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Age et réponse à un évènement ‘stressant’ ou ‘contraignant’

IV. Age et réponse à un évènement ‘stressant’ ou ‘contraignant’

IV.1. Problématique, objectifs, modèle et questions posées

IV.1.1. Problématique et objectifs

Dans la première partie empirique de cette thèse, nous avons examiné les effets de l’âge sur différents traits phénotypiques (immunité, stress oxydant, taux hormonaux, comportement de recherche alimentaire…) en conditions ‘basales’, c'est-à-dire en conditions non perturbées par un stress. Nous avons détecté des patrons liés à l’âge dans les comportements de recherche alimentaire, mais nous n’avons pas pu détecter d’effet de l’âge sur les autres traits.

Or, les études menées sur l’Homme et les animaux de laboratoire nous enseignent que l’âge est susceptible d’affecter la réponse d’un organisme à des conditions transitoirement difficiles ou ‘exigeantes’ (du point de vue de la déponse énergétique ou de l’exposition à certains risques, par exemple). Chez les humains et de nombreux rongueurs, la réponse cardiaque au stress physique ainsi que la réponse hormonale face à un stress sont diminuées chez les individus âgés. De surcroît, la réponse immunitaire face à un antigène est affectée.

Il semble donc crucial d’étudier les effets de l’âge sur (i) la réponse à un stress (stress de manipulation), (ii) la réponse immunitaire (capacité de l’organisme à se défendre contre un antigène). Il peut sembler artificiel de regrouper ces deux phénomènes (réponse au stress et réponse

immunitaire), néanmoins, cela ne l’est pas si l’on considère que tous deux sont des événements énergétiquement coûteux et transitoires dans la vie d’un organisme, susceptibles de mettre en péril la bonne réussite de la reproduction en cours (Sheldon & Verhulst 1996; Wingfield et al. 1998; Lochmiller & Deerenberg 2000). Plus généralement, il s’agit de deux situations qui impliquent la

mobilisation de mécanismes de retour à l’homéostasie (équilibre initial du système, Wingfield

2005).

Dans la vie d’un organisme, l’épisode de reproduction représente également une période hautement coûteuse, à tel point que l’investissement des organismes dans la reproduction peut avoir des conséquences à long terme sur la physiologie et la longévité des organismes. C’est le concept de « coût de la reproduction » (cost of reproduction, Bell 1980; Stearns 1989; Stearns 1992; Roff 1992).

reproducteurs, afin d’évaluer l’impact de la reproduction sur l’expression des patrons de sénescence. Une prédiction que nous pouvons formuler est que certains effets de l’âge sont détectables chez des individus reproducteurs, qui font face à de fortes contraintes énergétiques durant l’incubation, mais non détectables chez les individus non reproducteurs. Ces derniers sont

en effet énergétiquement moins contraints et peuvent moduler leur investissement dans telle ou telle fonction physiologique indépendamment de leur effort reproducteur.

IV.1.2. Questions posées

Q.5. Quels sont les effets de l’âge sur la réponse des individus face un stress aigu (stress de manipulation) durant la reproduction ? (ARTICLE B)

Q.5.1. Quels sont les effets de l’âge sur l’amplitude de la réponse hormonale face au stress de manipulation (taux de prolactine et de corticostérone) ?

Q.5.2. Quels sont les effets de l’âge sur l’amplitude de la réponse du système cardiaque face au stress de manipulation ?

Q.6. Les effets de l’âge sont-ils dépendants du contexte de la reproduction ?

Q.6.1. Les effets de l’âge sur la réponse au stress sont-ils différents entre individus reproducteurs et non reproducteurs ? (ARTICLE C)

Q.6.2. Les effets de l’âge sur le comportement de recherche alimentaire sont-ils différents entre individus reproducteurs et non reproducteurs ? (Etude hors article IV.3.2.)

Q.7. Peut-on détecter un effet de l’âge sur la réponse à un challenge immunitaire ? (ARTICLE D)

Q.7.1. Peut-on détecter un effet de l’âge sur l’amplitude de la réponse immunitaire ?

