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Chapitre 1. Variétés toriques

1.6. Éventails

Définition. Un éventail Σ dans l’espace vectoriel NRest une collection finie de cônes σ ⊆ NR rationnels fortement convexes de type fini telle que :

— toute face d’un cône dans Σ est aussi dans Σ ;

— l’intersection de deux cônes dans Σ est une face commune aux deux cônes (et est donc dans Σ).

Un cône de Σ sera dit maximal s’il n’est pas strictement contenu dans un autre cône de Σ.

Le support de Σ est l’unionS

σ∈Σσ ⊆ NR de tous les cônes de Σ et est dénoté |Σ|.

On dénotera par Σ(r) l’ensemble des cônes de dimension r de Σ.

On peut construire un éventail à partir d’un cône σ (rationnel fortement convexe de type fini) en prenant l’ensemble des faces de σ. Le support de cet éventail sera simplement σ et on dénotera l’ensemble des faces de σ de dimension r par σ(r).

Toutefois, cet exemple est loin de représenter tous les éventails possibles. On peut, par exemple, recouvrir R2 avec les trois cônes {Cone(e

1,e2), Cone(e1, − e1 −

e2), Cone(e2, − e1 − e2)} qui ont les propriétés recherchées. En ajoutant leurs faces

{Cone(e1), Cone(e2), Cone(−e1 − e2),{0}}, on obtient bien un éventail.

Rappelons la propositionB.13(et la remarque à la fin de la sectionB.4) disant que si on a deux cônes σ1 et σ2 dans Σ (et leur intersection τ = σ1∩ σ2 sera alors une face commune

aux deux cônes), il existera u ∈ σ1∩ (−σ2)∨∩ M tel que τ = σ1∩ u= σ2∩ u⊥.

En particulier, par la proposition B.19, on aura que Sτ = Sσ1 + Z≥0(−u) = Sσ2 + Z≥0u. Or, comme u ∈ Sσ1 et −u ∈ Sσ2, cela signifie en fait que Sτ = Sσ1 + Sσ2.

De plus, cela signifiera que C[Sτ] = C[Sσ1]χu = C[Sσ2]χ−u. On peut donc voir Uτ à la fois comme l’ouvert principal (Uσ1)χu de Uσ1 et comme l’ouvert principal (Uσ2)χ−u de Uσ2. C’est cette double inclusion qui sera la base du lien entre les éventails et les variétés toriques.

Pour construire une variété algébrique à partir de Σ, on utilisera la construction qu’on a présenté au début de la section précédente. On prendra la collection {Vσ}σ∈Σ (où Vσ

.

=

Uσ) et pour toute paire d’indices σ12 ∈ Σ, on posera Vσ2σ1

.

= (Vσ1)χu = Uσ1∩σ2 ⊆ Vσ1. L’isomorphisme gσ2σ1 : Vσ2σ1 → Vσ1σ2 sera simplement le passage de Uσ1∩σ2 ⊆ Vσ2σ1 à Uσ1∩σ2 ⊆

1σ2. À remarquer que notre définition de Vσ2σ1 ne dépend pas du choix de u, mais seulement de l’inclusion C[Sσ1∩σ2] ⊆ C[Sσ1]. Il nous faut maintenant vérifier que les conditions sont bien remplies.

Soient σ123 ∈ Σ. On veut montrer que les variétés affines Vσ2σ1 ∩ Vσ3σ1 ⊆ Vσ2σ1 et

1σ2 ∩ Vσ3σ2 ⊆ Vσ1σ2 correspondent toutes les deux à la même chose dans Vσ1∩σ2. Afin de simplifier un peu la notation, posons σij = σ. i∩ σj ∈ Σ et σ123 = σ. 1∩ σ2∩ σ3 ∈ Σ. Nous allons

démontrer que nos deux variétés correspondent à Vσ123 ⊆ Vσ12. Soient u ∈ M ∩ σ

tel que σ12 = σ1 ∩ u= σ2 ∩ u⊥, ˆu ∈ M ∩ σ1∨∩ (−σ3)∨ tel que σ13 = σ1∩ ˆu= σ3 ∩ ˆu⊥ et

¯

u ∈ M ∩ σ2 ∩ (−σ3)∨ tel que σ23 = σ2∩ ¯u= σ3∩ ¯u⊥.

