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CHAPITRE I : Synthèse bibliographique

I.1. Passivation et corrosion des aciers inoxydables

I.1.3. Analyse de surface des aciers inoxydables

Une connaissance approfondie des propriétés du film passif, notamment de ses propriétés chimiques et structurales, est nécessaire afin d’optimiser la résistance à la corrosion des aciers inoxydables. La phase métallique sous le film passif, ou métal sous-jacent, joue un rôle déterminant dans le processus de passivation car sa composition détermine les vitesses de dissolution à l’interface métal/oxyde.

26 I.1.3.1. Aspects expérimentaux

a. Techniques d’analyse des surfaces

L’XPS (X-ray Photoelectron Spectroscopy), aussi appelée ESCA (Electron Spectroscopy for Chemical Analysis) est une technique particulièrement adaptée à l’étude du film passif car l’épaisseur sondée est de l’ordre de quelques nanomètres. Des informations qualitatives et quantitatives sont obtenues aussi bien sur la composition chimique (états chimiques et proportions de chaque élément) que sur l’épaisseur du film passif. L’AES (Auger Electron Spectroscopy) est une technique également très utilisée pour caractériser le film passif. Cette technique possède une meilleure résolution latérale que l’XPS mais moins d’informations peuvent être obtenues sur les états chimiques des éléments. Des informations sur la distribution en profondeur des éléments au sein du film passif peuvent être obtenues par XPS et AES. Par XPS, une modification de l’angle d’analyse permet de sonder différentes profondeurs de l’échantillon. Cette technique, appelée ARXPS (Angle-Resolved XPS), est non destructive. Cette procédure nécessite une couche d’épaisseur uniforme couvrant une surface non-rugueuse [Olefjord, 1996]. Par XPS et AES, un décapage ionique peut être réalisé pour obtenir des profils en profondeur. Cette méthodologie est destructive et limitée par plusieurs facteurs (rugosité de la surface, décapage préférentiel d’un élément, qualité du vide, analyse des bords du cratère, implantation d’ions du canon de décapage, réaction ou déplacement d’atomes de la surface…).

Ces techniques d’analyse de surface sont généralement couplées à une caractérisation électrochimique afin de comprendre l’influence des propriétés chimiques du film passif sur la résistance à la corrosion des aciers inoxydables. Dans ce sens, une étude collaborative a été menée indépendamment entre différents laboratoires dans le but de standardiser les méthodes de préparation et d’analyse des films passifs par électrochimie, AES et XPS [Marcus, 1988]. D’autres techniques peuvent être utilisées, comme le SIMS (Secondary Ion Mass Spectrometry), en particulier le ToF-SIMS (Time of Flight Secondary Ion Mass Spectrometry) [Bardwell, 1991], [Mischler, 1995], [Rossi, 2000], [Fajardo, 2010], [Vignal, 2011], [Fajardo, 2010], [Maurice, 2015], [Tardio, 2015], l’ISS (Ion Scattering Spectroscopy) [Calinsky, 1989], la GDOES (Glow Discharge Optical Emission Spectroscopy), la QCM (Quartz Crystal Microbalance) éventuellement couplée à des mesures électrochimiques

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[Olsson, 2000], [Hamm, 2002a], [Hamm, 2002b] ou l’ICP-MS (Inductively Coupled Plasma Source Mass Spectrometry) pour le dosage des éléments dissous dans la solution de passivation [Castle, 1989], [Castle, 1990]. La structure du film passif à l’échelle nanométrique peut être étudiée par STM (Scanning Tunnelling Microscopy) [Maurice, 1996], [Marcus, 1998], [Maurice, 1998], [Maurice, 2012], [Massoud, 2013], [Maurice, 2015]. Enfin, les propriétés électroniques du film passif (non décrites ici) peuvent être étudiées par spectroscopie de photo-courant [Hakiki, 1998], [Montemor, 2000], [Sudesh, 2006].

b. Préparation de la surface

Pour un même alliage, le film passif peut avoir des propriétés très différentes selon la méthodologie de préparation de surface, en particulier le polissage, la polarisation électrochimique, l’électropolissage ou le décapage chimique [Maurice, 1996], [Maurice, 1998], [Schmidt-Rieder, 2003], [Vignal, 2014], [Maurice, 2015]. Dans la littérature, deux familles de films passifs sont distinguées. D’une part, le « film d’oxyde natif » correspond au film formé spontanément après un polissage mécanique suivi d’un certain temps d’exposition à l’air. D’autre part, le « film passif » à proprement parler correspond au film formé dans un électrolyte par passivation électrochimique, c’est-à-dire en appliquant un potentiel correspondant au domaine passif de l’alliage. De manière plus générale, le « film anodique » correspond au film formé par passivation électrochimique en appliquant un potentiel. Les paramètres utilisés pour la polarisation électrochimique (pH de l’électrolyte, potentiel appliqué, temps de polarisation, température, présence d’anions dans l’électrolyte) déterminent les propriétés du film, comme détaillé par Olsson et Landolt [Olsson, 2003].

