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La BSS a été appliquée la première fois à des signaux EEG par Makeig et al.(1996) et s’est depuis révélée comme un outil puissant et efficace pour l’analyse et l’interprétation des signaux cérébraux, facilitant par exemple la détection et le rejet d’artefact (Makeig et al., 2004; Onton et al., 2006). D’un point de vue pratique, la BSS sépare les mélanges enregistrés au niveau des électrodes posées sur le scalp en composantes indépendantes, ce qui permet de se rapprocher au maximum de la forme des sources contribuant à l’activité électrique enregistrée par l’EEG. Elle permet la projection de chaque source estimée sur le canevas du scalp afin d’observer leur contribution respective sur chaque capteur, mais plus encore de retrouver leur localisation dans le cerveau. Ces algorithmes répondent à des limitations majeures de l’EEG (faible rapport signal / bruit du aux parasites et la faible résolution spatiale engendrés par les effets de conduction volumique et de mélange de potentiels au niveau des électrodes). Combiner cette méthode avec la portabilité et les propriétés écologiques de cette modalité d’imagerie en fait une combinaison puissante pour l’étude précise des processus neuronaux sous-jacents de l’interaction sociale. Cependant, il nous reste encore à examiner les prérequis en ce qui concerne l’application de la BSS aux signaux EEG.

 Premièrement, les méthodes de BSS linéaires supposent que le mélange doit être instantané, c’est-à-dire que les observations du mélange se font sur des sources qui ne sont pas décalées

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temporellement. La mesure des champs électriques des sources à travers les tissus cérébraux se fait très rapidement car les délais de propagation jusqu’aux capteurs sont très courts. De plus, le principe de superposition stipule que chaque signal issu de chaque source se mélangera de façon linéaire avec les autres, ce qui est une bonne représentation dans l’EEG comme nous l’avons vu dans la section précédente (mélange linéaire et instantané).

Deuxièmement, les sources séparées doivent être spatialement stationnaires. Dans un

contexte cérébral, cela se traduirait par l’hypothèse qu’il existe une distribution d’activités cérébrales spatialement différentes pour chaque tâche, ainsi la BSS serait à même d’extraire une composante pour chacune d’entre elles. Cela a été corroboré à l’échelle macroscopique par des indices indirects récoltés en IRMf (Makeig & Onton, 2011).

 Troisièmement, les sources devraient être indépendantes entre elles. Dans un sens, cela est vérifié dans le cerveau du fait des connexions massives entre neurones au niveau local qui produisent une seule et même source identifiable. Cependant, il existe aussi des connexions entre sites neuronaux plus éloignés, et bien que ces liens soient moins nombreux, ils peuvent potentiellement jouer un rôle dans la synchronisation des différentes sources. Ces deux aspects renvoient donc à une indépendance relative des sources.

 Enfin, le dernier point est plus difficile à valider. En effet, on doit vérifier le fait que le problème de la BSS ne doit pas être sous-déterminé, c’est-à-dire qu’il doit y avoir au moins autant de capteurs qu’il existe de sources afin de trouver une solution. Il s’agit là d’un prérequis difficile à connaître étant donné la grande variabilité entre le nombre de capteurs d’un système d’acquisition, le nombre de sources cérébrales variables selon la tâche expérimentale et les individus. Il existe donc potentiellement une grande quantité de sources cérébrales dont il nous est impossible de connaître le nombre exact, et il y a un fort risque qu’elles soient plus nombreuses que le nombre de capteurs. Cela dit, dans la pratique les méthodes de BSS retrouvent en général une douzaine de composantes indépendantes dont la distribution spatiale pourrait correspondre à des vraies sources physiologiques (Delorme et al., 2012). Ce nombre de sources semble plausible au vu de la taille du système qui les génère, c’est-à-dire le cerveau.

Ainsi, sur les cinq prérequis de la BSS en EEG que nous avons énumérés, trois sont certains, un ambigu et un indéterminé. Cependant, comme indiqué dans le dernier point, en pratique, la BSS

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est un succès pour retrouver et caractériser les sources à partir de signaux EEG (Chatel-Goldman, Congedo, & Phlypo, 2013). Par ailleurs, les résultats trouvés semblent en accord avec la réalité physiologique des sources cérébrales et leur projection en mélange sur la surface (Makeig & Onton, 2011).

