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Analyse critique d’un discours critique

D (Conclusion) Des « lieux de mémoire » aux « récits autorisés »

B. Analyse critique d’un discours critique

Christo a été formé à l’académie des Beaux-Arts de Sofia, en particulier aux principes esthétiques du Réalisme socialiste et aux pratiques artistiques de l’Agitprop, il a été introduit à la fin des années 1950 et début des années 1960 dans les cercles de l’avant-garde européenne et étasunienne (cf. Chapitre 1, I). Christo s’installe à New York, dans un contexte intellectuel et artistique caractérisé par le repli de l’Expressionnisme abstrait496, et dominé d’un côté, par

le courant formaliste dont les principes esthétiques sont théorisés par le critique et théoricien C. Greenberg, et de l’autre, par l’influence de M. Duchamp et de J. Cage, relayée par A. Kaprow. Les « appropriations » objectales du premier (ready-made, édition documentaire, etc.), les enseignements et productions participationnistes du second (au Black Mountain College entre 1948 et 1952 et à la New School for Social Research de 1957 à 1958), et les pratiques « décloisonnantes » (décloisonnement disciplinaire, activité artistique polymorphe), « actionnistes » (l’attitude l’emporte sur la production d’un objet d’art) et « événementielles » des trois (situation théâtrale, events, happening, performance), constituent des sources d’inspiration pour une avant-garde artistique extrêmement diversifiée, partageant une communauté de valeurs dites non-artistiques. C. Greenberg, tenant d’une critique intrinsèque, préconisant un modèle analytique de l’exercice critique centré sur l’étude structurale du système de procédés formels qui rend l’œuvre d’art possible, est devenu le théoricien d’une pratique formaliste de l’art, c’est-à-dire une pratique « réduite » à la seule considération des procédés formels qui l’autodéfinissent497 et la rendent irréductible à d’autres moyens

496 Mouvement artistique new-yorkais des années 1940-50 et début des années 1960, essentiellement pictural,

caractérisé par un principe esthétique commun : l’expression de l’intériorité par la correspondance de la forme ou de l’intensité chromatique et de la disposition psychique de l’artiste. Il est partagé en deux tendances aux fortunes critiques distinctes : l’Action Painting (Pollock, De Kooning, Motherwell) théorisée par le critique existentialiste H. Rosenberg et le Color Field Painting (Rothko, Still, Newman) qui trouvera son élaboration théorique dans les écrits formalistes de C. Greenberg. L’expressionnisme abstrait rompt avec le traditionnel rapport de représentation entre le sujet peint et l’objet réel, pour lui substituer un rapport de révélation entre l’objet d’art et l’intériorité psychique du sujet créateur. La dimension expressive de l’œuvre devient la condition du style.

497 C. Greenberg employait le terme d’autodéfinition pour désigner les caractéristiques formelles exclusives à un

moyen d’expression donné. Ainsi, les éléments caractéristiques exclusifs de l’art pictural, qui l’intéressaient, étaient la surface plane, la forme rectangulaire, les propriétés des pigments. Il organise en 1964, au Los Angeles

County Museum une exposition intitulée Post-Painterly-Abstraction qui deviendra le terme servant à définir la

peinture abstraite américaine des années 1960, autour des deux composantes majeures de la couleur et des formes géométriques. Le formalisme opère la dissociation de l’abstraction et de l’expressionnisme. Les principaux représentants de la nouvelle abstraction sont : Frank Stella, Kenneth Noland, Morris Louis, Helen Frankenthaler. On peut retrouver des éléments formalistes chez les artistes du Pop Art (R. Lichtenstein, A. Warhol, R. Indiana, T. Wesselman), derrière « l’imagerie », dans l’attention portée aux éléments caractéristiques de l’espace pictural (la planéité, le cadre). Bien que le formalisme soit essentiellement pictural on peut aussi retrouver des éléments formalistes dans l’abstraction géométrique de la sculpture minimaliste (R. Morris, D. Flavin, D. Judd) et dans la mobilisation de certaines formes archaïques par le Land Art (R. Morris, R. Smithson, M. Heizer).

d’expression. L’influence de M. Duchamp et de J. Cage, se retrouve dans divers courants artistiques de ces années (Process art, Land Art, Body Art, Hyperréalisme). Chacun à leur manière, ils utilisent des objets, des données et des processus étrangers à l’art pour interroger la relation entre celui-ci et le non-art (entre objet banal et objet artistique, et entre réalité et action artistique, entre vie et création artistique). Ils sortent des lieux institutionnels de la production artistique afin d’enregistrer ou de s’approprier des faits réels ou afin de placer des « fragments de réel dans le réel » (Rosenberg, 1992, p. 28), et de les décréter œuvres d’art498.

