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Annexe 2 – Gregory Crewdson : Photographies

1. Analyse de La Bête du Gévaudan

Le tout premier épisode de cette collection me semble être particulièrement significatif du travail mis en place par Michel Subiela sur cette série télévisée, ce qui explique mon choix de l’analyser spécifiquement. Diffusé le 3 octobre 1967, il est écrit par Michel Subiela et réalisé par Yves-André Hubert.

47 Ibid., p. 40.

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Comme le souligne Christian Bosséno : « Le fantastique dans son acception la plus gothique, domaine par excellence du cinéma anglais, n’intéresse pas Michel Subiela dont le propos est d’envisager le genre dans toutes ses variations pour en faire émerger la signification. »48. Comme en littérature, au cinéma, ou comme nous l’avons vu dans

Belphégor, pas « d’explosion » du fantastique dans une esthétique que l’auteur aurait décrite

comme « gothique ». Un fantastique qui demeure davantage suggéré que vraiment montré. C’est d’ailleurs particulièrement frappant dans ce premier épisode puisque le fantastique, symbolisé par la bête qui dévore les enfants de la région, ne sera jamais montré totalement. La bête ne sera vue que rapidement ou de loin, ce qui empêche de se faire une véritable idée de ce qu’elle est. Elle représente elle-même le traitement du genre dans cette série, et plus généralement dans la plupart des créations françaises : on suggère plutôt qu’on ne fait voir totalement. Ce choix esthétique, de ne jamais faire voir vraiment la bête, est également un choix cohérent dans le concept même de cette série télévisée. Il s’agit pour Michel Subiela de ne pas prendre parti pour telle ou telle explication sur ce qu’est la bête et sur les raisons de ses agissements. L’épisode mettra en avant les points de vue de plusieurs personnages, chacun y allant de son explication sur l’identité du monstre qui sévit.

Comme l’a expliqué Michel Subiela, il s’agissait avant tout de faire naître un climat « fantastique » à l’intérieur de la série. Ceci suppose une cohérence entre le scénario et la mise en scène.

Si l’on peut considérer, au premier abord, la réalisation de cet épisode un peu théâtrale et datée (peu de mouvements de caméra, beaucoup de « dialogues filmés »), il faut reconnaître qu’elle participe tout de même fortement à l’atmosphère oppressante de l’épisode. On peut alors schématiser l’épisode en trois grandes parties : un découpage d’abord narratif mais qui se reflète également dans la mise en scène. Les parties sont les suivantes : du commencement de l’épisode jusqu’à la 37ème minute, qui marque le premier plan en vue subjective ; de cette séquence à 1h23 environ, moment où la cour décide d’arrêter ses recherches ; et enfin de cette décision à la fin de l’épisode, l’acte où les villageois se retrouvent seuls, un retour au début, et doivent lutter contre la bête.

La majorité des scènes de la première partie prend place à l’intérieur, dans un lieu « sécurisé », là où le danger menace tout l’extérieur. L’intérieur des maisons est un lieu où il

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ne peut rien arriver aux personnages, mais un lieu dans lequel ils sont finalement aussi enfermés, prisonniers. Une ouverture vers l’extérieur marque un moyen possible pour le danger, la bête, le fantastique, de s’y engager. On pourrait sans doute y voir là une manière de symboliser pour Michel Subiela et Yves-André Hubert les « défenseurs du rationnel », prisonniers de ce en quoi ils croient, incapables de s’échapper vers un extérieur, métaphore de l’imaginaire, du fantastique.

Le noir et blanc alliés à ces décors clos créent un sentiment d’étouffement. Il faudra attendre la 32ème minute, et un flashback, pour sortir enfin à l’extérieur.

La notion de hors-champ est au cœur même de l’épisode : aucun des événements fantastiques ne se passe dans le cadre, tout nous est rapporté. Nous apprenons de cette manière, par le discours des personnages, le décès de quelques enfants.

Les scènes d’attaques de la bête joueront aussi sur la notion de hors-champ, mais cette fois-ci de manière plutôt originale, puisque le réalisateur fait le choix d’une caméra subjective : nous voyons ce que la bête voit. Nous sommes donc mis à sa place, alors même que nous ne savons même pas à quoi celle-ci ressemble. Le spectateur se retrouve par conséquent à la place même d’un monstre, capable des pires atrocités (meurtres d’enfants). Cela crée un sentiment déstabilisant, accentué par l’utilisation du fish eye49. La première scène en caméra subjective, qui intervient à la 37ème minute, opère un retournement esthétique mais aussi narratif. La bête, que nous « devenons », n’est plus la chasseuse mais la chassée. En effet, le groupe d’enfants attaqués se retournent face au monstre qui l’agresse. Ce choix esthétique qu’est la caméra subjective fait naître quelque chose d’étrange. En faisant de la caméra les « yeux » du monstre, le spectateur en vient à se sentir lui-même agressé par les lances de ces enfants et se voit lui-même battre en retraite. La seconde partie d’épisode suit cette idée de basculement entre chasseur et chassé : on sort à l’extérieur, les hommes se rassemblent avec l’aide de la cour pour mettre la main sur la bête.

L’interprétation sur la métaphore du fantastique proposée plus haut peut alors être développée : cette seconde partie ne serait-elle pas une sorte d’acceptation du fantastique, les hommes décidant enfin d’y faire face ? Il est possible que Michel Subiela ait voulu, par l’intermédiaire de son premier épisode, symboliser le concept même de son travail à la télévision et notamment sur cette série, c’est-à-dire habituer progressivement le public français au fantastique.

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Cette métaphore est d’autant plus flagrante que La Bête du Gévaudan nous présente toute une galerie de personnages, représentant de manière stéréotypée l’ensemble d’une société. Chacun fait part de ses interprétations sur l’identité de l’assassin, des plus rationnelles (un loup), au plus extraordinaire (un monstre). Michel Subiela, en mettant en avant les différentes hypothèses ne prend donc ainsi pas le « risque » de proposer la sienne et de choquer certains. Il prépare aussi surtout le spectateur au débat qui suit l’émission, où plusieurs invités débattent sur les événements et proposent leurs explications.

C’est d’ailleurs la victoire temporaire du « rationnel » qui opérera le basculement vers la troisième partie de l’épisode. En effet, les hommes de la cour décide de quitter la région, persuadés que le loup éliminé est bien la bête meurtrière. Ces hommes, en n’acceptant pas qu’une réalité plus extraordinaire puisse exister, laissent de nouveau les villageois irrémédiablement seuls, face au danger. De nouveaux meurtres d’enfants seront alors constatés dans la région, preuve que ce loup n’était pas la bête recherchée. Esthétiquement, on trouve des choix de mise en scène au croisement des deux premières parties, un équilibre entre intérieur et extérieur. Il y a un certain repli de la population, tout comme une vraie volonté de certains de traquer et d’éliminer la bête. Jusqu’au bout, elle ne nous sera pas montrée. Son élimination se fera encore une fois par une caméra subjective, ce même « hors- champ » finalement qui nous empêchera de pouvoir se faire une idée de son apparence. Tout comme la majorité des villageois, nous ne saurons jamais vraiment ce qu’elle était.