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CHAPITRE I. Introduction – États de l’art et Objectifs

I.5. ANALYSE CRITIQUE DES PRATIQUES COURANTES ET OBJECTIFS DU

Les roches à base de silicates riches en magnésium sont distribuées un peu partout dans le monde (Figure I.27). Au sud du Québec, les roches ultramafiques sont spatialement associées, de façon discontinue à la Ligne de Brompton-Baie Verte (BVBL) limite entre les Zones de Humber et de Dunnage. On y retrouve trois grands complexes ophioliques qui sont, du sud-ouest au nord-est, ceux du Mont Orford (massifs d’Orford et de Chagnon), d’Asbestos et de Thetford Mines [91]. Ces deux derniers sont formés d’une séquence ultramafique d’épaisseur verticale plurikilométrique [92] et contiennent les plus gros gisements d’amiante du Québec. Ces roches ultramafiques sont relativement abondantes depuis la frontière internationale en Estrie jusqu’au nord-est de Thetford Mines.

Figure I.27. Distribution des roches mafiques et ultramafiques naturelles (1995) [7].

La découverte et l’exploitation de ces roches silicatées au Canada depuis le XIXe siècle ont

permis d’accumuler de très grandes quantités de résidus miniers et d’usinage, contenant des pourcentages massiques en magnésium pouvant atteindre 19% en poids. Ces résidus

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miniers et d’usinage représentent donc un très grand potentiel pour la séquestration minérale de CO2, du point de vue de leur abondance et de leur richesse en magnésium.

Généralement disponibles sous forme concassés et broyés, les résidus miniers requièrent rarement une étape de broyage (énergivore) pour une lixiviation rapide du magnésium et un meilleur rendement de la séquestration du CO2.

Bien qu’on retrouve dans la littérature quelques études qui portent sur l’utilisation des résidus miniers pour la capture du CO2, peu d’entre elles se sont révélées économiquement

viables. En effet la plupart des procédés et technologies mettant en œuvre les résidus miniers sont avides de réactifs chimiques très couteux et sont friands d’énergie (haute température et/ou pression) [32, 34, 40, 63, 64, 66, 83, 85-86]. Les contraintes susmentionnées ont ralenti l’intérêt de nombres de groupes de recherche à poursuivre leurs travaux sur la carbonatation des résidus miniers.

L’utilisation des résidus miniers a été, dès les premiers jours, orientée vers la capture du CO2 de post-/pré-combustion. Cependant, l’utilisation des résidus miniers se heurte aux

mêmes obstacles que rencontrent les minéraux purs. Les rendements de réactions faibles ont entraîné l’abandon des procédés tournant autour de l’utilisation de ces matériaux. Pourtant, même avec de faibles rendements, utiliser les résidus miniers reste attrayant pour la capture du CO2 atmosphérique.

La capture du CO2 à sa source a bénéficié d’un intérêt croissant depuis les années 2000,

mais très peu de technologies ont été développées en s’intéressant au CO2 présent dans

l’atmosphère ou au CO2 émis continuellement par des sources diffuses (échappements des

véhicules, incendies et feux de forêts…) (Figure I.1). Par exemple au Québec, comme représenté sur la Figure I.28, environ 60 % du CO2 émis ne peut être séquestré à sa source

[93]. Un recours à des technologies permettant de séquestrer le CO2 directement de l’air

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Figure I.28. Répartition des émissions de GES au Québec en 2009, a) par secteur d’activité, b) selon le type de gaz.

Avec pour objectif d’abaisser le taux de CO2 déjà existant dans l’atmosphère, Lackner initie

les recherches sur la capture du CO2 directement de l’air [94]. Le processus qu’il propose

consiste à pomper l’air de l’atmosphère à travers une chambre contenant de l’hydroxyde de sodium, qui réagirait avec le CO2 pour former du carbonate de sodium. Cette solution

contenant du dioxyde de carbone est ensuite mélangée avec de la chaux pour précipiter le carbonate de calcium en poudre (une forme naturelle de calcaire). Enfin, ce "calcaire" est chauffé afin de libérer du CO2 pur pour son stockage. Ce procédé bien que réalisable est

gourmand en énergie d’une part pour le pompage de l’air et d’autre part pour la libération du CO2 capturé pour son stockage. D’énormes quantités de réactifs, NaOH et Ca(OH)2)

sont également mises en jeu.

