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Agir pour être efficace ou agir avec pertinence ? Construction de la question de

Partie I : Les dispositifs de gestion des populations animales locales comme objet de

CHAPITRE 1 : CARACTERISATION DES DISPOSITIFS DE GESTION DE

1.5 Agir pour être efficace ou agir avec pertinence ? Construction de la question de

Ce paragraphe présente les attentes perçues par rapport à ce travail, à la fois du point de vue scientifique et du point de vue de l’aide à la décision. Il se fonde sur des enquêtes auprès de personnes ressources18, des discussions avec les scientifiques ayant accompagné ce travail, la lecture d’écrits sur la gestion des populations animales, mais s’y sont progressivement ajoutées les enquêtes de terrain, les lectures théoriques. A partir de ces attentes perçues et de l’ensemble des travaux scientifiques mobilisés, j’ai construit une question de recherche avec l’objectif de poser une question scientifique traitable.

18 J’ai en effet effectué des enquêtes qui m’ont permis d’entendre le point de vue d’experts impliqués

dans un grand nombre de dispositifs sur les différentes races. Ainsi des acteurs du Ministère chargé de l’Agriculture, du Bureau des Ressources Génétiques, des Instituts Techniques, de l’INA PG, de FUS et de l’INRA ont exprimés leurs points de vue sur la gestion des races locales.

1.5.1 : De l’efficacité à l’effectivité.

La question de l’efficacité des dispositifs est mise en avant par les acteurs impliqués. Le sujet de thèse proposé évoquait en particulier dans les objectifs une volonté d’aller vers des organisations plus efficaces par rapport aux problèmes identifiés. Cette question de l’efficacité parait être le reflet des préoccupations des décideurs en matière de ressources génétiques. Ainsi le BRG (2004) souligne qu’il est nécessaire de pouvoir évaluer l’efficacité d’un programme de gestion de ressources génétiques ; et en particulier, il souligne que pour cela il convient de « mettre en place une procédure d’évaluation unique, qui respecte l’hétérogénéité des programmes ». Face à une diversité de dispositifs évoquée précédemment, la question de l’évaluation de l’efficacité de ces dispositifs est posée. C'est-à-dire que la question se pose de la manière de se doter de critères pour l’évaluation de dispositifs hétérogènes sans remettre en cause cette hétérogénéité.

Plusieurs auteurs ont souligné la précaution avec laquelle devait être utilisée la notion d’efficacité. Ainsi Le Moigne (1990) considère l’efficacité comme un concept monocritère, monodimensionnel, simple, pertinent en situation fermée très structurée. Cette notion ne lui parait pas pertinente en situation complexe et il met plutôt en avant la notion d’effectivité : dans quelle mesure un tel a – t il fait effectivement ce qu’il voulait faire ? Il rappelle que toute décision en situation complexe est une décision multicritères, et il existe a priori plusieurs (souvent beaucoup) solutions satisfaisantes à un problème de sélection multicritères.

Dans le même ordre d’idées, Checkland et Scholes (1990) définissent trois notions :

- “efficacy : does the means work ? “

- “efficiency : are minimum resources used? “

- “Effectiveness : does T [the transformation of some entity into a changed form of

that entity] help the attainment of longer term goals related to owner’s expectations.”

Le terme efficacité français correspond plutôt au terme efficiency en anglais cependant il peut y avoir un ambiguïté dans l’usage de ce terme. Le terme d’effectivité, qui, comme on l’a vu parait plus pertinent en situation complexe, implique cependant la bonne définition des objectifs à long terme. Or les attentes vis- à-vis des dispositifs sont elles mêmes multiples et parfois floues. On a vu qu’une diversité importante d’acteurs, porteurs d’attentes différentes, intervenaient et que de multiples dimensions (génétique, sociale, économique etc.) sont en présence dans la gestion de ces populations. Si l’objectif global qui justifie le passage par la notion de dispositif est un objectif de gestion de la population au sens large, les objectifs de cette gestion sont divers et pas toujours partagés.

ÎAu-delà de la diversité des formes d’organisation, je porterai attention à ne pas négliger la diversité des points de vue en terme d’objectifs dans ces dispositifs. Dans le repérage d’éléments clés, de points de tension, d’ « effectivités non satisfaisantes » (pour reprendre une expression de Le Moigne), je veillerai à les référer dans la mesure du possible aux divers objectifs exprimés.

