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Milieux terrestres

3. Quelles évolutions de l’eutrophisation ?

3.3. évolutions mesurées dans le cadre des réseaux de surveillance

Les données recueillies dans les réseaux de surveillance sont essentielles pour apprécier les situations sur de vastes territoires. Ces réseaux, commencés, pour certains, dès les années 1970 ont progressivement gagné en densité de couverture et en homogénéité de protocole de recueil de données. En cela, la Directive-Cadre sur l’eau (DCE) a constitué un accélérateur de cette homogénéisation à l’échelle européenne, indispensable pour pouvoir intercomparer des situations. Il en est de même avec les données recueillies à l’échelle européenne dans les réseaux de suivi OSPAR (depuis 1992) et de la Directive-Cadre stratégie pour le milieu marin (DCSMM, évaluation de l’état initial en 2011) pour le milieu marin spécifiquement.

3.3.1. Résultats des réseaux de surveillance en Europe

Bilan à l’échelle de l’Europe

L’Union européenne a publié un premier bilan de la DCE en 2009 : 42 % des masses d’eau sont en bon état. Les lacs et les eaux côtières présentent de meilleurs états que les cours d’eau et les eaux de transition. Les régions les plus atteintes pour les eaux douces se situent en Europe du Nord et Centrale, en particulier en Allemagne du Nord, aux Pays-Bas, dans la partie ouest et nord de la France et en Belgique, alors que, pour les eaux marines côtières et de transition, ce sont la mer Baltique et la mer du Nord (Figure 3.8).

Figure 3.8. Proportion de masses d’eau européennes évaluées n’atteignant pas le bon état dans les différents districts, pour les cours d’eau et les lacs (à gauche) et pour les zones côtières et estuariennes (à droite). Source : Kristensen, 2012.

La pollution diffuse par les nutriments et la dégradation de l’hydromorphologie, altérant les habitats, sont identi- fiées comme les principales pressions responsables de la non-atteinte des objectifs pour les eaux de surface. En analysant les pressions, il apparaît que les états dégradés pour les eaux de surface sont explicables dans une pro- portion de 30 à 50 % par la pollution diffuse, principalement due à la pollution agricole (ce constat des instances européennes est corroboré par la littérature scientifique). Plus de 40 % des masses d’eau des zones côtières et estuariennes sont affectées par des sources diffuses, et 20 à 25 % d’entre elles sont également sujettes à des pollutions plus ponctuelles. Les bassins où il y a plus de 40 % de terres cultivées et plus de 100 habitants au km² représentent les deux tiers des masses d’eau n’atteignant pas le bon état.

Il y a un consensus pour souligner que les politiques publiques déployées pour lutter contre la pollution domes- tique (équipement des stations d’épuration de technologies de troisième génération et interdiction des lessives phosphatées) se sont traduites par une baisse de la concentration en phosphore (54 %) dans les masses d’eau. Les projections très simplifiées indiquent même une atteinte du bon état à l’échéance du dernier cycle de la DCE en 2027 pour le phosphore (Figure 3.9). Les nitrates n’évoluent pas sur la même période. Pour les zones côtières et estuariennes, les statistiques européennes ne révèlent pas non plus de changement pour les nitrates et la chlorophylle a entre 1985 et 2010.

Au sein d’OSPAR, une Procédure commune (COMPP) a été déve- loppée et utilisée pour évaluer le statut d’eutrophisation des eaux. La seconde évaluation, menée en 2007, montre que le problème est confiné principalement dans la mer du Nord et au niveau des échancrures et des estuaires le long des côtes des mers celtiques, de la baie de Biscaye et des côtes ibériques (Figure 3.10). Les éva- luations OSPAR confirment la tendance à la diminution des flux de phosphore, parfois bien supérieure aux 50 % initialement prévus pour certains pays membres. Les apports d’azote di-

minuent plus faiblement et de manière plus variable. Les rapports de synthèse produits par les instances européennes fournissent beaucoup plus de détails que ceux sélectionnés ici, mais leur analyse en lien avec la question d’eutrophisation demanderait de travailler à un grain plus fin : beaucoup de données ne sont rapportées qu’au district, ce qui peut avoir

du sens pour un bilan à l’exutoire vis-à-vis des eaux côtières, mais reste extrêmement grossier pour les nombreux bassins continen- taux. Il existe, de plus, d’énormes disparités dans les tailles des masses d’eau définies par chaque état, voire entre régions d’un même état.

Figure 3.9. Tendances potentielles (2010-2027 en pointillé) pour l’azote et le phosphore, en valeur médiane dans chacune des catégories d’état écologique pour les eaux de surface européennes. Source : Werner, 2012.

Figure 3.10. évaluation de l’eutrophisation dans la zone maritime d’OSPAR après application de la Procédure commune mise en place par la Convention. Source : OSPAR Commission, 2009.

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Bilan à l’échelle de la France

En France, le suivi des pressions liées à la fertilisation indique une situation stable de l’utilisation des fertilisants organiques, une diminution faible de l’utilisation des fertilisants minéraux, faible pour l’azote, plus marquée pour le phosphore, depuis 20 ans. Malgré la diminution des apports et le raisonnement de la fertilisation, le surplus reste élevé dans les régions d’élevage, en lien avec la densité des cheptels.

