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Améliorer le niveau en orthographe d’un adulte : un regard nouveau sur l’enseignement de la langue écrite

2. Adapter la démarche d’enseignement et le contenu de la formation aux spécificités du public adulte

2.3 Améliorer le niveau en orthographe d’un adulte : un regard nouveau sur l’enseignement de la langue écrite

Nous avons vu que les acquis en matière d’orthographe et de grammaire auraient tendance à se détériorer progressivement faute de sollicitation. Mais peut-être certaines règles n’ont-elles pas été correctement apprises à l’école primaire ou au collège. Ces règles mal acquises finissent par créer de véritables lacunes chez les adultes, principalement en orthographe grammaticale.

L’amélioration du niveau en orthographe et en grammaire des adultes supposerait donc à la fois une remise à niveau « technique » en grammaire et dans certains domaines de l’orthographe pour combler les lacunes ainsi que des techniques de relecture et d’auto-correction pour limiter les erreurs d’inattention et optimiser le transfert de connaissances.

Comme le souligne Laurent (2009), il ne s’agit pas uniquement de retenir une procédure spécifique pour chaque ambiguïté et d’appliquer des règles, mais d’utiliser un outil mental fiable.

 Des difficultés en langue liées à un problème de transfert de connaissances

Nous avons constaté dans notre enquête que les erreurs en orthographe lexicale commises par les étudiants lors d’une activité de production d’écrit n’étaient pas systématiques et que les erreurs les plus fréquemment rencontrées en orthographe grammaticale, comme l’accord en nombre, concernaient tous les étudiants, y compris les plus à l’aise en orthographe. Nous avions donc conclu qu’il ne s’agissait pas d’un manque de connaissance des règles de grammaire et d’orthographe mais plutôt d’une difficulté à réinvestir les connaissances lors de la réalisation d’une autre tâche, ici la production d’écrit. D’autres facteurs que le niveau de compétences interviennent donc lors de la survenue d’erreurs dans les copies des étudiants. Ils peuvent être de différente nature selon les individus, mais on peut penser que dans le cas des étudiants évalués, ils proviennent d’une trop grande rapidité dans la tâche de production, d’un manque d’attention

lié à une focalisation sur une autre tâche que l’orthographe (invention du récit, respect des consignes) et peut-être aussi d’un stress lié à la situation d’évaluation.

Fayol (2008) a montré que ces différents facteurs semblent aggraver l’apparition d’erreurs chez les adultes. D’après ses recherches, il semble en effet qu’il existe des zones de fragilité dans l’orthographe du français, comme l’orthographe grammaticale, à l’intérieur desquelles des erreurs surviennent plus facilement lorsque d’autres facteurs interviennent.

La majorité des étudiants de première année de Sciences du langage ne semble pas avoir un problème de connaissances, mais plutôt d’utilisation de ses connaissances dans un autre contexte.

Les pratiques basées sur un enseignement qui consisterait en l’explication de règles puis à leur application dans des exercices systématiques ne paraissent pas judicieuses. Comme le souligne Gobin (2005 : 25) « […] les élèves comprennent les règles orthographiques revues, parviennent à les appliquer dans le cadre d’exercices systématiques, mais n’utilisent pas ces connaissances quand il s’agit de réaliser une tâche d’écriture ».

Tardif (1999, cité par Gobin, 2005 : 25) précise que le transfert de connaissances ne s’applique pas pour tous les apprentissages, mais qu’il intervient lorsque « […] des connaissances construites dans un contexte particulier sont reprises dans un nouveau contexte ». Ce contexte intervient dans le domaine de l’orthographe, pour lequel les manuels (comme le Bled ou le Bescherelle) proposent très largement l’apprentissage de notions identifiées qui font l’objet d’une leçon suivie d’une phase d’exercisation. Les élèves, avant même de maitriser les connaissances, connaissent les points sur lesquels leur attention va se focaliser. Ils savent donc, grâce à la consigne de l’exercice, sur quelle tâche ils vont devoir s’exercer :

Ex sur les homophones grammaticaux « ont – on » : Complétez ces phrases avec ont ou on : - Quand … oublie de composter son billet de train, … est en infraction et … doit immédiatement prévenir le contrôleur. (Bled, 2007 : 95)

Nous utiliserons les travaux de Gobin (2005) et de Tardif (1999) dont nous présentons ci- dessous les principaux apports, pour proposer des pistes didactiques qui permettent d’optimiser ce transfert de connaissances qui semble faire défaut à beaucoup d’étudiants.

 Favoriser le transfert de connaissances : prendre en compte les différents types de connaissances des élèves

Selon Gobin (2005), la plupart des actions de remise à niveau en orthographe réalisées auprès d’élèves en difficulté dans ce domaine se heurtent à une difficulté qui n’est pas suffisamment prise en compte : le transfert des connaissances.

Pour définir le transfert de connaissances, Gobin (2005) reprend la définition de Tardif (1999) sur le transfert des apprentissages : « le transfert des apprentissages correspond […] à une recontextualisation, dans une tâche cible, de connaissances construites et de compétences développées dans une tâche source » (Tardif, 1999 : 58). Pour Gobin (2005), la définition serait cependant plus limitée pour l’orthographe car le transfert de connaissances ne concernerait que le fait d’utiliser dans une tâche de production écrite, des connaissances développées durant l’apprentissage.

