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Mes investigations sur la construction des identités sociales chez les Albanais ou les autres sociétés sud-est européennes, comme l’étude des relations interethniques et de la dynamique culturelle des valeurs so-ciales à l’intérieur de cette région ont tiré profit, dans la perspective anthropologique, des approches de recherche qui se réfèrent simultané-ment aux phénomènes comparables dans d’autres parties du monde, incluant plus particulièrement les apports des études méditerranéennes et de l’anthropologie européenne. Plus particulièrement, je me suis concer-né par ces aspects de la vie sociale explorés en quelque détail dans la littérature anthropologique et qui ont attiré plus spécialement l’attention ethnographique réflexive, à savoir la construction sociale du rapport social des sexes et de la sexualité, le mariage et la famille, les croyances et les pratiques religieuses, l’ethnicité et le nationalisme, la modernisa-tion et la transimodernisa-tion. L’exploramodernisa-tion est pourtant effectuée sous l’arrière-plan de la construction de l’aire culturelle en terme d’approche, c’est-à-dire comme un outil conceptuel d’investigation anthropologique, et non pas par une vision substantialiste, comme une entité discrète dotée d’une culture propre.

La Méditerranée

L’intérêt anthropologique pour la Méditerranée et le monde méditer-ranéen est apparue à partir des années 1960 à l’occasion de deux col-loques fondateurs, en 1959 à Burg Wartenstein en Autriche et en 1961 à Athènes à l’initiative de Julian Pitt-Rivers (1963) et John Peristiany (1966). Les antécédents d’une anthropologie des sociétés méditerra-néennes sont plus lointains selon les pays et selon les relations de l’anthropologie à d’autres disciplines dans les divers contextes natio-naux. La recherche de terrain en anthropologie moderne a commencé dans les années 1950 et parmi les premiers travaux il y a eu aussi des monographies de l’aire méditerranéenne. Ce n’est que plus tard au tournant des années 1960 que l’on s’efforça de formaliser le projet comparatif collectif pour mettre sur pied une anthropologie de la Médi-terranée. Dès lors, vont se multiplier les conférences thématiques (Peristiany 1966, 1968, 1976a, 1976b ; Peristiany & Handman 1989 ; Peristiany & Pitt-Rivers 1992 ; Gilmore 1982, 1987), les enquêtes sur le

terrain et les travaux monographiques (Peters 1990 ; Pitt-Rivers 1954/1971, 1977 ; Friedl 1963 ; Campbell 1964 ; Stirling 1965 ; Gellner 1969 ; Lison-Tolosana 1966/1983 ; Schneider & Schneider 1976, 1996 ; DuBoulay 1974 ; Gilmore 1980).

En même temps se développe une réflexion anthropologique sur le monde méditerranéen conçu sur le modèle d’une aire culturelle sous l’impulsion des efforts effectués par Conrad Arensberg (1963) pour délimiter des aires culturelles en Europe et qui définit la Méditerranée comme une aire avec ses caractéristiques propres. En France, la

géogra-phie humaine et l’école historique des Annalesont posé une

Méditerra-née des « infrastructures » par la quête de permanences dans des re-gistres aussi divers que la division sexuelle des rôles, les structures matrimoniales, les techniques, les rites et les croyances.

La Méditerranée a offert un terrain privilégié pour étudier de manière comparative et sur le long terme les relations entre facteurs écologiques, techniques, économiques, historiques et culturels. En effet, un certain nombre de comparaisons demeurent éclairantes. Les travaux de Fernand Braudel (1949/1979) ont montré comment le monde méditerranéen a été façonné par une longue histoire reliant ses différents peuples les uns aux autres. Cette approche est renforcée par des travaux plus anciens sur les échanges culturels entre Christianité et Islam particulièrement au niveau populaire (Hasluck, F. 1929/2000), aussi bien que par des études histo-riques de la culture des frontières, qui ont exploré le caractère des zones unies autant que divisées par les frontières qui les définissent, suggérant que les gens des frontières, Musulmans ou Chrétiens, avaient plus en commun les uns avec les autres qu’avec la culture des capitales (Inalcik 1973).

