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Comme l’a si bien écrit William Shakespeare, ‘’La musique est l’aliment de l’amour’’. L’émotion étant omniprésente autant dans l’amour que dans la musique, sa dynamique nous transporte et nous fait voyager vers des destinations inconnues. En effet, lorsqu’on demande quelles ont été les sensations ressenties pendant leur expérience musicale la plus forte à des participants, certains rapportent avoir eu des expériences mystiques proches de Dieu avec une composante physiologique forte (Gabrielsson & Wik, 2003). C’est parce que la musique a ce pouvoir émotionnel que la plupart des personnes passent autant de temps à l’écouter (Juslin & Sloboda, 2001). D’ailleurs, dans ses travaux de 1871, Nietzsche considérait que la transmission d’émotion était la fonction, voir

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même l’essence de la musique. Les émotions en musique et leurs effets sur le cerveau sont un sujet de plus en plus étudié dans les neurosciences depuis cette dernière décennie. Ainsi certaines études lésionnelles ont pu démontrer que le système cérébral responsable de l’analyse émotionnelle lors d’un stimulus musical était indépendant de la reconnaissance de ce stimulus lors de dommages cérébraux bilatéraux (Peretz & Gagnon, 1999). Ce résultat suggère que l’identification de la valence émotionnelle musicale ne repose pas sur des déterminants perceptuels jouant un rôle dans la reconnaissance d’une musique. Il a été longtemps admis que le mode sur lequel une pièce était jouée, majeure ou mineure, était associé à l’émotion véhiculée par un morceau, joyeux ou triste (Peretz et al., 1998). Cependant il semblerait qu’il ne s’agisse en fait que du résultat de l’apprentissage des règles musicales de la culture occidentale, étant donné que d’autres systèmes (musique indienne, orientale) ne retrouvent pas du tout ces mêmes associations (Balkwill et al., 2004; Trehub, 2003). De plus en plus d’études se sont affairées à essayer de caractériser l’expérience émotionnelle lors d’une écoute musicale. Typiquement, la musique classique provoque de fortes émotions chez son auditoire accompagnées d’un sentiment de plaisir (Juslin & Sloboda, 2001; Krumhansl, 1997). D’ailleurs, une telle expérience est souvent accompagnée de réponses physiques comme des frissons, un changement de rythme cardiaque ou un état d’excitation générale (Panksepp, 1995).

Au niveau neuroanatomique, il a été démontré que les aires corticales orbito-frontale, frontale polaire et du gyrus cingulaire étaient des structures cérébrales importantes lors de l’écoute d’une musique plaisante et non dissonante (Blood et al., 1999). Il a par ailleurs été découvert que les frissons ressentis lors d’un événement musical fort étaient en corrélation avec l’augmentation de l’activité dans l’amygdale, dans le mésencéphale dorso-médial et surtout dans celle du striatum ventral gauche, structure reliée à la récompense (Blood & Zatorre, 2001). Une série d’études a voulu explorer cette question de la récompense et de la musique. Il a été découvert que l’aire tegmentale ventrale (ATV) était mise en jeu lors de son écoute. L’ATV est connue pour son lien dopaminergique avec le noyau accumbens (Kelley & Berridge, 2002) et leur responsabilité dans la réponse à la récompense. Or, il a été trouvé qu’en contexte d’écoute musicale, l’ATV gère l’activité du noyau accumbens, de l’hypothalamus, de l’insula et du cortex orbitofrontal par des chemins dopaminergiques, le tout créant un réseau responsable des réponses physiques rapportées par les auditeurs appréciant une musique plaisante (Menon & Levitin, 2005). De plus, dans une autre étude en tomographie par émission de positron (TEP) il a été démontré que l’hippocampe s’activait davantage dans des conditions de musique agréable, alors que le gyrus parahippocampique, était plus actif lors de musique dissonante (Koelsch, 2006). L’ensemble de ces réseaux, avec l’amygdale et

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les pôles temporaux, semble être considérés comme étant la base de tous les traitements cérébraux émotionnels relatifs à la musique (Koelsch et al., 2006).

Beaucoup d’amateurs de musique déclarent l’utiliser pour réguler leur humeur et peuvent même trouver du réconfort dans une musique triste (Chamorro-Premuzic & Furnham, 2007). En effet, une musique entrainante et joyeuse est diamétralement opposée au sentiment de tristesse ; elle peut irriter les personnes dans un état affectif différent et entrainer une sensation d’isolement, comme si personne ne les comprenait. A l’inverse, une musique triste peut rassurer parce qu’elle est plus proche de la situation affective de l’auditeur, ce dernier peut se sentir moins seul et plus compris (Chamorro-Premuzic & Furnham, 2007).

D’un point de vue neuroanatomique, l’état émotionnel induit par de la musique classique mélancolique réquisitionne l’hippocampe, l’amygdale et les aires auditives associatives, alors qu’en contraste, une musique classique joyeuse met en jeu le striatum ventral et dorsal gauche, le gyrus cingulaire gauche et le gyrus parahippocampique gauche, ainsi que les aires auditives associatives (Mitterschiffthaler, 2007). Il est aussi intéressant de considérer que la musique se joue souvent dans un contexte et que les émotions induites ou amplifiées sont souvent reliées à cette situation. Ainsi, dans un film comme ‘’Il faut sauver le soldat Ryan’’ (Steven Spielberg, 1998, Amblin Entertainment, Mutual Film Company), la musique peut aider à amplifier une scène dramatique, qui sans elle, pourrait être beaucoup moins émotionnelle. C’est dans ce genre de contexte audio-visuel que l’on peut voir une augmentation de l’activation de l’amygdale. D’ailleurs, si l’on enlève cet environnement, la musique positive ou négative ne suffit pas à provoquer cette augmentation (Eldar, 2007). Ce résultat suggère qu’un contexte écologique aide à construire une image émotionnelle plus engageante, mettant en jeu l’amygdale de façon différentielle.

Pour finir, il existe une différence entre les musiciens et les autres personnes dans le traitement des émotions dans la musique. En effet, une étude en potentiel évoqué a su démontrer que, lorsque les musiciens perçoivent des mélodies ayant la même longueur, le même tempo et le même rythme mais avec un mode différent, ils affichent une composante positive tardive appelée P300 lors de l’écoute des morceaux en mode mineur (Halpern et al., 2008). Cependant, ni les musiciens, ni les non-musiciens n’affichent cette composante lors d’un mode majeur, ce que les auteurs expliquent comme étant une fois de plus l’effet de la culture musicale (ici occidentale) sur le traitement du mode. Par conséquent, le mode mineur semblerait agir comme un stimulus du paradigme ‘’oddball’’ demandant un traitement supplémentaire.

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