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IV.2 Étude expérimentale de la fragmentation d’un jet composé

IV.2.2 Évolution de la vitesse d’onde

Nous allons maintenant nous intéresser à l’évolution de la vitesse d’onde au sein d’un jet.

Cette vitesse correspond à la vitesse à laquelle se propagent les perturbations à la surface du jet. En excitant le jet à l’aide de l’actuateur piézoélectrique nous sélectionnons, comme nous l’avons vu, les perturbations associées à la fréquence imposée. Nous pouvons donc mesurer la vitesse d’onde des perturbations associées à une fréquence particulière.

Concrètement, la vitesse d’onde représente la vitesse à laquelle se propage une crête à la surface du jet. Sur la figureIV.14est représentée l’évolution au cours du temps d’un jet composé sous excitation. L’évolution se fait de haut en bas et l’écart entre deux images est de 0,25 ms. Une des crêtes à la surface du jet a été repérée par le symbole (*). En mesurant la position de cette crête au cours du temps, nous pouvons mesurer sa vitesse. Ceci est

vrai jusqu’à la fragmentation du jet. Au delà, la vitesse mesurée correspond à la vitesse des gouttes formées. Nous introduisons ainsi la longueur de fragmentation, notée Lf rag, qui correspond à la distance entre l’injecteur et le centre de masse de la dernière "goutte" reliée au jet avant fragmentation. Cette grandeur est aussi représentée sur la figureIV.14.

FIGUREIV.14 –Vitesse d’onde et longueur de fragmentation. Jet composé d’un cœur de HEC à 0,5 %m et d’une coque d’alginate à 1,7 %m. (QcoeurpmL.h´1q, QcoquepmL.h´1q, f pHzq, VpppV q)=(105, 35, 1000, 1). L’évolution se fait de haut en bas. Le temps entre deux images est de 0,25 ms. La barre d’échelle représente 500 µm. La ligne pointillée verte indique la sortie de l’injecteur.

Pour ce même jet, nous représentons sur la figureIV.15, l’évolution de la vitesse d’onde mesurée à 1000 Hz en fonction de z. L’origine de z est prise à la sortie de l’injecteur et la lon- gueur de fragmentation, indiquée sur la figure, vaut dans cette situation 7, 95 mm ˘ 100µm. La vitesse représentée correspond à la vitesse moyenne entre 10 positions successives d’une crête :

vondepz1q “ zpt

˚` 10tacqq ´ zpt˚q

10tacq avec z

1 tel que zpt˚` 10tacqq ` zpt˚q

2 “ z

1 (IV.13)

et tacqle temps entre deux images : tacq“ facq1 , avec facqla fréquence d’acquisition. Dans les expériences destinées à la mesure de la vitesse d’onde, facq “ 12000 ou 19000 images.s´1et la résolution spatiale, variable selon les expériences, est toujours d’environ 6 µm.px´1. La vitesse reportée est la valeur moyenne obtenue pour toutes les crêtes suivies.

On constate avec la figure IV.15que cette vitesse décroit avec z jusqu’à une valeur constante qui correspond à la vitesse des gouttes formées.

Dans l’injecteur, le profil de vitesse des deux fluides est le raccordement de deux profils de Poiseuille cylindrique3(cf. chapitre II.1). En supprimant le confinement, les fluides sont passés d’une situation de vitesse nulle à r “ R à une situation de contrainte nulle à r “ R. Cette modification des conditions aux limites a pour conséquence une relaxation du profil de vitesse vers un profil bouchon (cf. chapitre III.3). Au sein du jet, après établissement du profil bouchon, la vitesse ne dépend plus de r et atteint la vitesse de convection :

vconv“ Qcoeur` Qcoque πR2jet

Qtot

πR2jet (IV.14)

avec Rjetle rayon du jet.