Pendant une trentaine d’années il s’est constitué une véritable an-thropologie du monde méditerranéen autour d’un certain nombre de

thèmes fondateurs, les gatekeeping concepts telles que l’honneur et la

famille, ou le clientélisme et la sociabilité, consacrés par une tradition établie surtout dans les pays anglophones (Peristiany 1976b ; Pitt-Rivers 1977 ; Gellner & Waterbury 1977). Elle s’emploie à donner un contenu à la notion de société méditerranéenne en mettant en évidence, au-delà de la diversité réelle des sociétés et des cultures, l’existence de formes d’organisation sociale apparentées et de valeurs partagées. Ainsi l’ensemble de ces travaux et recherches anthropologiques sur les cul-tures méditerranéennes a contribué à dessiner une tradition intellectuelle « méditerranéiste », à la recherche de similarités dans la longue durée et s’efforçant de démontrer le primat relatif de l’unité sur la diversité (Boissevain 1979).

Les six millénaires de conquêtes militaires, d’échanges économiques, de colonisations réciproques et de conversions religieuses ont

proba-blement abouti à l’invention simultanée de formes sociales et culturelles similaires ou identiques (Davis 1977 ; Berque 1989). Face à l’énorme diversité linguistique, ethnique et religieuse du bassin de la Méditerra-née, les anthropologues ont plaidé pour une uniformité interne à la région sur la base des traits culturels tels que le complexe de l’honneur et de la honte qu’on présentait, surtout depuis les années 1960, comme des notions méditerranéennes reliant valeurs sociales, identités sexuelles et structures familiales. D’autres traits culturels furent aussi souvent privilégiés comme l’agriculture de charrue et l’élevage de bovins et d’ovins, la dot et l’orientation urbaine des stratégies matrimoniales, les relations de patronage et de clientélisme, ou encore l’inégalité sociale accompagnée ou masquée d’idéologies égalitaires (Giordano 2012).

Certes, si les similarités sont acquises, le temps est venu de souligner à nouveau les différences aussi. Ainsi, le fossé économique et politique s’est creusé entre les deux rives de la Méditerranée, ce qui a entraîné aussi des adaptations et des reconversions académiques. Si l’anthro-pologie de la rive Nord a rejoint « l’européanisme », confortée dans ce mouvement de retour par la rhétorique politique ambiante (Goddard 1994), celle des rives méridionale et orientale a été happée par les études sur le monde arabo-musulman et le Proche Orient. Ainsi, après l’euphorie des débuts et une période faste d’une vingtaine d’années, le temps est-il cependant venu pour les remises en cause, parfois viru-lentes, de la pertinence du monde méditerranéen comme cadre d’investigation anthropologique.

Au cours des trois dernières décennies ou presque, on a de plus en plus critiqué, sur un mode post-moderne et anti-orientaliste, la notion d’anthropologie méditerranéenne. En passant en revue les travaux vaguement inspirés de cette catégorie d’anthropologie de la Méditerra-née, l’évaluation critique des thèmes fondamentaux dans la théorie et méthode anthropologique – concernant par exemple les concepts et pratiques de travail de terrain ethnographique ou l’observation partici-pante ainsi que l’attention exclusive à l’approche communautaire – s’appuie sur ce qui est jugé être des approches anhistoriques, une ab-sence de justification du concept même de Méditerranée, une exoticisa-tion et ruralisaexoticisa-tion de la culture méditerranéenne, une vue anachronique de la région et de ses populations, qui finalement cédé à des généralisa-tions injustifiées soutenues par une approche sociologique basée sur des clichés et des stéréotypes.

Plusieurs anthropologues ont critiqué de façon radicale la

considéra-tion de la Méditerranée comme regional category en fustigeant le

caractère artificiel de l’objet, qui serait uniquement créé pour objectiver la distance nécessaire à un exercice légitime de la discipline et qui s’abriterait derrière quelques thèmes fédérateurs fortement stéréotypés

(Herzfeld 1980, 1984 ; Wikan 1984 ; Pina-Cabral 1989 ; Sant-Cassia 1991). À ces critiques virulentes, pour la plupart venues d’outre-Atlantique, se sont jointes celles d’anthropologues originaires des régions méditerranéennes. Pour nombre d’entre eux aussi, le qualificatif réducteur de « méditerranéen » doterait l’hétérogène d’une homogénéité factice et serait le produit des représentations fantasmatiques de cher-cheurs venus du nord. Cette défiance est particulièrement ancrée sur les rives méridionales et orientales où, dans les références quotidiennes, littéraires ou savantes, la Méditerranée est fantomatique ou suspecte. À ces préventions sur la légitimité de la notion s’ajoute, ici et là, le senti-ment qu’un paradigme monologique, celui de l’anthropologie sociale britannique, a tenté d’imposer ses théories et ses méthodes à travers les études méditerranéennes, en ignorant les traditions scientifiques locales et leurs acquis (Bourguet & Lepetit 1997).

