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2. Nutrition des plantes et dynamique de l’azote et du phosphore dans le système

2.4. Adaptation spécifique de l’acquisition du phosphore par les Cyperaceae :

2.4.1. Les racines "cluster"

Le terme de racines "cluster" désigne différents types de structures racinaires fortement ramifiées (Shane et al. 2006), caratérisées par des renflements latéraux sur les racines principales (Lambers et al. 2006 ; Lamont 1993, 2003) (Fig. 4). La présence de ces structures racinaires spécifiques est connue chez deux familles de monocotylédones, Cyperaceae et Restoniaceae, et chez huit familles de dycotylédones, Proteaceae, Fabaceae, Casuarinaceae, Betulaceae, Myricaceae, Elaeagnaceae, Moraceae, Cucurbitaceae (Lambers et al. 2006). Les structures les mieux connues sont les racines protéoïdes développées par toutes les Proteaceae et certaines Fabaceae, il s’agit de zones localisées sur les racines principales sur lesquelles se développent de très nombreuses radicelles (Shane et al. 2008).

Figure 4. Morphologie de racines "cluster" induites par de faible teneur en phosphate. À gauche, racines protéoïdes de Banksia sp. d’Australie (échelle 13 mm), à droite racines dauciformes de

Tetraria sp. d’Afrique du Sud (échelle 4mm) (d’après Lambers et al. 2006)

Certaines espèces de Cypearceae développent un autre type de structure appelé les racines dauciformes. La présence de ces racines renflées en forme de carotte (dauciforme) a largement été observée chez certaines espèces de Cyperaceae d’Europe (Davies et al. 1973) et d’Australie (Lamont 1974). Il s’agit dans ce cas de zones localisées développant une très forte densité de poils racinaires, et non de radicelles (Shane et al. 2006). Ce type de racine est structurellement distinct mais fonctionnellement analogue aux racines "cluster" protéoïdes des Proteaceae (Shane et al. 2006). Plusieurs espèces de Cyperaceae sont capables de développer ces racines dauciformes dans des habitats variés (Lamont 1982 ; Miller et al. 1999 ; Miller 2005). Une déficience des sols en phosphore apparaît primordiale pour le développement des racines dauciformes (Playsted et al. 2006). La présence de telles structures n’a pas encore été étudiée sur les Cyperaceae néo-calédoniennes.

2.4.2. Développement des racines "cluster"

Ces différentes structures racinaires en "cluster" citées précédemment ont en réalité un fonctionnement très similaire (Shane et al. 2006), elles confèrent à la racine une très grande surface d’échange qui permet une mobilisation active des nutriments et une acquisition efficace de certains de ces nutriments dans des sols

appauvris (Lamont 2003). Ces structures spécialisées se déplacent spatialement au fur et à mesure de la croissance de la racine, un "cluster" peut être actif quelques semaines, puis il y a sénescence (Lamont 2003 ; Shane et al. 2005).

La formation des racines "cluster" est induite par la privation de P dans le milieu et semble être régulée par la concentration interne en P et plus particulièrement dans les parties aériennes de la plante, et non par la concentration en P du sol (Neumann et al. 2000 ; Neumann et Martinoia 2002). Les mécanismes d’initiation sont mal connus, on suppose qu’il existe un contrôle génétique qui peut subir des modifications systémiques (Shane et al. 2005 ; Lambers et al. 2006). Il existe vraisemblablement des messagers à longue distance, comme l’auxine, qui sont transportés par la sève phloémique, en effet l’application d’auxine sur les racines (sans "cluster") en condition de bonne nutrition phosphatée supprime l’inhibition de la mise en place des racines "cluster " (Lamont 2003 ; Shane et al. 2005).

