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Avant la conquête de sièges au sein de conseils généraux et régionaux390, grâce à de

nombreuses triangulaires, la voie municipale apparaît comme un terrain d’action privilégié par le F.N. Les réunions du Bureau politique ont abouti au parachutage de nombreux cadres dans les régions P.A.C.A. et Rhône-Alpes. Dans le chapitre « Les étapes de l’implantation

électorale (1972-1988) » de l’ouvrage collectif Le Front national à découvert391, Pascal

PERRINEAU montre que le sud-est de la France a été un terrain particulièrement sensible aux idées développées par le F.N. « [D]e forts liens apparaissent entre certaines caractéristiques sociales (urbanisation, taux de population immigrée) et implantation du vote F.N. […] Le terrain d’élection du F.N. est celui des grandes agglomérations cosmopolites392 [telles que] Montpellier-Marseille-Nice »393.

Le vote F.N. pourrait ainsi traduire un refus du « cosmopolitisme » pour la défense des cultures régionales et des traditions françaises. La culture apparaît comme un enjeu pour les acteurs politiques en ce sens qu’elle exprime l’identité. Pierre MULLER, dans son ouvrage Les politiques publiques, a démontré que toute politique publique est une « production de sens » puisqu’elle est inséparable de ce qu’il appelle un « référentiel », c'est-à-dire « une représentation, une image de la réalité sur laquelle on veut intervenir »394. La spécificité des

390

Des dirigeants frontistes ont obtenu des sièges au sein des Conseils régionaux de Picardie, Bourgogne, Rhône-Alpes et Languedoc-Roussillon grâce à des alliances passées en 1998 avec les futurs présidents de région Charles BAUR (U.D.F.-F.D.), Jean-Pierre SOISSON (apparenté U.D.F.), Charles MILLON (U.D.F.-D.L.) et Jacques BLANC (U.D.F.-D.L.).

391

MAYER et PERRINEAU (1996), pp.37-62

392

Nous tenons à relever le fait qu’il est symptomatique que Pascal PERRINEAU reprenne une partie du vocabulaire frontiste, en l’occurrence ici le terme « cosmopolite ».

393

PERRINEAU (1996), p.44

394

politiques municipales dans les villes dirigées par le F.N. repose essentiellement sur la volonté d’afficher ce que nous qualifierons de politiques culturelles de rupture. En effet, dans tous ses discours de campagne, Jean-Marie LE PEN a mis en avant sa volonté de vouloir rompre avec la politique menée par les partis au pouvoir et de montrer comment le Front national peut parvenir à répondre aux attentes du peuple. Nous allons démontrer que derrière cette stratégie de rupture des politiques culturelles menées jusqu’à l’arrivée de dirigeants frontistes, les actions mises en oeuvre par le F.N. répondent essentiellement à deux objectifs : accroître le sentiment d’exclusion du peuple selon la logique du complot, et proposer une politique culturelle dont le résultat sera essentiellement une sur-médiatisation et donc un accroissement de la notoriété du parti. Par ailleurs, il sera intéressant de déterminer le niveau d’indépendance des nouveaux maires par rapport au chef du parti.

1 – Vitrolles

Vitrolles, ville de 37 760 habitants en 2002, s’est développée à la fin des années 50 suite à l’expansion du port autonome de Marseille et d’un bassin industriel qui s’est créé autour. « Ville nouvelle » construite grâce notamment à des subventions de l’Etat pour pallier au refus d’expansion et de subventions des maires des circonscriptions voisines, Vitrolles voit sa population augmenter considérablement ce qui provoque un rapide développement urbain majoritairement composé de H.L.M. et de petites résidences. Depuis 1977, Vitrolles a été administrée par le parti communiste -Pierre SCELLES, maire de 1977 à 1983-, et par le parti socialiste -Jean-Jacques ANGLADE, maire de 1983 à 1997-.

Parachuté dès 1992 dans les Bouches-du-Rhône dont il fut tête de liste de la région P.A.C.A. lors des élections régionales, Bruno MEGRET a longtemps hésité dans le choix de sa cible entre les villes de Martigues ou de Vitrolles. Ce n'est qu'en décembre 1993 qu'il choisit son point de chute : le F.N. réalise des scores élevés -déjà 20 % en 1984- à Vitrolles.

La campagne ne commence véritablement qu'en 1994, soit un an avant l'élection. Outre le renfort d'Anne-Marie CHARLOT, Chargée de communication, et d'Hubert FAYARD, Chargé des affaires courantes et de l'intendance, le journal Allez Vitrolles sera l'un des fers de lance de la conquête frontiste. Ce journal, distribué dans toutes les boîtes aux lettres de la ville, dénonce notamment la « gestion frauduleuse » du maire sortant Jean-Jacques ANGLADE.

