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L’accès aux soins, une question de perspectives, de comportements et d’expériences des personnes à faible revenu

2. Recension des écrits

2.2 Inégalités sociales d’accès aux systèmes de soins buccodentaire

2.2.3 L’accès aux soins, une question de perspectives, de comportements et d’expériences des personnes à faible revenu

Le tour d’horizon de la question de l’accès aux soins buccodentaires exige que nous traitions de la perspective, des comportements de santé buccodentaire et de l’expérience vécue des premières personnes concernées. Dans cette section, nous abordons 1)

l’importance de la santé buccodentaire pour les personnes PAS; 2) les comportements de santé et de consultation dentaires des personnes PAS et 3) les difficultés rencontrées dans le rapport avec le système de soins et avec les professionnels dentaires.

2.2.3.1 Importance de la santé buccodentaire pour les personnes PAS

Nous disposons de très peu d’études abordant directement les perceptions des personnes en situation de pauvreté quant à leur santé dentaire et l’importance qu’elles y accordent. Des études réalisées auprès de personnes PAS au Québec ont toutefois révélé chez ces dernières une grande frustration de ne pouvoir accéder à des soins dentaires pouvant

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répondre à leurs besoins sur le plan esthétique.97 Valorisant l’éclat et l’aspect symétrique du sourire, les personnes PAS interrogées au Québec déplorent ne pas pouvoir accéder, par exemple, au blanchiment des dents ou au composite sur dents postérieures qui ne sont pas couverts par la RAMQ.97 Elles soulignent l’importance de leur esthétique dentaire pour leur confiance et estime de soi, leur vie sociale et leur sentiment d’être employable ou pas. Certains participants, ayant connu les effets dévastateurs d’une dentition compromise esthétiquement, vivent des sentiments d’impuissance et de découragement face à la condition, souvent irréversible, de leur dentition.97 Appliquées à la santé buccodentaire de leurs enfants, les préoccupations pour l’aspect esthétique de la dentition sont ancrées dans un souci très grand pour l’intégration et l’acceptation de ces derniers en milieu scolaire.9, 98

Ces perspectives se confirment dans d’autres études où on souligne l’incidence des

problèmes buccodentaires sur l’employabilité ou la perception de l’employabilité.57, 99 Dans le cadre de l’évaluation d’un programme d’accès aux soins buccodentaires en Californie, les personnes assistées sociales ayant pu compléter leur plan de traitement étaient deux fois plus susceptibles que les autres participants à l’étude de connaitre des retombées

favorables ou neutres dans la sphère professionnelle.99 Les chercheurs concluaient que la douleur dentaire, une faible estime de soi et les difficultés à s’exprimer verbalement représentaient autant de barrières à l’emploi relevant de la santé buccodentaire.99

2.2.3.2 Comportements de santé et de consultation dentaires des personnes PAS

En dépit de l’importance qu’accordent à leurs dents les personnes PAS, elles sont nombreuses à ne pas se prévaloir de leur couverture pour les soins buccodentaires préventifs. En effet, au Québec seulement 40% des personnes PAS éligibles consultent un dentiste, bon an mal an,100 une donnée qui s’apparente à celles sur l’utilisation des soins par les personnes PAS américaines.101

Certains auteurs mettent en évidence l’hétérogénéité des personnes PAS, en tant que groupe social, et une variabilité dans leurs habitudes de consultation auprès des professionnels dentaires.98 D’après l’étude de Kelly, les taux d’utilisation des services

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dentaires assurés aux enfants, sous Medicaid, sont positivement associés au niveau d’éducation de leurs parents. Les auteurs soulignent, d’une part, que les parents plus

scolarisés disposent davantage de ressources financières et sociales permettant de pallier à certaines barrières d’accès organisationnelles ou pratiques.98 Ces ressources donnent la possibilité, par exemple, à certaines familles de voyager en dehors de leur quartier de résidence et par conséquent d’être plus sélectifs dans leur choix de clinique dentaire. D’autre part, ces mêmes parents seraient moins nombreux à souligner qu’il leur est difficile de prioriser la santé buccodentaire par rapport à d’autres besoins essentiels.98