2.4.3. Les mécanismes de mobilisation du phosphore

Il existe deux moyens d’augmenter l’acquisition du phosphore ; augmenter la surface d’acquisition et augmenter le taux de phosphore atteignant la surface de la racine. Cette combinaison de stratégies permet aux espèces développant des racines "cluster" d’acquérir plus de P dans des sols pauvres que des espèces n’en développant pas, parfois jusqu’à 10 fois plus (Lambers et al. 2006). Trois caractéristiques majeures des racines "cluster" déterminent l’efficacité d’acquisition du phosphore : la morphologie, l’exsudation et le métabolisme.

La morphologie : par leur morphologie, les racines "cluster" explorent jusqu’à 25 à 30 fois plus de volume de sol que des racines "non-cluster" (140 fois plus en tenant compte des poils racinaires), ce qui est essentiel pour l’acquisition d’éléments très peu mobiles comme le phosphore (Fig. 4). Par ailleurs, il a été montré que les espèces développant des racines "cluster" mobilisent davantage le phosphore présent dans la fraction non labile du sol (Lambers et al. 2006). En effet, du fait de la grande surface de racine développée pour un petit volume de sol, les exsudats racinaires solubilisant les nutriments sont davantage concentrés.

L’exsudation : les carboxylates exudés par les racines permettent la mobilisation du phosphore inorganique lié aux particules du sol, car ces carboxylates se complexent avec les cations métalliques rentrant en compétition avec les phosphates, ou encore parce qu’ils prennent la place du phosphate de la matrice du

sol par échange de ligand. Comme les racines "cluster" possèdent une grande surface, l’exudation racinaire des carboxylates est plus importante. Dans des conditions de stress en phosphore, le taux d’exudation de carboxylates dans la rhizosphère est donc beaucoup plus élevé et est en moyenne deux fois plus rapide chez les espèces à racines "cluster" que pour des racines non spécialisées. Les carboxylates exudés en forte concentration à proximité des racines et la diffusion du phosphate solubilisé consécutive à cette exudation permettent une absorption encore plus efficace du P (Fig. 5). Les racines sont capables d’adapter la nature des composés exudés à la composition chimique du sol présent. La nature des exudats dépend de la forme chimique sous laquelle se trouve le P du sol. Il semble que les tri-carboxylates soient plus efficaces que les mono et les di car ils ont plus d’affinité pour les métaux divalents ou trivalents et déplacent plus efficacement le phosphate des surfaces chargées (Shane et al 2008).

Le métabolisme : l’exudation de carboxylates augmente en réponse à un déficit en phosphore, tandis que certaines réactions métaboliques, nécessitant le phosphore comme substrat, ralentissent. Les carboxylates exudés résultent souvent du cycle de Krebs ou de ces dérivés (Fig.5).

Figure 5. Effet des carboxylates sur la mobilisation du phosphore inorganique et organique dans les sols. Les carboxylates sont relachés par des canaux ioniques. Les phosphatases hydrolysent les P organiques qui sont mobilisés par les carboxylates (d’après Lambers et al. 2006)

L’enzyme cytosolique PEPcarboxylase est une enzyme-clef dans le mécanisme d’exudation du citrate, son rôle est de réalimenter le cycle de Krebs en intermédiaires carbonés, remplaçant ceux consommés pour l’exudation. Il a été montré que 25 à 35% du carbone fixé par la PEPcarboxylase est exudé en citrate et malate (Shane et al. 2005). De plus une augmentation de l’exudation du citrate coïncide avec une activité élevée de la PEPcarboxylase, une expression plus importante d’ARNm codant pour la PEPcarboxylase et par suite une plus grande abondance de PEPcarboxylase (Shane et al. 2005). Il existe ainsi une réelle spécialisation métabolique des racines "cluster" ; lors de la maturation de ces racines les enzymes du métabolisme du carbone sont davantage actives. Une fois que la racine est mature, on observe un pic d’exudation des carboxylates accumulés, et l’activité des enzymes liées au métabolisme du carbone baisse juste après le pic. La concentration en carboxylates dans la rhizosphère est multipliée par dix au moment du pic d’exudation, avant une chute rapide de celle-ci (Shane et al. 2005 ; Playsted et al. 2006).

3. Rôle des microorganismes rhizosphériques dans