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Autres ajustements physiques consécutifs à la mise en place d’ouvrages en travers

PARTIE I CONTEXTE SCIENTIFIQUE ET OBJET DE L’ÉTUDE

CHAPITRE 1 : IMPACTS PHYSIQUES ET ÉCOLOGIQUES DES OUVRAGES EN TRAVERS

1.3. Autres ajustements physiques consécutifs à la mise en place d’ouvrages en travers

Impacts piézométriques des ouvrages en travers 1.3.1.

L’appréhension des impacts piézométriques de la présence de barrage ou de seuils sur les cours d’eau permet de compléter la dimension verticale des réajustements dans un hydrosystème. Les niveaux limnimétriques du chenal et piézométriques de la nappe sont normalement corrélés et interdépendants : le niveau de la nappe s’ajuste au niveau d’eau dans le chenal et vice versa. Un équilibre hydrostatique tend donc naturellement à s’établir entre le niveau supérieur de la nappe alluviale et le niveau d’eau dans le chenal. Pour autant, ces deux niveaux ne sont pas nécessairement identiques puisque leur temps de réponse diffère : le réajustement du niveau

piézométrique est en effet caractérisé par une certaine inertie alors que le niveau du chenal réagit rapidement aux apports de l’amont ou de la nappe elle-même (vidange).

De la même façon qu’ils augmentent le niveau de l’eau dans la retenue ou le bief amont, les ouvrages en travers remontent localement le niveau piézométrique et « perchent » la nappe alluviale d’accompagnement, proportionnellement à leur hauteur (Fig. 1.8). Cette surélévation des nappes alluviales favorise la saturation des sols, facilitant les captages (Ashraf et al., 2007) mais se trouve être préjudiciable lors des phénomènes d’inondation. Le rehaussement de la nappe peut être atténué par un remblaiement du lit qui réduit les échanges entre la nappe et le chenal. Si le lit est en proie à un fort remblaiement, la connexion entre la nappe d’accompagnement et le chenal peut même ne plus être assurée, favorisant alors un enfoncement progressif de la nappe. Les ouvrages en travers réduisent également les variations rapides du niveau d’eau dans le chenal, empêchant les vidanges brutales de la nappe vers le chenal et les processus érosifs qui leur sont associés (Malavoi, 2003).

En aval d’un ouvrage, la zone de ressaut est un secteur d’échange privilégié entre la nappe et le chenal pour deux raisons notamment : non seulement parce que l’abaissement brutal du niveau limnimétrique force une vidange de la nappe mais aussi parce qu’il s’agit d’un secteur très rarement marqué par un remblaiement, la recharge par la nappe y est favorisée. Plus en aval, la nappe s’enfonce d’autant mieux que le cours d’eau est en proie à l’incision (Bravard et al., 1997 ; Scott et al., 1999). Pour Tagliavini (1978), la nappe d’accompagnement de la rivière Enza (Italie), en proie à l’incision, a ainsi vu sa capacité réduite de près de 1,4 x 106 m3. L’abaissement de la nappe a, comme nous le verrons plus loin (cf. section 1.4.1), d’importantes conséquences écologiques et peut entraîner un dépérissement des milieux rivulaires (Rood et Heinze-Milne, 1989 ; Stromberg, 1996 ; Degoutte, 2006). Leopold (1997) souligne dans ce sens les fortes implications écologiques et économiques issues de l’abaissement de 1,7 cm/an du toit de la nappe alluviale du Nil en aval du barrage d’Assouan.

Figure 1.8 : Évolution des niveaux piézométriques dans le cas des rivières cloisonnées par une succession de seuils en rivière (A) ou par un barrage (B). La figure met en évidence la surélévation du toit de la nappe à l’amont d’un ouvrage ainsi que son enfoncement relatif à l’aval immédiat de plus grands ouvrages (d’après Degoutte, 2006 ; complété).

Impacts sur la qualité physico-chimique des eaux 1.3.2.

Les ouvrages en travers perturbent fortement les conditions hydrodynamiques naturelles. La plupart du temps, les retenues amont sont caractérisées par un faciès d’écoulement lentique voire stagnant, qui engendre une forte modification des caractères physico-chimiques, donc de la qualité globale des eaux (Bouloud et al., 2001). Tout d’abord, l’augmentation cumulée de la hauteur d’eau et du temps de séjour provoquée par l’ouvrage est à l’origine d’une modification du régime thermique des cours d’eau, qui se traduit de deux façons en relation avec la hauteur de l’ouvrage : 1) si la retenue n’a qu’une faible profondeur (7 à 15 m au maximum), sa température globale augmente de manière relativement homogène et 2) si la retenue d’eau est plus épaisse, une stratification de la masse d’eau se met alors en place. Cette stratification est particulièrement prononcée en saison chaude, lorsque les eaux de surface sont rapidement réchauffées alors que les eaux profondes restent froides (Bravard et Petts, 1993). L’écart de température au sein d’une même masse d’eau peut alors atteindre près de 17 °C entre les couches superficielles et les plus profondes (Vivier, 1963). Trois strates sont distinguées : 1) l’épilimnion en surface, est plus

