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Ce travail a été initié par Stéphanie Sagot, directrice du centre d'arts La Cuisine à Negrepelisse et maître de conférences en design appliqué à l'université de Nîmes. C'est elle qui est venue, en 2007, nous chercher par l'intermédiaire du CRITT-CRT-CATAR pour engager un travail de collaboration sur le thème des agro-matériaux. Elle a nancé pendant 3 ans les travaux de trois équipes de designers diérentes pour imaginer des utilisations pour ces matériaux naturels mais modelables et éventuellement industrialisables.

Le principe de la collaboration avec les designers était le suivant : ils venaient une journée ou deux au laboratoires nous rencontrer et voir les matériaux et les technologies de mise en forme utilisées. S'en suivaient une discussion et des échanges réguliers pour qu'ils valident auprès de moi leurs idées et que nous préparions ensemble les rendus. Ceux-ci ont pris le plus souvent la forme d'images de synthèses ou de maquettes plastiques en impression 3D et parfois nous avons réalisé quelques prototypes mais c'était malheureusement souvent trop compliqué ou trop onéreux (un moule ou une lière même simple coûte quelques milliers d'euros !). Et chaque année, Stéphanie organisait une exposition au centre d'arts de Negrepelisse, et je faisais lors du vernissage une présentation de nos travaux !

La première année, Franck Fontana et Sébastien Cordoléani, ont été immédiatement intéressés par les pots de eurs en tourteau de tournesol dont j'ai déjà parlé à maintes reprises. Leur idées était d'exploiter la nature même de nos matériaux, en particulier les matériaux plante entière et d'imaginer que leur dégradation, leur retour à la nature, pourrait donner lieu à la naissance d'une nouvelle plante et qu'un cycle serait ainsi bouclé. Ils ont donc proposé une série d'applications pour l'horticulture : lignes de graines pour faciliter les plantations et la régularité des espacements entre plans, contenants à graines à planter (Figure 6.3), supports pour tuteurs contenant des graines, cartes postales à arroser...

L'année suivante le collectif Duende, mené par Anthony van den Bossche, a travaillé autour de deux idées plus farfelues : la fabrication d'urnes funéraires pour l'enfouissement du placenta humain comme cela se fait encore dans certaines cultures, et celle de bijoux en lait maternel en exploitant les propriétés de la caséine (Figure 6.4). Bien sûr il serait nécessaire de le dégraisser mais, après tout, pourquoi pas.

Enn Gille Belley, avec sa fabrique végétale, a lui imaginé des applications tirant prot de la sensibilité à l'eau de ces matériaux de leur biodégradabilité que l'on pourrait suivre à l'÷il nu. Deux exemples que j'aime beaucoup : la colline, que l'on arrose et dont on observe l'érosion, et la brindille

Figure 6.4  Urne à placenta humain et bijoux de lait du collectif Duende

dont le parfum encapsulé se libère au fur et à mesure de la dégradation du matériau dans l'eau (Figure 6.5). La travail avec Gilles a été particulièrement fructueux. Il a été lauréat de la Bourse Agora pour le Design en 2009 pour ce projet, et ses réalisations ont attiré l'intérêt de l'entreprise Givaudan, leader mondial du parfum, qui cherchait de nouvelles pistes pour la désodorisation d'intérieur. Grâce à lui, et à Stéphanie, nous avons depuis construit et ni un travail de thèse sur l'encapsulation de parfums dans des matrices d'agro-matériaux !

L'ensemble de ces travaux a donné lieu à la parution d'un très joli livre1 aux Nouvelles édi-tions Jean-Michel Place auquel j'ai naturellement collaboré à travers une introduction aux agro-matériaux et une postface technique sur la faisabilité des applications folles envisagées pas ces designers. J'ai aussi eu la chance d'être invité à présenter nos travaux sur le sujet à la biennale de design de St-Etienne en 2008 ainsi qu'au lieu du design à Paris au sein de l'excellente matériau-thèque de l'association Materio.

Par la suite, j'ai continué à avoir des échanges avec certains des designers rencontrés et avec de nouveaux, en particulier des jeunes designers pour leur projet de diplôme (de l'Ecole Nationale Supérieure de Création Industrielle, ou de l'Ecole Boulle). Ces travaux ont cette fois tous fait l'objet de prototypes réalisés grâce au procédé de compression uniaxiale haute-pression :

ˆ Alexandre Echasseriau, pour un très joli projet dans lequel se rencontrent une matière, un savoir faire traditionnel et une expertise technique. Pour lui nous avons étudié la faisabilité de la fabrication de chapeaux en laine (Figure 6.6) et en cheveux par compression haute pression. La compression de la laine, qui avait été envisagée au laboratoire en son temps2, est potentiellement très intéressante. L'ensemble de son projet Tryptic a été récompensé de l'Audi talents award Design 2014.

ˆ Henna Burney, elle, est venue en stage au laboratoire pendant 1 mois en 2016 pour compri-mer de la balle de riz. Elle propose une réexion complète et très pertinente sur les matières pauvres et la manière dont ces agro-matériaux qui n'ont pas des propriétés exceptionnelles peuvent tout de même trouver une place dans notre quotidien. Son projet est nommé Oryza (Figure 6.7).

1. Sagot, S. & Rouilly, A. Design et agro-matériaux. (Nouvelles éditions Jean-Michel Place, 2012).

2. Jacques, C. Étude de la valorisation des déchets d'origine keratinique par voie thermo-mécano-chimique en vue de l'obtention de laments continus : cas spécique de la laine. (Toulouse, INPT, 2003).

Figure 6.5  La colline et la brindille de la fabrique organiquede Gilles Belley.

Figure 6.6  Le casque de vélo en laine d'Alexandre Echasseriau.

Figure 6.8  Les lunettes en plume d'Ambroise Jugan.

ˆ Ambroise Jugan travaille de son côté à la valorisation des plumes et plumettes non-utilisées par les industriels du duvet pour fabriquer un matériau qui pourrait, en particulier, être destiné aux lunetiers (Figure 6.8). A nouveau de la kératine, c'est décidément une matière tendance !

Pour nir, nous encadrons depuis 2015 avec Aurélie Rouaix-VandePut, une collègue du CI-RIMAT, un projet l rouge avec des élèves de l'ENSIACET sur le thème Art & Sciences dans lequel il y a un volet design et agro-matériaux. Il s'agit d'une collaboration avec Thomas Vailly, un designer français installé en Hollande, sur le thème de la déconstruction/reconstruction du bois et en particulier du Pin Maritime. A la diérence des procédés que j'ai pu présenter dans la première partie, l'idée est cette fois d'extraire et purier les diérents composants du pin pour les réassembler dans un objet. Dans l'exemple présenté (Figure 6.9) une résine à base de de lignine et de colophane permet de lier ou protéger des parties qui pourraient être en cellulose pure. L'objet du projet est d'accompagner le travail du designer à travers une étude scientique des conditions d'extraction les plus adaptées, de réaliser des extractions en conditions professionnelles et éventuellement de faire une proposition artistique. Ce projet s'est poursuivi l'année suivante autour, cette fois, du tournesol et des nombreux matériaux développés au laboratoire à partir de cette plante.