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6.3 De la préparation à la pratique

6.3.2 Parallèle entre les situations d’accouchement simulé et les situations

6.3.2.4 Analyse des interactions en situation de travail

Les séquences suivantes d’échanges entre l’enseignante et des étudiants, illustrent comment l’enseignante intègre du « scientifique », du « technologique » et du « professionnel » lors des interactions avec les étudiants.

Premier extrait : la sage-femme enseignante explique à une étudiante (esf) les positions maternelles favorisant l’accouchement :

Positionnement maternel Type de savoirs

EM : […] et puis on va essayer de voir, de façon pratique, comment on va pouvoir jouer sur les positions maternelles pour réduire... (elle donne la maquette d’un bassin à l’étudiante)…je le tiens…

pourquoi est-ce qu’il [le fœtus] peut être comme ça ?

Technologique Professionnel

Scientifique esf : parce que la mère est comme ça.

EM : voilà… en hyperlordose. D’accord ? On appelle ça bascule du bassin,

tout simplement. Donc qu’est-ce que vous allez lui proposer à cette patiente ? ProfessionnelScientifique

! Extrait Situation simulée 3 – V6- 1116 à 1125

!

Pour contextualiser la situation, l’enseignante se met à la place de la patiente, face au simulateur qui ne représente qu’un « tronçon rigide de parturiente ». Elle explique des termes médicaux en revenant sur les notions d’asynclitisme et d’hyperlordose. Elle montre concrètement ce que cela représente en s’aidant d’une maquette didactisée qu’elle manipule face à elle pour mimer les différentes positions maternelles. Et elle termine en demandant une conduite à tenir. Elle joue à la fois sur les trois registres du « scientifique », du « technologique » et du « professionnel » pour favoriser les processus d’apprentissage.

Deuxième extrait : au cours de cet épisode, l’enseignante explique comment calculer une dose de médicaments en fonction des dilutions et du matériel que les étudiants pourront avoir à disposition dans une salle d’accouchement en tant que futurs professionnels. Ces explications sont à mettre en relation avec les difficultés évoquées par les enseignants lors de la phase de préparation des séances (chapitre 6.2) concernant les posologies des médicaments inscrites dans le logiciel allemand du simulateur, qui ne sont pas forcément celles utilisées habituellement dans les maternités françaises (partie 6.2.1.4, page 125). L’extrait suivant montre comment l’enseignante, qui avait alors avancé une proposition : « […] ça peut être aussi l’occasion de retravailler les calculs de dilution avec les étudiants » (V2- 281), s’y prend. Elle resitue le problème de façon plus générale en positionnant les étudiants en situation de travail réelle :

Calcul de dose médicamenteuse

EM : « en fait, il faut vous, que vous sachiez comment vous fonctionnez. Quels sont les débits ? [Scientifique]. Parfois vous aurez… vous allez peut-être travailler dans d’autres structures [Professionnel] où vous aurez… et ben, ça sera des compte-gouttes [Technologique], ça sera en gouttes mn [Scientifique] donc vous, il va falloir savoir combien une goutte ça fait de cc [Scientifique]. Donc ça, dans vos calepins, normalement, il faut noter combien de… quelles sont les conversions de gouttes en ml [Scientifique], en unités internationales [Scientifique]… et surtout pour le syntocinon [Scientifique]. Généralement, c’est protocolisé dans les services [Professionnel]. Donc vous devez vous renseigner avant d’utiliser du syntocinon, de savoir comment fonctionne le compte-goutte ou le débitmètre [Technologique]… et combien vous mettez d’unités de synto [Scientifique]., quelle est la dilution [Scientifique]... parce que en fonction des structures, ça va être différent [Professionnel]et il faudra vous adapter. Et vous ferez pareil quand vous serez professionnelles, quand vous changerez de structure, il faudra vous adapter [Professionnel], d’accord ? … à chaque fois ».

Extrait Situation simulée 1 – V4- 1241 à 1259

Ce moment théorique est essentiel car il conforte et met en relation le savoir «scientifique » à acquérir, les expériences propres des acteurs et ce qui peut être rencontré dans les différents établissements, c’est-à-dire le « professionnel ». Le travail de l’enseignante est complexe car il y a plusieurs prescripteurs qui ont des influences sur son activité : les données du simulateur qui sont en inadéquation avec les pratiques usuelles, les pratiques qui peuvent différer selon les lieux de travail, les objectifs pédagogiques déterminés, et l’enseignante elle-même qui doit ajuster son intervention. « L'écart entre le travail prescrit et le travail réel oblige les formateurs à redéfinir leurs pratiques : ils ont à créer les situations qui permettent de développer les compétences de l'individu » (Jobert, 2003, p. 36). Cet écart entre travail réel et travail prescrit s’accroît encore du fait d’une adaptabilité de sa part à l’artefact simulateur. Dépassant la planification et les tâches prévues, l’enseignante met en œuvre une intégration permanente du « scientifique », du « technologique » et du « professionnel » selon des boucles itératives, pour se saisir de diverses opportunités d’apprentissage, tout en maintenant ses objectifs initiaux.