chaud et bénéficie directement des échanges avec le milieu aérien, ce qui favorise le brassage et l’homogénéisation de la couche d’eau. La productivité biologique (activité photosynthétique notamment) y est importante et permet une bonne saturation en oxygène dissous. 2) L’hypolimnion est une couche profonde, plus froide et plus dense. La luminosité y est faible, voire nulle. Dans cette couche, la teneur en oxygène dissous – principalement mobilisé par la décomposition de la matière organique – est faible. 3) Entre ces deux couches, une troisième couche intermédiaire se distingue, le métalimnion, qui se caractérise par un fort gradient thermique (thermocline). Si les eaux restituées en aval d’un ouvrage proviennent du fond de la retenue, on peut assister à une véritable inversion du régime thermique, caractérisée par des eaux plus froides en période estivale et plus chaude en période hivernale.

Par ailleurs, la stratification thermique entraîne une zonation chimique affectant notamment l’oxygène dissous, qui décroît fortement avec la profondeur. Cette diminution de l’oxygène favorise la réduction et le relargage d’éléments chimiques (phosphore, manganèse, azote ammoniacal, fer) contenus dans les sédiments déposés. De plus, l’apport externe de l’ensemble des intrants polluants contribue à augmenter de manière significative les concentrations en substances nutritives, notamment en azote inorganique – sous forme principalement de nitrate (NO3-) mais aussi d’ammonium (NH4+) –, en phosphore – sous forme de phosphate (PO43-) – et

en silice dissoute (issue de l’altération des roches). Les retenues se comportent véritablement comme des pièges à nutriments. L’enrichissement excessif du milieu en éléments nutritifs est directement à l’origine des phénomènes d’eutrophisation, qui se caractérisent par une efflorescence algale (ou « bloom »), un développement accéléré des végétaux supérieurs (macrophytes) et une prolifération de cyanobactéries à l’origine d’une dégradation globale de la qualité des eaux (Directive 91/271/CEE ; Taoufik et Dafir, 2002, Billen et al, 2009). Les composés azotés sont, pour ce qui est des nitrates, essentiellement issus de l’emploi excessif d’engrais agricoles et de l’élevage tandis que les phosphates introduits dans les eaux, tout comme l’ammonium, proviennent avant tout des rejets urbains et industriels (Meybeck et al., 1998). Les retenues établies sur les cours d’eau « mixtes » – qui s’écoulent entre milieux rural et urbain – sont donc particulièrement propices à l’eutrophisation. La dystrophisation, qui constitue le stade paroxysmal de l’eutrophisation, se caractérise par la disparition progressive des organismes aérobies, ce qui produit du dioxyde de carbone, de l’azote et du phosphore qui viennent encore enrichir le milieu. Le surdéveloppement d’espèces végétales flottantes empêche toute pénétration de la lumière, limitant la photosynthèse dans les couches inférieures de la retenue et les échanges atmosphériques. Le milieu devient ainsi progressivement anoxique. Dans les stades dégradés, seules les bactéries anaérobies subsistent dans un milieu extrêmement pauvre en oxygène. Leur multiplication provoque la fermentation de la matière organique accumulée et le relargage de plusieurs gaz toxiques, notamment du méthane, de l’ammoniac et de l’hydrogène sulfuré. Les intrants polluants apportés à l’hydrosystème se composent non seulement de substances nutritives mais aussi de divers contaminants toxiques dont les plus fréquents sont 1) les métaux lourds (cadmium, chrome, cuivre, mercure, plomb…), 2) l’arsenic, 3) les PCB, 4) les hydrocarbures polycycliques aromatiques (HAP) et 5) les phtalates (Chevreuil et al., 2009). Les faibles vitesses d’écoulement et l’augmentation du temps de résidence favorisent le dépôt et le stockage dans le lit mineur de ces substances ainsi que leur possible percolation vers la nappe d’accompagnement.

La présence d’ouvrages influence également le potentiel d’autoépuration du système. Cette influence dépend avant tout de la qualité de l’eau en amont. Si la charge polluante est trop importante, l’effet stagnant provoqué par les ouvrages contribue à amplifier la forte dégradation de la qualité de l’eau. Si les charges polluantes sont faibles, les retenues et leur effet de rétention de la charge polluante ont un effet positif et particulièrement efficace en matière de dénitrification (Van Oostrom 1995 ; Garnier et al., 1999 ; Kreiling, 2011). En effet, l’augmentation du temps de résidence, la diminution du taux d’oxygène dissous, la présence de matière organique ainsi que des conditions thermiques optimales sont extrêmement favorables à la prolifération des bactéries dénitrifiantes (Fig. 1.9). Cette dénitrification est particulièrement efficiente à l’interface eau-sédiment. Par conséquent, plus cette interface est étendue, plus le processus est performant.