Très récemment, un retour à l’utilisation des résidus miniers comme moyen de palier à l’augmentation du CO2 atmosphérique a été noté. Des approches de lixiviation accélérées

dans les conditions naturelles par des micro-organismes ou par l’utilisation des sulfures métalliques ou du soufre (moins coûteux) comme source d’acidité ont vu le jour [14] conjointement à l’utilisation de température et pression plus basses pour compenser l’utilisation de grandes quantités de réactifs (acides, bases…) et d’énergie. Bien que beaucoup de chercheurs investiguent diverses avenues pour dissoudre à faible coût les silicates magnésiens et résidus miniers et utiliser le magnésium qui en découle pour

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séquestrer du CO2, très peu d’études quantifient réellement le CO2 séquestré. La plupart des

études se limitent à optimiser le rendement de la dissolution des résidus miniers, étape qui rend disponible le magnésium à carbonater [14]. Pourtant, de récentes études démontrent que, même pour une complète dissolution de la serpentinite avec libération de tout son magnésium, aucune précipitation de carbonates de magnésium ne pourrait être observée. En effet, l’utilisation d’une solution de 2M H2SO4 pour la dissolution des serpentines suivie de

la carbonatation de la solution résultante enrichie en magnésium après correction de pH avec une solution de NH3 ne génère pas de carbonates de magnésium à cause de la

formation prépondérante de produits à base de sulfate de Mg et NH4 [85].

Bien que le comportement des minéraux purs (serpentines) en milieu aqueux et en présence de CO2 ait été largement étudié (cf. plus haut dans ce chapitre), on retrouve très peu

d’études qui caractérisent la réactivité des résidus miniers. La coexistence d’une multitude de minéraux au sein des résidus miniers complexifie davantage le découplage des divers mécanismes mis en jeu lors de leur carbonatation. Cependant, trouver un moyen économiquement viable pour améliorer la carbonatation naturelle des résidus miniers (la dissolution et la précipitation des carbonates de magnésium) devrait permettre de limiter les coûts en énergie et en réactifs, tout en profitant des conditions climatiques auxquelles ils sont exposés afin de séquestrer progressivement le CO2 atmosphérique et atténuer les

conséquences connues qui sont associées à la hausse de la teneur de ce dernier dans l’atmosphère.

Afin d’apporter de plus amples éclaircissements sur le potentiel réel des résidus miniers ultramafiques à capturer le CO2 dans des conditions économiquement peu contraignantes,

le présent travail de thèse porte sur l’investigation de la réactivité de cinq types de résidus miniers ultramafiques, d’origines diverses, dans les conditions ambiantes, et vise les principaux objectifs suivants:

Utiliser les résidus miniers pour la carbonation directe du CO2 dans les conditions

ambiantes. Le choix de la carbonation directe permet d’éliminer les coûts associés au convoyage des matériaux dans les diverses étapes qui constituent usuellement la carbonatation indirecte. Tandis que la carbonatation dans les conditions ambiante annule les dépenses énergétiques, et les dépenses attribuables aux réactifs chimiques, au stockage et à

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la régénération des produits de réaction.

Appréhender l’aptitude réelle des résidus miniers ultramafiques à séquestrer le CO2 dans

les conditions ambiantes par carbonatation directe: i) investigation de leur dissolution et mise en exergue des paramètres impactant la lixiviation du magnésium. ii) étude des phénomènes de passivation des particules. iii) estimation des vitesses de séquestration du CO2 de concentration variée (pure (99.9 vol.%), post-/précombustion (14 - 9 vol.%), faible

(9 - 1 vol.%), et très faible (1 - 0,5 vol.%) ). iv) identification et compréhension de l’impact des paramètres ambiants influençant la vitesse et le rendement de la carbonatation (teneur en eau, variation de températures saisonnières, gradient d’oxygène, diffusion du CO2).

Prospecter des moyens peu coûteux afin d’améliorer la réaction et amoindrir les réactions parallèles indésirables.

Identifier des conditions favorables à la carbonatation directe à reproduire dans les parcelles expérimentales à l’échelle pilote.

Au deuxième chapitre de cette thése, une étude exhaustive du comportement des résidus

miniers d’exploitation du chrysotile en milieu aqueux a été exposée. L’échantillon fraîchement collecté de la mine d’amiante de Thetford Mines (Québec) est intégralement caractérisé afin d’en déterminer sa composition minéralogique, élémentaire et ses autres propriétés physicochimiques. L’échantillon caractérisé est soumis à des études de dissolution, d’évolution surfacique et de carbonatation accélérée. Les diverses études sont conduites dans des réacteurs à lit fixe afin de répliquer les conditions naturelles de stockage en tas des résidus miniers. L’étude de dissolution est conduite en circulant la solution lixiviante (eau déminéralisée) au travers du lit du résidu minier maintenu fixe afin d’imiter la lixiviation en tas qui prévaut naturellement dans les parcs à résidus miniers. L’influence du pH du milieu réactionnel sur la dissolution est également étudiée en variant le pH initial de la solution lixiviante tandis que la cinétique de lixiviation du magnésium est suivie par absorption atomique. Dans le but de suivre et comprendre l’évolution surfacique des particules du résidu minier soumis à la dissolution, une campagne électrochimique a été menée in-situ grâce à des électrodes de platine directement insérées dans le lit de résidu. Le montage électrochimique à lit-fixe ainsi mis en place et contrôlé par un potentiostat, permet