Le 11 juin 1995, Bruno MEGRET sort vainqueur du premier tour avec 43,05 %, mais une importante mobilisation militante et médiatique de l'entre deux tours permettra au maire sortant de conserver son siège. Le candidat frontiste maintiendra la pression par le biais de son journal, et par le matraquage des colleurs d'affiches. Un face à face incessant va s’engager entre les deux parties durant plus d’un an. À la suite de rumeurs de fraudes électorales, le Conseil d'Etat va intervenir à la fin de l’année 1996. Le 18 décembre 1996, cette instance va décider d'annuler l'élection municipale de Vitrolles pour dépassement des frais de campagne de Bruno MEGRET, et rendra un verdict d’inéligibilité pendant un an à son encontre.

Pendant les dix-huit mois qui vont précéder l'élection partielle, Bruno MEGRET va mettre en place un dispositif stratégique : un service de renseignement composé de militants frontistes va infiltrer l'équipe du maire sortant car « en termes de bataille, il faut connaître les manoeuvres de l'adversaire ».

Au cours des cinquante derniers jours de campagne, cinquante-six tracts électoraux favorables à la candidature de Catherine MEGRET, tracts anonymes qui plus est, ont été recensés par de nombreuses associations anti-F.N. Suivront six éditions du journal Allez Vitrolles durant la même période et l'existence de 14 tracts qui ne sont pas des documents électoraux.

Cette stratégie de campagne va aboutir, le 12 février 1997, à l’élection la liste de Catherine MEGRET avec près de 53% des voix au second tour.

Le programme électoral du F.N. pour la ville de Vitrolles se déclinait autour de plusieurs revendications : « plus de sécurité », « moins d’impôts », « plus de démocratie », « la préférence nationale », « le réenracinement dans son identité provençale », « le soutien au développement économique » « une culture et des animations pour tous », et « du sport à tous

les niveaux »395.

La culture était présente au sein de deux grands pôles d’actions : « le réenracinement dans son identité provençale » et ce que nous requalifierons de libre accès à une culture populaire folklorique.

395

Après l’élection de Catherine MEGRET, la municipalité a repris mots pour mots ce programme et la présenté sur son site Internet.

2 – Orange

Orange, ville inscrite au répertoire des monuments mondiaux de l’UNESCO, comptait, en

1990, 26 964 habitants et 27 989 en 1999396. La population de la ville est composée de

commerçants, de militaires et de gendarmes du fait de la présence d’un escadron de gendarmerie mobile et de membres de la Légion étrangère. Tout comme la ville de Vitrolles, Orange est considérée comme une ville-dortoir pour les employés des sites nucléaires de Pierrelatte et de Marcoule. La majorité des habitants résident dans des petits lotissements et des villas, répartis dans de nombreux quartiers périphériques entourant un vieux centre-ville provençal. Le tissu industriel est quasi-inexistant -hormis l’usine de Saint-Gobain-, et la population est désertée par les jeunes qui partent faire leurs études à Avignon, Marseille ou Aix-en-Provence.

Le Front national est implanté depuis longtemps dans la ville, en la personne de Jacques BOMPARD, chirurgien-dentiste de formation, qui a créé la section F.N. du Vaucluse dès 1975, et est devenu député, en 1986, grâce au scrutin proportionnel. Membre du Bureau politique du F.N., il est considéré par ses pairs comme un homme de terrain qui a toujours œuvré pour une politique de communication axée sur la culture régionale. En effet, contrairement à Jean-Marie LE CHEVALLIER et Bruno MEGRET qui ont été « parachutés » dans leurs villes respectives, il connaît extrêmement bien la région et sa ville. Conseiller régional de Provence-Alpes-Côte d'Azur -d’où il sera réélu en 1992 et en 1998-, il fut également conseiller municipal d'opposition à Orange depuis 1989 auprès de l’U.D.F.

À la tête d’une liste contenant environ un tiers de candidats frontistes, il récolte, dès le premier tour des élections municipales de 1995, 31,37 % des suffrages, devançant le maire socialiste sortant Alain LABE (25,75 %) et Michel DE BODANA (23 %), membre du R.P.R. Au second tour une triangulaire va permettre à Jacques BOMPARD d’obtenir 35,93 % des

suffrages, ne dépassant Alain LABE que de 93 voix.397

396

Source : I.N.S.E.E.

397

En mars 2001, Jacques BOMPARD conservera son siège de maire mais échouera aux législatives de 1997 et de 2002 face à Thierry MARIANI.

Jacques BOMPARD398 est un homme politique qui a toujours « vogué » entre la droite classique et l’extrême droite. Jeune étudiant, il rejoignit les rangs du mouvement étudiant d'extrême droite Occident, puis adhérera aux Comités TIXIER-VIGNANCOUR, puis à Ordre nouveau.