Troisième extrait : Dans l’épisode suivant, l’enseignante dirige, lors de la sortie de la tête fœtale sur le simulateur, une étudiante, qui n’a encore jamais pratiqué d’accouchement :

Expulsion de la tête fœtale Type de savoirs EM : à chaque contraction, il faut la faire pousser, d’accord ? Technologique esf : pour les contractions, on se fie juste au monitoring ?

EM : [..] la patiente, elle va vous le dire […] Professionnel

esf : et avec la péridurale, elles ne sentent pas du tout ?

EM : pas trop, non. Il faudra le surveiller avec une palpation abdominale. […] Une fois que la contraction est là, vous lâchez l’utérus…

…et vous encouragez la patiente […]

Technologique

Professionnel EM : vous allez faire une hyperflexion comme ça…

…qui va aider au dégagement de la tête […] TechnologiqueScientifique

EM : vous allez bien appuyer, appuyer, la tête va venir et ensuite, avec la

main gauche, vous allez modérer. Technologique

esf : et la main gauche, elle sert à quoi ?

EM : modérer la tête…

…pour ne pas qu’elle sorte d’un coup. TechnologiqueScientifique

esf : Ah oui, d’accord… donc la main droite, je la laisse ici et la main gauche, je la mets en bas.

EM : vous appuyez, appuyez, appuyez, voilà… et dès que vous allez sentir que ça descend bien, vous allez lâcher avec cette main là et vous allez prendre le relais avec la main gauche, d’accord ?

Technologique Professionnel Technologique esf : et ouais… et donc toujours on évite la déchirure ?

EM : ah non, parce que vous, ce qu’il faut regarder, c’est là […] Technologique esf : donc, je la laisse ma main…

EM : là il y en a une… appuyez, appuyez, appuyez… voyez…encore, encore, encore… voilà, c’est bon, lâchez… Lâchez…Laissez venir tout doucement…et vous protégez le périnée […]

Technologique

Professionnel esf : et j’appuie pour que ça reste fléchi?

EM : non, vous maintenez juste. Vous laissez sortir… et vous laissez venir doucement… et vous protégez le périnée… voilà, d’accord ? …

Vous sentez la pression venir ?

Technologique

Professionnel esf : oui…

EM : et vous lâchez tout doucement la pression, d’accord…

Il faut laisser quand même la tête sortir […] TechnologiqueProfessionnel EM : il faut toujours garder la main parce qu’elle peut pousser d’un coup

[…] Professionnel

Extrait Situation simulée 3 – V6- 1824 à 1920

Ce passage est le reflet d’un véritable échange pédagogique : « et j’appuie ? Non, vous maintenez juste ». À partir de la valeur didactique de la situation et en fonction des objectifs et des apprentissages à développer, ici apprendre à gérer l’expulsion fœtale, l’enseignante procède en direct à un travail d'analyse et de réorganisation pédagogique. Dans cette séquence d'enseignement contextualisé, elle observe, interroge et dirige les procédures de l’étudiante placée en activité. Elle mène son apprentissage en faisant comprendre la situation à l'étudiante : elle construit un réseau reliant les enseignements théoriques et les enseignements pratiques à la situation concrète qui évolue.

En même temps que l’étudiante apprend à faire, son expérience gestuelle se construit dans son analyse et se complète d’une intégration très concrète, illustrée par les verbes : « lâchez, appuyer, modérer laissez venir, maintenez juste, laissez sortir, protégez, lâchez tout doucement ». L’enseignante guide les gestes : « vous allez lâcher avec cette main ». Elle rectifie :