IV.2. Étude expérimentale de la fragmentation d’un jet composé

Les gouttes formées par la fragmentation du jet ont une vitesse inférieure à cette vitesse de convection. Lors de la fragmentation, les forces capillaires induisent en effet un ralentis- sement des fluides composant les gouttes. En utilisant la conservation de la quantité de mouvement et la conservation de la masse sur un volume de contrôle, il est possible de déterminer la vitesse de ces gouttes. Le calcul, mené par Dressler [53] donne4:

vgoutte “ vconv¨ ˜ 1 ´ v 2 cap v2 conv ¸ ` v 2 exc 2vconv

avec vcapla vitesse capillaire5définie équation (IV.7) et vexcla vitesse d’excitation. Le calcul est en effet effectué en supposant l’existence d’une excitation du jet donnant lieu à une variation sinusoïdale de la vitesse de l’interface du jet en sortie d’injecteur avec vinterf ace “ vconv`vexc¨sinp2πfexctq à l’entrée du volume de contrôle. On voit que si la vitesse d’excitation est suffisamment élevée, les gouttes pourront aller plus vite que le jet. Toutefois, dans notre cas, les variations de vitesse sont très faibles devant vconv(vexc ! vconv) et nous pouvons négliger ce second terme. L’expression de la vitesse des gouttes formées devient donc :

vgoutte “ vconv¨ ˜ 1 ´ v 2 cap v2 conv ¸ “ vconv¨ ˆ 1 ´ 1 W e ˙ (IV.15)

et cette vitesse est toujours inférieure à la vitesse du jet. Dans cette seconde expression, nous avons fait intervenir le nombre de Weber, W e, calculé à partir de vconv. Il s’ensuit que la différence de vitesse entre le jet et les gouttes va dépendre de la valeur de W e.

Dans cette expérience, vconv“ 1, 43 ˘ 0, 03 m.s´1et vcap“ 0, 886 ˘ 4, 5.10´3m.s´1. Nous avons donc W e „ 3. Globalement, dans toutes les expériences menées au cours de cette thèse : 1 ă W e ă 10. Nous travaillons donc avec des nombres de Weber relativement faibles6et l’écart entre la vitesse du jet et celle des gouttes formées est importante (cette différence représente ici presque 40% de la vitesse jet).

C’est ce qui explique la décroissance de la vitesse du jet observée figureIV.15. Elle passe de vconv à vgouttesur Lf rag. Après Lf rag la vitesse reste constante et vaut vgoutte. Ces deux vitesses limites — calculées à partir des équations (IV.14) et (IV.15) — ont été représentées avec leur barre d’erreur sur la figure. La décroissance de la vitesse qui est observée est donc une conséquence directe des faibles valeurs de W e dans nos expériences. Elle a pu être observée avec tous les fluides dont nous nous sommes servis, qu’ils soient newtoniens ou non, dans des jets simples comme dans des jets composés.

La vitesse calculée pour les gouttes est proche de celle mesurée expérimentalement, l’écart-type de la vitesse mesurée pour les gouttes valant environ 0, 04 m.s´1.

Si les approches temporelle et spatiale de l’instabilité de Rayleigh-Plateau étaient simi- laires nous devrions avoir vonde:“ λf “ vconv(cf. relations (IV.9)), c.-à-d. que les perturba- tions devraient se propager à la même vitesse que le jet. Mais comme nous en avons discuté

4. Le volume de contrôle utilisé commence proche de la sortie de l’injecteur, avant apparition de toute vitesse radiale au sein du jet, et se termine au delà de la zone de fragmentation, à une distance où la forme des gouttes n’évolue plus.

5. Pour rappel : vcap“

b γ

ρRjet

6. Dans la littérature, les expériences sont menées à des W e supérieurs : W e ą 10 pour [73], W e „ 15 pour [155], W e „ 130 pour [61] et 50 ă W e ă 220 pour [83] par exemple.

FIGUREIV.15 –Évolution de la valeur moyenne de la vitesse d’onde à la surface du jet en fonction de z. Cœur : solution de de HEC à 0,5 %m ; Coque : solution d’alginate à 1,7 %m. (QtotpmL.h´1q, rq, Rjet pµmq, f pHzq, Vpp pV q)=(140, 3, 93, 1000, 1). La ligne et les tirets oranges correspondent respectivement aux valeurs de vconvet vgouttecalculées à partir de (IV.14) et (IV.15). Une photo du jet, avec correspondance de l’abscisse, est placée au dessus du graphe. La ligne jaune correspond à la position de l’injecteur placé à z “ 0. La barre d’échelle est de 500 µm.

plus haut (cf. figureIV.4), il n’y a pas d’équivalence entre les deux approches qui finissent cependant par converger à mesure que W e augmente. Étant donné les faibles valeurs de W edans nos expériences, l’équivalence n’est pas assurée et nous nous attendons à des écarts — positifs ou négatifs selon la fréquence — de l’ordre de 5 à 10% entre vconvet vonde (cf. figureIV.4).

