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E. Les macrophages dans le tissu adipeux

IV. LES ADIPOKINES

Les adipokines regroupent un ensemble de protéines produites principalement par les adipocytes. C’est en 1987 que l’on décrit pour la première fois une cytokine, l’Adipsin, dont la production dépend du tissu adipeux (89). Quelques années plus tard, en 1994, la recherche sur le tissu adipeux prend une autre dimension avec la découverte de la leptine, cytokine produite par les adipocytes et ayant un rôle majeur dans la régulation de l’appétit et du métabolisme énergétique. Plusieurs travaux ont ensuite permis de caractériser le spectre de production des cellules adipocytaires et, en 2002, le concept d’ « adipokines » est adopté pour décrire ces protéines produites par le tissu adipeux et capables d’avoir une influence systémique après passage dans la circulation (90). Elles sont nombreuses, plus ou moins spécifiques du tissu adipeux et impliquées dans des fonctions variées comme la régulation énergétique, l’insulinorésistance, la modulation immunitaire, la régulation des fonctions reproductrices…Les plus connues et les plus étudiées d’entre elles sont la leptine et l’adiponectine.

Source Récepteurs Fonction

Leptine Adipocytes Récepteurs leptine

ObRa, b, c, d, e, f

Contrôle de l’appétit

Métabolisme : oxydation des acides gras, captation glucose Immunorégulation : activation des cellules granulocytaires, prolifération lymphocytaire, polarisation Th1

Adiponectine

Adipocytes AdipoR1/2 T cadhérine

Métabolisme : oxydation des acides gras, insulinosensibilité Vasoprotecteur Immunorégulation : anti-inflammatoire Visfatine/ NAMPT Adipocytes Macrophages TLR4 ? CCR5 ? Biosynthèse de NAD Sécrétion d’insuline

Immunorégulation : chemoattractant pour les monocytes, production cytokines inflammatoires

Association à certains cancers et au SDRA

Chémérine Adipocytes Foie, rein, pancréas, organes génitaux CMKLR1 GPR1 CCRL2 Adipogénèse Captation glucose Résistine Monocytes Adipocytes (souris) TLR4 Insulinorésistance (souris)

Sécrétion cytokines inflammatoires Activation endothéliale

SRFP5 Adipocytes WNT5a Suppression du signal pro-inflammatoire induit par WNT

ANGPTL2 Adipocytes ? Inflammation vasculaire

Lipocalin 2 Adipocytes

Macrophages

? Insulinorésistance

Sécrétion cytokines inflammatoires : TNF

Tableau 1. Principales adipokines connues: source de production, récepteurs, effet biologique NAD : nicotinamide dinucléotide ; SDRA : Syndrome de Détresse Respiratoire Aigue

A. Leptine

1. Gene et structure

La leptine est une protéine codée par le gène Ob, cloné pour la première fois en 1994 par l’équipe de J.Friedman. Il est situé sur le chromosome 7 et composé de 3 exons séparés par 2 introns. Le produit de ce gène est une protéine de 16 kDA et 167 acides aminés qui appartient à la famille des cytokines hélicoïdales de type IL-6 et partage une homologie de structure avec des facteurs de croissance tels que le G-CSF et la GH.

La leptine est produite en majeure partie par les adipocytes du tissu adipeux blanc et accessoirement par le muscle squelettique, l’hypophyse ou l’épithélium gastrique. Elle est présente dans le sang sous forme monomérique et son taux circulant est habituellement de 5 à 25 ng/ml. Mais la concentration plasmatique de leptine est proportionnelle au niveau de masse adipeuse de l’organisme ; chez le sujet obèse elle peut atteindre 60-100 ng/ml. La sécrétion de la leptine est pulsatile, elle suit un rythme circadien diurne, augmente après un régime hypercalorique et est stimulée par l’insuline.

2. Récepteurs

Il existe 6 isoformes du récepteur de la leptine qui possèdent tous un même domaine extracellulaire commun. Leur domaine intracellulaire différencie les 4 isoformes courtes ObRs (obRa principalement) de l’isoforme longue ObRb. Enfin l’isoforme circulante ObRe est caractérisée par l’absence de domaine transmembranaire (91).

Seule la forme longue ObRb permet d’induire un signal intracellulaire. Les isoformes courtes ont un rôle important dans le transport de la leptine à travers la barrière hémato-encéphalique et l’isoforme circulante ObRe, dite « binding protein » permet de stabiliser la leptine circulante et régule la proportion de leptine libre dans le plasma.