« ah non, parce que vous, ce qu’il faut regarder, c’est là ».Son attention porte aussi sur le fait que l’étudiante prenne en compte le ressenti de la patiente pendant ses gestes d’accouchement : « vous pouvez dire à la patiente: quand la contraction revient, si vous poussez, vous me prévenez ». Elle l’aide à verbaliser l’action qu’elle est en train d’accomplir. Plusieurs champs conceptuels sont mobilisés par l’enseignante pour mettre en relation la situation et les savoirs à mobiliser par l’étudiante, en fonction du déroulé de la situation simulée et de leur utilité pratique. L’enseignante cherche à montrer la pertinence des actions à mettre en œuvre. Ce n’est pas la réussite de l’action qui est le principal critère, contrairement aux situations d’accouchement réel dans lesquelles la sécurité de la mère et de l’enfant prime. Dans le passage suivant, extrait de la situation 2 de formation d’accouchement réel (V8- 12mn07) au moment où la tête du bébé sort, on relève que l’enseignante enchaîne du

« technologique », mobilisant des gestes de pilotage directifs, sous forme d’injonction qu’elle répète, suivi du « scientifique » venant étayer le « technologique » et pour finir, du « professionnel » pour suivre ce qu’il se passe en direct, au moment même de l’accouchement.

Expulsion de la tête fœtale Type de savoirs

« après…puis tu vois bien ton périnée postérieur, c’est ce qu’il y a de plus important…puis là, elle pousse tellement bien qu’à la rigueur,

l’asynclitisme…c’est désuet, quoi…hein… t’en as pas besoin. »

« …essuyez lui bien le visage… essuyez lui bien le visage parce qu'il va inhaler du liquide pulmonaire et du liquide amniotique…donc ça lui laisse le temps en plus de restituer, voilà… »

« voilà, voilà, voilà…ouais, ouais… c'est bien… »

Technologique Professionnel Scientifique Professionnel Technologique Scientifique Professionnel

Extrait Situation d’accouchement réel 2 – V8- 12mn07

Dans les interactions enseignante-étudiant en situations d’accouchement réel, les « actions verbales » centrées sur la tâche sont plus importantes que dans les actions simulées où l’enseignante peut adopter une posture de retrait pour laisser plus d’autonomie à l’étudiant. La préoccupation principale de l’enseignante n’est pas de s’attarder sur du « scientifique » mais de faire enchaîner des gestes qui assurent le déroulement de l’accouchement en toute sécurité. Cela concerne les métiers dans lesquels les professionnels sont en contact direct avec du public.

Les gestes de tissage et d’étayage sont limités au strict minimum, le pilotage directif est prépondérant. Les gestes d’atmosphère sont différents car les consignes de travail ne sont pas données de la même façon en présence d’une patiente ou devant un simulateur. L’analyse des gestes professionnels (Bucheton, 2009) de l’enseignante en situation de formation d’accouchement réel confirme qu’elle utilise des actes de langage directifs quand elle veut faire faire quelque chose par les étudiants. Les gestes de pilotage sont repérés par des verbes d'action ou des injonctions, servant à poser des règles : « il faut », « stop ! », « je veux », « voilà », « donc »:

Situation 1 – V7 Situation 2 – V8

1mn 48 : il faut enlever la protection 18s : il faut descendre plus

5mn : il faut la guider 1mn07 : il faut bien nettoyer

10mn16 : il faut passer la main 5mn34 : il faut que tu la guides

29mn52 : il ne faut pas que ça dure plus de 10mn 15mn07 : il faut que tu mettes

54mn32 : il ne faut jamais piquer 18mn54 : même s'il faut effectivement que ton épaule soit…

55mn10 : faut que tu apprennes à perfuser

Tableau des verbes d'action ou injonctions repérant les gestes de pilotage en situation d’accouchement réel

En situation d’accouchement simulé, l’enseignante peut observer l’ensemble du processus conduisant à la réussite ou à l’échec de la tâche, elle peut questionner, réorienter ou interrompre le processus à différents moments. Il semble que la combinaison d’une centration, à la fois sur la tâche et sur la logique de l’étudiante, majore l’efficacité des gestes d’enseignement de l’enseignante.