Ils interrogent le rôle artistique du récepteur de l’œuvre d’art. L’intégration de la réalité à l’activité artistique peut se faire sous une forme objectale et concrète ou sous une forme métaphorique et idéologique. Malgré leur opposition esthétique499, ces deux tendances

(formalisme, non-art) se retrouvent néanmoins dans l’importance donnée à la littéralité de l’objet d’art, c’est-à-dire dans la négation d’une signification extra-esthétique de l’objet d’art, celui-ci ne devant être référé ni à un objet, sur le mode de la représentation, ni à un sujet créateur, sur le mode de l’expression. Ils se retrouvent aussi dans la place donnée au discours dans l’œuvre d’art, qui l’intègre comme une qualité « substantielle » et ne s’y rapporte plus comme un « corrélat verbal » (Rosenberg, 1992, p. 58). C’est dans ce contexte que Christo se met à parler de son œuvre et participe au grand mouvement discursif qui caractérise alors le « milieu de l’art » new-yorkais : il entre en interdiscursivité. Son discours théorico-réflexif n’est alors ni celui d’un profane, ni celui d’un naïf. Comme pour beaucoup d’artistes étasuniens contemporains500 son discours est informé. Formé au réalisme, aux interventions

dans le réel et à l’appropriation du réel, il est de plein pied dans l’avant-garde, développé en parallèle et en accord avec sa pratique artistique501. Celui de Jeanne-Claude s’est formé au

contact de Christo et dans leur pratique commune502. Si leur discours critique fait mine

498 Pour la définition générale des théories esthétiques, des influences et des courants, mouvements et

communautés artistiques des années 1960 aux Etats-Unis, voir I. Sandler (1990), R. Krauss (1993), et le dictionnaire de l’art moderne et contemporain dirigé par G. Durozoi (1993).

499 Ces deux tendances s’opposent non seulement sur leurs positions esthétiques, mais sur leur pratique

artistique. Les formalistes faisant du « milieu » de l’art (la collusion entre théorie de l’art, condition de production, condition de réception de l’art) la condition de possibilité de l’œuvre, tandis que la tendance non-art faisait de la sortie hors du « milieu » de l’art la condition de sa production et de sa réception. Ce qui sera particulièrement sensible avec le Land Art.

500 H. Rosenberg (1992, p. 38), dans son article « La formation des artistes », souligne les faits suivants : « Le

simple fait de rappeler que l’artiste typique d’aujourd’hui a été formé dans une université suffit à soulever un tollé. (…) Il suffit que je mentionne quelques chiffres - par exemple, le fait que sur dix artistes majeurs de la génération de Pollock et de De Kooning, un seul possédait un diplôme universitaire (et pas en art), tandis que sur “sur trente artistes âgés de moins de trente cinq ans” qui avaient participé à l’exposition Young America 1965 du Whitney Museum, une majorité possédait son B.A. (Bachelard of Arts) ou son B.F.A. (Bachelor of Fine Arts) - pour qu’un jeune peintre très en vue se sentit accusé, lui et ceux de sa tranche d’âge, d’être un artiste académique. (…) Dans une salle de classe (…) il est normal de formuler consciemment ce que l’on fait et d’être capable de l’expliquer à autrui. La création devient synonyme de processus de production, et elle est décomposée en des ensembles de problèmes et de solutions. »

501 Léo Castelli, le marchand d’art et galeriste new-yorkais, en déplacement à Paris, au moment de Le Rideau de

Fer - Mur de barils de Pétrole, 1962, dira en 1986 à B. Chernow : « His Iron Curtain was a great event. It was

totally understandable because my artists had the same conceptual approach. The idea of blocking the street was pure Duchamp. » (Chernow, 2002, p. 111).