A B

Figure 9. Leptine et ses récepteurs

A : schéma de la structure tridimensionnelle de la Leptine. B : représentation des six isoformes des récepteurs à la leptine ; seule la forme longue Ob-Rb possède un domaine intracellulaire fonctionnel

3. Voies de signalisation

La leptine se fixe sur son récepteur à la surface membranaire sous la forme d’un homodimère pour former un complexe tétramérique 2(ObR-Ob). Le récepteur n’a pas de fonction tyrosine kinase intrinsèque mais interagit avec les kinases JAK2 (Janus Kinase 2) via son domaine

Box1. Ceci permet la phosphorylation de plusieurs résidus tyrosine : TYR905, TYR1077,

TYR1138. Chacun de ces sites de phosphorylation va induire une voie de signalisation

spécifique qui dépendra également du tissu dans lequel se trouve la cellule (système nerveux central, tissu adipeux, muscles périphériques), rendant compte des différentes fonctions de la leptine (92) (93) (94) :

- On observe un recrutement des facteurs de transcriptions STAT : principalement STAT3 (dans le tissu adipeux, le muscle, le foie et l’hypothalamus) mais également STAT 1 (dans le tissu adipeux) et STAT 5 (dans l’intestin) (95) (96) (97). Cette voie est impliquée dans le contrôle de la balance énergétique et dans la régulation de la prolifération cellulaire

- Le récepteur de la leptine, via son site TYR985phosphorylé ou via le recrutement de

JAK2, va activer la protéine SHP2 (SH2 domain-containing protein tyrosine phosphatase) qui déclenche la voie MAPK (mitogen activated protein kinase) via la phosphorylation de la protéine membranaire RAS ; les effecteurs de cette voie seront les facteurs de transcriptions ERK1/2, impliqués dans l’homéostasie énergétique et

dans la différenciation cellulaire, mais également les protéines p38 et JNK (c-Jun N-terminal kinase), protéines de stress cellulaire (98).

- Enfin l’activation du récepteur de la leptine va également mettre en jeu la voie de signalisation des PI3K (phosphoinositide 3-kinase), soit par action directe, soit par l’intermédiaire du facteur IRS1/2 (Insuline receptor Substrate). Ceci mènera à l’activation des protéines AkT (protein kinase B) et de la PKC (protein kinase C). La PKC est nécessaire pour le fonctionnement de la voie MAPK citée ci-dessus. La protéine Akt est importante dans les processus de survie cellulaire. Cette voie IRS/PI3K est essentielle pour médier l’effet anorexigène de la leptine au niveau neurologique central. Elle rend compte de l’interaction entre les deux hormones, leptine et insuline (99).

Ces voies de signalisation sont régulées négativement par deux principaux acteurs : la protéine SOCS3 (Suppressor of Cytokine Signaling 3) et PTP1B (ProteinTyrosine Phosphatase 1B). Leur transcription est activée par les protéines STAT, assez précocement (à partir de 2h) après l’activation du récepteur de la leptine. Elles vont en retour inhiber les protéines JAK et STAT ainsi que les IRS. Il est intéressant de noter que les animaux KO pour SOCS3 et PTP1B présentent une sensibilité accrue à l’insuline et une résistance à l’obésité induite par l’alimentation (100) (101).

bo x1 bo x1 ob ob JAK2 JAK2 P 985 P 1077 P 1077 P P P P SHP2 VOIE DE SIGNALISATION DE LA LEPTINE RAS SHP2 STAT5 STAT3 STAT1 PTB1B IRS1/2 PI3K SOCS-3 STAT3 STAT3 P P Voie JAK-STAT Rétrocontrôle Akt PKC Voie IRS/PI3K ERK1/2 JNK p38 Voie MAPK

Figure 10. Voies de signalisation de la leptine après fixation sur son récepteur ObRb

4. Effets biologiques

Les récepteurs à la leptine sont présents sur de nombreux types cellulaires comme les neurones hypothalamiques, les macrophages, les cellules des muscles squelettiques, les hépatocytes, les pneumocytes de type 2, les cellules épithéliales bronchiques… Ceci rend compte de la variété de ses fonctions :

Ø Sa principale fonction est la régulation de l’appétit et de la balance énergétique, en inhibant la prise alimentaire et en augmentant la thermogenèse par innervation sympathique du tissu adipeux brun.

Via ses diverses voies de signalisation : JAK/STAT3, MAPK et surtout IRS/PI3K, la leptine stimule la transcription du neuropeptide anorexigène POMC (proopiomelanocortin) et inhibe l’expression du neuropeptide Y (NPY) orexigène (102) (103).