Q.7.2. Peut-on détecter un effet de l’âge sur l’augmentation des taux d’hormone de stress (corticostérone) induite par le challenge immunitaire ?

IV.2. Age et réponse à un stress aigu

IV.2.1. Introduction

IV.2.1.1. Notion de réponse au stress chez les vertébrés

Face à la perception d’un évènement ‘stressant’ par l’organisme, c'est-à-dire d’un évènement imprévisible, tel que l’irruption d’un prédateur, la manipulation par un expérimentateur, ou une perturbation climatique soudaine, les vertébrés mettent en place un ensemble de mécanismes physiologiques et comportementaux connus sous le nom de réponse au stress (Romero 2004). Les mécanismes qui sous-tendent la réponse au stress se décomposent en deux grands axes, qui seront tous deux étudiés chez le Grand Albatros : (i) tout d’abord, les animaux activent le système nerveux sympathique (SNS). En quelques secondes, le cerveau active le cœur et le rythme cardiaque augmente ; de plus, la sécrétion de catécholamines (par exemple l’adrénaline) renforce la réponse cardiaque et participe à la constriction du système artériel, avec des effets immédiats sur la réactivité de l’organisme et sa préparation à une éventuelle réaction physique. Cette première voie d’action, presque immédiate, est un pré-requis vital pour préparer les réponses comportementales (‘Se battre ou fuir’, fight-or-flight response, Romero & Butler 2007). (ii) Dans un deuxième temps, la réponse au stress comprend l’activation du système endocrinien (axe hypothalamus-hypophyse-glandes adrénales, hypothalamic-pituitary-adrenal axis, ou HPA (Wingfield 2005). Sans rentrer dans le détail, cet axe est impliqué dans la sécrétion vitale de plusieurs hormones de stress, des glucocorticoïdes de la famille des hormones stéroïdes, qui sont sécrétées par les glandes corticosurrénales. Le cortisol et la corticostérone sont les hormones de stress majoritaire chez les mammifères et les oiseaux respectivement.

La sécrétion de glucocorticoïdes induite par les stimuli stressants permet un ajustement rapide de l'état physiologique de l'organisme aux perturbations (Wingfield et al. 1995; Sapolsky et al. 2000). Chez les oiseaux comme chez les mammifères et les reptiles, la fonction de cet axe est d'adapter l'état physiologique de l'organisme à des variations journalières ou saisonnières de leur environnement, mais également d'activer une réponse d’urgence lorsque des événements stressants et imprévisibles interviennent (Wingfield et al. 1998). La sécrétion de corticostérone (principal glucocorticoïde chez les oiseaux, reptiles et rongeurs) en réponse à ces perturbations intervient donc comme un médiateur de l'allostasie et de la réponse au stress (e.g. Landys et al. 2006)

La recherche en écologie a souligné l’importance de la réponse au stress dans les mécanismes sous-tendant l’histoire de vie des individus, en particulier dans la gestion des

compromis d’allocation d’énergie (Wingfield et al. 1998; Wingfield & Sapolsky 2003; Romero 2004;

Bokony et al. 2009). Toutefois, peu d’études sont actuellement disponibles en ce qui concerne les interactions entre la réponse au stress et l’âge des individus en conditions naturelles. L’essentiel de nos connaissances à ce sujet provient des études conduites chez les animaux de laboratoire et chez les Humains.

IV.2.1.2. Age et réponse au stress : ce que nous disent les études sur l’Homme et les modèles de laboratoire

Les deux composants principaux de la réponse au stress (l’axe SNS, activant la réponse cardiovasculaire et l’axe HPA, activant la réponse endocrinienne) ont été particulièrement étudiés chez les humains et les rongeurs de laboratoire dans le cadre de l’étude du vieillissement.

Dès le début des années 1980, les travaux pionniers de Sapolsky et al. (1983, 1985) ont permis de découvrir que les rats âgés présentaient des modifications spectaculaires dans la réponse au stress. Après le pic de sécrétion de cortisol (hormone de stress) en réponse au stress, la phase de recouvrement du niveau hormonal basal est considérablement allongée chez les vieux rats. De nombreuses études ont également mis en évidence une augmentation de l’amplitude du pic de cortisol sanguin ou salivaire. De même, chez les humains, l’amplitude de la réponse endocrinienne augmente ou diminue avec l’âge selon le contexte et la nature du stimulus stressant (voir la méta-analyse de Otte et al. 2005).

