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2. PROCESSUS DE RÉSURGENCE CULTURELLE

2.2 Processus de résurgence culturelle

2.3.2 A.1) Nicola Eagle

La première œuvre choisie est un tatouage représentant un aigle (fig.13). Comme mentionné dans la section « Popularisation du tatouage autochtone » du chapitre 1, il s’agit d’un animal grandement symbolique dans la plupart des cultures autochtones sur l’île de la Tortue. Dans la cosmologie nlaka’pamux, l’aigle royal est perçu comme un animal puissant. En fait, il s’agit de l’un des oiseaux les plus robustes et les plus rapides en Amérique du Nord (Gilbert, 2020). Ainsi, l’oiseau apparait dans plusieurs légendes nlaka’pamux, dont celle de l’origine du feu (Teit, 1898: 56). Dans ces récits, le rôle de l’aigle royal est majoritairement positif. D’ailleurs, il n’est pas rare que l’oiseau soit décrit comme le gardien protecteur d’une personne. C’est le cas, par exemple, dans le récit de l’homme qui vivait avec les aigles (Teit 1912: 371). D’un point de vue plus contemporain, l’aigle est la représentation de la force, du courage et de la sagesse nlaka’pamux (Cook’s Ferry Indian band, 2017). Cette haute considération pour l’aigle explique pourquoi ses plumes étaient, souvent, attribuées aux shamans et aux guerriers. Il s’agit, encore aujourd’hui, d’un honneur de recevoir une plume d’aigle.

Cela étant dit, le tatouage a été réalisé par l’artiste Dion Kaszas sur l’intérieur de l’avant-bras droit de sa sœur; Kristine Wilson. La technique employée pour sa conception est le hand-poke. Il

Fig.13 Dion Kaszas, Aigle Nlaka’pamux, tatouage au hand-poke, tatouée: Kristine Wilson, Instagram, Crédit photo: Dion Kaszas

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en résulte une sorte de pointillisme55. Toutefois, ces points sont rapprochés de sorte que les lignes

semblent pleines. Cela entre en contraste avec les tatouages en dessous de l’aigle.

De plus, la représentation de l’animal est schématisée. Sa tête est de profil. Son œil n’est pas apparent et son grand bec est ouvert. Le corps de l’aigle, posé verticalement, est mince et allongé. Une ligne courbe ajoute de la rondeur au ventre de l’animal. Sous le ventre et en continuité avec les lignes qui le forment se trouve la queue de l’aigle. De chaque côté de celle-ci se retrouvent les pattes composées d’un trait oblique et des quatre petits traits en éventail. La tête, le corps et la queue sont remplis de manière hétérogène de points d’encre noire. Les ailes de l’aigle sont ouvertes perpendiculairement au corps. Chaque aile est illustrée par deux lignes courbes parallèles qui se terminent en pointant vers le sol. Partant de la ligne inférieure, de petits traits simulent les plumes des ailes. L’intérieur des ailes est sans encre. Cette représentation reprend les traits d’un aigle bien connu. On le nomme l’aigle Nicola. Ce pictogramme est peint sur un des rochers dans la vallée Nicola en Colombie-Britannique. Cette figure est, actuellement, un emblème de la nation nlaka’pamux. On la retrouve, d’ailleurs, sur la bannière du Cook’s Ferry Indian band (fig.14). Elle a été réalisée par des ancêtres nlaka’pamux il y a des nombreuses années. Dans sa thèse intitulée

Rock art of the Nlaka’pamux: Indigenous theory and practice on the British Columbia plateau

(2016), Christopher Anderson Arnett relate ses rencontres avec des ainé.e.s. Les motifs réalisés à la peinture rouge ocre sur pierre se nomment TSeQU. Les peintures sont exécutées à la main par des médecins autochtones appelés shoowushnA-m. La traduction littérale de ce terme signifie un « mystérieux et puissant chant de l’esprit protecteur » (Arnett, 2016: 4). L’emploi de la couleur rouge symbolise la vie, la chance et le bien-être. Les rochers où sont situés les TSeQU s’appellent

shhwEY’m ou les « Transformers ». Ils représentent les corps, les parties de corps ou les artéfacts

humains pétrifiés par les QUeeQUTL’QUeTLt ou les « Transformateurs ». Le tout s’est déroulé à l’époque des récits nommée sptaqulh (Arnett, 2016: 6). Il y a, donc, naturellement une connexion entre les peintures sur les corps pétrifiés et les tatouages dans la chaire des Nlaka’pamux. Les corps pétrifiés sont porteurs des savoirs et les TSeQU communiquent avec le monde dans un langage complexe (Arnett, 2016: 4). Ainsi, non seulement le tatouage discuté reprend les mêmes traits que

55 Une vidéo publiée sur Instagram présente bien les détails du tatouage. Tu la trouveras grâce à ce lien :

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l’aigle Nicola, mais ils possèdent des capacités similaires comme leur fonction communicationnelle afin d’assurer la perpétuation des savoirs ancestraux.