Dans ce contexte, la réflexion sur la « Méditerranée » a amené plu-sieurs auteurs à contester la validité même de sa conception unifiante et l’utilité de son cadre comparatif, ce qui soulève le problème de trouver des définitions alternatives pour des catégories de comparaison régio-nale. S’agit-il d’ériger le bassin méditerranéen en une « aire culturelle » dont on scruterait les régularités à travers l’espace et le temps ? La Méditerranée devrait-elle se comprendre comme une arène d’inter-actions, sa cohérence, sinon son unité, étant définie en termes de siècles de contact, de conflit et de coexistence ? Peu soutiennent un point de vue aussi radicalement essentialiste que les critiques ont grossi jusqu’à la caricature. Il est contesté que la seule compréhension braudelienne des échanges historiques puisse nécessairement conduire à une aire culturelle, car « le contact mutuel intense par lui-même ne justifie pas l’étiquette d’unité » (Gilmore 1982).

Cependant, dans cet exercice, il n’est pas facile de se débarrasser du concept d’aire culturelle. En effet, les critiques de la catégorie de Médi-terranée supposent souvent que les unités de comparaison régionale doivent être homogènes et que la comparaison n’est utile qu’en présence de similarités. Or, la comparaison est particulièrement productive quand elle procède aussi par des contrastes et des inversions, dans des unités qui, comme la Méditerranée, présentent aussi bien des similarités que des différences. Mais si le terme « méditerranéen » ne sert pas à quali-fier des traits communs sociaux et culturels, désigne-t-il alors les

oppo-sitions en miroir (mirrored) entre le christianisme de l’Europe du Sud et

l’islam de l’Afrique du Nord (Gellner 1985 ; Wolf 1984) ? S’agit-il alors de prendre acte des vicissitudes unificatrices et diviseuses de l’histoire et de considérer la Méditerranée comme un lieu privilégié de l’exercice du comparatisme à bonne distance, dans un monde « méditer-ranéen » qui est à envisager comme un espace de dialogue et

d’affrontements où les identités des uns et des autres se définissent dans un jeu de miroirs de traditions, de comportements, de convictions reli-gieuses ?

Bien qu’il existe des points de vue opposés, selon lesquels les socié-tés de la Méditerranée sont différenciées ou non à l’origine (Goody 2000), c’est plutôt la combinaison des convergences historiques avec des parallèles synchroniques dans la culture qui fournit l’uniformité interne et les particularités à l’aire méditerranéenne. Les sociétés médi-terranéennes présentent sans doute « un air de famille » légué par une histoire complexe. Mais à l’opposé de cette conception unifiante, ce qui donne sa cohérence au projet d’un comparatisme méditerranéen, ce ne sont pas tant les ressemblances repérables que les différences complé-mentaires qui forment système.

Ainsi, plutôt que de s’attarder sur la notion de la Méditerranée envi-sagée comme une aire culturelle qui englobe une réalité culturelle figée, amène à reproduire des modèles colonialistes et nationalistes et n’apporte aucun bénéfice conceptuel, les nouvelles interrogations sur son statut épistémologique visent à scruter les processus de variations au sein de cette région. Les nouveaux travaux illustrent, par leur diversité et la variété des positions des uns et des autres, comment la Méditerranée est posée tantôt comme un objet tantôt comme un simple cadre de la recherche ou adoptant un point de vue intermédiaire. Cette polyphonie des discours sur le monde méditerranéen témoigne des différences entre écoles nationales, voire régionales, entre postures méthodologiques mais aussi entre manières de concevoir le présent et l’avenir d’une terre de conflits aussi vifs et interminables (Albera, Blok & Bromberger 2001).