En l’absence de directive-cadre sur les sols, il n’y a pas de surveillance des sols harmonisée à l’échelle euro- péenne. La mise en place du Réseau de mesure de la qualité des sols, dans le cadre du GIS Sol, a permis une cartographie des teneurs en phosphore des sols dans les années 2000. Une seconde campagne en cours per- mettra d’en connaître les évolutions. Les études menées sur la région Bretagne, à partir de la Base de données d’analyses des terres (BDAT), indiquent une augmentation des teneurs en phosphore extractible des sols depuis 20 ans, augmentation qui s’est ralentie ces dernières années. L’extension de ces travaux à l’échelle nationale est en cours et indique une diminution des teneurs en phosphore des sols. Les diminutions diffèrent selon les méthodes analytiques. La diminution est plus nette en P Olsen, plus facilement extractible (donc répondant plus vite), qu’en Phosphore Dyer, encore marqué par les apports passés.

En France, les Réseaux de contrôle de référence (RCR) et de surveillance (RCS) de la DCE ont été respectivement mis en place en 2004-2006 et en 2007. S’agissant de la qualité écologique de ses masses d’eau, la France se place dans la moyenne de l’ensemble de l’Europe, avec un pourcentage des masses d’eau de surface en bon état, tous types confondus, d’environ 42 % (41,4 % en 2010 et 43,4 % en 2013). L’élément le plus souvent déclassant est, en 2013, la physico-chimie, pour 18 % des cours d’eau et 35 % des plans d’eau. Viennent ensuite le phytoplancton pour les plans d’eau (24 %) et les eaux de transition (16 %), et les macroalgues pour les eaux côtières (14 %). Les états écologiques sont cependant distribués de manière très hétérogène au sein du territoire national, les zones densément peuplées ou à dominante agricole (cultures ou élevages) présentant généralement moins de cours d’eau en bon état écologique. On retrouve les mêmes évolutions temporelles pour l’azote et le phosphore en France et en Europe, pour les mêmes raisons : les orthophosphates ont diminué depuis 1998, les nitrates étant relativement stables. La tendance des nitrates pour les eaux souterraines est également stable. Les évaluations OSPAR confirment cette tendance, indiquant une réduction de 50 % des apports fluviaux de phosphore dans les eaux côtières entre 1990 et 2007. Aucune évolution significative des apports d’azote n’est en revanche mise en évidence.

3.3.2. Résultats des réseaux de surveillance aux états-Unis

Les états-Unis ont une longue tradition de conduite de la surveillance qui s’est régulièrement accompagnée de synthèses techniques et scientifiques.

Pour les eaux de surface continentales, les bilans concernant la campagne 2008-2009 révèlent que : 55 % des

cours d’eau ne satisfont pas aux critères de qualité pour la vie aquatique, majoritairement à cause des teneurs en nutriments ou de mauvaises conditions d’habitat ; 23 % sont en assez bon état ; 22 % sont en bon état et abritent des communautés biologiques en bonne santé. En sommant ces deux dernières catégories, on obtient un ordre de grandeur de 45 %, comparable aux chiffres européens et français pour le bon état écologique. Parmi les 55 % de cours d’eau en état dégradé, 24 % le sont à cause de corridors riverains artificialisés (absence de végétation et présence d’infrastructures) et 15 % à cause d’un excès de sédiments fins. Les lacs en mauvaise condition environnementale représentent 22 % du nombre total (les facteurs pénalisants sont le mauvais état des berges et l’excès de nutriments).

La comparaison avec 2004 indique une diminution de 7 % des cours d’eau en bonne condition, une augmenta- tion de 19 % du linéaire impacté au-delà des normes en vigueur par le phosphore et de 9 % pour les nitrates. En revanche, 17 % du linéaire de cours d’eau s’est amélioré pour l’habitat et 12 % pour leur corridor riverain. Les niveaux d’azote et de phosphore dans les cours d’eau sont clairement identifiés comme responsables des états de dégradation de la qualité de l’eau : 46 % des cours d’eau dépassent le critère de l’Agence américaine de protection de l’environnement (US EPA) pour le phosphore et 41 % pour les nitrates. Dans le même temps (2004

versus 2008-2009), l’état écologique (macro-invertébrés) a légèrement diminué de 9 %, ainsi que la proportion de sites en bon état pour le phosphore (14 %), l’azote restant quasiment inchangé. Comme pour la comparaison qui a été faite pour la France, cinq ans semblent un délai trop court pour révéler des tendances, notamment sur des variables comme le phosphore qui sont très dépendantes des régimes hydrologiques, en ayant aussi à l’esprit la part d’incertitude inhérente à ces gros dispositifs de recueil de données à large échelle.

Ces statistiques générales sont accompagnées d’une démarche analytique intéressante qui consiste à calculer la prévalence des pressions dans les cours d’eau (en linéaire ou nombre de cours d’eau), à affecter une intensité d’impact vis-à-vis d’une cible biologique (périphyton, macro-invertébrés ou poissons) et à attribuer enfin un risque pondéré et relatif d’impact pour chaque pression. Les résultats pointent à la fois des patrons régionaux différents, mais surtout la part négative prépondérante que jouent les nutriments vis-à-vis des macro-invertébrés, des pois- sons et du périphyton.

Pour les eaux marines, sur les 1 100 stations étudiées en 2010 à l’échelle des états-Unis, un indice de la qua-

lité de l’eau révèle que seulement 36 % ont une colonne d’eau en bon état (la moitié est en état acceptable). L’indice pointe l’excès de phosphore dans les eaux douces arrivant en mer (40 % seulement en bon état pour le phosphore), significativement relié avec l’intensité de l’agriculture sur les bassins-versants, mais pas d’excès azoté (70 % des eaux en bon état pour l’azote).