Remarquons alors que σ123= σ13∩ σ2 = σ1∩ ˆu∩ σ2 = σ12∩ ˆuet que σ123= σ23∩ σ1 =

σ2∩ ¯u∩ σ2 = σ12∩ ¯u⊥. De plus, ˆu ∈ M ∩ σ1∨ ⊆ M ∩ σ ∨ 12 et ¯u ∈ M ∩ σ ∨ 2 ⊆ M ∩ σ ∨ 12. On aura donc que : C[Sσ123] = C[Sσ12]χuˆ = C[Sσ12]χu¯.

La variété affine Vσ3σ1 est l’ouvert principal des points de Vσ1 où χ

ˆ

u ne s’annule pas (c’est

à dire (Vσ1)χu). En l’intersectant avec Vˆ σ1σ2, on obtient les points de Vσ1σ2 où χ

ˆ

u ne s’annule

pas, soit (Vσ1σ2)χˆu. L’ouvert Vσ1σ2∩ Vσ3σ1 correspond donc à (Vσ12)χuˆ dans Vσ12 et son anneau de coordonnées est C[Sσ12]χu. De même, Vˆ σ1σ2∩Vσ3σ2 correspondra à (Vσ12)χu¯ dans Vσ12 et son anneau de coordonnées sera C[Sσ12]χ¯u. Ces deux variétés, ainsi que Vσ123 ont donc le même anneau de coordonnées et correspondent toutes au même ouvert principal de Vσ12.

Pour résumer ce qu’on vient de dire, en appliquant le même raisonnement aux permuta- tions des σi, on a montré que Vσjσi∩ Vσkσi, Vσiσj∩ Vσkσj et Vσ123 s’identifient naturellement au même ouvert principal de Vσij (pour {i,j,k} = {1,2,3}) et les fonctions gσjσi sont simplement la composition de deux de ces identifications. En particulier, on a bien que gσ2σ1 = g

−1

σ1σ2, que

2σ1(Vσ2σ1 ∩ Vσ3σ1) = Vσ1σ2 ∩ Vσ3σ2 et que gσ3σ1 = gσ3σ2 ◦ gσ2σ1 sur Vσ2σ1 ∩ Vσ3σ1.

Cela nous donne donc une variété algébrique, dénotée XΣ, qu’on peut intuitivement voir

comme un recollement des différentes variétés affines Uσ pour chaque σ ∈ Σ.

À partir d’ici, nous ne ferons plus de distinctions entre les ouverts affines Uαet les variétés

. Cela ne ferait qu’alourdir la notation et il est plus intuitif de voir une variété algébrique

comme un recollement de variétés affines.

Théorème 1.13. Soit Σ un éventail dans NR. Alors, la variété algébrique XΣ construite

ci-haut est une variété torique normale et séparée, de tore U{0}.

Démonstration. Commençons par montrer que c’est une variété torique. Remarquons d’abord que U{0} est bien un tore. En effet, C[U{0}] = C[S{0}] = C[M] = C[TN]. De plus,

d’après ce qu’on a montré à la section 1.4, chaque cône σ étant fortement convexe, rationnel et de type fini, on a que Uσ est une variété torique avec comme tore TN = U{0}. De plus, si

on prend un autre cône σ0, alors ces deux actions de TN sur l’intersection Uσ ∩ Uσ0 = Uσ∩σ0 coïncident avec l’action de TN sur Uσ∩σ0.

En effet, les inclusions de Uσ∩σ0 dans Uσ et Uσ0 sont induits (respectivement) par les inclusions Sσ ⊆ Sσ∩σ0 et Sσ0 ⊆ Sσ∩σ0 et sont donc des morphismes toriques. Par la proposition

1.4, les deux actions coïncident avec l’action de TN sur Uσ∩σ0 donnée par sa structure de variété torique affine. On peut alors correctement recoller l’action de TN sur tout XΣ et

comme tout t ∈ TN donne un morphisme sur tout Uσ (et donc sur toute intersection de Uσ),

De plus, XΣ est irréductible. En effet, si on prend deux fermés F1,F2 ⊆ XΣ, alors il

faut que F1 ou F2 contienne TN au complet (car celui-ci est irréductible). Sans perdre de

généralité, supposons que c’est F1 qui le contient. Alors pour tout cône σ ∈ Σ, F1 ou XΣ\ TN

contient Uσ (car celui-ci est irréductible). Or, c’est impossible que ce soit XΣ \ TN, car Uσ

contient TN. On a donc que F1 contient tout les ouverts Uσ (et donc XΣ).