I.1.3.2. Caractérisation chimique de la surface

a. Epaisseur et composition chimique du film passif

Le film passif formé à la surface des aciers inoxydables est décrit comme une couche de quelques nanomètres d’épaisseur, généralement comprise entre 1 et 3 nm, composée majoritairement d’oxydes et/ou d’hydroxydes de fer et de chrome. Des exemples de la littérature de calculs d’épaisseur et de composition chimique pour différents alliages sont résumés dans le Tableau A-2 (Annexe A). Le fer est présent sous la forme d’oxydes et/ou d’hydroxydes de Fe(II) et/ou de Fe(III). Le chrome est présent sous la forme d’oxyde et/ou

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d’hydroxyde de Cr(III). La teneur en chrome dans le film passif augmente avec la teneur du chrome dans le bulk (Figure I-10-a) [Frankental, 1976], [Asami, 1978], [Kirchheim, 1989], [Hamm, 2002a]. Le chrome est enrichi dans le film passif par rapport au bulk et sa teneur peut atteindre 80 % atomiques (Figure I-10-b). Cet enrichissement est le résultat de l’oxydation préférentielle du chrome par rapport aux autres éléments métalliques présents dans l’alliage, notamment le fer et le nickel [Maurice, 1996], [Maurice, 1998]. Une mobilité plus élevée du chrome au sein du film passif est également proposée [Kirchheim, 1989].

(a)

(b)

Figure I-10 (a) Teneur en chrome dans le film passif en fonction de la teneur en chrome dans le bulk [Hamm, 2002a] et (b) composition chimique du film passif formé sur un acier inoxydable allié au nickel et au molybdène [Olefjord, 1982], [Olsson, 2003].

Dans le cas des films formés par polarisation électrochimique en milieu acide, l’enrichissement en chrome est accentué par la dissolution préférentielle du fer (métallique et/ou oxydé) [Leygraf, 1979], [Calinsky, 1989], [Kirchheim, 1990], [Heine, 1990], [Haupt, 1995], [Maurice, 1996], [Maurice, 1998], [Hamm, 2002a], [Hamm, 2002b], [Hermas, 2005], [Maurice, 2015]. Tardio et al. [Tardio, 2015] suggèrent une dissolution préférentielle des oxydes de fer lors de l’immersion dans de l’eau ultra pure. Selon certains auteurs [Olefjord, 1982], [Maurice, 2015], l’enrichissement en chrome dans le film passif entraîne un appauvrissement en chrome dans le métal sous-jacent. D’autres auteurs [Leygraf, 1979], [Halada, 1996], [Maurice, 1996], [Maurice, 1998] notent au contraire un enrichissement en chrome dans le métal sous le film passif tandis que d’autres auteurs n’observent pas de différences significatives entre la teneur en chrome dans le métal sous-jacent et dans le bulk.

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Les films formés en milieu basique sont plus épais et plus riches en fer dans la partie externe que ceux formés en milieux acides du fait de la stabilité accrue des espèces fer [Calinsky, 1989], [Hoppe, 1994], [Schmutz, 1999], [Olsson, 2003], [Schmidt-Rieder, 2003]. Dans le domaine passif, il est admis que l’épaisseur du film passif augmente (selon certains auteurs, linéairement) avec le potentiel appliqué, que ce soit en milieu acide [Olefjord, 1980], [Mischler, 1991], [Haupt, 1995], [Olsson, 1995], [Olefjord, 1996], [Maurice, 1996], [Wegrelius, 1999], [Olsson, 2000], [Schmidt-Rieder, 2003], [Högström, 2013] ou en milieu basique [Hoppe, 1994]. Dans le domaine transpassif, l’épaisseur du film passif décroit du fait de la dissolution des oxydes de Cr(III) en espèces Cr(VI) [Haupt, 1995], [Olsson, 2000].

La composition chimique du film passif est fortement affectée par le potentiel appliqué lors de la polarisation [Olefjord, 1985], [Calinksy, 1989], [Olefjord, 1990], [Hoppe, 1994], [Haupt, 1995], [Maurice, 1996], [Olefjord, 1996], [Maurice, 1998], [Wegrelius, 1999], [Olsson, 2002], [Schmidt-Rieder, 2003], [Keller, 2004], [Högström, 2013]. Olsson et Landolt [Olsson, 2003] soulignent que de manière générale, pour les alliages Fe-Cr, l’enrichissement en chrome du film passif se produit dans le domaine passif bas, alors que dans le domaine transpassif, la teneur en chrome diminue car la stabilité du fer dépasse celle du chrome qui s’oxyde en Cr(VI).