502 C’est ce que souligne d’ailleurs l’explication apportée par les artistes à l’ordre de succession des prénoms

Christo et Jeanne-Claude : « En 1994, ils ont décidé de changer officiellement le nom de l’artiste Christo en : les artistes Christo et Jeanne-Claude. Ils ont travaillé ensemble depuis leur première œuvre temporaire en extérieur (…). Comme Christo était déjà un artiste et que Jeanne-Claude ne l’était pas, lors de leur rencontre en 1958 à Paris, ils ont décidé que leur nom serait Christo et Jeanne-Claude et PAS « Jeanne-Claude et Christo ». (Christo et

Jeanne-Claude, 2000, p. 23). B. Chernow rapporte que Christo a initié Jeanne-Claude à l’art en général, puis à la création et à l’art contemporains, à Paris, dans les premières années de leur rencontre, lui faisant visiter chronologiquement les musées parisiens, l’invitant aux représentations d’un théâtre d’avant-garde, etc.

aujourd’hui de se soumettre à une nécessité extérieure (correction des critiques, réponse au public), son existence dès cette époque, a donné de facto « une substance verbale [à l’œuvre] qui établit la tradition visuelle dans laquelle [elle] doit être vue. » (Rosenberg, 1992, p. 58). Quelle(s) idée(s) les Christo se font-ils de l’art et de l’œuvre qui s’y insère ? Quels sont les conditions et les principes de l’intelligibilité de leur œuvre qu’ils tentent d’imposer comme cadre de référence partagé ?

Les textes des Christo mobilisent le vocabulaire de l’esthétique, de l’économie et de l’histoire de l’art. Ils reconnaissent des « artistes » (une « intention », une « inspiration »), concepteurs et producteurs d’ « œuvres d’art », qui mènent une « activité artistique », qui prennent des « décisions esthétiques » pour produire des œuvres « dédiées à la joie et à la beauté ». Ils reconnaissent un « système de l’art » qui correspond à un marché de l’art avec ses régulations étatiques, des institutions muséales (galeries et musées), avec lequel ils entretiennent des relations. Ils reconnaissent des courants artistiques, une histoire des styles et des relations stylistiques503. Mais, plutôt que d’une mobilisation des catégories forgées par ces sciences (ou

disciplines) pour expliquer des phénomènes culturels spécifiques (artistiques et esthétiques), il s’agit d’une référence croisée et diachronique aux réalités esthétiques, socio-économiques, institutionnelles dans laquelle s’inscrit leur œuvre. D’ailleurs, non seulement les artistes dénient la pertinence de ces catégories pour expliquer ou rendre compte de leur œuvre, mais ils ont fondé leur propre terminologie critique : ils qualifient leur art de « public art » (Tomkins, 1978, p. 23)504, leur démarche artistique de projet (« project ») qu’ils découpent en

une « hardware period » et une « software period » correspondant à des opérations distinctes (Christo et Jeanne-Claude, 2000, p. 25 ; Penders, 1995, p. 9), leur objet d’art de « temporary large-scale environemental work » (www.christojeanneclaude) dont les « qualités / dimensions esthétiques » sont suivant les textes l’ « amour », la « tendresse », l’ « urgence »(Christo et Jeanne-Claude, 2000, p. 25)505, l’ « éphémère »506 et l’ « unicité » (au

sens de quelque chose qui n’a lieu qu’une fois). Leur discours est fondé sur un principe critique que je qualifierais, à défaut d’autre chose, d’existentialiste, puisqu’il met en rapport une conscience créatrice unifiée, cohérente, et des contextes historiques de création, par une intentionnalité artistique507. Les contextes sont définis par une histoire de la production

artistique508, de la réception esthétique509, histoire de l’objet d’art510, histoire du matériau

503 Les termes entre guillemets sont ceux des artistes.

504 Les Christo emploient aussi le terme d’ « Environmental Art » (Penders, 1995, p. 43 ; Christo et Jeanne-

Claude, 2000, p. 11), ce qui est, par contre, une catégorie reconnue de l’histoire de l’art et de l’esthétique (cf. Chapitre 3, II, B). Mais, rappelons les termes de cet emprunt : « A.-F. P. : Dans pas mal de livres, on vous classe dans le “Earth Art” ou parmi les conceptuels. (…) Ch. : Jeanne-Claude essaie toujours de corriger cela. J. C. : S’il vous faut une étiquette, disons “Art Environnemental” !. » (Penders, 1995, p. 43 ).

505 Ils reconnaîtront les mêmes dimensions esthétiques, auxquelles ils ajouteront le nomadisme, la fragilité et la

sensualité, à la conférence qu’ils donneront à Paris, en octobre 2000.