Par ailleurs, bien qu’une proportion importante de parents PAS consulte peu

préventivement pour leurs enfants, l’importance accordée à la dentition les motive à s’impliquer activement à domicile dans les habitudes d’hygiène dentaire de ces derniers.98, 102 L’analyse en profondeur de Muirhead et al.102 révèle que les parents PAS développent certaines compétences et une confiance en leurs capacités de surveillance et de gestion de l’état de santé buccodentaire de leurs enfants. Les parents de son étude décrivent en effet des habitudes d’inspection, tant visuelle que par le toucher, de la dentition de leurs enfants. De plus, les participants à l’étude explicitent des schèmes d’interprétation diagnostique de leurs observations et la prise de décision qui s’en suit.102 Les auteurs soutiennent que l’approche de prise en charge de la santé buccodentaire de leurs enfants s’inscrit dans le contexte et la trajectoire de pauvreté et de désavantage dentaire de ces parents, ayant été contraints, parfois tout au long de leur vie, à développer leur autonomie dans ce

domaine.102

Enfin, dans son étude auprès d’adultes PAS de longue date et faiblement scolarisés, Bedos et al.11 révèle que plusieurs d’entre eux attendent que la douleur devienne insupportable avant de consulter, bien qu’ils démontrent une bonne connaissance du processus évolutif de la carie dentaire. Au-delà des barrières organisationnelles, les raisons de la sous-

utilisation des soins assurés sont multiples. Elles incluent la peur de la douleur et l’anxiété associées à la consultation dentaire, mais également les difficultés que rencontrent les PAS dans leur rapport avec le système de soins et avec les professionnels dentaires.9, 11, 12, 97, 103

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2.2.3.3 Difficultés dans le rapport avec le système de soins et avec les professionnels dentaires

Parmi les barrières socio-relationnelles figurent la méfiance et la distance sociale ressenties à l’égard du dentiste.10-12, 98, 103, 104 L’hésitation à consulter est également

associée au scepticisme face aux chances de succès de certains traitements et la crainte de ne pouvoir faire valoir leur point de vue, à ce sujet, auprès du dentiste.11, 12 Des études démontrent que ces préoccupations sont parfois associées à des tentatives pénibles et infructueuses passées, soit en raison de l’incapacité financière ou des complications suite aux interventions, de bien mener à terme un traitement endodontique.12 Au final, les personnes PAS de longue date interprètent et gèrent leurs symptômes—incluant la décision de consulter ou pas un dentiste—en fonction d’expériences dentaires passées.

Dans une étude auprès d’un échantillon de plus de 75 parents d’enfants ayant tenté de se prévaloir de leur assurance dentaire Medicaid, Modifi et al.9 révèlent des barrières d’accès également troublants. Peu importe leur origine ethnique ou raciale, les participants

dénoncent unanimement des discriminations dont ils se sentent victimes en cabinet dentaire. Celles-ci incluent des temps d’attente de plusieurs mois avant d’obtenir un rendez-vous lors d’un problème dentaire, l’impossibilité de faire voir plus d’un enfant à la fois en raison de certaines politiques de bureau vis-à-vis du programme Medicaid, et des temps d’attente pouvant dépasser les cinq heures une fois sur place. Ces expériences sont vécues avec d’autant plus de colère et de ressentiment que les participants observent un traitement différent auprès d’autres patients assurés ou payeurs.9 La perception de l’existence de pratiques discriminatoires liées à leur statut d’assisté social est soulignée également par les participants de l’étude de Kelly, toutes catégories de personnes PAS confondues.98

Outre le traitement différentiel en regard de l’obtention d’un rendez-vous ou du temps d’attente en cabinet, les personnes PAS de l’étude de Modifi et al.9 dénotent chez le personnel d’accueil dentaire un manque de respect, de sensibilité et d’acceptation; aussi ont-elles le sentiment d’être traitées hâtivement, de manière impersonnelle, et avec peu

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d’égard pour leur désir de bien comprendre la santé dentaire de leur enfant.Ces

expériences difficiles rejoignent les perceptions des participants à l’étude de Bedos et al.10 quant à un sentiment d’humiliation lié à leur statut social et quant à l’impression d’être traitée différemment voire exclues. Les parents d’enfants assurés sous Medicaid, dans l’étude plus récente d’Isong et al.103 décrivent également des déceptions importantes vis-à- vis la communication avec les professionnels dentaires et la sensibilité culturelle de ces derniers. Les difficultés sur le plan socio-relationnel occasionnent, pour bien des

participants, des conséquences au niveau de la santé buccodentaire (ou celle de leur enfant), de l’anxiété, un sentiment d’impuissance et, pour certains, une atteinte à leur dignité et à leur estime de soi.9