Ensuite, le tatouage est plutôt petit. Ses dimensions approximatives sont une dizaine de centimètres de haut et une quinzaine de centimètres de large. Posé sur l’avant-bras de Kristine, l’animal semble, toutefois, prendre beaucoup d’espace. De plus, l’aigle tatoué doit être pris en considération avec les tatouages situés au-dessous. Comme l’affirme Audie Murray, chaque tatouage est en complément avec les autres. Ils procurent, tous, une certaine introduction et une réclamation de soi (Saud, 2020). Ainsi, sous la figure de l’aigle se trouvent des lignes verticales formant une série de motifs triangulaires. Ces assemblages représentent des montagnes. En dessous de celles-ci, un motif scalariforme est tatoué illustrant une rivière. Finalement, en dessous, une tierce ligne fait le tour du poignet suivi d’autres traits plus courts. Cela évoque la ligne de la Terre (Earthline). Ce motif tatoué est offert par Kaszas à un nombre croissant de personnes. Lorsqu’il le réalise, il enseigne aux tatoué.e.s l’ampleur des responsabilités qu’il implique. Le motif de la ligne de la Terre indique que la personne tatouée est un gardien de la Terre. Elle se doit, ainsi, d’assurer sa protection et celle des ressources qu’elle nous offre (Kaszas, 2018: 113). Les motifs choisis sont inspirés des designs sur les vêtements et les paniers nlaka’pamux. Les traits utilisés pour réaliser cet ensemble sont composés de pointillés espacés. Il en résulte des lignes discontinues. Elles sont plus pâles que celles composant l’aigle puisque ce dernier était fraichement tatoué lorsque la photographie a été prise. En observant celle-ci, il est possible d’y voir le relief indiquant l’enflure de la peau. Dans cette composition, l’aigle semble parcourir les montagnes et les rivières. Je n’ai pas réussi à entrer directement en contact avec Kristine Wilson. Il est, donc, spéculatif d’émettre une hypothèse quant à la narration de ses tatouages combinés. Cependant, on y retrouve une certaine logique puisque l’aigle est très grand et qu’il vole haut dans le ciel.

Finalement, Kristine Wilson et Dion Kaszas attribuent un sens particulier à l’aigle. L’animal représente, pour eux, l’esprit de leur père décédé veillant sur eux56. Ainsi, le tatouage est un

amalgame de récits passés et présents aux multiples significations formant un langage singulier.

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2.3.2 A.2) Le Hibou

Le second tatouage choisi représente un hibou (fig.15). Encore une fois, il a été réalisé par l’artiste-tatoueur Dion Kaszas. L’exécution du tatouage ressemble à celle de l’aigle Nicola. C’est-à-dire que les traits sont constitués de points rapprochés de sorte que les lignes semblent continues. On retrouve le pictogramme peint dans la Stein Valley. Le hibou est représenté selon une forme rectangulaire évasée dans le bas. La tête est représentée par seulement deux grands cercles qui désignent les yeux. De part et d’autre du corps se trouvent de longs traits arqués qui figurent les ailes. Sous chaque aile se trouve un animal. À gauche est représentée une chèvre des montagnes. L’animal est schématisé. Il est représenté de profil. Son corps est composé d’un ovale allongé muni d’une patte avant et d’une patte arrière. Sa tête, quant à elle, est formée de quatre traits illustrant une oreille, une corne, ainsi qu’une gueule. À droite se trouve un chevreuil. Il est possible qu’il s’agisse du chevreuil de la vie. Son corps rectangulaire possède deux pattes ainsi qu’une queue. Puis, sa tête est constituée de trois traits illustrant une oreille et une gueule. Les corps du hibou et de la chèvre sont remplis d’encre noire. Tandis que celui du chevreuil est vide avec quatre petites lignes formant les détails de la bête. En dessous des trois figures, une ligne diagonale et épaisse est tracée. Trois petits traits angulaires ornent la tige. Cet objet est employé pour séparer l’image de son ensemble afin de créer une narrative. Comme il est possible de le voir dans la figure 16, la représentation du hibou est combinée avec d’autres illustrations. Dans l’ouvrage They write their dream on the rock forever: rock writings of the Stein River

Valley of British Columbia (1993), Annie York explique le pictogramme (fig.16). La femme

nlaka’pamux affirme que la figure représente un hibou sous la forme d’un esprit chasseur. Selon les récits, ce dernier capture les animaux dans le rêve d’un chasseur afin qu’à son réveil les animaux s’offrent à lui. À travers sa lecture de l’œuvre, Annie avance que le rêve du chasseur a duré neuf

Fig.15 Dion Kaszas, Hibou, n/d, tatouage au hand poke et au skin stitch, tatouée: Kristine Wilson. DionKaszas, Crédit photo: Dion Kaszas

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jours. Elle ajoute qu’il implique, habituellement, d’autres personnages connus comme Klu'bist; le serpent à deux têtes (York, 1993: 156-157).

Comme mentionné précédemment, le tatouage doit être interprété en fonction des autres tatouages autour. Dans ce cas-ci, sous le tatouage se trouve une série de triangles réalisés à partir de lignes discontinues. Celle-ci représente des montagnes. Puis, en dessous, se trouve un motif scalariforme. On retrouve le même motif tatoué sur Kristine Wilson. Comme évoqué ci-dessus, il représente une rivière. Ces tatouages ont été réalisés après celui du hibou. Ils ont été exécutés avec la technique du skin-stitching. Il en résulte, donc, un aspect plus délicat et discret. Les traits sont plus espacés et ils semblent être moins précis. Cela accentue l’attention accordée au tatouage de l’esprit-hibou.

Finalement, je ne suis pas entrée en contact avec la personne tatouée et j’ai très peu d’informations sur elle. Ainsi, je ne peux pas me prononcer sur la signification des tatouages pour celle-ci. Toutefois, il s’agit d’un bon exemple montrant comment la pratique contemporaine du tatouage nlaka’pamux récupère des motifs ancestraux provenant d’autres médiums afin de les reproduire et de les préserver.

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