Selon Tardif (1999), les recherches en psychologie cognitive ont permis de distinguer trois types de connaissances : les connaissances déclaratives, les connaissances procédurales et les connaissances conditionnelles qui nous permettent de mieux comprendre les mécanismes mis en œuvre lors de l’apprentissage. Gobin (2005) dénonce le fait que la plupart des pratiques didactiques utilisées pour l’apprentissage de l’orthographe ne proposent pas de travailler sur ces trois dimensions simultanément :

- Les connaissances déclaratives : « les connaissances déclaratives rassemblent les savoirs

formels sur la langue (règles, nature des mots, fonctions grammaticales, etc.) » (Gobin, 2005 : 27). Il s’agit donc essentiellement des connaissances théoriques qui répondent à la question ‘quoi’.

- Les connaissances procédurales : « Les connaissances procédurales consistent en

l’application pure et simple de ces savoirs » (Gobin, 2005 : 27). Ce sont les séquences d’action qui répondent à la question ‘comment ?’, comme l’application d’une règle lors d’un exercice. - Les connaissances conditionnelles : « Les connaissances conditionnelles correspondent à la capacité d’analyser correctement le contexte linguistique pour déterminer quel est le problème rencontré et quel type de stratégie il faut mettre en œuvre pour le résoudre » (Gobin, 2005 : 27).

Selon Tardif (1999), le transfert des connaissances ne peut s’effectuer qu’après que les apprenants aient pu travailler les trois types de connaissances. Le fait de passer d’un type de connaissance à un autre ne serait donc pas un transfert « Une conception erronée relativement au transfert des apprentissages consiste à penser que le passage, pour un même contenu, d’une catégorie de connaissances à une autre constitue un transfert » (Tardif, 1999 : 39).

Gobin (2005) émet l’hypothèse que le processus serait identique en matière d’orthographe. Pouvoir passer d’une connaissance à une autre pour une même notion ne relèverait pas du même processus que la capacité de transfert des connaissances. Pour illustrer son propos, la chercheure cite l’exemple de la règle des participes passés. Le fait d’apprendre la règle aux élèves (connaissance déclarative) ne suffit pas pour qu’il sache la réinvestir dans des opérations de production (connaissances procédurales et conditionnelles). Les résultats de notre enquête abondent dans ce sens : les étudiants ont principalement commis des erreurs sur des notions qu’ils connaissaient, comme les accords en nombre.

L’opération qui permettrait de passer d’une catégorie de connaissance à une autre serait en réalité ce que Tardif (1999 : 40) appelle « une opération de traduction cognitive ». Lorsqu’en production écrite, la question de la réalisation d’un accord se pose, le scripteur ne serait pas dans une situation de transfert, mais dans une situation qui exige qu’il construise une nouvelle représentation en mémoire, chaque production écrite étant unique.

Cette thèse implique la nécessité de travailler ensemble et de manière équitable, les trois catégories de connaissances. Pour Gobin (2005), les méthodes qui ne se focalisent que sur l’apprentissage de règles et sur leur application dans une situation d’exercice, ne peuvent espérer que les élèves effectuent un transfert correct de l’ensemble de leurs connaissances dans un contexte de production d’écrit par exemple. De même, les démarches qui n’auraient pas pris le temps de revenir sur les éléments théoriques avant de placer les élèves en situation de production, ne leur fournissent pas les référents nécessaires à leur réussite.

Notre enquête a permis de recueillir deux précieuses informations pour la mise en place d’un enseignement de l’orthographe et de la grammaire adapté aux besoins en français écrit des étudiants : la majorité des erreurs relèvent plutôt de l’orthographe grammaticale et semblent davantage provenir d’une difficulté de transfert de connaissances que d’un problème de connaissances. D’autres erreurs nécessitent en revanche un rafraichissement de notions oubliées

ou mal apprises et qui, pour certains étudiants, semblent résister aux méthodes d’apprentissage habituellement utilisées.

Le défi semble donc davantage relever de la démarche pédagogique.

Chapitre 2 : les démarches favorisant une posture réflexive

Dans les programmes scolaires, les recommandations concernant l’enseignement de la grammaire et de l’orthographe ont connu beaucoup de changements, insistant parfois plutôt sur l’objet d’apprentissage ou plutôt sur la démarche. Elles ont en revanche toujours défendu l’idée d’un enseignement explicite de la langue. La grande liberté laissée aux enseignants dans ce domaine a donné lieu à une diversité de démarches pédagogiques liée à la diversité des profils d’enseignants, des terrains et des publics.

A l’instar des enseignants spécialisés et des orthophonistes dont le public particulier ne s’adapte pas aux méthodes d’enseignement plus traditionnelles, il nous semble judicieux d’exploiter davantage les démarches pédagogiques axées sur la multimodalité.

Partant du postulat que le nombre de modalités perceptives offertes lors de l’apprentissage augmente la compréhension, nous nous intéressons dans cette partie aux démarches qui proposent d’utiliser la multimodalité de la parole et qui favorisent un enseignement réflexif de la langue en plaçant les apprenants dans une posture active.

1. Apprentissage implicite et explicite de la langue : apports et conséquences