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de suivre en temps réel les réactions d’oxydoréduction du fer (II) et (III) à la surface des particules de même que l’état de la surface des grains durant la dissolution. Les rendements de la carbonatation directe du CO2 sont discutés à partir des tests réalisés dans cinq

réacteurs à lit fixe installés en parallèle. Cette configuration offre une similarité des conditions expérimentales dans chacune d’elles. L’effet de la saturation liquide sur le rendement de la carbonatation directe est étudié en contactant le CO2 gazeux avec des lits

fixes de résidus miniers préalablement mouillés avec diverses proportions d’eau déminéralisée. L’impact du fer contenu dans le résidu minier a été indirectement investigué en incorporant des quantités bien définies de fer (II) et fer (III) à l’échantillon original avant de soumettre ce dernier aux tests de dissolution et de carbonation.

Le troisième chapitre est consacré à l’approfondissement de la compréhension de la

carbonatation du résidu minier d’exploitation du chrysotile, présenté dans le chapitre précédent. L’hétérogénéité de la granulométrie et la composition minéralogique observée dans des échantillons soulèvent des questions qui restent sans réponses sur leur impact sur la carbonatation. Afin d’apporter des réponses à ces interrogations, l’impact de la granulométrie et de la composition minéralogique a été systématiquement étudié. Diverses fractions granulométriques du résidu minier ont été soumises à une carbonatation directe accélérée. Les rendements de la réaction sont discutés sur la base de la taille des grains et de la composition des minéraux de chaque tranche granulométrique. Le résidu original a été subséquemment dopé avec diverses proportions de brucite et de chrysotile afin d’examiner l’influence de la prépondérance de ces minéraux clés sur le rendement de la réaction. Dans le but d’apporter de plus amples explications sur les mécanismes régissant la réactivité du résidu minier, un nouveau montage instrumenté est spécialement construit afin de suivre in- situ la cinétique des divers paramètres impliqués dans le mécanisme de carbonation et d’en discuter la variation en fonction de l’avancement de la réaction. Pour cela le ciel gazeux est équipé d’une sonde de CO2, d’un hygromètre et d’un capteur différentiel de pression afin

de suivre en temps réel l’appauvrissement du CO2, la variation de l’humidité relative et la

température dans le gaz, et la perte de charge au travers du lit fixe de résidu. Le lit fixe est également instrumenté d’une sonde TDR (Time Domain Reflectometry) permettant de suivre simultanément et en continu la teneur en eau, la conductivité ionique et la température du lit fixe, puis d’un pH-mètre qui reflète conjointement la dissolution du CO2

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et du résidu minier. L’infiltration du CO2 dans une colonne du résidu minier a été également

étudiée sommairement et indirectement afin d’investiguer l’impact de la saturation liquide d’un tas de résidu miniers sur son aptitude à capturer le CO2.

Dans le quatrième chapitre de ce travail nous voulons approfondir notre compréhension

sur la diffusion du CO2 au travers des résidus miniers. Dans ce chapitre nos expériences

sont conduites sur les résidus miniers d’un projet de mine de nickel (Royal Nickel, 25 km au nord-ouest d’Amos, Québec, Canada). Pour conduire à terme nos expériences, un montage bi-compartiment a été spécialement construit afin de suivre in-situ la diffusion et la séquestration du CO2. Le compartiment supérieur joue le rôle de réservoir de CO2 tandis

que le compartiment inférieur abrite le lit fixe du résidu à étudier. Les deux compartiments sont initialement isolés en fermant la valve qui les fait communiquer. Le compartiment supérieur est rempli avec la concentration désirée de CO2 tandis que celui du bas est purgé

avec de l’azote pur afin d’éliminer toute trace de CO2 et d’oxygène dans ce dernier et dans