506 « Christo : Tous mes projets sont conçus pour être temporaires. En fait ils véhiculent l’éphémère comme

dimension esthétique. » (Yanagi, 1989/a, p. 199).

507 « Christo et Jeanne-Claude / ils voulaient que », « ils disent que », « Comme tous leurs projets, cette œuvre

d’art n’était pas seulement esthétique, dans l’idée de créer de la joie et de la beauté. Son but était aussi de mettre en évidence (…). », etc. (Christo et Jeanne-Claude, 2000).

508 En particulier, le système marchand. Mais aussi les contextes juridico-politiques, socio-culturels et socio-

économiques.

509 « Ch. : Before, art was a much more fluid communion - I always think that art in the tenth century was much

more democratic than it is today. In that time nobody was involved with owning art because the people owned the kings and the gods, and there was complete link, like for them the kings and gods were the same thing, and they were the direct link with art that was real, existing. » (Diamonstein, 1979, p. 94).

privilégié (le tissu)511. Une trajectoire biographique, qui fait en quelque sorte traverser ces

contextes à l’instance de création, lui fournissant autant d’occasions générales512 de projeter

son intentionnalité. Depuis 1964, le contexte de la création christolienne est le « capitalisme »513, la « société post-industrielle », une société travaillée par la question de la

propriété privée individuelle, une société à travailler avec une éthique de la libre entreprise514. « Christo : Nous travaillons dans le monde réel ! » (Penders, 1995, p. 29).

« Christo : (…) nous utilisons tout dans le système capitaliste pour nos projets. » (Ibid., p. 25) La position esthétique des Christo est réaliste, leur démarche artistique, réglée par une sorte d’utilitarisme moral et économique, est pragmatique515. Leur position esthétique est réaliste au

sens où ils considèrent l’œuvre comme un « fragment de réel dans le réel » (Rosenberg, 1992, p. 28). Le réel est à la fois le support et la matière de l’œuvre, qu’il s’agisse du réel objectal et concret ou du réel symbolique et métaphorique.

510 L’objet d’art en général : « Christo : Our perception of art is basically Victorian. The object, the commodity

as a work of art is completely recent perception, and of course this became more and more evident (…) with the advance of capitalist society and industrial society (…). (…) When art became a commodity and we started to own it and to have it only for ourselves, that is when our monumentality started to be broken into small pieces. » (Diamonstein, 1979, pp. 93-94). Mais aussi l’objet d’art particulier : « Un parasol est un symbole de protection, tant contre la pluie que contre le soleil. C’est une image que toutes les générations, tous les pays, toutes les civilisations peuvent facilement comprendre, et cela depuis 4800 ans, depuis que la forme du parasol fut inventé en Mésopotamie. L’Irak fait aujourd’hui partie de ce qui était la Mésopotamie, où, en ces temps anciens, les peuples croyaient que le ciel était un parasol géant installé par les Dieux pour protéger les humains. La forme du parasol traverse l’histoire de l’art de toutes les époques et civilisations, voir : Persépolis -bas-relief, Darius sous un parasol. Il en va de même pour un bon nombre de personnages dans des peintures et des fresques. » (Christo et Jeanne-Claude, 2000, p. 15).

511 « Nous disons que la toile est une second skin (…) c’est pour expliquer que la toile c’est pas une idée à nous.

Les Grecs, les Romains, les Egyptiens étaient déjà fascinés par les folds, les pleats (…). » (Entretien avec les artistes de juillet 2003). Et ainsi « Tout au long de l’histoire de l’art, l’usage du tissu a été un objet de fascination pour les artistes. Des temps les plus anciens jusqu’à nos jours, l’étoffe qui forme des pans, des plis, des reliefs et des sculptures réalisés en bois, pierre et bronze. L’utilisation de toile sur le Reichstag s’inscrit dans cette tradition classique. », communiqué de presse de The Reichstag Wrapped (Marsaud-Perrodin, 1996, p. 86) (cf. annexe 02).

512 A propos du déploiement de son activité artistique aux Etats-Unis Christo dit : « What I learn here - the

American system, society, the way the whole big machine work - I find it perfect to use for my projects. To grab American social structure and make it work, this is what I learn in America. » (Tomkins, 1978, p. 34).