L’estimation des sources avec la BSS est obtenue en inversant l’équation 3.I ce qui donne : 𝒚𝑚(𝑡) = 𝑩𝑚𝑇 𝒙𝑚(𝑡)

(3.IV) où 𝑩𝑚 ∈ ℝN×𝑃est appelée matrice de séparation ou de démixage, que nous devons estimer afin de retrouver les sources d’un EEG pour le sujet 𝑚. Il existe deux familles de méthodes de BSS basées soit sur les statistiques de second ordre (SOS) ou d’ordre supérieur (HOS). La question fondamentale est de savoir quel type de statistiques utilisées en BSS correspond aux données issues de l’EEG. Congedo et collègues (2008) étudièrent les indices statistiques et neurophysiologiques à prendre en compte lors du choix entre des méthodes utilisant des SOS ou des HOS dans le contexte de l’EEG. Ils affirment que plusieurs phénomènes en EEG sont fortement colorés et que, puisqu’ils sont épisodiques ou qu’ils apparaissent en courts bursts, leur énergie au cours du temps n’est jamais constante (Lopes da Silva, 2005; Buzsaki, 2006; Niedermeyer, 2005 a,b,c; Steriade, 2005) :

 Des artefacts comme les clignements d’yeux ou des contractions des muscles faciaux

 Des phénomènes épisodiques spontanés comme des fuseaux de sommeil (7-14 Hz) (Niedermeyer, 2005b; Steriade, 2005), ou des oscillations frontales sur la bande de fréquence theta (4-7 Hz) ou beta (13-35 Hz) (Niedermeyer, 2005a)

 Des phénomènes continus spontanés comme des oscillations lentes delta (1-2 Hz) retrouvées durant les phases de sommeil III et IV (Niedermeyer, 2005 b), le rythme rolandique Mu (10 à 20 Hz), et les rythmes alpha dominant dans le cortex occipital (8-12 Hz) (Niedermeyer, 2005a)

L’activité EEG induite comme en ERD/ERS (Event-Related Desynchronisation /

Synchronization) (Steriade, 2005)

 L’activité EEG évoquée comme en ERP (Event-Related Potential) (Lopes da Silva, 2005)

Suite à ces considérations, ils en conclurent que les SOS étaient les plus appropriées pour capturer l’ensemble des informations pertinentes dans la plupart des phénomènes observables en EEG. En effet, ces statistiques sont à même de modéliser de telles signatures spectro-temporelles avec une telle coloration et des variations d’énergie dans le temps. D’autre part, les HOS seraient plus adaptées pour étudier les activités transitoires avec des changements de potentiels abrupts

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comme les pics et les ondes complexes dans l’épilepsie (Niedermeyer, 2005c) ou les ondes vertex dans le sommeil (Niedermeyer, 2005b).

Les méthodes de BSS sont issues d’un cadre plus général des méthodes d’optimisation et d’estimation qui partagent les trois caractéristiques suivants (Comon & Jutten, 2010) : un modèle paramétrique qui décrit les propriétés d’un système (i.e., un mélange linéaire instantané), permettant d’offrir une représentation simplifiée de nos données (i.e., les sources) et de les restreindre à un cadre particulier. Un critère qui est une mesure de la qualité de notre estimation et sur lequel on va vouloir tendre (i.e., l’indépendance statistique des SOS ou HOS). Et enfin, un algorithme d’optimisation qui a pour but de maximiser ou minimiser le critère choisi au sein de l’espace de notre modèle ; il va donc converger vers une solution selon les deux dimensions définies au préalable. Dans le cas des matrices de covariance ou cospectrales (SOS), cela revient à diagonaliser conjointement les statistiques de nos observations. En effet, notre critère est de vouloir trouver des sources linéairement indépendantes, ce qui revient à minimiser leurs statistiques conjointes, c’est-à-dire l’intercorrélation des éléments hors diagonale. Ainsi, pour un set de matrices cospectrales 𝑪𝑘 ∈ {𝑪1, … , 𝑪𝐾}, on en revient donc à trouver une matrice de séparation 𝑩 afin que les produits matriciels 𝑩𝑇𝑪𝑘𝑩 soient aussi diagonaux que possible pour toutes les 𝑘 ∈ {1, … , 𝐾} fréquences différentes afin de s’assurer de leur non corrélation.