Ces études présentent certains changements de perspective impor-tants dans l’anthropologie du bassin méditerranéen. Sans être ni radica-lement iconoclastes ni obstinément conservateurs, et représentant plu-sieurs styles intellectuels, histoires d’engagement dans l’anthropologie de la région et traditions nationales de recherche, ces travaux offrent une bonne base pour une certaine évaluation sérieuse. Chacun s’ajoute au fonds d’idées déjà en jeu et fait avancer la discussion en soulignant des facettes jusqu’ici négligées. Même si ces travaux n’offrent peut-être pas une critique complètement radicale des thèmes fondateurs, ils offrent une réitération utile des points existants et historiques importants, ainsi qu’un déplacement des modèles plus anciens. Plus généralement, ils temporalisent et spatialisent notre compréhension des sociétés et des cultures de la région. Cette critique intermédiaire est souvent prise entre un grand malaise avec l’état des catégories dominantes et une hésitation pour les rejeter d’emblée. On saisit, en particulier, l’évolution historique de l’honneur afin de montrer sa mutabilité incessante et analytiquement déstabilisante, bien que les auteurs, conscients de la spécificité

histo-rique de tels développements, optent discrètement pour la critique au lieu de complaisance, et pour la différentiation au lieu de conformité.

Car la nouvelle vague examine également dans quelle mesure les ac-teurs sociaux et politiques locaux invoquent l’idée d’une culture médi-terranéenne, tout en s’interrogeant sur l’usage qu’on fait de cette idée. En effet, c’est l’application problématique de la notion de créolisation qui soulève les véritables enjeux conceptuels. Elle amène à s’écarter des soubassements idéologiques des conceptions de l’identité locale et de l’épistémologie anthropologique où s’inscrit la notion d’aire culturelle méditerranéenne, tout en soulignant l’inévitable complexité des origines sociales et culturelles de toutes les entités qui se présentent aujourd’hui comme unies et revendiquent un passé qui aurait un seul foyer d’origine (Herzfeld 2001).

L’Europe

La préoccupation intensive avec les sociétés non-européennes a mis au crédit de l’anthropologie sociale des résultats qui fournissent de meilleures compréhensions de leurs cultures, ce qui renvoie non sim-plement à la connaissance européenne des autres traditions, mais aussi à

une perspective de l’Autre réfléchie sur soi-même. En renversant la

perspective, l’approche anthropologique offre de nouvelles considéra-tions à l’intérieur même des sociétés européennes. En effet, il est actuel-lement considéré comme important que des projets anthropologiques sont réalisés sur le terrain de l’Europe. Cela permet d’ouvrir des pers-pectives nouvelles et non-conventionnelles pour appréhender les condi-tions européennes, en l’occurrence dans les études sur la construction des identités sociales ou sur les relations interethniques et la dynamique culturelle des valeurs sociales. Un lien entre les études effectuées à l’intérieur de l’Europe et les études basées à l’extérieur de l’Europe est donc systématiquement recherché, puisqu’une anthropologie de l’Europe est hautement souhaitable dans la mesure qu’elle n’est qu’une démarche dans la poursuite d’une anthropologie globale, dont la finalité ultime et légitime est de rendre compte de l’unité et de la diversité humaine dans son ensemble, sans limites spatiales ou temporelles.

Cependant, dans l’histoire de l’anthropologie sociale et culturelle, l’Europe est encore une idée neuve, ou presque, dans la discipline. Il a été longtemps estimé que l’entreprise anthropologique, avec son soubas-sement ethnographique, était pour l’essentiel inadaptée à la connais-sance des sociétés et des cultures du continent européen, à l’exception de survivances locales d’institutions anciennes ou de particularismes ethniques menacés par l’emprise des États-nations et des modèles de civilisation qu’ils diffusent.

Ainsi, les travaux consacrés aux sociétés européennes se présentent pourtant comme une collection hétéroclite d’enquêtes d’inspirations diverses, folklorique, linguistique, géographique, historique, sociolo-gique, etc. Venue tard dans le cadre institutionnel de la recherche, l’anthropologie européenne se trouve de surcroît marquée par une extrême diversité des traditions scientifiques, épistémologiques et académiques. Particulièrement en ce qui concerne le champ conceptuel, certains des termes clés de la discipline organisent des configurations sémantiques différentes d’un pays à l’autre, comme en témoigne le complexe formé par les notions de peuple, de nation et d’ethnie. La portée même conférée aux recherches sur l’Europe varie dans de larges proportions. Enfin l’opposition entre « civilisés » et « primitifs », consti-tutive de la naissance de l’anthropologie sociale, trouve son équivalent en anthropologie de l’Europe avec l’opposition entre « savant » et

« populaire », qui est encore au cœur des travaux développés par

nombre d’écoles nationales de folklore et d’ethnologie.