Plusieurs études [Leygraf, 1979], [Kirchheim, 1989], [Castle, 1990], [Yang, 1994a], [Yang, 1994b], [Maurice, 1996], [Maurice, 1998], [Wegrelius, 1999] concluent que l’augmentation du temps de passivation (vieillissement) entraîne une augmentation de la teneur en chrome du film passif. L’épaisseur totale du film passif ne varie pas au cours du vieillissement, mais l’épaisseur de la couche interne d’oxyde augmente et l’épaisseur de la couche externe d’hydroxyde diminue [Maurice, 1996], [Maurice, 1998].

La littérature s’accorde sur l’absence (ou la présence de traces) de nickel oxydé et/ou hydroxydé, ce qui peut être expliqué par l’oxydation préférentielle/sélective des autres éléments d’alliage alors que le nickel, plus noble, n’est pas oxydé [Hashimoto, 2007]. Par conséquent, le nickel métallique présente un enrichissement significatif à l’interface métal/oxyde par rapport au bulk (Figure I-10-b) [Olefjord, 1990], [Willenbruch, 1990], [De Vito, 1992], [Olsson, 1994], [Vanini, 1994], [Olsson, 1995], [Olefjord, 1996], [De Cristofaro, 1997], [Maurice, 1998], [Schmidt-Rieder, 2003], [Addari, 2008], [Hamada, 2010], [Olsson, 2011], [Fredriksson, 2012], [Högström, 2013], [Maurice, 2015]. Certains

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auteurs [Maurice, 1998] concluent que cet enrichissement est plus prononcé pour les films formés par passivation électrochimique que pour les films formés à l’air, du fait de la dissolution préférentielle du fer lors de la passivation électrochimique. Dans d’autres études [Olsson, 2011], [Maurice, 2015], un enrichissement en nickel similaire a été observé sous le film d’oxyde natif et sous le film formé par passivation électrochimique.

Le molybdène est incorporé dans le film passif jusqu’à quelques pourcents atomiques. La littérature évoque principalement la présence d’oxydes et/ou d’hydroxydes de Mo(IV) et/ou de Mo(VI) [Sugimoto, 1977], [Olefjord, 1985], [Clayton, 1986], [Olefjord, 1990], [De Vito, 1992], [Macdonald, 1992], [Olsson, 1994], [Olsson, 1995], [Hakiki, 1998], [Wegrelius, 1999], [Olsson, 2002], [Pardo, 2008a], [Pardo, 2008b], [Högström, 2013], [Mesquita, 2013], [Maurice, 2015], [Tardio, 2015]. La présence de Mo(V) a été discutée [Kim, 1998]. Un enrichissement en molybdène dans le film passif par rapport à la teneur du bulk est souvent constaté, plus prononcé pour les films formés par passivation électrochimique que pour les films d’oxyde natifs [Maurice, 2015]. Plusieurs études [Olefjord, 1985], [Olefjord, 1990], [Olsson, 2002] montrent que dans le domaine passif bas, les espèces Mo(IV) sont prédominantes, alors que dans le domaine passif haut, les espèces Mo(VI) sont prédominantes. Mesquita et al. [Mesquita, 2013] concluent que la teneur en molybdène dans le film passif augmente lorsque le pH de l’électrolyte augmente. Plusieurs études [Olefjord, 1980], [Castle, 1989], [Castle, 1990], [Tan, 1995], [Vignal, 2010] montrent que la présence du molybdène promeut l’enrichissement en chrome dans le film passif tandis que d’autres [Hashimoto, 1979a], [Hashimoto, 1979b], [Marcus, 1988], [Hashimoto, 2007] ne constatent aucun effet. Certains auteurs concluent que le molybdène métallique est enrichi sous le film passif [Olefjord, 1982], [Olefjord, 1985], [Olefjord, 1990], [Halada, 1996] alors que d’autres [Maurice, 2015] trouvent des concentrations proches de celles du bulk.

Pour les aciers inoxydables qui contiennent de l’azote, un enrichissement en azote (sous la forme de nitrures) est observé à l’interface métal/oxyde ou dans le film passif [Willenbruch, 1990], [Marcus, 1992a], [Olsson, 1995], [Vanini, 1994], [Halada, 1996], [Olefjord, 1996], [Femenia, 2004]. Un mécanisme de ségrégation anodique est proposé, au cours de la passivation électrochimique ou de la dissolution qui la précède [Marcus, 1992a], [Vanini, 1994], [Olefjord, 1996]. L’enrichissement en azote est également observé sous le film d’oxyde natif [Femenia, 2004].