Aussi, XΣ est normale, car chaque Uσ l’est (par la proposition 1.12).

Il ne reste donc qu’à montrer que XΣ est séparé. Pour cela, il nous suffit de démontrer que

pour tout σ12 ∈ Σ, l’image de l’application diagonale ∆τ : Uτ → Uσ1× Uσ2 (où τ

.

= σ1∩ σ2)

est fermée. En effet, l’image de ∆ : X → XΣ× XΣ intersectée avec Uσ1× Uσ2 est exactement (Uσ1 ∩ Uσ2) × (Uσ1 ∩ Uσ2) = Im(∆τ). Or, comme les sous-ensembles Uσ1 × Uσ2 ⊆ XΣ× XΣ sont les ouverts affines de notre structure de variété algébrique pour X × X, cela signifie en effet que Im(∆) sera fermé si et seulement chaque Im(∆τ) l’est.

Pour démontrer cette dernière étape, rappelons-nous tout d’abord ce qu’on a fait remar- quer précédemment : Sτ = Sσ1 + Sσ2. On peut donc prendre deux ensembles de générateurs A1 = {m1, . . . ,mp} et A2 = {m01, . . . ,m

0

q} de Sσ1 et Sσ2 (respectivement) tels que A1∪A2 engendrent Sτ. D’après ce qu’on a démontré dans les sections précédentes, on peut plonger

la variété Uσ1 = YA1 dans C p, U σ2 = YA2 dans C q et U τ = YA1∪A2 dans C p+q.

On a donc que Uτ et Uσ1 × Uσ2 sont toutes les deux des sous-variétés de C

p+q. Comme

1 × Uσ2 contient le tore Im(ΦA1∪A2) ⊆ Im(ΦA1) × Im(ΦA2), il doit contenir sa fermeture,

Uτ. En particulier, Uτ est une sous-variété (un fermé) de Uσ1× Uσ2. Il ne nous reste donc qu’à montrer que cette inclusion correspond bien à l’application diagonale, ce qui nous permettra de dire que XΣ est séparé et donc de conclure.

En effet, soit ι l’inclusion de Uτ dans Cp+q et soit π1 la projection de Cp+q = Cp× Cq vers

Cp. Alors, la composition π1◦ ι nous donne un morphisme de Uτ vers Uσ1. Celui-ci engendre un homomorphisme de C-algèbre ι◦ π

1 : C[Uσ1] → C[Uτ]. Regardons où est envoyé χ

mi par ce morphisme. Dans la section 1.3 (plus précisément dans la preuve de la proposition 1.6), on a vu que χmi est simplement la restriction à U

σ1 = YA1 de xi ∈ C[x1, . . . ,xp] = C[C

p].

Or, π1 envoie simplement xi ∈ C[x1, . . . ,xp] vers xi ∈ C[x1, . . . ,xp+q] qui, restreint à Uτ, nous

donne χmi. L’homomorphisme ι◦ π

1 est donc simplement l’inclusion de C[Uσ1] dans C[Uτ] qui correspond à l’inclusion de Uτ dans Uσ1. Comme la correspondance entre «morphismes de variétés» et «homomorphismes d’anneau de coordonnées» est bijectif, cela signifie que

π1◦ ι est simplement l’inclusion.

Un argument similaire nous dit que si π2 : Cp × Cq → Cq est la projection, alors π2◦ ι :

→ Uσ2 sera l’inclusion. (La grosse différence des raisonnements est que χ

m0

i correspond à

xi dans C[Cq], qui correspond à xi+pdans C[Cp+q], qui correspond lui-même à χm

0

i.) On peut alors en conclure que ι est simplement le produit de l’inclusion dans Uσ1 et de l’inclusion

À noter que la dernière partie de cette preuve est inspirée de la preuve du théorème 1.4 de [19].