Au retard historique et à l’éclatement scientifique s’ajoutent d’autres raisons qui tiennent à l’histoire même de l’Europe, au pluralisme cultu-rel, aux conceptions différentes du fait ethnique et des raisons de s’y intéresser. L’émergence précoce d’États nationaux, affrontés à l’existence de groupes ethniques et de cultures tantôt hégémoniques tantôt minoritaires, a conduit très tôt à assigner à l’anthropologie de l’Europe une fonction politique de légitimation ou de contestation de l’ordre établi. Au poids des diverses idéologies s’est ajouté celui de la sollicitation politique, notamment dans le cadre des régimes autocra-tiques et totalitaires. Nombre de recherches ont été menées dans le seul but de fonder ou d’infirmer des revendications ethniques, ou bien d’ériger une classe sociale en agent exclusif de la création culturelle. Exemples de projets pseudo-culturalistes et d’instrumentalismes

poli-tiques de la recherche sont illustrées, entre autres, par la Volkskunde

allemande au soutien de la campagne de propagande nazie des années 1930 et 1940 (Gerndt 1987), la politique folkloriste du cycle épique du

Kosovo au soutien du nationalisme serbe depuis le XIXesiècle jusqu’à

nos jours (Gossiaux 1995 ; Kaser & Halphen 1998) ou encore, durant l’époque communiste dans les pays d’Europe centrale et orientale, la folklorisation des traditions culturelles et historiques comme un instru-ment pour justifier et exalter les fondations dites « authentiques » des régimes politiques et idéologiques, comme j’ai eu l’occasion de voir pour le cas albanais (Doja 1998b). De manière plus générale encore, l’influence exercée par certains courants de pensée a longtemps poussé les anthropologues de l’Europe à interpréter les différences culturelles en termes de hiérarchie (Bausinger 1993).

Les premières recherches sur l’Europe se réclamant explicitement des méthodes de pensée et d’enquête de l’anthropologie sociale et culturelle se multiplient notamment grâce à l’intérêt des anthropologues anglo-saxons pour les sociétés riveraines de la Méditerranée, de la péninsule ibérique à l’Ouest jusqu’aux Balkans à l’Est, qui restent toujours les plus étudiées, bien qu’on relève aussi des recherches me-nées dans les Îles britanniques, en France, en Norvège, en Suisse ainsi que dans plusieurs sociétés de l’Europe centrale (Theodoratus 1969 ; Nixdorff & Hauschild 1982 ; Goddard, Llobera & Shore 1994). Ces travaux témoignent d’une rupture d’avec la tradition intellectuelle héritée des ethnologies nationales et des enquêtes folkloristes (Stocking 1996). Ils se présentent pourtant, pour la plupart, sous forme de mono-graphies des communautés locales, traversées par les tonalités structu-ral-fonctionnalistes, dont l’approche visait plutôt les périphéries de l’Europe dans les petits villages lointains traités comme s’ils étaient des

sociétés auto-suffisantes. C’était toujours une part d’anthropologie en

Europe, plutôt qu’une anthropologie del’Europe, qui demeurait encore

un territoire inexploré et indéfini.

Peu de chercheurs ont tenté de conduire des recherches comparatives de quelque ampleur, ou d’élaborer des synthèses régionales, à l’instar de John Davis (1977) sur la Méditerranée ou de Robert Anderson (1971) sur l’Europe. Lorsque Conrad Arensberg a souligné la nécessité de revoir le vieux concept d’« aire culturelle » se référant à une combinai-son mixte des « traits culturels » qui combinai-sont à considérer comme « hiérar-chiquement » ordonnés à différents niveaux d’abstraction, il a proposé provisoirement une formulation des « aires culturelles » européennes comprenant la frange atlantique, les plaines d’Europe centrale, les pays méditerranéens et les régions circum-alpines (Arensberg 1963). Si une telle taxonomie des régions européennes a manifestement négligé de prendre en considération l’histoire, le souci de se référer d’emblée aux problématiques de l’anthropologie générale, la dimension réduite des unités d’observation, le respect des frontières nationales, le problème