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D. Rôle du peptide Aβ

2. Aβo et synaptotoxicité

Les mécanismes exacts expliquant les dysfonctions synaptiques induites par les formes solubles oligomériques d’Aβ sont encore mal compris. Pour les étudier, l’approche principalement utilisée consiste à réaliser des applications exogènes de solutions d’Aβo1-42 à des concentrations jugées pathogènes sur différents supports (culture cellulaire, tranches organotypiques ou aigues de cerveau, injection in vivo). Ainsi, Busche et al. 2012 ont mis en évidence une hyperactivité neuronale au sein de l’hippocampe à la suite d’application de concentrations nanomolaires de dimères d’Aβ in vivo. Il convient donc de s’interroger sur les mécanismes sous-jacents à cette hyperactivité induite par le peptide.

Perturbation de la signalisation glutamatergique

Chez l’homme, nous avons vu qu’il semble exister une perturbation de l’homéostasie glutamatergique dans le cadre de la maladie d’Alzheimer avec une altération des transporteurs du glutamate. Les mêmes observations ont été faites chez des modèles murins (Mookherjee et

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31 une perturbation de la dynamique du glutamate à proximité des plaques amyloïdes mettant en jeu le transporteur GLT-1 (Hefendehl et al. 2016). Une mauvaise clairance du glutamate pourrait donc en partie expliquer l’hyperactivité observée. Mais cela n’exclut pas un effet du peptide sur la probabilité de libération de neurotransmetteurs.

Pour répondre à la question, il convient de s’intéresser au mécanisme de plasticité pré-synaptique. Elle se définit comme le mécanisme associé à la quantité de neurotransmetteurs pouvant être libéré par la terminaison axonale. Elle se met en place rapidement, c’est pourquoi on parle de plasticité à court terme. L’approche expérimentale la plus répandue pour l’étudier est appelée paired-pulse facilitation (PPF). Cela consiste à appliquer deux stimulations électriques successives rapprochées (~50 ms) avec le constat que l’amplitude de la réponse à la deuxième stimulation sera plus importante que la première (Citri and Malenka 2008). L’explication mécanistique de ce phénomène est due au fait que la deuxième stimulation intervient alors que le niveau de calcium au niveau de la terminaison axonale n’est pas revenu à un niveau basale suite à la première stimulation. La concentration plus importante de calcium ainsi générée au niveau de la terminaison axonale entraîne une fusion plus importante de vésicules avec la membrane et donc une libération de neurotransmetteurs plus importante que pour la première stimulation. Si l’hyperactivité neuronale induite par Aβo passait par une augmentation de la probabilité de libération de neurotransmetteur, le protocole de PPF devrait mettre en évidence une différence de réponse plus importante entre les deux stimulations. Or, plusieurs études ont montré que l’application exogène d’Aβo n’altérait pas la PPF (Shankar et

al. 2008; Li et al. 2009; Talantova et al. 2013). Par ailleurs, nous avons déjà vu que

l’hyperactivité neuronale nécessite une activité préexistante pour se mettre en place (Zott et al. 2019). Aβo ne semblent donc pas être directement responsable d’une augmentation de libération de glutamate par l’élément pré-synaptique. Ces résultats indiquent qu’à une concentration pathologique l’activité d’Aβ diffère du rôle physiologique proposé précédemment.

La perturbation de la signalisation glutamatergique mise en jeu par Aβo semble donc provenir plutôt d’une altération de la recapture du glutamate. Rappelons que cette fonction de recapture est assurée en majeure partie par le partenaire astrocytaire au niveau de la synapse. Un des mécanismes envisagés désigne Aβo comme responsable de la production de cytokines proinflamatoires au sein des cellules gliales qui provoquerait l’internalisation des transporteurs du glutamate (Li and Selkoe 2020). Par ailleurs, ces observations ne permettent pas d’exclure

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un effet d’Aβo sur la gliotransmission, et donc un rôle actif des astrocytes dans l’hyperactivité neuronale. Nous reviendrons sur ce point dans la deuxième partie de cette introduction.

