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Quand j’ai décidé de partir faire mon terrain de recherche à Tahiti je ne connaissais personne sur place. Une fois mon objet d’étude défini et ma problématique de départ construite, j’ai cherché parmi mes contacts des personnes étant en lien non seulement avec des trans tahitiennes mais aussi avec quiconque vivant à Tahiti. Peu à peu et à 18 000 km de distance, j’ai commençé à développer un réseau, dans l’espoir d’entrer en contact avec suffisamment de personnes afin de trouver un logement et de pouvoir commencer la phase des entretiens dès mon arrivée.

Aéroport de Faa’a, le 31 mars il est 5h, je commence officiellement mon terrain. J’ai deux contacts pour mon travail, dont un est sur l’île de Tahiti. Je loge chez un particulier pour ma première semaine. Pendant les premiers jours, je suis en contact avec la propriétaire de

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l’appartement qui m’aide dans mon installation. Elle est professeure de tahitien dans une institution privée. Elle parle de moi et de ma recherche à ses élèves et, par chance une d’eux a une amie de la famille qui a été bénévole dans une association pour les trans. Je fus surprise qu’il existe une association pour les personnes trans à Tahiti, ayant cherché en vain avant mon départ sur internet un quelconque groupe militant pour les droits des trans en Polynésie. Je remonte donc cette piste. De coups de téléphone en rencontres, le réseau de l’association s’ouvre à moi. Cette association a pour but changer l’image des trans à Tahiti en mettant en place diverses élections de Miss. Grace à ce réseau d’interconnaissance je suis rentrée en contact avec de nombreuses personnes avec lesquelles j’ai collaboré par la suite.

En favorisant les réseaux d’interconnaissances j’ai facilité mon entrée sur le terrain. Le fait d’être introduite par des proches a permis de créer plus rapidement un lien de confiance dès le moment de la rencontre. Ce lien est important car les thématiques abordées dans mon travail relèvent, pour la plupart, de la sphère intime. Ce réseau d’interconnaissances a aussi eu un effet « boule de neige ». A la suite de nos rencontres, certaines personnes parlaient de moi à leur entourage et cherchaient de nouvelles personnes à me présenter. Le risque avec ce type d’approche du terrain est de rester enfermée dans un seul est même réseau, ici celui de l’association. Au fil de ma recherche, je me suis aperçue que ce risque n’était que partiellement problématique à Tahiti. En effet, la population étant de 200 000 habitants les réseaux d’interconnaissance font rapidement le tour de l’île et cela est encore plus rapide si on se limite à la population trans. Les personnes contactées avant mon arrivée connaissaient pour la plupart celle rencontrées par la suite sur place. Cependant, cette méthode terrain a eu un inconvénient : l’association étant engagée dans le monde très concurrentiel des élections de beauté je n’ai pas pu avoir directement accès à certains lieux ou personnes en conflit avec les membres de l’association. Non pas qu’on m’y interdisait l’accès mais je n’avais aucun contact qu’y veuille m’y introduire. Un second effet nuisible à la qualité de mon travail résidait dans la visée de l’association. Cette dernière veut changer l’image des personnes trans, souvent perçue négativement, en cassant l’idée de relation direct entre la transgenralité et la déviance. On m’a surtout présenté des personnes salariées ou étudiantes et je n’ai eu que peu d’accès aux personnes vivant de la prostitution de rue. Cet aspect pourrait manquer dans cette étude. Mais je pense amener grâce à mon échantillonnage, une assez forte diversité de profils, tant dans les caractères que dans les trajectoires de vie, pour rendre compte de la variété du terrain.

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Echantillonage

Comme pour tout travail de recherche en sciences sociales, j’ai dû définir avec quelles personnes je souhaitais collaborer pour produire des données. Fruit de mes réflexions et de ma réflexivité vis-à-vis de ma problématique, mon échantillonnage a changé à de nombreuses reprises tout au long de mon terrain. Choisir un échantillon n’est pas chose facile, et même si je me suis souvent laissé porter par les rencontres faites sur place, je me devais de garder en mémoire ma visée méthodologique afin d’assurer une diversité dans mes propos. Ma recherche étant qualitative je ne me suis pas souciée des proportions et de la représentativité statistique de mon échantillon au sein de la population tahitienne. Ce qui m’intéressait était plutôt de comprendre, comme l’écrit Howard Becker, « la manière dont les parties d’un tout complexe peuvent en révéler le plan d’ensemble » (Becker, 2002 ; 123). Dans son ouvrage Les ficelles du métier, Howard Becker compare l’échantillonnage à une synecdoque. La synecdoque est une « figure rhétorique par laquelle nous utilisons une partie de quelque chose pour renvoyer le lecteur ou l’auditeur au tout auquel cette chose appartient » (Becker, 2002 ; 118). En ce sens l’échantillon est une partie d’un contexte social plus large qui nous permet d’appréhender l’ensemble de ce contexte. Du fait qu’il soit impossible de travailler avec l’ensemble des personnes trans de Tahiti, mon échantillon se doit de représenter en miniature la réalité sociale de toutes les trans. Diverses questions se posent alors : qui prendre en compte, qui laisser de côté et qu’elle est la juste proportion de l’échantillon ?

Mon but méthodologique étant de capter la diversité des parcours possibles, j’ai cherché des interlocutrices trans de toutes les tranches d’âges à partir de 18 ans, de tout corps de métiers et de toute origine sociale. Souhaitant focaliser mon propos sur le vécu des personnes, il ne m’a pas semblé nécessaire de faire entrer dans la recherche des personnes cisgenres. Du fait qu’il soit impossible de s’intéresser à tous les aspects du terrain j’ai privilégié les personnes vivant ou se rendant régulièrement à Papeete. Ce choix s’est fait surtout d’un point de vue pratique. Les personnes loin de Papeete n’ont pas un contexte de vie différent mais il était plus facile pour moi d’un point de vue matériel de mener mon étude sur la capitale. Il était important aussi dans ce travail de ne pas considérer seulement les personnes transsexuelles, c’est-à-dire les personnes ayant vécu ou vivant un changement de sexe mais toute personne revendiquant un statut « d’entre-deux » ou encore des personnes ne se sentant pas correspondre au genre qu’on leur a assigné à leur naissance. Il est nécessaire de garder cette définition large et poreuse de la

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notion de trans afin de ne pas calquer une catégorisation historiquement européenne et nord-américaine au sein de la population étudiée. En ce sens, j’ai cherché, tout au long de mon terrain, des personnes qui ne cadraient pas avec mes schémas et analyses afin non seulement d’enrichir mes données mais aussi pour m’assurer que la qualité de mon travail correspondait bien à la complexité de la situation étudiée.