Figure 1.9 : Principes de la nitrification et de la dénitrification des composés azotés.

Dans certains cas donc, la présence d’obstacles en travers peut se traduire par une diminution de la concentration en nitrates, et donc par une diminution du risque d’eutrophisation. Certains travaux se sont d’ailleurs récemment penchés sur les bénéfices à tirer de la remise en place de plans d’eau artificiels en matière de dénitrification (Passy et al., 2012). Pour l’autoépuration, la localisation des aménagements sur le réseau hydrographique est donc importante : les petits ouvrages situés en tête de bassin représentent potentiellement une forte capacité de rétention et de dégradation des flux de nutriments impliqués dans les processus d’eutrophisation des cours

d’eau. Inversement, les grands ouvrages situés dans les cours d’eau d’ordre 4 ou plus (Strahler, 1957) accroissent fortement le temps de résidence et concentrent de trop importantes quantités de nutriments dans les parties basses du réseau hydrographique, annihilant toute capacité auto- épuratrice. Dans le bassin de la Seine, la disparition d’une multitude de petits ouvrages en travers (capacité de stockage estimée à 300 Mm3) issus des aménagements de l’hydraulique « cistercienne » entre le Xe et le XVIIIe siècle et le cloisonnement des principaux cours d’eau à partir du XIXe siècle est à l’origine de l’inversion de l’amont vers l’aval, du temps de résidence de l’eau. Cette inversion, couplée à l’abandon des zones riveraines, au drainage des zones humides et à la rectification des ruisseaux, a contribué à une réduction drastique du pouvoir de rétention et d’autoépuration des hydrosystèmes. Enfin, la tendance au remblaiement du lit (ou de la retenue), sous l’effet des ouvrages en travers, réduit encore la capacité d’autoépuration des zones stagnantes (Grier, 2003).

La qualité physico-chimique des eaux en aval d’un ouvrage dépend grandement de celle des eaux qui sont transmises depuis l’amont, même si elle reste globalement meilleure suite à la réoxygénation des eaux au niveau du ressaut. Le principal risque de dégradation physico- chimique relève du mode de gestion en éclusées (Gerster et Rey, 1994 ; Valentin, 1996 ; Valentin, 1997 ; Baumann et Klaus – OFEFP, 2003). L’ouverture d’éléments mobiles des ouvrages en travers (vannages de fond, clapets…) entraîne une brutale remise en suspension d’une partie des couches superficielles des sédiments déposés dans la retenue ou le bief amont. Ce relargage de MES est à l’origine d’une forte réduction de l’oxygène dissous par 1) l’oxydation au contact de l’eau des matières réductrices minérales ou organiques (Fe2+

, NH4+, Mn2+, CH4, H2S…) contenues dans les MES (Rofes et al, 1991) et 2) une forte limitation de la

photosynthèse due à l’augmentation de la turbidité de l’eau. Par ailleurs, la fourniture excessive de MES dans les biefs aval est particulièrement favorable à leur remblaiement comme ce fut le cas en 1978 lors de la vidange du Barrage de Génissiat barrant le Rhône, où les concentrations en MES, supérieures à 100 g/l, ont contribué à rendre momentanément inexploitable le champ de captage de Lyon. Les éléments relargués peuvent en outre charger le bief en particules polluées contenues dans la retenue (ammoniac, fer, manganèse, phosphore, métaux lourds, pesticides… ; Catheline, 1998). Gerster et Rey (1994) proposent une modélisation schématique mettant en évidence l’évolution des principales variables physico-chimiques (T °C, concentrations en MES, en oxygène dissous et en ammonium) lors des éclusées (Fig. 1.10).

Figure 1.10 : Représentation-type de l’évolution des principales caractéristiques physico-chimiques des eaux (MES, T °C, O2 dissous, NH4+) en aval d’un ouvrage en travers à la suite d’une éclusée (d’après Gerster et Rey, 1994).

Les perturbations géomorphologiques et physico-chimiques des hydrosystèmes, inhérentes à la mise en place sur les cours d’eau d’ouvrages en travers, constituent l’une des principales causes d’altération des écosystèmes. Petts (1980) identifie les impacts écologiques provoqués par les modifications morphologiques. Les caractéristiques physiques d’un milieu conditionnent un biotope auquel une biocénose particulière et originale est associée. Cette dernière est nécessairement affectée si ces conditions d’évolution sont perturbées.