les pores vacants du lit fixe du résidu minier. Une fois le remplissage et la purge effectués, le lit fixe de résidu minier est porté à la saturation liquide désirée et la valve est ouverte afin de faire communiquer les deux compartiments et enclencher l’infiltration par diffusion du CO2 à travers le lit fixe. Le volume gazeux des deux compartiments est instrumenté chacun

d’une sonde CO2, d’un hygromètre et d’un homogénéisateur afin de suivre en continu les

caractéristiques du gaz dans chacun des compartiments. La couche de résidu est également instrumentée afin de suivre les caractéristiques du lit-fixe (teneur en eau, conductivité ionique, pH). La cinétique de détection du CO2 dans le compartiment inférieur reflète sa

diffusion au travers du lit fixe de résidu tandis que l’épuisement du CO2 dans le volume

gazeux caractérise sa séquestration minérale. Les résultats présentés dans ce chapitre discutent les cinétiques de diffusion et de séquestration du CO2 en fonction de la cinétique

des caractéristiques du lit fixe mesurées tout au long de la réaction.

Au cinquième chapitre de ce présent travail, l’impact des paramètres tels que les

variations saisonnières de températures et la présence d’oxygène de l’air et son gradient de concentration dans les tas de résidus miniers sur la vitesse de séquestration minérale du CO2 par les résidus miniers du projet de mine de nickel présenté dans le chapitre quatre

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montage que celui présenté dans le chapitre 3 est utilisé afin de conduire les expériences. Le bain installé autour du réacteur nous a permis de fixer et de maintenir la température de l’environnent réactionnel à une valeur désirée tout au long des expériences. La carbonatation a été conduite sous diverses températures (10, 20, 25, 30 et 40 °C) en milieu anoxique et pour une température fixe de 25°C, en présence de diverses teneurs en oxygène (0, 2, 5, 10, 15, 20 vol.%) dans le mélange gazeux. Afin de consolider nos constations en carbonatation, des études de dissolution ont également été conduites à ces diverses températures. Lors des expériences de dissolution, le résidu minier est soumis à une recirculation d’eau déminéralisée préalablement thermostatée à la température cible, tandis que des aliquots régulièrement prélevés dans le lixiviat sont analysés par absorption atomique afin d’établir la cinétique de lixiviation du magnésium et du fer.

Le sixième chapitre de cette thèse est dédié à l’établissement d’une méthodologie de

quantification de la brucite native contenue dans les résidus miniers et les phyllosilicates qui le constituent. La brucite étant le minéral le plus réactif des résidus miniers, la quantification précise de cette dernière se révèle très utile dans l’affinement des calculs cinétiques de carbonatation et aussi dans l’estimation du potentiel réel des résidus miniers pour la capture du CO2. La méthode de quantification présentée dans ce chapitre est basée

sur la décomposition thermique des éléments constitutifs des résidus miniers. En effet, ces derniers sont essentiellement constitués de phyllosilicates (chrysotile, lizardite, talc, phlogopite), de magnétite et de brucite. La difficulté de la méthode réside dans la décomposition simultanée de la couche brucitique des phyllosilicates et de la brucite native, qui entrave toute tentative de découpler les deux types de décomposition. Grâce à un couplage d’analyse thermogravimétrique (quantitative) et de spectrométrie de masse (qualitative), il a été possible d’explorer plusieurs rampes de températures et de déceler la plus adéquate pour cette investigation. En appliquant une faible rampe de température (0.75 °C/min) dans la gamme de température de décomposition de ces minéraux (161.2–1020 °C) un dédoublement à 92.06 % des deux types de décompositions nous a permis de mettre en place une courbe de régression permettant d’estimer la brucite native avec une erreur en pourcentage massique de 0.02 % dans les minéraux simples (phyllosilicates) et de 0.05 % dans les résidus miniers.

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Le septième chapitre vise à fournir des points de repère permettant d’évaluer avant coup le

potentiel des résidus miniers ultramafiques pour la séquestration minérale directe de CO2.

Pour ce faire, cinq résidus miniers provenant des mines d’amiante (Black Lake et Asbestos), de nickel (projet Dumont and Raglan) et de diamant (projet Renard), ont été soumis à la carbonatation directe dans les conditions ambiantes similaires. Les cinétiques de la capture du CO2 sont discutées en fonction du bilan d’eau (vapeur et saturation liquide

dans la couche des résidus), du contenu ionique et du pH de l’eau interstitielle, paramètres qui sont gouvernés par la minéralogie et les éléments constitutifs des résidus à carbonater. Les paramètres clés à prendre en compte avant toute démarche mettant en œuvre les résidus ultramafiques pour la carbonatation directe sont exposés dans ce dernier chapitre.

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