513 « A.-F. P. : Pensez-vous qu’il vous aurait été possible de réaliser vos projets, votre société [Javacheff

Corporation] dans un autre pays que les USA ? Ch. : Non je ne crois pas. Les projets sont réalisés partout dans le

monde, mais la société n’aurait pu exister dans un autre pays. Nous profitons des ressources du système capitaliste. Ici, c’est un des systèmes capitalistes les plus libres et les plus ouverts au monde. Je vois aujourd’hui que le marché libre est absent en Allemagne ou en France. » (Penders, 1995, p. 45).

514 « Le fait que Christo et Jeanne-Claude paient leurs projets de leur propre poche est également une décision

esthétique. Ils veulent travailler dans une totale liberté, qui est leur bien le plus précieux. (…) La quête de la liberté est ce qui a poussé Christo à quitter sa patrie, la Bulgarie, à l’âge de 21 ans, lorsqu’elle était sous tutelle communiste. Christo et Jeanne-Claude ne seront jamais pieds et poings liés. » (Christo et Jeanne-Claude, 2000), p. 27 et p. 31)

515 « Ch. : We do reclycling for common capitalist sense : that is used material but not old. J.-C. : Non ce n’est

pas toujours pour notre avantage financier. Ca nous a coûté 48 000 dollars de recycler le tissu du Reichstag. Parce que nous sommes fiers de faire et de dire ça. Par exemple, l’aluminium des Parasols. Déjà quand on l’a acheté on a fait un deal “Ok, on vous l’achète mais vous le reprenez. Enlevez un petit peu du bill”. La même chose avec l’acier : “Ca nous coûtera un petit peu moins cher parce que vous allez le récupérer”. Ch. : We are using very valuable materials and they have value quality. They are staying a very short time. They are used but not old. » (Entretien avec les artistes, juillet 2003).

« Christo : Tous les détails ont leur importance, tout est esthétique. Comme pour un peintre abstrait qui a des couleurs sur sa palette. Il utilise le rouge et le jaune pour obtenir de l’orange, il peut mélanger les pigments pendant cinq minutes… c’est de la chimie pure. Finalement, il pose la couleur sur la toile et c’est de l’esthétique. Notre projet, c’est pareil : notre chimie ce sont les cultivateurs, les formes naturelles, les politiciens, etc. Nous avons à mettre toutes ces pièces ensemble et si nous échouons, le projet n’existera pas. En fin de compte, tout est esthétique et tout est important. » (Penders, 1995, p. 15).

Elle est réaliste, au sens où les artistes considèrent que l’œuvre est produite par l’activation de mécanismes réels, c’est-à-dire étrangers à l’art, par opposition à des œuvres produites par la seule activation des éléments du « système de l’art » :

« Ch. : What is important with the Running Fence or the Reichstag or the Valley Curtain - they are outside of the art system, and they are thrown directly into the everyday life of the country, of the community, of politicians, of the army, of circulation on streets and highways. And of course that is like teasing the system, you know, and the system responds very seriously, and that became the humor of the project, because when the system responds very seriously, we go to court and have these judges discussing the fence in court. Before the fence was built. (…) The system is teased and the government of California, Governor Jerry Brown, all the County different departments, will all hold public hearings open the radio and television and newspapers, and the people attend, the people talk against, the people talk for. Now that is how the work is done. And of course that is the reality. The project draws energy from that reality. B. D. : Is that dynamic energy a component of the project ? Ch. : Yes, but that is true reality. It is not orchestred by me or invited by the Gallery or things like that. Not at all. We would be glad to have less problems. But this is like an enormous machine - that’s the exciting thing. » (Diamonstein, 1979, p. 89)516.

Dans la mesure enfin où ce réel se caractérise par sa banalité, du fait de son usage ou de sa fréquentation (réel familier) ou bien du fait de sa standardisation (réel identique) :

« Christo : A la fois pour Running Fence et The Umbrellas, les sites que j’ai choisis ne sont pas exceptionnels ; ce sont des endroits ordinaires. » (Yanagi, 1989/a, P. 176).

L’œuvre aboutie, c’est l’objet littéral qui ne suggère rien d’autre que lui-même, qui est sans arrière-monde. L’œuvre ne se réfère ni à un sujet (l’artiste) dont elle révélerait l’expérience intérieure du réel ni à un objet qu’elle aurait pour fonction de représenter. Il n’y a pas non plus de réalité extra-esthétique à l’objet d’art in situ.