Etendre les méthodes de BSS à l’analyse conjointe de données en EEG récoltés simultanément sur plusieurs sujets (au moins deux) peut paraître compliqué alors qu’il serait plus aisé de prendre chaque jeu de donnée (𝑀) à part et d’opérer à une BSS sur leur observations (𝐾) séparément. Cependant, des phénomènes de couplage cérébral entre individu, décrit dans le chapitre 1 de la littérature en hyperscanning, semblent indiquer l’existence d’un lien spécifique non trivial entre les cerveaux des participants. Si l’on se rapporte au cadre de travail de la BSS, cela introduirait donc un autre a priori sur nos données. En effet, chaque jeu de données d’un participant (les signaux EEG) pourrait être corrélé avec celui de leur partenaire. Cette injection de nouvelles informations réduit donc les solutions possibles, permettant l’amélioration de l’efficacité des algorithmes de BSS (séparation de source semi-aveugle : Comon & Jutten, 2010) et de réduire énormément le risque que le problème soit sous-déterminé, étant donné qu’il doit y exister un nombre plus faible de sources cérébrales corrélées, ce qui est un avantage considérable. Prendre en compte l’information conjointe, le couplage neuronal inter-cérébral, dans la BSS, nous mène donc à l’élaboration d’un outil adapté aux données en hyperscanning qui modéliserait encore mieux la réalité physiologique: la séparation de sources aveugle conjointe (jBSS).

L’objectif de cette méthode est de séparer conjointement les sources de différents jeux de données récoltés simultanément en tenant compte des statistiques inter-sujets en plus des

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statistiques intra-sujet. Prenons 𝑀 sujets et soit 𝒙m(t), m ∈ {1, … , 𝑀} leurs signaux observés pour chacun d’entre eux. Le but est de chercher 𝑀 matrices de démixage 𝑩𝑚𝑇 , 𝑚 {1, … , 𝑀}, (dans le cas de deux sujets 𝑚 ∈ {1,2}), afin d’estimer les sources 𝒔𝑚(t), m ∈ {1, … , 𝑀}. De manière à prendre en compte les statistiques intra- et inter- simultanément, nous devons calculer les matrices de covariances, ou cospectrales après transformation dans le domaine fréquentiel, 𝑪𝑘(𝑚1,𝑚2), contenant les statistiques intra pour 𝑚1 = 𝑚2 et les statistiques inter pour 𝑚1 ≠ 𝑚2. Pour procéder à l’estimation des sources au sein de chaque sujet, il est nécessaire de diagonaliser toutes les matrices 𝑩𝑚1𝑇 𝑪𝑘(𝑚1,𝑚2)𝑩𝑚2, 𝑘 ∈ {1, … , 𝑀}, en minimisant la fonction de coût (Congedo et al., 2012) :

𝜓𝑜𝑓𝑓(𝑩) = ∑ ∑ ‖𝑜𝑓𝑓(𝑩𝑚1𝑇 𝑪𝑘(𝑚1,𝑚2)𝑩𝑚2)‖ 𝐹 2 𝑲 𝑘=1 𝑴 𝑚1,𝑚2=1 (3.V) où off() remplace les éléments diagonaux d’une matrice carrée par des 0. Le problème précédent (3.V) peut être décomposé en décomposant la fonction 𝜑𝑜𝑓𝑓(𝑩) pour chaque 𝑚 ∈ {1, … , 𝑀}. Par exemple dans le cas M = 2, on a pour 𝑚 = 𝑚1 (Congedo et al., 2012) :

𝜓𝑩𝑜𝑓𝑓𝑚1 = 𝑤𝑖𝑛𝑡𝑟𝑎∑ ‖𝑜𝑓𝑓(𝑩𝑚1𝑇 𝑪𝑘(𝑚1,𝑚1)𝑩𝑚1)‖ 𝐹 2 𝑲 𝑘=1 + 𝑤𝑖𝑛𝑡𝑒𝑟 ∑ ∑ ‖𝑜𝑓𝑓(𝑩𝑚1𝑇 𝑪𝑘(𝑚1,𝑚2)𝑩𝑚2)‖ 𝐹 2 𝑲 𝑘=1 𝑀 𝑚2=1 (3.VI) La somme située sur la gauche représente les statistiques intra-sujet et celle de droite les statistiques inter-sujet. Nous introduisons les poids 𝑤𝑖𝑛𝑡𝑟𝑎 et 𝑤𝑖𝑛𝑡𝑒𝑟 permettant de pondérer les statistiques associées en fonction de l’importance qu’on veut leur donner, sachant que 𝑤𝑖𝑛𝑡𝑟𝑎 + 𝑤𝑖𝑛𝑡𝑒𝑟 = 1. Par défaut elles sont de 0.5 et 0.5 respectivement. Dans le chapitre 4 expérimental nous utilisons une pondération de 0.2 et 0.8 afin d’accentuer les statistiques inter-. Remarquons que :