Dans le cas où Σ est l’éventail engendré par un cône σ, alors XΣ = Uσ. En effet, les

ouverts Uτ pour τ ∈ Σ sont tous contenus dans Uσ. En général, on peut voir XΣ comme le

recollement des ouverts affines Uσ avec σ ∈ Σ maximal, les autres étant contenus dans un de

ces Uσ.

Exemple. Soit Σ l’éventail construit plus haut contenant les cônes engendrés par deux

(ou moins) des vecteurs e1, e2 et −e1− e2. Notons σ1 = Cone(e. 1,e2), σ2 = Cone(e. 1, − e1− e2),

σ3 . = Cone(e2, − e1− e2), σij . = σi∩ σj (pour i,j ∈ {1,2,3}) et σ123 . = {0}. On oubliera aussi le σ dans la notation des Uσ∗.

Lorsqu’on fait les calculs, on obtient que C[U1] = C[x,y], C[U2] = C[xy−1,y−1] et C[U3] =

C[x−1,x−1y]. Ces algèbres étant toutes isomorphes, chaque Ui est isomorphe à C2. De même,

on obtient que chaque Uij (avec i 6= j) est isomorphe à C × C∗.

Faisons le cas U12en détail. Le dual de Cone(e1) = τ1∩τ2est Cone(e2,e1,−e2). On obtient

alors que C[U12] = C[x,y,y−1] qui est exactement l’anneau de coordonnées de C×C∗. En effet,

C[x,y,y−1] = C[x,y]y et on peut donc voir U12comme l’ouvert principal (C2)y = C×C∗ ⊆ C2.

Or, on peut aussi écrire C[x,y,y−1] = C[xy−1,y,y−1] = C[xy−1,y−1]y−1. Cela signifie qu’on peut aussi identifier U12 à l’ouvert principal (U2)y−1. Afin de comprendre la fonction de recollement entre U1 et U2, il nous suffit de comprendre cette identification.

Pour cela, il faut d’abord comprendre l’isomorphisme entre U2 et C2. L’anneau de coor-

données de U2 étant C[xy−1,y−1], on peut envoyer xy−1 vers x et y−1 vers y. Comme il n’y a

pas de relations entre xy−1 et y−1, cela nous donne un isomorphisme de C-algèbres obtenu depuis un isomorphisme de monoïde affine. Il induit donc bien un isomorphisme torique de variétés affines.

L’inclusion de U12dans U1 correspond à l’inclusion de C[U1] dans C[U12]. (De même pour

l’inclusion de U12 dans U2.) Si on prend la fonction de recollement g21 et qu’on la compose

à gauche et à droite par les isomorphismes entre Ui et C2 (U1 à gauche et U2 à droite),

on obtient un morphisme C × C∗ → C × C∗. Son dual ϕenverra le morphisme x vers

xy−1 ∈ C[U2] ⊆ C[U12] et le morphisme y vers y−1 ∈ C[U12]. Le morphisme ϕ est donc

(x,y) 7→ (xy−1,y−1).

La méthode est identique pour voir que la fonction de recollement g31 correspond au

morphisme (x,y) 7→ (x−1,x−1y). La méthode de calcul pour la fonction de recollement g32 est

légèrement plus compliquée, mais revient essentiellement à faire deux fois le raisonnement ci-haut. On obtient alors qu’elle correspond au morphisme (x,y) 7→ (yx−1,x−1).

De là, on remarque que c’est exactement la construction qu’on a fait pour P2 (mais avec

U0 au lieu de U3 : il suffit pour le voir de renommer les composantes de U1 en x0 et x2, ceux

de U2 en x0 et x1 et ceux de U3 en x1 et x2.

On peut démontrer que toute variété torique normale et séparée est isomorphe à une telle variété torique XΣ. L’idée de la preuve est donnée dans les exercices de la section 3.2 de [5].

Toutefois, on dira simplement qu’on se restreind aux variétés toriques de cette forme.

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