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La fin des mobilités vers le Brésil ? 4

3. Alda, le marché noir des billets d'avion

Alda avait trente-deux ans quand je l'ai rencontré à São Paulo au Brésil à la fin du mois de mars 2013 dans le restaurant africain de l'hôtel Vitoria dans le quartier du Brás. Elle avait été la première commerçante angolaise à me faire confiance en acceptant d'être accompagnée pendant une nuit où elle faisait ses achats avec ses deux collègues sur le marché de la mode populaire. Quelques jours après mon arrivée à Luanda, je retrouvai Alda qui était venue me chercher en voiture avec Julio, un homme dont elle était « l’amante », et Clara (à ne pas confondre avec Kiara dont j'ai parlé dans les chapitres précédents mais que je n'ai pas eu l'occasion de revoir à Luanda). En parallèle de son emploi dans une agence de la compagnie aérienne angolaise TAAG, Clara effectuait des allers-retours entre Luanda et Rio de Janeiro pour rapporter également quelques vêtements. Son activité à la TAAG lui permettait d'être au courant à l'avance des meilleurs prix des vols pour le Brésil.

Obtenir des billets d’avion meilleur marché semblait en effet être l’une des conditions de cette activité transnationale comme l’a confirmé une altercation

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entre Alda et un homme, à laquelle j'assistais le jour de notre rencontre sans bien comprendre les tenants et les aboutissants de l'affaire. Il s'agissait d'un intermédiaire auprès de qui cette dernière avait l'habitude d'obtenir de meilleurs prix mais cette fois il n'avait pas respecté son engagement. Alda protestait car elle avait perdu de l'argent et elle était obligée d'annuler son projet de voyage prévu dans quelques jours à peine. Son interlocuteur alléguait qu'il n'avait pas compris le caractère urgent de sa demande mais Alda conclut la discussion – qui se déroulait par la fenêtre de la voiture – en disant que la confiance était rompue. Cette anecdote est révélatrice de l'étendue des réseaux qui entourent le commerce transnational tant à l'échelle locale qu’au niveau transnational. Les petits trafics de billets d'avion (lorsqu'ils sont réalisés avec succès) facilitent ainsi la mobilité des commerçantes pauvres et augmentent la rentabilité de chaque voyage.

Lors de cette rencontre, Alda m'expliqua que la santé de ses affaires n'était pas très bonne mais grâce aux revenus de ses précédents voyages au Brésil elle était tout de même parvenue à se rendre en Chine pour s'approvisionner en vêtements. On se souvient qu’il y a à peine un an, dans la chambre d'hôtel de São Paulo, Alda affirmait qu’il lui était encore impossible de se rendre en Chine : les billets d'avion étaient trop chers et elle n’avait pas assez d’argent pour investir dans de grandes quantités afin d’affréter un conteneur. Elle était finalement parvenue à se rendre à Canton (au sud de la Chine) où elle s’est approvisionnée sur les marchés de l’habillement et en a même profité pour acquérir une tablette tactile avec laquelle elle prenait des photos pendant notre rencontre. Elle explique quelles étaient ses ambitions :

« La raison qui m’a poussé à faire cela c’est que je voulais évoluer dans le commerce, je ne pouvais pas rester seulement dans un endroit, je voyais le commerce qui grandissait et je voulais sortir [du pays]. Je ne voulais pas me

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limiter à un seul négoce, je voulais me mettre dans d’autres affaires et c’est ça qui m’a fait connaître d’autres pays »459.

L’accessoire numérique dernier cri et le 4X4 avec lequel le compagnon d'Alda nous avait conduits à Ilha ce jour-là contrastaient fortement avec l'infrastructure du marché sur lequel elle travaillait. Ce marché était composé d'un terrain vague de terre battue composées de centaines de longues allées étroites le long desquelles étaient installés des petits stands en bois où chaque commerçantes possédaient environ trois ou quatre mètres carrés. Alda partageait un petit espace d'exposition sur une allée passante du marché qu’elle partageait avec quatre autres collègues. Les paires d'Havaianas étaient présentées en vrac sur des planches de bois au-dessus desquelles étaient suspendus les chemisiers et les t-shirts rapportés de Chine. Le présentoir d'Alda ressemblait à tous les autres, il est difficile de percevoir les particularités de ses produits et de comprendre comment elle parvenait à se distinguer sur le marché. À l'arrière des présentoirs, les commerçantes attendaient les clientes assises sur les valises et les cabas qu’elles avaient rapportés d'Afrique du Sud, de Dubaï, du Brésil et de Chine. La proximité entre les corps et la marchandise était encore une fois très visible dans ce contexte puisqu’elles étaient pratiquement couchées sur les volumineux sacs comme pour protéger leurs biens.

Cette proximité entre les corps et la marchandise est symbolique : elle évoque une absence de dissociation entre les importatrices et les objets importés. Cela renvoie à l’analogie avec les mules de la drogue qui transportent des produits illicites à l’intérieur du corps. Bien que les commerçantes ne transportent pas de produits illégaux, les méthodes d’importation se réalisent en marge de la légalité.

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4. Des méthodes d’importation qui contournent les contraintes

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