Proche de l’injecteur, l’amplitude des perturbations à la surface du jet est très faible. C’est pourquoi, nous ne parvenons à la mesurer. Il n’est ainsi pas possible de mesurer la vitesse de la perturbation aux premiers instants de son développement où elle prend sa valeur maximale. C’est ce qui explique qu’aucune vitesse ne soit reportée entre 0 et 3 mm sur la figureIV.15. Par conséquent, nous ne pouvons pas comparer la vitesse d’onde initiale avec vconvet en apprécier la différence. Il semble toutefois, vu le profil de vitesse obtenu, que leurs valeurs soient proches comme attendu.

Notons aussi que la décroissance de vitesse mesurée est une signature du caractère

spatial de l’instabilité que nous étudions. Dans l’approche temporelle, valable pour un jet

infini, la perturbation possède une vitesse constante égale à celle du jet en se plaçant dans le référentiel du laboratoire (et non dans le référentiel du jet). Cette dernière approche ne peut donc pas rendre compte de nos observations. Nous n’avons en outre jamais vu mention de cette décroissance dans la littérature. Ceci s’explique sans doute par les faibles valeurs de W eque nous expérimentons et donc à l’écart important entre vconvet vgoutte, contrairement

IV.2. Étude expérimentale de la fragmentation d’un jet composé

aux cas trouvés dans la littérature où vconv „ vgouttedu fait des valeurs élevées de W e. La vitesse d’onde représentée figureIV.15est la valeur moyenne obtenue pour toutes les crêtes dont nous avons suivi la position. Sur la figureIV.16(a)nous représentons cette fois l’ensemble des vitesses mesurées en fonction de z. On constate qu’elles présentent une certaine dispersion. Pour plus de lisibilité, nous reportons l’écart-type σ de la vitesse en fonction de z sur la figure adjacenteIV.16(b).

(a) (b)

FIGURE IV.16 –Mesure de la dispersion de la vitesse d’onde en fonction de z. Cœur : solution de de HEC à 0,5 %m ; Coque : solution d’alginate à 1,7 %m. (QtotpmL.h´1q, rq, Rjetpµmq, f pHzq, Vpp pV q)=(140, 3, 93, 1000, 1).(a)Ensemble des valeurs de vitesses d’onde mesurées en fonction de z. La valeur moyenne est reportée en trait plein. La ligne et les tirets oranges correspondent respectivement aux valeurs de vconvet vgouttecalculées à partir de (IV.14) et (IV.15).(b)Écart-type de la vitesse d’onde en fonction de z.

Cette figure nous montre que la dispersion des vitesses n’est pas constante : elle repré- senterait dans ce cas la précision de nos mesures. Au contraire elle varie avec z : l’écart-type de la vitesse d’onde augmente avec z jusqu’à atteindre un maximum pour z „ Lf rag, puis il diminue. Pour les faibles valeurs de z, les valeurs de σ fluctuent beaucoup en raison de l’imprécision des mesures : l’amplitude des perturbation à la surface du jet est faible et nous commettons une erreur plus importante sur la détection des crêtes. En revanche, l’augmentation de σ observée pour des valeurs plus élevées de z n’est pas due à un biais expérimental : elle révèle bien une plus grande dispersion de la vitesse d’onde à mesure que z augmente, jusqu’à la fragmentation.

Nous avons pu observer cette dispersion de vitesse et cette évolution avec des fluides newtoniens comme avec des fluides non newtoniens. Le phénomène ne semble pas non plus lié à la nature composée du jet puisque nous l’avons observé aussi bien avec des jets simples qu’avec des jets composés.

En sortie d’injecteur, des fluctuations de vitesse non contrôlées créent nécessairement au cours du temps de faibles variations de la vitesse des ondes à la surface du jet. Ces variations de vitesse semblent s’amplifier avec z donnant lieu à l’évolution observée figure

IV.16. Nous devrions donc obtenir une dispersion de vitesse d’autant plus grande que la longueur de fragmentation du jet est élevée. Ceci est confirmé par l’expérience reportée

figureIV.17. Le jet considéré est composé d’un cœur de glycérol à 80%m et d’une coque d’alginate à 1,7%m. Nous mesurons la dispersion de la vitesse d’onde en fonction de z avant fragmentation pour différentes longueurs de fragmentation obtenues en faisant varier Vpp de 300 mV à 10 V. Nous reportons sur cette figure la valeur maximale de l’écart-type de la vitesse d’onde avant fragmentation, normalisée par vconv, en fonction de la longueur de fragmentation, normalisée parvconv

f . On constate effectivement une diminution de la dispersion de la vitesse d’onde à mesure que la longueur de fragmentation diminue.