𝜓𝑜𝑓𝑓(𝑩) = ∑ 𝜓𝑩𝑜𝑓𝑓𝑚1

𝑴 𝑚=1

(3.VII) Tous les termes des sommes de (3.VI) et (3.VII) étant positifs, minimiser la fonction de coût 𝜓𝑜𝑓𝑓(𝑩) peut se faire en minimisant toutes les fonctions 𝜓𝑩𝑜𝑓𝑓𝑚1, 𝑚 ∈ {1, … , 𝑀} de façon séquentielle. Nous pourrions potentiellement estimer autant de sources qu’il y a de capteurs. Cependant opérer à une réduction de dimension au préalable peut avoir des avantages. En effet, un pré-whitening (Congedo, 2013) permet d’effectuer une première diagonalisation approchée des données, nous offrant le choix de conserver uniquement un certain nombre de composantes spatiales en fonction de leur puissance. Par la suite, nous considérons les matrices de démixage carrée de taille P.P avec le

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nombre de sources (P) inférieur ou égal au nombre de capteurs (N). Les détails sur l’optimisation de

3.VII peuvent être trouvés dans Congedo et al. (2012) (OJoB, NOJoB) et dans Gong et al. (2015)

(JNOLAD).

b. Limitations

Bien que la jBSS semble être particulièrement adaptée aux données en hyperscanning, elle comporte des limitations:

(1) Dans la section IV.a de ce chapitre nous expliquons pourquoi nous privilégions l’utilisation des SOS pour l’application de la séparation de source. Cependant, il se peut que se baser uniquement sur la diagonalisation conjointe des matrices cospectrales soit insuffisant pour mettre en évidence les formes les plus complexes de couplage cérébral, comme les interactions inter-fréquence ou le couplage non-instantané (délai temporel variable : Stephens et al., (2010)).

(2) La synchronisation au sein de chaque personne (statistique intra) est plus puissante que la synchronisation entre les deux participants (statistique inter). Cette dernière est donc moins détectable lors de la séparation de source. Une stratégie pour y remédier pourrait être celle que nous avons introduite en section IV.a, consistant à attribuer des pondérations différentes selon la statistique dans la fonction de coût.

(3) Les algorithmes de jBSS que nous avons introduits supposent une dépendance de l’ensemble des sources estimées de par le fait qu’ils imposent une structure diagonale pour les statistiques intra- et inter. Pourtant, il semble plus réaliste que même dans une activité de coopération requérant la participation active de deux personnes, seul un nombre limité de sources cérébrales devraient être couplées entre elles (i.e., intégration simultanée des mêmes stimuli) par rapport à l’ensemble des traitements cérébraux (i.e., intention différente en fonction du rôle, activité motrice différente). Congedo (2013) propose une méthode séparant un nombre L de sources en se basant sur les statistiques inter- et intra-, et le reste des sources (N – L) sur les statistiques intra- uniquement.

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V. Conclusion

Dans ce chapitre, nous avons décrit dans un premier temps la notion de synchronisation cérébrale et les outils pouvant la mesurer (e.g., cohérence, PLV, PDC, etc.). Nous avons par la suite introduit l’EEG en tant que modalité de neuroimagerie cérébrale avec ses avantages et inconvénients. Ensuite, nous avons détaillé deux mesures de synchronisation cérébrale (cohérence et PLV) qui ont été utilisées dans l’étude de l’interaction sociale en hyperscanning. Bien que l’EEG soit un excellent choix pour la conception d’expériences écologiques, sa faible résolution spatiale est un désavantage pour l’interprétation des résultats obtenus avec les indices de couplage cérébral. C’est pourquoi, nous avons introduit la séparation de source (BSS) comme méthode pour y pallier. De plus nous avons démontré que de tels algorithmes pouvaient présenter un avantage pour l’analyse conjointe de signaux simultanés (jBSS), et permettre de révéler des liens non-triviaux entre structures cérébrales de personnes différentes. Enfin, nous avons discuté des limites de l’utilisation de ces outils et d’éventuelles solutions pour y remédier afin de prendre en compte, dans le futur, une plus grande complexité du couplage lors d’interaction sociales.

Chapitre IV. Etude de la synchronisation