1.5.2 : De la notion de pérennité des dispositifs au décloisonnement entre

conservation et valorisation.

Pour ce qui est de l’objectif de pérennité lui aussi évoqué, le BRG met en avant à la fois la pérennité de la race19, et la pérennité des actions, et donc l’engagement réciproque des partenaires sur le long terme (Finidori, 2004). Cette question de pérennité porte à la fois sur la ressource elle-même, et sur les dispositifs mis en place pour la gérer. Au niveau de la ressource, le BRG (2004) souligne « qu’il est nécessaire d’abord de s’assurer de l’intérêt de préserver le matériel génétique, et notamment de son originalité.» La question de l’intérêt de préserver un certain type de matériel est abordée par les scientifiques qui proposent des méthodes pour hiérarchiser les ressources selon leur intérêt (Fadlaoui, 2006). Cette question de l’intérêt des

19 Cette pérennité de la race est l’objectif final et il est explicité derrière le terme générique

ressources ne se pose pas de la même façon selon les niveaux à laquelle on l’aborde. En effet, l’originalité génétique de la ressource, qui a de l’importance du point de vue global de la conservation des ressources génétiques, n’est pas forcement ce qui donne un intérêt à la ressource pour les acteurs locaux, qui l’investissent d’autres intérêts. Ainsi le terme de pérennité garde une certaine ambiguïté, les ressources concernées ici, sont des ressources vivantes, non figées, et on l’a vu plus haut, la définition de la race revêt de multiples dimensions : la race ne peut pas se définir uniquement d’un point de vue génétique. Il faut donc bien avoir conscience que l’on parle de pérennité d’une population dynamique et aux limites parfois « floues ». De même, le type d’action mis en œuvre et les partenaires impliqués peuvent évoluer ; cependant les textes du BRG (Charte nationale pour la gestion des ressources génétiques en particulier) montrent que par pérennisation ils entendent intégration dans un système agraire, donc qu’est mis en avant le fait que les acteurs trouvent un intérêt à la ressource localement, et que la dimension valorisation de ces populations doit être considérée. Vissac (1993) observe l’évolution et la recomposition des intérêts portés aux populations animales par les populations humaines. Il y a bien une dynamique, une possible évolution des projets des hommes pour la ressource, de l’intérêt porté à la ressource localement, de la manière dont cet intérêt local s’articule avec un intérêt plus global pour la ressource en temps qu’élément de biodiversité par exemple, mais aussi une possible évolution de l’environnement local. Derrière la pérennité il y a donc une capacité d’évolution du dispositif, de réadaptations successives20.

ÎCet objectif évoqué de pérennité confirme l’importance de ne pas effectuer de cloisonnement entre les aspects de conservation et de valorisation des populations, et de bien prendre en compte la valorisation et plus généralement le lien avec le développement local dans les processus étudiés pour observer le rôle que cela joue.

20 Le Moigne (1983) s’inspire en particulier de Piaget et établit un référentiel d’équilibration du

Système Général. Il aborde ainsi la question des évolutions et de réadaptations successives d’un système.

1.5.3 : De la question de l’action pertinente à l’intelligence de la situation

pour faciliter cette pertinence.

Finalement les décideurs et coordinateurs au niveau national ont un rôle d’appui aux dispositifs de gestion ; à travers les questions d’efficacité et de pérennité qui se posent, la préoccupation est bien celle de la pertinence des appuis proposés. En effet, du point de vue des décideurs, la diversité des formes d’organisation pose question sur le type d’appui à mettre en œuvre.

Ainsi à partir des interrogations posées par le sujet proposé et des entretiens, ont émergé les questions suivantes :

Comment les acteurs locaux doivent ils s’y prendre pour mettre en œuvre un projet et avoir des chances de se faire entendre par les financeurs ? Comment agir favorablement sur la capacité des acteurs locaux à se situer vis-à-vis des exigences de la part des pouvoirs publics ? Comment vérifier la cohérence interne d’un dispositif, l’articulation entre échelles et logiques d’intervention hétérogène ou comment en repérer les difficultés ? Comment adapter un schéma « idéal » du point de vue génétique aux spécificités de terrain ? Comment évaluer la pertinence des actions mises en œuvre localement?