La campagne de Jacques BOMPARD pour les élections municipales a essentiellement été essentiellement axée, quant aux questions culturelles, sur la dénonciation du projet de l'espace Clodius, ensemble médiathèque, salle de spectacle et centre culturel, dont la construction avait été programmé par l’ancien maire, et soutenue financièrement par le Ministère de la culture, par la D.R.A.C., et par le conseil régional P.A.C.A. Ce projet fut souvent qualifié de « surdimensionné » tant d’un point de vue architectural que d’un point de vue culturel, dans la mesure où la ville ne compte que 28 000 habitants. Jacques BOMPARD a argumenté sa campagne autour de la mise en œuvre de projets culturels dont la gestion ferait faire des économies à la ville et donc aux contribuables. Malgré toutes ces critiques et après la victoire de Jacques BOMPARD, l’espace Clodius a finalement ouvert ses portes car les travaux étaient tellement avancés que le maire se serait engagé dans un gouffre financier s’il s’était engagé à le détruire.

Après la victoire de 1995, le nouveau maire d’Orange nomme André-Yves BECK comme Directeur de la communication. Cet ancien responsable du Front national de la jeunesse à Grenoble, est un historien de formation qui a forgé sa culture politique dans les rangs des

groupuscules d'extrême droite Troisième Voie et Nouvelle Résistance399. Malgré la

398

En Mars 2001, Jacques BOMPARD est réélu, conseiller municipal d'Orange (Vaucluse), et maire d’Orange (sa liste « Orange espoir » ayant obtenu 60 % des voix, soit la majorité absolue, dès le premier tour). Puis en novembre 2002, il sera élu conseiller général de Vaucluse dans le canton d'Orange-Ouest avec 54 % des voix. En septembre 2005, Il sera exclu du bureau politique du F.N. pour avoir, selon les uns, dénoncé le népotisme au sein du parti lors de l'université d'été à Orange en 2004 de son association indépendante du FN, l'Esprit public, ou, selon les autres, violemment attaqué son parti à de nombreuses reprises, avoir assisté à seulement 9 des 66 dernières réunions du bureau politique, et de vouloir prendre la présidence du Front national, ce qu'il réfutera et l’obligera à démissionner du parti.

399

Troisième Voie fut une organisation nationaliste révolutionnaire tercériste française, née en 1985 de la fusion du Mouvement nationaliste révolutionnaire avec des dissidents du Parti des forces nouvelles.

Anti-américaine, anticommuniste et anti-sioniste, l'organisation Troisième Voie éclata après le rapprochement de son président vers le F.N. ; certains de ses membres fondèrent ainsi un nouveau mouvement politique nommé

Nouvelle Résistance en 1991. Cette organisation refusait à la fois le capitalisme libéral et le communisme

égalitariste, et prônait un socialisme à échelle continentale, un empire européen respectant les différences culturelles et ethniques, débarrassé du capitalisme destructeur des identités.

Lors de son troisième congrès, tenu à Aix-en-Provence en 1996, Nouvelle Résistance se transforma en l'Union

nomination de Gilbert LAGIER comme adjoint à la culture, c’est André-Yves BECK, en tant que Directeur de la communication, qui interviendra au nom de la mairie, dans la plupart des interviews traitant de la politique culturelle municipale. Il fut également à l’origine de la politique de « droit de réponse » mise en oeuvre par la nouvelle municipalité pour contrecarrer les nombreux articles dénonçant la politique municipale. Outre son poste de Directeur de la communication, André-Yves BECK occupa ainsi des fonctions normalement attribuées à un directeur de cabinet et/ou à un conseiller technique.

3 – Toulon

Toulon, préfecture du Var, est également une préfecture maritime qui compte plus de 175 000 habitants, dont la population est à la fois composée d’une ancienne bourgeoisie locale, de militaires de la marine nationale -plus de 30000 personnes-, et rapatriés des colonies. L’agglomération toulonnaise rassemble près de 400 000 habitants. Il s’agit ainsi de la plus importante ville administrée par un proche de Jean-Marie LE PEN.

Assistant technique à la chambre de commerce de Rennes, puis directeur de cabinet de Jacques DOMINATI, Secrétaire d’Etat aux Rapatriés, de 1975 à 1976, pendant la Présidence de Valéry Giscard d’Estaing, Jean-Marie LE CHEVALLIER adhère au Front national en 1984 et devient député européen en juin de la même année. Il rencontre sa seconde épouse, Cendrine CHERAIL DE LA RIVIERE, candidate sur la liste de Jean-Marie LE PEN, qui se présente alors aux élections municipales dans le XXe arrondissement de Paris.