31 b. Stratification du film passif

Le modèle « historique » utilisé pour décrire la stratification du film passif est qualifié de « duplex » ou « bicouche » et consiste en une couche interne d’oxyde et une couche externe d’hydroxyde [Yang, 1994a], [Yang, 1994b], [Maurice, 1996], [Maurice, 1998], [Keller, 2004]. Des techniques comme le ToF-SIMS remettent en question une stricte stratification des oxydes et des hydroxydes [Maurice, 2015].

Schmidt-Rieder et al. [Schmidt-Rieder, 2003] suggèrent que le film passif formé par polarisation en milieu basique consiste en une couche interne riche en chrome et une couche externe riche en fer, alors que le film formé en milieu acide ne comprend que la couche interne riche en chrome du fait de la dissolution du fer. Högström et al. [Högström, 2013] décrivent le film passif formé dans de l’eau distillée ou en milieu acide par un modèle à trois couches : une fine couche externe composée de fer et de chrome et enrichie en fer, une couche intermédiaire épaisse composée de fer et de chrome et enrichie en chrome ainsi qu’une fine couche interne composée de fer et de molybdène et enrichie en molybdène. Le film d’oxyde natif formé à l’air peut être représenté par une couche mixte d’oxydes de Fe(III) et de Cr(III) [Maurice, 1996], [Maurice, 1998].

Maurice et al. [Maurice, 2015] proposent un modèle constitué d’une couche externe de Fe(III) et d’une couche interne de Cr(III) aussi bien pour le film d’oxyde natif que le film formé par passivation électrochimique (Figure I-11). Dans ce modèle, les espèces Mo(IV) et Mo(VI) sont distribuées de manière homogène, dans la couche interne pour le film d’oxyde natif et dans la couche externe pour le film obtenu par passivation électrochimique.

Figure I-11 Modèle utilisé pour décrire le film d’oxyde natif et le film formé par passivation électrochimique à la surface d’un monocristal Fe-17Cr-14.5Ni-2.3Mo (100) [Maurice, 2015].

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La distribution du molybdène au sein du film passif est susceptible d’être plus complexe. Par exemple, Olsson et Hörnström [Olsson, 1994] suggèrent que le Mo(VI) est concentré dans la région externe du film passif alors que les oxydes et oxy-hydroxydes de Mo(IV) sont distribués de façon plus homogène.

I.1.3.3. Caractérisation structurale de la surface

Plusieurs études [McBee, 1972], [Ryan, 1994] concluent que le caractère amorphe du film passif est plus prononcé lorsque la teneur en chrome de l’alliage augmente. Maurice et al. [Maurice, 1996], [Maurice, 1998] soulignent que le vieillissement du film passif sous polarisation entraîne la coalescence de nuclei d’oxyde et la cristallisation de la couche d’oxyde Cr2O3 interne en épitaxie avec le substrat. Les auteurs notent que la cinétique de cristallisation est plus rapide pour les monocristaux Fe-18Cr-13Ni (100) (austénitique) que pour les monocristaux Fe-22Cr (110) (ferritique). Cette différence est attribuée à la présence d’un enrichissement en nickel dans le métal sous-jacent dans le cas des monocristaux Fe- 18Cr-13 Ni (100) qui limite l’accès en Cr et ralentit la formation de Cr2O3 dans la partie interne du film passif, ce qui favorise une cristallisation plus complète. Maurice et al. [Maurice, 2015], ont montré que le film passif formé sur des monocristaux de Fe-17Cr- 14.5Ni-2.3Mo (100) ne présente aucune structure cristalline, du moins en surface, contrairement aux monocristaux Fe-18Cr-13Ni (100) étudiés dans les mêmes conditions [Maurice, 1998]. Les auteurs proposent la formation d’une couche externe de molybdate qui empêcherait l’observation par STM de la couche interne d’oxyde de chrome éventuellement cristallisée. Femenia et al. [Femenia, 2001], [Femenia, 2002] ont caractérisé la dissolution des aciers inoxydables duplex aux joints de grains et de phases par STM.

Certains auteurs [Revesz, 1978], [Kruger, 1988], [Maurice, 1994] suggèrent que le caractère amorphe du film passif lui confère une flexibilité structurale permettant de mieux résister à la corrosion par piqûres. Maurice et al. [Maurice, 1996], [Maurice, 1998] concluent au contraire que la cristallisation du film passif n’est pas néfaste à la résistance à la corrosion. L’utilisation du STM permet également de mettre en évidence les défauts cristallins du film passif, comme les sites vacants, qui peuvent amorcer la corrosion localisée ou des différences locales d’épaisseur du film passif, dues à la structure en terrasses et en marches du film passif [Marcus, 1998]. Les zones où le film passif est plus fin peuvent être le siège d’une rupture de passivité [Marcus, 1998].

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