Ainsi, les animaux déficients pour le gène de la leptine (souris ob/ob) ou de son récepteur ObRb (souris db/db) présentent une obésité due à une hyperphagie et à une dépense énergétique réduite. Le traitement des animaux par de la leptine exogène augmente la dépense énergétique et réduit le poids des souris ob/ob (104). Les

humains déficients en leptine montrent une dépense énergétique normale au repos mais sont nettement hyperphagiques (105).

Cependant l'obésité humaine due à une déficience congénitale en leptine est rare. Au contraire, chez le sujet obèse, les taux circulants de leptine sont très élevés alors même qu’elle semble inactive sur la prise alimentaire : c’est le postulat de la résistance à la leptine. Ainsi, les niveaux élevés de leptine pourraient être un moyen de compenser le manque de réponse à l'hormone.

Les mécanismes conduisant au phénomène de résistance à la leptine seraient multiples (106): i) échec de l'hormone à traverser la barrière hémato-encéphalique et à agir sur ses neurones cibles (107), ii) réduction de l'expression des récepteurs de la leptine, iii) défaillance de la voie de signalisation de la leptine aux niveaux central et périphérique (108), iv) interactions entre les voies de signalisation de la leptine et divers médiateurs inflammatoires surexprimés en cas de surpoids ou modulés par des habitudes alimentaires (régime riche en sucre) (109) (110) (111), v) et enfin modulation des effets de la leptine par les variations de compositions du microbiome intestinal (112). Ø La leptine agit également sur le métabolisme au niveau périphérique en régulant le

métabolisme du glucose et des lipides dans le foie, le muscle squelettique et le tissu adipeux. Elle inhibe la lipogenèse de novo (113), active l'oxydation des acides gras (114). L'activation de l'AMPK induite par la leptine régule la glycolyse et la néoglucogenèse dans le muscle squelettique (115). La leptine augmente les niveaux protéiques du transporteur de glucose (GLUT) 4 et réduit l'expression et l'activité des principaux régulateurs négatifs de GLUT4 (116). Elle améliore la sensibilité à l'insuline dans les tissus périphériques, tels que le muscle, par la voie de signalisation PI3K (117).

Ø La leptine joue un rôle immunorégulateur qui a été bien détaillé (118) (119). Elle est essentielle pour la défense antimicrobienne. Il a été montré chez des souris Ob/Ob déficientes en leptine, une surmortalité et un défaut de clairance bactérienne par rapport aux souris normales après instillation de Streptococus pneumoniae ou

Klebsiella pneumoniae (120) (121). Les récepteurs de la leptine (ObRb et ObRa) se

retrouvent à la surface de la plupart des effecteurs du système immunitaire expliquant son action tant sur l’immunité innée qu’adaptative (122).

La leptine induit l’activation, le recrutement et la prolifération cellulaire des cellules phagocytaires : polynucléaires neutrophiles, macrophages, éosinophiles et cellules dendritiques (123) (124) (125). Elle favorise la phagocytose (126) et augmente

l’explosion oxydative ainsi que la sécrétion de médiateurs inflammatoires (IL6, leucotriènes B4…) (127) (128) (129).

Dans l'immunité adaptative, la leptine influence l’homéostasie thymique en réduisant l’apoptose des cellules T thymiques (101). Sur les réponses lymphocytaires T naïves, la leptine augmente la prolifération et la sécrétion d'IL-2 par l'activation de la MAPK et de la PI3K (130). Sur les lymphocytes T mémoires, la leptine favorise la différenciation T helper 1 (TH1) en augmentant la sécrétion d'interféron-γ (IFN-γ) et de TNF (131). La leptine a également des effets anti-apoptotiques sur les cellules T matures et sur les précurseurs hématopoïétiques (132).

CPA Phagocytose Expression MHC Monocytes Activation Induction sécrétion cytokines Immunité innée Neutrophiles Chemotactisme production ROS Immunité adaptative Homéostasie thymique proliferation Stimulation Th1 Leptine Cellules NK cytotoxycité Effet antiapoptotique augmentation bcl2 T naïfs

Figure 11. Effets de la leptine sur les cellules de l’immunité innée et adaptative. D’après La Cava et Matarese. Nature reviews immunology, 2004 (118)

Ø Enfin, la leptine est également impliquée dans certains processus inflammatoires articulaires (133), dans les phénomènes de régulation de la reproduction (134) et l’activation endothéliale (135).

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