Il sera parachuté dans la ville de Toulon dans les années 1990. Jean-Marie LE CHEVALLIER

est élu maire en 1995 après avoir obtenu 31,03 % des voix au 1er tour400 et 37,02 % au second

tour401. Jean-Marie LE CHEVALLIER s’assure d’une confortable majorité -41 des 59 sièges

du conseil municipal- et devint ainsi le maire de la plus grande ville F.N.

La ville de Toulon a été administrée pendant plus de trente ans par la droite : Maurice

ARRECKX (U.D.F.), de 1959 à 1985, et François TRUCY (U.D.F.)402, de 1985 à 1995. La

Internet du Monde diplomatique)

400

TRUCY (U.D.F.) : 23,17 % et GROUX (P.S.) : 21,67 %

401

TRUCY : 34,81 % ; et GROUX : 28,16 %

402

politique locale fut marquée par des affaires de corruption qui ont éclaboussé l'U.D.F. varoise -affaire des machines à sous, affaires des portes avions, etc…- et ont été des sujets de campagne de Jean-Marie LE CHEVALLIER.

Le programme de Jean-Marie LE CHEVALLIER lors des élections municipales de 1995, revendique la lutte contre « la tiers mondialisation de Toulon » et l’accent mis sur le folklore local. Par ailleurs, ce programme illustre parfaitement l’application du programme national, axé majoritairement sur le patrimoine. « Les spectacles de ballet proposés à Châteauvallon sont trop systématiquement modernes et n’attirent que fort peu d’amateurs. Pour conserver leurs subventions, les animateurs de ce centre devront proposer des spectacles plus éclectiques »403. Ce point de vue sera défendu dans un numéro spécial du journal municipal Le Toulonnais, paru en 1996 et consacré à la culture, dans lequel le maire de Toulon a déclaré : « je veux non seulement préserver le patrimoine culturel de notre ville, mais l’enrichir, voire redécouvrir des richesses tombées dans l’oubli. […] l’hommage rendu à Raimu l’année dernière, la remise à l’honneur des fêtes traditionnelles comme la Belle de Mai, l’ouverture prochaine du musée des figurines […], s’inscrivent dans cette volonté culturelle fondée sur son identité provençale[…]».

Le programme culturel que Jean-Marie LE CHEVALLIER souhaite mettre en œuvre témoigne d’une volonté de « ré-enracinement » dans la culture provençale, ce qui est conforme à la politique culturelle nationale souhaitée par le F.N.

Jean-Marie LE CHEVALLIER sera élu député de la première circonscription du Var en 1997, mais son élection sera invalidée en février 1998, pour triple infraction au financement des campagnes. Sa femme se présentera à sa place et sera battue de 33 voix par Odette Casanova (PS). En 1999, il quitta le Front national.

Aux élections municipales de 2001, il fut battu par Hubert FALCO404, alors président du

Conseil général du Var (U.D.F.).

403

Cité par SAMSON (1997), p.121

404

Hubert FALCO a été président du Conseil général du Var de 1985 à 2002. Depuis le mois de mars 2008, il est Secrétaire d’Etat à l’aménagement du territoire, sous le gouvernement de François FILLON.

4 – Marignane

Marignane, ville pavillonnaire de plus de 30 000 habitants, a toujours été tenue par une droite dure, proche de l'extrême droite. Ainsi, après 48 ans de gestion par Laurent DELEUIL (U.D.F.-P.R.), Marignane est comparée, par la presse et les associations, à un véritable désert politique : les organisations politiques et syndicales manquent. La gauche, et notamment le Parti Socialiste, est critiquée pour ne pas s'être suffisamment investi à Marignane. La liste unique de la gauche s'est retirée au second tour en 1995, néanmoins le maintien de deux listes de droite, menées par deux héritiers de l'ancien maire, a permis à Daniel SIMONPIERI, conseiller municipal depuis 1989, de remporter les élections sans même que le F.N. ait milité de manière particulièrement importante, comme ce fut le cas à Vitrolles par exemple.

Daniel SIMONPIERI405 sera ainsi élu maire avec plus d'un tiers des suffrages, au cours d'une

triangulaire avec des listes de droite –37,27 % -.

Sur le plan culturel, Marignane possède peu d’infrastructures spécifiques : pas de maisons de quartiers, ni de maisons de la culture. Seule la bibliothèque municipale constitue un lieu permettant de nouer le lien social entre les différents quartiers de la ville.

Pendant sa campagne, Daniel SIMONPIERI a simplement présenté une synthèse du programme culturel national en axant son discours sur la défense du patrimoine régional, et le retour à une culture défendant les Beaux-arts au lieu d’un parisianisme ambiant.