Les modifications de la réponse au stress avec l’âge sont une pierre angulaire de la gérontologie moderne (e.g. Otte et al. 2005) et de l’étude du vieillissement animal (e.g. Cano et al.

2008). On considère aujourd’hui que le stress et la qualité de la réponse au stress comptent parmi les facteurs proximaux majeurs du vieillissement.

En ce qui concerne la réponse cardiaque, des effets spectaculaires de l’âge ont également été observés. Chez les rats comme les humains, le cœur répond moins bien à une demande subite d’effort physique : le cœur atteint moins vite son taux de pulsation maximal, qui est plus bas chez les individus âgés par rapport aux adultes dans la force de l’âge (pour revue : Lakatta & Sollott 2002). Notons d’ors et déjà que ces modifications de la réponse au stress avec l’âge sont influencées par le sexe de l’individu, les femelles montrant généralement moins de signes de modification dans la réponse au stress avec l’âge (Matthews & Stoney 1988; Kudielka & Kirschbaum 2005). Nous serons donc particulièrement vigilants quant à la prise en compte du facteur sexe dans notre étude de la réponse au stress, d’autant que nos deux premières études ont démontré que les albatros mâles et femelles n’étaient pas affectés par l’âge de la même manière (Partie III).

IV.2.1.3. Age et réponse au stress en écologie

Les effets de l’âge sur la réponse au stress des humains et des animaux de laboratoire sont-ils extrapolables aux animaux vivant en conditions naturelles ? Comme souligné par Partridge

& Gems (2007), les résultats obtenus en conditions contrôlées pourraient ne pas être pertinents pour les animaux vivant en liberté, qui doivent intégrer de fortes variations environnementales et qui n’ont pas de source de nourriture illimitée. En outre, la réponse au stress est un mécanisme physiologique fortement influencé par les conditions environnementales ou les traits d’histoire de vie, et présente de fortes variations saisonnières (Romero 2002, 2004; Bokony et al. 2009). Il semble donc difficile de formuler des prédictions quant à la nature des variations liées à l’âge de la réponse au stress chez notre modèle d’étude (Grand Albatros) par simple extrapolation des résultats obtenus en conditions contrôlées.

Les liens entre l’âge et la réponse au stress ont donc fait l’objet de nombreuses études de terrain à partir des années 1990, dont voici une vision synthétique. La réponse au stress du taux de corticostérone décroît généralement avec l’âge, tandis que la réponse de prolactine augmente avec l’âge, ce qui a souvent été interprété comme un mécanisme d’augmentation de l’effort parental en fin de vie où la valeur de la reproduction en cours est élevée (Chastel et al. 2005; Heidinger et al. 2006, 2008; Angelier et al. 2007a; Angelier et al. 2009b; Angelier & Chastel 2009; Bokony et al. 2009), bien que d’autres interprétations soient possibles, notamment l’hypothèse de sénescence (voir, par exemple, la discussion de Heidinger et al. 2006). A notre connaissance, aucune étude n’a exploré les effets de

l’âge sur la réponse au stress en conditions naturelles chez un animal présentant une sénescence reproductive claire, c'est-à-dire chez un animal qui montre un déclin du succès reproducteur avec l’âge. Notre modèle d’étude, le Grand Albatros, dont le succès reproducteur décline à partir de l’âge de

30 ans, permet de constituer un excellent système dans lequel on peut explorer le(s) lien(s) entre vieillissement, réponse au stress et reproduction.

IV.2.2. Une étude chez le Grand Albatros Article B

Dans cette étude, nous allons étudier l’effet de l’âge sur les deux composantes principales de la réponse au stress (composante cardiaque et composante endocrinienne) en soumettant les individus à un stress de capture de 10 minutes.

ARTICLE B [Submitted to Functional Ecology]

Reduced cardiac and endocrine responses to acute