Modification de la plasticité synaptique à long terme

La conséquence directe de l’augmentation de la concentration de glutamate est la sur-activation des récepteurs post-synaptiques or nous avons vu qu’une dérégulation de l’homéostasie glutamatergique est responsable de mécanismes excitotoxiques. Ce processus requiert l’activation des récepteurs NMDA extra-synaptiques composés de sous-unités NR2B. Ainsi, les travaux de Varga et al. 2014 ont mis en évidence l’implication des récepteurs NMDA contenant NR2B dans l’hyperexcitabilité induite par Aβo au sein de l’hippocampe. De plus, nous savons de manière générale que la sur-activation d’un récepteur conduit à un processus de désensibilisation qui se traduit par son internalisation. Il a ainsi été montré une augmentation de l’endocytose des récepteurs NMDA contenant la sous-unité NR2B sur des neurones en cultures traitées avec 1 µM d’Aβo pendant une heure (Snyder et al. 2005). Plusieurs travaux semblent ainsi confirmer la mise en jeu des récepteurs NMDA extra-synaptiques dans l’effet induit par Aβo (pour revue voir Tu et al. 2014; Zhang et al. 2016). Cela semble donc cohérent vis-à-vis des modifications d’expression des récepteurs NMDA observées chez l’homme dont nous avons parlé précédemment.

Les récepteurs NMDA sont les seuls récepteurs au glutamate à laisser entrer du calcium au niveau de l’élément post-synaptique dans un cerveau adulte. La sur-activation de ces récepteurs est par conséquent responsable d’une perturbation de la signalisation calcique neuronale. Plusieurs travaux récents ont ainsi mis en évidence que l’application d’Aβo sur des cultures primaires de neurones induisait une augmentation du calcium intracellulaire dépendante des récepteurs NMDA (Ferreira et al. 2015; Amar et al. 2017). Cette perturbation de l’homéostasie calcique neuronale a également été observée in vivo sur des cerveaux de souris suite à l’application d’Aβo, avec pour conséquence une diminution du nombre d’épines dendritiques 24h après le traitement (Arbel-ornath et al. 2017).

Par ailleurs, les récepteurs NMDA et l’influx de calcium qu’ils génèrent sont nécessaires pour induire les mécanismes de plasticité à long terme (Lau et al. 2009). Ceci a été mis en évidence lors d’études de la LTP et la LTD par électrophysiologie. Une LTP altérée voire bloquée a ainsi été mise en évidence chez la plupart des modèles murins dont nous parlerons juste après (Marchetti and Marie 2011; Esquerda-canals, Montoliu-gaya and Jofre 2017) et l’incrimination d’Aβo dans cette perturbation fait l’objet d’un consensus dans la littérature (Li and Selkoe

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33 2020). La LTP étant considérée comme le substrat moléculaire de l’apprentissage et de la mémoire sa perturbation parait tout à fait cohérente avec le phénotype de la maladie d’Alzheimer. La LTD est, quant à elle, plutôt associée à une réduction de l’activité synaptique et à l’élimination des épines dendritiques concernées. Dans un premier temps, la communauté scientifique a étudié l’effet d’Aβo sur le protocole normalement utilisé pour induire cette LTD (900 stimuli à 1 Hz). Mais contrairement à la LTP, ce mécanisme de plasticité n’est pas altéré par Aβo, et sa mise en œuvre apparait facilitée puisqu’elle a pu être induite avec un protocole de seulement 300 stimuli à 1 Hz (Shankar et al. 2008; Li et al. 2009). En somme, Aβo bloquerait la potentialisation et favoriserait la dépression synaptique.

L’étude des mécanismes sous-jacents à l’hypothèse amyloïde propose donc la cascade d’évènements suivants pour expliquer le déclenchement de la maladie d’Alzheimer. La perturbation de l’homéostasie glutamatergique induite par Aβo entraîne l’activation des récepteurs NMDA, avec une mise en jeu particulière des récepteurs extra-synaptiques. Cela va entrainer une modification de la signalisation calcique intraneuronale et donc une modification des mécanismes de plasticité à long terme en favorisant la dépression synaptique (Figure 11).

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Figure 11 : Hypothèse schématique de la manière dont Aβ pourrait perturber la plasticité synaptique.

Lorsque Aβo augmente ou est appliqué de manière exogène les oligomères hydrophobes vont potentiellement se coller à la surface de la membrane lipidique neuronale ou gliale ①, interrompant ainsi ses fonctions physiologiques et stimulant les cellules gliales à libérer des cytokines et les médiateurs inflammatoires associés ②. Cela pourra entraîner la perturbation de la recapture astrocytaire et/ou neuronal du glutamate ③ et par conséquent l’augmentation de la concentration extracellulaire de glutamate ④. Les concentrations élevées de glutamates extracellulaires activent davantage les récepteurs NMDA extrasynaptiques composés de sous-unités NR2B ⑤ ; ce qui induit une altération de la LTP et une facilitation de la LTD. (Adapté de Li et Selkoe 2020).

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