A la lecture de ces questions, on remarque que la question de la pertinence se pose à deux niveaux : d’abord au niveau de la pertinence des appuis apportés aux dispositifs puis à un second niveau comment s’assurer de la pertinence des actions mises en œuvre localement, c'est-à-dire déterminer quel type de dispositif est pertinent à soutenir ? La question de l’articulation entre les différents niveaux d’intervention se pose de manière forte. Dans les actions mises en œuvre localement peuvent intervenir aussi bien des acteurs locaux que des instances nationales, et selon différentes modalités. Ces différents niveaux peuvent intervenir simultanément ou successivement, fréquemment en fonction d’objectifs différents, parfois de manière complémentaire, ou en tension.

Or Le Moigne (1990), en s’appuyant sur les travaux de H.A. Simon sur les processus cognitifs en jeu dans les prises de décisions, modélise le processus de prise de décision comme la conjonction récursive de trois sous systèmes stables, chacun pouvant être à son tour représenté par un système de décision : système d’intelligence (compréhension ou formulation d’un problème), système de conception (résolution et évaluation des solutions alternatives), système de sélection (choix multicritère de l’action décisionnelle).

Je me place ici dans une perspective de contribution à l’intelligence de la situation en vue d’une action pertinente, l’objectif est donc de contribuer à rendre intelligible une situation complexe.

Ceci peut être rapproché de la notion de diagnostic même si Charrier (2006) rappelle qu’on peut identifier une diversité de processus et de résultats sous le terme « diagnostic ». Il distingue particulièrement le type se rapprochant du « diagnostic médical », et le type « évaluation » d’une situation. R. Bourgine-Teulier (Bourgine, 1989) décompose les différentes dimensions de l’acte de diagnostic (cf. encadré 1.1) :

Le diagnostic est distinction : faire un diagnostic c’est extraire le pertinent, repérer le différent. Le diagnostic est agrégation, conjonction : c’est une description volontairement partielle et organisée.

Le diagnostic est construit : c’est un processus.

Le diagnostic est orienté : il est finalisé en vue d’une action.

Le diagnostic suppose un référentiel : il consiste à porter un jugement implicitement comparatif. Le diagnostic suppose une stratégie.

Encadré 1.1 : le diagnostic vu par Bourgine (1989).

ÎMon objectif est donc d’effectuer une description permettant de mieux comprendre les dispositifs, y repérer les éléments clés pour leur compréhension, établir un repère en m’appuyant sur la diversité des situations, pour contribuer à une intelligence de ces situations en vue d’actions pertinentes.

1.5.4 : La question de recherche : la contribution à la caractérisation des

dispositifs dans leur dynamique et dans leur diversité au cœur du travail de

thèse.

La question au cœur de ce travail est donc celle de la contribution à la caractérisation des dispositifs de gestion de populations animales locales. Je m’attache à caractériser la diversité des dispositifs, mais aussi à expliciter les dynamiques de construction de ces dispositifs, et plus particulièrement des choix techniques et organisationnels qui sont comme on l’a vu étroitement liés.

La question suivante peut donc être formulée :

Comment se construisent et évoluent les dispositifs de gestion de races locales à petits effectifs ? C'est-à-dire: quelles sont les actions techniques qui sont mises en place? Comment se mettent elles en place et évoluent elles? Quels acteurs les portent ou les rejoignent ? Quels acteurs excluent-elles ? Comment s’organisent ils? Quelle race construisent-t-elle ?

Conclusion du chapitre 1

Ce chapitre décrit comment je suis passée progressivement d'attentes perçues vis-à- vis de ce travail de thèse à une question de recherche centrée sur les dispositifs de gestion de populations animales locales dans leur diversité et leur dynamique. En effet autour de ces populations animales, on est passé d'une problématique de conservation de ressources génétiques à une problématique à la fois de gestion de biodiversité domestique (intérêt de la ressource d’un point de vue « général ») et de développement local (intérêt de la ressource localement, et intégration dans un système agraire). Dans ce contexte, la question de l'appréhension de la diversité des dispositifs de gestion, qui articulent populations animales, acteurs individuels et collectifs, objets etc., est centrale pour permettre une action pertinente. C'est à cette appréhension que se propose de contribuer cette thèse.

CHAPITRE 2 : DEMARCHE : UNE ARTICULATION

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