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ACTION QUOTIDIENNE ET RÉPÉTITIVE POUVANT RELEVER DU RITUEL

B// RENOUVELEMENT DES SACRÉS DANS L’ART

3) ACTION QUOTIDIENNE ET RÉPÉTITIVE POUVANT RELEVER DU RITUEL

Les habitudes qui tendent à devenir routines et qui affadissent le quotidien ne sont pourtant parfois pas ce que l’on croit qu’elles sont. Lorsque Marc Auger écrit Un ethno-

logue dans le métro, il parvient à contourner l’inévitable rou-

tine qui pourrait ronger ses déplacements en y appliquant ses méthodes d’analyse d’ethnologie. A travers l’ouvrage qu’il en dégage, il démontre que la routine des transports s’apparente plutôt à un rituel. La passivité des voyageurs renaît sous la forme d’une activité riche en symboles. Il parvient à transformer l’expérience routinière du métro en un exemple d’ethnologie où s’investi le rituel contemporain. L’auteur fait référence aux travaux de Durkheim pour qui le travail de mémoire collective fait parti des célébrations et participe au sentiment d’unicité du groupe. Le culte du sou- venir s’exprime tout autant dans les cérémonies religieuses que civiles.

« Durkheim […] faisait de la remémoration et de la célébration une source et une condition du sacré. » (26)

Ainsi Marc Augé remarque le culte discret dans le métro à la mémoire d’Hommes ou d’évènements. Chaque station est en effet nommée pour honorer un pan de l’Histoire, même si elle ne parle pas souvent aux usagers. La comparaison avec le rituel apparait grâce à des caractéristiques com- munes telles que l’obligation et la répétition :

« La majorité des parcours singuliers dans le métro sont quotidiens et obligatoires. » (27)

L’ethnologue ajoute quelques arguments pour appuyer sa comparaison :

(26) AUGE, Marc, Un

Ethnologue dans le métro, [1986], Paris, Ed. Hachette, Coll. Textes du XXe Siècle, 1991, p.32.

(27) Ibid, p.16.

« S’il fallait parler de rite à propos des parcours métropolitains, et en un sens différent de celui que prend le terme dans les expressions communes où il se dévalue, simple synonyme d’habitude, ce serait peut-être à partir du constat suivant, qui résume le paradoxe et l’intérêt de toute activité rituelle : récur- rente, régulière et sans surprise aux yeux de tous ceux qui l’observent ou y sont associés de façon plus ou moins passive, elle est toujours unique et singu- lière pour chacun de ceux qui y sont impliqués plus activement. » (28)

Complétons par ceci, les rituels et les rites contiennent un caractère répétable et répétitif, ils sont chargés de sym- boliques afin d’honorer une sacralité. Bien que « l’expé- rience » du rituel soit particulière à chacun, elle en appelle au collectif et elle pourrait enchanter le quotidien de ceux qui y participent.

Les rituels constitués de leurs rites se distinguent des habi- tudes parce que le résultat importe moins que le processus de réalisation. Ils répondent à un but tandis que ces der- nières n’existent que dans une logique d’efficacité. Lorsque le designer français Ferréol Babin réalise un en- semble d’objets Everyday Ceremony pour l’exposition collec- tive Good Morning, sa proposition bien qu’esthétiquement sensible pourrait donner le sentiment de se servir du pré- texte du rituel pour se donner du sens. Le designer justifie son travail final en décrivant la cérémonie quotidienne que représente notre préparation. Il fabrique un ensemble d’ac- cessoires destinés à la salle de bain, un lieu certes organisé par des gestes répétitifs et codés réservés à l’individu face à lui-même (il en est le symbole sacré, pourquoi pas), mais dont l’efficacité des actions au quotidien peut davantage

(28)AUGE, Marc, Un

Ethnologue dans le métro, [1986], Paris, Ed. Hachette, Coll. Textes du XXe Siècle, 1991, p.49.

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rappeler un espace d’habitudes que de cérémonies. Sans nier, que la salle de bain puisse se prêter à ces évènements de ritualité renouvelée, la définition que nous en avons fait invite à penser que ceux-ci, en tant que tel, se réservent sur des temps plus rares et posés. A la manière des masques de cérémonie ancestraux, il faudrait peut-être en plus que ces objets soient mis à l’écart de la vie habituelle pour rele- ver du rituel ou bien cela signifie qu’ils peuvent être incarnés par n’importe quels contenants similaires (plus qu’objets magiques, ils seraient supports du rituel). Cela pose des questions, est-ce alors réellement un travail de designer ? N’a-t-on pas déjà fait le tour des accessoires de salle de bain ? Que proposent-ils ici de nouveau ? Leur forme est séduisante mais que propose leur fonction ?

La collection d’objets ambitionne de « réveiller nos sens », probablement, leur texture, le son émis par le bois de cha- cun des éléments ou leur forme qui valorise des techniques d’ébénisterie artisanale participent à en faire des objets singuliers. Toutefois de là à les investir dans le champ du rituel et donc de l’objet cultuel sans lesquels la cérémonie ne peut s’accomplir apparait peut être en décalage. Comme si essayer d’insuffler une spiritualité par le scénario de l’ob- jet suffisait à justifier de son existence. Cet ensemble sans être tout à fait fonctionnel ou innovant peut traduire des aspects critiquables quant au design contemporain. Des objets « jolis » qui semblent parfois fabriqués selon cette dimension et pour lesquels on tente d’inventer une histoire poétique dont le but est de leur donner du sens. Tout l’in- verse de ce que les enseignants nous transmettent,

« la forme est seconde mais pas secondaire ». II- C// L’efficacité du rituel

▼ BABIN, Ferréol, Eve- ryday Ceremony, 2017, Accessoires de bois, 20 essences de bois diffé- rentes, pour l’exposition Good Morning, Design Week, Milan, 2017.

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III- PERSISTANCE