinettes auxquelles il suffit de répondre par un mot ou guère plus.

Dans ce type d’analyse, in vivo de classes, les restrictions imposées par les moyens techniques (caméscope) qui président à l’objectivation de la réalité étudiée, permettent de ne prendre qu’une partie de l’activité des élèves. En effet, tout ce qui n’est pas audible à l’enregistrement échappe à l’analyse : notamment les épisodes de silence studieux. S’en trouve généralement exclus le langage intérieur qui par la force des choses ne s’entend pas, mais aussi les discours à voix basse entre élèves qui restent pour l’essentiel non décodables, les échanges qui se superposent et sont pas là, la plupart du temps brouillés, éventuellement (cf. la recherche précitée), les messages dont les auteurs ne sont pas identifiables ne sont pas retenus et bien sûr tout ce qui relève de l’activité gestuelle et scripturale. Dans le corpus que nous nous proposons d’analyser, la disproportion observée dans le degré d’interactivité de chaque séance tient d’abord à la nature hétérogène des activités confiées aux élèves. En effet, comme dans la première séance, il s’agit de faire observer un objet par les élèves pour voir comment il fonctionne, puis faire fabriquer aux élèves un artefact qui remplit la même fonction technique. L’essentiel de l’activité s’effectue en silence ou à voix basse entre les élèves qui travaillent par petits groupes. Les seules interactions verbales objectivables portent sur l’introduction de la séance, le lancement de la première activité (tâche d’observation) et l’exploitation de ses résultats. Le reste du cours

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(activité de fabrication) à l’exclusion des cinq dernières minutes consacrées au rangement du matériel demeure inexploitable en termes d’interactions verbales puisque les élèves sont engagés dans une activité qui ne requiert pas de verbaliser à haute et intelligible voix pour se faire entendre du reste de la classe. Durant ces phases où les élèves sont censés assumer seuls (ou à quelques-uns un) la responsabilité d’un travail, les interventions de la maîtresse présentent les mêmes caractéristiques. Le fait qu’elle laisse les élèves travailler ne signifie pas qu’elle ne fait rien pendant que les élèves fabriquent un objet. Pendant tout ce temps, elle circule de groupe en groupe pour encourager ou apporter ponctuellement son aide et ses interactions avec les élèves conservent un caractère privé ou quasi privé du fait qu’elles ont lieu à voix basse pour ne pas perturber les autres enfants. La maîtresse juge bon d’interrompre le cours de l’action que lorsqu’elle constate que plusieurs élèves se fourvoient. Elle s’adresse dans ce cas à tout le groupe. La dévolution de ces activités de réalisation technique implique au contraire de la maîtresse qu’elle sache se taire ou ne pas trop en dire afin que les élèves conservent la maîtrise de l’orientation et du contrôler par eux même de leur activité.