Nous donnerons une explication de ce phénomène en section IV.4.

FIGUREIV.17 –Évolution de la dispersion de la vitesse d’onde en fonction de la longueur de frag- mentation. Cœur : solution de glycérol à 80%m ; Coque : solution d’alginate à 1,7%m. (QtotpmL.h´1q, rq, Rjetpµmq, f pHzq, vconvm.s´1)=(105, 3, 101, 700, 1, 21). Les différentes longueurs de fragmentation sont obtenues en faisant varier Vppde 300 mV à 10 V de droite à gauche sur la figure.

Revenons à la décroissance de la vitesse d’onde observée sur la figureIV.15. Par définition vonde :“ λf , la fréquence f imposée étant constante on s’attend à une diminution de la longueur d’onde à la surface du jet avec z. C’est ce que nous avons vérifié en mesurant la longueur d’onde à la surface du jet en fonction de z comme représenté sur la figureIV.18(a). Comme nous venons d’en discuter, nous mesurons aussi une augmentation de la dispersion de la vitesse d’onde à mesure que z augmente. Il est donc normal que nous observions aussi une augmentation de l’écart-type de la longueur d’onde mesurée à mesure que z augmente, comme représenté par les barres d’erreur. FigureIV.18(b), nous avons voulu vérifier la relation vonde “ λf en traçant sur le même graphe les valeurs de λf , obtenues à partir de la mesure de la longueur d’onde, et les valeurs de la vitesse d’onde, mesurées grâce au suivi des positions des crêtes à la surface du jet au cours du temps (cf. figureIV.15). Nous obtenons une bonne correspondance entre les deux valeurs pour tous les z balayés.

Du fait de la relation vonde“ λf , la longueur d’onde à la surface du jet est inversement proportionnelle à la fréquence d’excitation pour une vitesse donnée. En conservant les débits constants, nous avons ainsi modifié la fréquence d’excitation et mesuré la valeur moyenne de la longueur d’onde avant fragmentation. Les valeurs obtenues sont données sur la figureIV.19(a)en fonction de la fréquence d’excitation. On observe bien une décroissance

IV.2. Étude expérimentale de la fragmentation d’un jet composé

(a) (b)

FIGUREIV.18 –Évolution de la longueur d’onde, notée λ, à la surface du jet. Cœur : solution de de HEC à 0,5 %m ; Coque : solution d’alginate à 1,7 %m. (QtotpmL.h´1q, rq, Rjetpµmq, f pHzq, VpppV q, vconvm.s´1)=(140, 3, 93, 1000, 1, 1, 43).(a)Évolution de λ en fonction de z.(b)Comparaison de λ ¨ f et de la vitesse d’onde en fonction de z. Les points correspondent aux valeurs de λ ¨ f obtenues à partir des longueurs d’onde mesurées et représentées en(a). La courbe bleue représente la vitesse d’onde moyenne mesurée par le suivi des positions des crêtes et représentée en figureIV.15.

de la longueur d’onde quand la fréquence d’excitation augmente. Comme représenté dans l’encart, nous avons pu vérifier qu’une relation linéaire lie λ et f´1.

Dans le processus d’encapsulation qui sera décrit au chapitre V, nous serons particuliè- rement intéressés par la taille des bigouttes formées. En raison de la variation de la vitesse d’onde avec la distance à l’injecteur, il est difficile de prévoir cette taille en fonction de la fréquence d’excitation. Nous avons tout de même pu vérifier une diminution de la taille des bigouttes formées quand la fréquence d’excitation augmente, comme représenté sur la figureIV.19(b).

En effet, par conservation du volume : λ ¨ R2

jet „ R3goutte ñ Rgoutte „ ´ R2jet¨vonde f ¯1 3 . À vitesse fixée, le rayon des gouttes diminue donc quand la fréquence augmente. Dans l’encart de la figure, nous pouvons d’ailleurs vérifier que le rayon des gouttes dépend bien linéairement de f´13 (sauf pour le dernier point).

Ceci nous montre qu’il sera possible de moduler la taille des bigouttes formées, et donc in fine des capsules, en jouant uniquement sur la fréquence d’excitation. Dans cette expérience nous pouvons ainsi moduler cette taille sur un intervalle de 50 µm pour des bigouttes d’environ 200 µm de rayon.