La simulation, à mi-chemin entre apprentissage théorique et pratique réelle, ne remplace pas l’expérience mais aide l’étudiant à faire ses premiers pas de professionnels en toute sécurité. Elle permet de proposer une participation active (« technologique »), en s’appuyant sur des connaissances de base (« scientifique »), accompagnée d’un moment de réflexion ayant pour but l’analyse de la dimension constructive de la situation et des évènements (« professionnel »). Il ne s’agit pas uniquement de vérifier des connaissances théoriques ou l’acquisition d’une pratique gestuelle, mais bien d’associer la transférabilité de principes abstraits. Par exemple, au cours de la première séance de simulation, l’enregistrement vidéo montre que l’étudiante, qui se prépare à faire l’accouchement de la tête fœtale sur le simulateur, est très concentrée sur la préparation « technique » et le matériel dont elle a besoin, mais elle occulte l’environnement. L’enseignante intervient pour resituer le contexte et aborde le versant du « professionnel » :

-voilà, il faut utiliser les professionnels qu’il y a autour de vous, les ressources pour vous… pour vous aider, d’accord ? Vous, vous devez pouvoir faire l’accouchement… donc il suffit juste que vous ayez des gants. Après, que d’autres personnes préparent la table à côté de vous, ça ne gêne pas, d’accord ? (V4- 2197 à 2203).

L’enseignante repère les éléments, les informations et les caractéristiques qui ont un intérêt, une valeur et une pertinence éducative, elle saisit des opportunités pédagogiques, elle réorganise les éléments entre eux. La stratégie d’apprentissage mêle acquisition de connaissances scientifiques, développement de compétences gestuelles, apprentissage du

raisonnement clinique, développement de capacités réflexives, travail collaboratif et développement de compétences en communication.

Les résultats issus du travail d’analyse comparative verbale et comportementale font apparaître des différences permettant de mettre à jour les conceptions de l'apprentissage en situation d’accouchement simulé et en situation d’accouchement réel, ainsi que leur apport complémentaire au savoir enseigné. Ces schémas de séquences pédagogiques donnés en exemple montrent comment les articulations entre simulation, modèle, théorie et réalité débouchent sur des conditions didactiques de construction d’activités. Dans les situations d’accouchement réel, les postures convoquées par l’enseignante sont essentiellement des postures de contrôle, sans posture de lâcher-prise, et des postures d’accompagnement directif, avec une posture d’enseignement présente, mais en second plan. Une forte concentration de gestes de rectification-correction témoignent chez elle d’un souci de sécurité et de réussite de la tâche passant de façon prioritaire. Elle privilégie le résultat plus que le processus didactique. Les savoirs ne sont pas toujours nommés devant la patiente, ni reformulés par l’étudiant. Même si elle encourage ou valorise les gestes de l’étudiant, elle ne peut pas s’arrêter sur la nature des obstacles didactiques jalonnant son activité, ou lui en proposer des interprétations pour s’attarder sur son cheminement personnel. Les savoirs sont considérés de façon assez « technologique » et ne peuvent pas être élargis à des éléments de savoirs scientifiques.

Dans les situations d’accouchement simulé, l’enseignante s'arrête sur les savoirs posant problème à l'étudiant en prenant appui sur son raisonnement personnel. Elle valorise la progression tout en s'intéressant fortement au processus. L’erreur est envisagée comme une tentative, fruit de la réflexion de l’étudiant. Ce modus vivendi, à la fois centré sur la tâche et tenant compte de la logique de l'étudiant, présente un réel intérêt sur le plan pédagogique. Pour reprendre notre postulat de départ, l’intégration du « scientifique », du « technologique » et du « professionnel » profite de la fonctionnalité des différents outils didactiques constituant le simulateur, qui affirme un rôle d’intermédiaire central dans la construction du rapport aux savoirs des étudiants.

L’analyse ne nous permet pas de tirer de conclusions significatives, mais l’intérêt de présenter cette approche, réside dans le fait de mettre en exergue la possibilité de réfléchir à ce qui pourrait être travaillé en simulation, de façon à potentialiser la juxtaposition des différents savoirs. Rappelons que nous avons posé l’idée d’une activité enseignante avec le

simulateur favorisant au mieux l’intégration des différents savoirs, dont la finalité est que les premiers pas des étudiants, dans la surveillance de parturientes en salle d’accouchement, ne s’apparentent pas à un baptême du feu. Les interactions en simulation relèvent d’une vision socioconstructiviste des échanges, parallèlement à une vision transmissive de l’apprentissage, tenant compte de la logique singulière de l’étudiant. Les « logiques d’arrière-plan » (Bucheton, 2009) font ressortir des conceptions différentes du savoir enseigné. La relation problématique de l’enseignante à la sécurité est alors déplacée à la relation de l’étudiant vis-à-vis du savoir. Les interactions différenciées réalisées par l’enseignante l'autorisent à voir l'étudiant dans sa singularité, ce que la situation d’accouchement réel ne lui autorise que plus tardivement, en fin ou après la situation.

6.4 Ce qui relève des apprentissages constatés ou supposés des

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